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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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23 novembre 2024 6 23 /11 /novembre /2024 16:49

"Le cinéma est la musique de la lumière" disait Gance. A la vision embarrassée de Lucrèce Borgia, ou pire de La tour de Nesles, deux oeuvres indignes pour ne pas dire infectes de l'auteur de La Roue, on préférera bien sûr pour s'en assurer loucher du côté des années 20, et en particulier de Napoléon. Paradoxal: on a l'impression que ce film, systématiquement cité dans les listes des plus grands films muets de tous les temps (Oui, certains ont du temps à perdre) ou autres bêtises de ce genre, est en réalité surtout cité pour son importance historique, et a priori par des commentateurs qui ne l'ont pas toujours vu... Doublement paradoxal, même car le film est, comme chacun devrait le savoir, inachevé.

Ou plus compliqué encore: prévu à l'origine comme une saga en six films, Napoléon devait profiter de cet amas de métrage pour explorer toutes les facettes du personnages, du révolutionnaire au militaire visionnaire, du stratège et politique à l'autocrate fascisant... Afin de rentrer dans ses frais, le film a du se limiter à une partie seulement, couvrant environ les deux tiers de ce qu'il envisageait pour sa première partie (Qui devait aller de Brienne jusqu'à 1798, et la gloire militaire qui ouvrait toutes grandes les portes à une carrière politique) a du être montré en l'état, victime de la prodigalité ou du génie d'un auteur qui ajoutait une idée, une scène, un nouveau développement, par jour...

Une fois arrêté et montré, le film n'a pas repris, et Gance en a monté une version différente à chaque présentation, ce qui n'a pas arrangé le destin de l'oeuvre. Abandonné, détruit par les remontages incessants, trahi par les tripatouillages infâmes de l'auteur, il a été sauvé par l'historien du cinéma muet Kevin Brownlow, amoureux du film, qui a décidé un jour de tenter une reconstitution. Compte tenu de l'objet cinématographique, on peut dire sans rire que c'est l'oeuvre d'une vie, puisque Brownlow en a monté trois restaurations, et toutes ont elles-mêmes servi à d'autres reconstitutions... L'histoire ne s'arrête évidemment pas là. J'en reparle plus bas.

Revenons au film; pour commencer, rappelons le contexte et les faits: Gance a triomphé en 1919 avec J'accuse, un spectaculaire film d'environ trois heures dans lequel il s'attachait à donner sa vision du conflit qui venait de s'achever, relayé à l'écran par un héros-poète joué par Romuald Joubé. Il osait des images jamais vues auparavant et transcendait le ridicule par de la poésie cinématographique pure, qui lui permettait de nous montrer Vercingétorix en surimpression qui galvanisait les Poilus contre les "boches". Le film n'était pas exempt de patriotisme mal fichu, cette honteuse maladie si répandue durant les catastrophes récurrentes que sont les conflits armés et les coupes du monde de football... Néanmoins, l'inventivité géniale, et le fait d'oser aller très loin dans la fiction et l'allégorie permettaient au cinéaste de sortir un film, en effet, hors du commun.

Gance avait alors mis en chantier un film plus fort et fou encore, La Roue dans lequel il se frottait au mélodrame avec une intensité émotionnelle et une poésie (Le maître-mot, et ce n'est pas fini, il reviendra) cinématographique unique en son genre: en plus de cinq heures, La Roue était une oeuvre capitale, qui prit à Gance trois années et lui imposa bien des sacrifices, mais il était parvenu à occuper la place qui lui revenait: la première.

Lorsque le cinéaste prit la décision de se lancer dans Napoléon, une fresque en six films (Qui ne se feront jamais), il reçut des soutiens de tous les horizons de la production: des cinéastes (dont Viatcheslav Tourjansky, Henry Krauss, et Alexandre Volkoff sur les séquences de Brienne) se mettaient à son service pour être ses assistants, des acteurs de tout le cinéma Français, mais aussi des chanteurs (Vladimir Koubitzky, Damia), des techniciens de tous horizons allaient se mettre à ses ordres, et le rôle principal mettait en compétition Ivan Mosjoukine et Albert Dieudonné... On le sait, c'est ce dernier qui a obtenu le rôle, et le film a eu un tournage chaotique entre janvier 1925 et juin 1926. Le plan initial de six films a comme je le disais plus haut été abandonné au profit d'une oeuvre équivalente à La roue, et dont Gance envisageait de faire essentiellement une célébration du grand homme qu'était Napoléon Bonaparte entre sa participation comme témoin à la Révolution, et la campagne d'Italie qui lui a ouvert les portes du pouvoir. En somme, Gance choisissait de privilégier le héros au politique. Il faisait passer Bonaparte devant Napoléon!

On ne va pas le cacher plus longtemps: à ce titre, c'est ambigu. Gance ne pouvait pas faire dans le raisonnable, et son Napoléon semble lui avoir tourné la tête! Pourtant le metteur en scène avait choisi d'interpréter dans son film le rôle de Saint-Just, un politicien, un vrai, un homme qu'on ne saurait soupçonner de succomber au culte Napoléonien, voire Bonapartiste! Mais dans les mains du cinéaste visionnaire, on voit subtilement le personnage principal évoluer, et changer de bobine en bobine. Et ce changement est d'abord un détachement, celui d'un homme qui se place de plus en plus facilement à l'écart du reste de l'humanité, et à ce titre si Gance raconte son histoire et a donc choisi le jeune général comme héros, il n'oublie pas de nous rappeler par une foultitude de détails que cet homme trahira les idéaux qu'il s'est choisis ou qu'il a été choisi pour défendre... Mais il faut lire entre les lignes pour s'en rendre compte, en l'état, et l'inachèvement du film appuie très fort sur ce point, car le fait d'arrêter son film à la campagne d'Italie fait qu'on n'a qu'une vision parcellaire du personnage. Alors Gance a truffé certaines parties de son film de prémonitions... Mais sans aller jusqu'au bout, donc on reste devant un film qui ne cadre pas avec la vision complexe d'un Napoléon, le petit dictateur manipulateur et revanchard, qui avouons-le a servi l'histoire (Comme l'avait si finement prédit le philosophe Allemand Hegel, qui attendait de pied ferme l'arrivée d'un dictateur Européen qui unifierait enfin l'Allemagne... contre lui) mais qui était surtout motivé par le fait de devenir à sa façon le maître du monde, un autocrate ennemi des valeurs de la révolution, non parce qu'elles apportaient la terreur comme nous prétend Gance, non: parce qu'elles étaient ennemies de la dictature. Le petit général si sympathique, du moins au début, dans ce film ne ressemble en rien à ça... Je pense que Gance (Qui dédiera sa Vénus aveugle à Pétain en 1943) s'est un peu perdu en route. Et il persistera et signera même encore puisqu'il se rendra coupable en 1935 d'une version sonorisée, dialoguée et révisée dont les ajouts impardonnables virent à la débilité et la Napoléonolâtrie pure et simple. En clair, son Napoléon est aussi fictif que le Custer de Walsh (They died with their boots on).

En attendant, voilà qui est donc dit, on va pouvoir se consacrer à chanter les louanges du film, c'est pour ça qu'on est là!

Et pour commencer, Gance a donc retenu un certain nombre d'épisodes pour son film, qui sont tous traités avec une telle cohérence que ce sont autant d'unités, avec évidemment comme fil rouge la présence de Bonaparte (Presque partout, mais pas systématiquement); ces unités sont chronologiques, ont d'ailleurs été tournées en séquence dans l'ensemble sauf celle située à Brienne, et permettent par leur dimension d'appréhender le personnage dans toute la grandeur que Gance souhaite nous communiquer: le film commence ainsi à Brienne (Filmé à Briançon, et ça se voit pour quiconque a mis les pieds dans l'Aube...), là ou le jeune Napoléon (Wladimir Roudenko) a été élève officier. Il y fait preuve d'une science stratégique hors du commun lors d'une impressionnante bataille de boules de neige, et commence son parcours de jeune impétueux contre la meute, aidé par un cuisinier qui le suivra en fanatique toute sa vie, Tristan Fleuri, sans que Bonaparte s'en aperçoive jamais... Puis Gance saute les années, et le spectateur se retrouve dans le vif du sujet: Napoléon, au coeur de la Révolution, se pose en homme qui soutient le principe de la Révolution Française mais en désapprouve la violence et l'injustice. Gance nous propose d'abord une vision hallucinante de l'ambiance révolutionnaire lors d'une scène qui assiste à la naissance de la Marseillaise, en compagnie de Danton, Camille et Lucile Desmoulin, Robespierre et Marat, durant laquelle Rouget De Lisle est présenté à Bonaparte. Ce dernier est ensuite confronté au dilemme de son soutien à une cause trop sanguinaire, et on le voit rejoindre la Corse pour y retrouver sa famille. Lors de son séjour, les tensions nationalistes se déchaînent, et Pozzo di Borgo, un ennemi des Bonaparte tente d'intriguer pour pousser le vieux politicien Joseph Paoli à affilier la Corse à l'Angleterre. Bonaparte, qui a choisi la France, est hors la loi: Gance se permet un petit caprice, une poursuite à cheval échevelée, qui ensuite mène à une séquence célèbre par son montage: la "double tempête". Alors que Bonaparte fuit la Corse dans une toute petite embarcation et affronte une mer déchaînée, la Convention à paris est victime d'une autre tempête, politique celle-ci: les Girondins y sont dénoncés, arrêtés et vont être exécutés. Une scène magnifique nous conte l'assassinat de Marat par Charlotte Corday, et enfin, la première partie se conclut sur la longue séquence, largement nocturne, du siège de Toulon, durant lequel Napoléon Bonaparte, officier en charge de l'artillerie, sauve la mise de la Révolution en remportant une bataille contre l'avis de ses supérieurs, parmi lesquels un ennemi Corse, Salicetti. Celui-ci reviendra se venger en intriguant contre Napoléon aux côtés de Robespierre.

La deuxième partie est moins riche en longues séquences, et part de la terreur, dont Napoléon sera la victime: Gance nous montre l'oeuvre de Robespierre qui fait le vide autour de lui, puis l'influence de Saint-Just. Ensuite, on assiste à l'arrivée de Joséphine de Beauharnais à la prison des Carmes ou les prisonniers restent peu de temps en attendant d'être sélectionnés pour l'échafaud; Il nous montre Tristan Fleuri qui participe à l'escamotage de dossiers pouvant mener des innocents à la guillotine (Lui et un autre mangent littéralement les dossiers d'accusation de Joséphine de Beauharnais, et celui de Bonaparte); on assiste ensuite à Thermidor, une belle scène à la convention, durant laquelle les Robespierristes sont arrêtés, et Saint-Just/Gance fait un discours mémorable. Peinant à se faire accepter comme général, Napoléon rend un service important en défendant la république contre une insurrection royaliste. Il triomphe, et devient l'homme incontournable. Lors d'une fête organisée par les anciennes victimes de la Terreur, le bal des victimes, Napoléon Bonaparte rencontre Joséphine, et la ravit à Hoche. Après une courte période de séduction, il épouse la jeune veuve à la veille de partir pour l'Italie. Enfin, le film s'achève dans un maelstrom d'images qui nous montrent les premiers contacts avec les soldats débraillés de l'armée d'Italie, et leur départ pour la gloire.

Gance développe pour "son" Napoléon l'identité d'un homme visionnaire, qui a toujours raison contre l'ordre établi (Toulon, Paris, l'Italie: à chaque fois, ses visions stratégiques sont prises de haut avant qu'il ne triomphe); un homme qui s'impose par sa force de conviction, et qui marche constamment à l'impulsion. Jamais il ne calcule, jamais il ne complote. Il réagit, envers et contre tous. Si il a tendance à traiter la Révolution Française comme le font ses contemporains Hollywoodiens (Ingram et Griffith) plus influencés par la proximité de la Révolution Bolchévique que par l'histoire, Gance se rachète en quelques séquences fulgurantes: il fait de Danton un authentique orateur, presque un précurseur de "son" Napoléon lorsque il dirige avec l'aide de Rouget de Lisle les bancs de la convention dans une Marseillaise d'autant plus endiablée que c'est la première fois que la chanson est interprétée. Comme dans tant d'autres scènes, Gance utilise avec génie la caméra, ne laissant passer aucune occasion d'enrichir ses plans de façon novatrice, et insère un plan de Damia en liberté guidant le peuple durant une scène muette, mais réglée -et montée- au métronome! Plus loin, la tempête de la convention nous montre le clan de Robespierre qui prend le pouvoir, mais comme en écho, au milieu de la deuxième partie, Thermidor remet les pendules à l'heure: c'est Gance, à travers Saint-Just, qui prononce (Littéralement à l'écran, on peut le lire sur les lèvres du metteur en scène) une justification pour la République des actes de la Terreur. Enfin, Napoléon avant de partir pour l'Italie, visite les bancs vides de la convention, et reçoit des fantômes de tous les grands hommes la mission de continuer et d'exporter la République. Inversement, les petites gens sont représentées par la famille Fleuri: Tristan, l'ancien de Brienne (Nicolas Koline), et ses deux enfants accompagneront Napoléon physiquement ou en pensée, par hasard ou par dessein, dans toutes ses aventures sauf la Corse, et ne parviendront jamais à marquer son regard! Une façon de renvoyer à l'image du grand homme au dessus de tout, et de tous... Par ailleurs, Napoléon est parfois assimilé au héros Gancien de base, le poète ou l'artiste: Séverin-Mars, dans La Xe symphonie, était un compositeur inspiré par Beethoven, ce dernier est le héros d'un autre film, Un grand amour de Beethoven en 1938. Des poètes sont les héros de J'accuse et La Fin Du Monde, et le fils de Sisif dans La roue est un violoniste trop délicat pour affronter les foules, qui se reconvertit en un disciple de Stradivarius, bref un poète de la lutherie...). Toujours cette idée qu'il y a une certaine catégorie de l'humanité qui est au-dessus des autres...

Le film, tourné en séquence, est une occasion pour Gance d'aller plus loin encore dans ses expériences de cinéma émotionnel et total. Il continue à utiliser le montage rapide de façon enthousiasmante, ponctuant en particulier les fins de séquences de giclées d'adrénaline à l'effet encore impressionnant aujourd'hui. Il renouvelle complètement la surimpression, qu'il multiplie (Il a été jusqu'à réutiliser la pellicule 16 fois dans une séquence); il expérimente de nouvelles façons d'utiliser la caméra: à dos de cheval, fixée sur une voiture pour montrer l'armée d'Italie en mouvement ou installée sur un balancier durant les scènes de tempête à la Convention, portée à l'épaule pour s'approcher au plus près des corps gisant après les combats ou des hommes de l'armée d'Italie s'abîmant dans l'inaction: ces scènes ont un faux-air documentaire qui est encore très présent. Il utilise des procédés rares, dont l'iris blanc, qui nimbe de lumière blanche certaines scènes dont le prologue, il diffuse la lumière de toutes les façons, et utilise lors des plans de tempête en méditerranée des images en négatif... Mais surtout, il expérimente avec ce qu'il appellera la "polyvision": tout le tournage semble avoir été influencé par l'envie d'étendre le champ, d'où le recours à un grand nombre de surimpressions. Mais la multiplication d'images à l'intérieur du plan, si elle remplit sa fonction lors de nombreuses scènes, ne pouvait pas rendre cet élargissement extraordinaire de l'espace cinématographique rendu possible par le triple écran: pas disponible dans toutes les versions (Par exemple, la fameuse version de 1983 montrée à la télévision Britannique en était dépourvue). Mais vu avec les triptyques à la fin, le film atteint à une poésie cinématographique, un traitement de l'image à nul autre pareil: le plan du film reste le panneau central, mais il est appuyé à droite et à gauche par des prolongements, soit un élargissement de l'image elle-même dans une sorte d'écran large précurseur du Cinemascope et du Cinerama, soit un élargissement de l'idée directrice des plans, par une illustration qui complète ou apporte un contrepoint. La composition cinématographique en devient démultipliée, et Gance qui maîtrise parfaitement, instinctivement cette technique étonnante, en fait des merveilles. Une façon merveilleuse de terminer un film qui a accumulé tant d'images dans lesquelles le metteur en scène a joué avec l'ombre, la lumière, la vie et son illusion... Il peut, semble-t-il, tout faire avec de l'image. Du moins il le pouvait à l'époque de Napoléon...

J'en parlais plus haut, le film a plusieurs versions en circulation... Kevin Brownlow, historien et admirateur de Gance, amoureux fou du film, a pu aller jusqu'au bout d'une reconstitution qui semble rendre justice au film dans toute sa complexité, et a bénéficié de découvertes de la Cinémathèque Française en recouvrant les teintes du film, d'une part, ses triptyques de fin d'autre part (la fameuse séquence des "mendiants de la gloire"), mais surtout en retrouvant le personnage de Violine Fleuri: la jeune femme, interprétée par Annabella, est donc la fille de Tristan, et elle a pour Napoléon Bonaparte un amour inconditionnel, qui souffrira d'autant plus qu'elle côtoiera Joséphine de Beauharnais dont elle sera l'employée. Ses séquences, souvent coupées du film, permettent d'objectiver un peu plus Napoléon qui acquiert une distance supplémentaire, et une inaccessibilité plus grande encore. Elles donnent au personnage "humaniste" de Napoléon, celui qui motive l'amour de jeunesse de la petite Violine, une dimension de cause perdue, au fur et à mesure que le jeune Bonaparte se détache des autres humains. Et le personnage, qui donne lieu à un mélodrame assez classique, fait glisser le film vers un terrain plus poétique dans lequel l'image du grand homme deviendrait presque celle d'un salaud: un type qui va de l'avant sans se préoccuper de l'effet qu'il fait sur les autres. la jeune actrice de 17 ans est fantastique, et ces scènes cruciales rendent le film encore plus beau... C'est cette version qui fut longtemps la dernière restauration achevée (En 2000), qui fut éditée en blu-ray en Grande-Bretagne (2016) dans l'exigeante collection du British Film Institute...

Mais la Cinémathèque Française a repris en mains le destin du film. George Mourier, responsable de l'inventaire et restauration de La roue dans sa plus longue et compexe version, a commencé à travailler sur le film en 2008 par un inventaire des collections, et nous a donc concocté une restauration impressionnante de la dite "Grande Version", pour une durée de sept heures environ. Le film sortira aussi en format physique... Et a fait une petite carrière notable dans les salles, ce qui dut être compliqué compte tenu de sa durée hors normes...

Devant cette version, on apprécie que la restauration nous restitue de manière plus fournie encore la durée du film, son rythme, ses embardées spectaculaires, ses audaces. Soyons justes: Brownlow n'y a pas passé sa vie pour rien, et il a tant contribué à restituer (parfois dans la spéculation la plus échevelée) sa forme au film, qu'on se retrouve avec cette nouvelle version en terrain vraiment familier. Mais Mourier a tout fait pour retrouver avec rigueur la cohérence interne d'une version parmi d'autres, ce que Brownlow ne pouvait pas faire: son propos était de couvrir tout le film en une seule version... La rigueur de l'inventaire comme de la restauration, nous donne accès à ce que Gance aurait pu, s'il l'avait voulu, établir comme LA version de son film. Et les trouvailles de Mourier sont la preuve que d'y passer tout ce temps valait la peine: en particulier la façon dont la restauration redonne à la séquence de la Marseillaise son rythme et sa musique (il est possible, une fois les scènes montées correctement, d'y adjoindre une version chantée sans aucun décalage) ...

Le cinéma est-il "la musique de la lumière", alors? Disons que si Gance, qui était un visionnaire et un type "convenablement dingo", comme aurait dit Boris Vian, avait le sens de la formule prétentieuse, c'est au moins une façon intéressante de parler d'un film qui tente de trouver de nouvelles façons de faire du cinéma, et le fait de façon encore fascinante aujourd'hui, au point de remplir les salles à chaque fois que ce film si difficile à voir et à connaître sur le bout des doigts est présenté, spectacle total garanti, avec surimpressions, montage festif, "polyvision", triple écran, e tutti quanti, plus de quatre-vingt-quinze années après sa tumultueuse confection. Chapeau!

 

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance Muet 1927 **
11 novembre 2024 1 11 /11 /novembre /2024 11:39

The mother and the law

 
Entre le tournage de The Birth of a nation et sa sortie, le décidément prolifique Griffith a entamé un nouveau film. Retournant à la veine sociale réaliste de The musketeers of Pig Alley, il conte cette fois le malheur d’un jeune couple pris dans la tourmente de la justice, le tout vu du point de vue de la jeune femme. Ce relativement petit film, tourné en extérieurs en pleine ville et dans quelques décors très réalistes, constitue sans doute une récréation pour Griffith, mais il représente, pour autant qu’on puisse en juger aujourd’hui, un retour à un grand nombre de préoccupations laissées de coté depuis quelques années. Une fois la tempête de The Birth of a nation lancée, Griffith va changer d’avis, et revenir sur -, le compléter, l’étendre, y ajouter des histoires supplémentaires sans relation apparente avec l’intrigue de base, dont une qui se développe sur 7 bobines environ, et en faire un film tellement énorme que la superproduction précédente pâlit à coté. Il va également terminer de bouleverser la science du montage, et inventer une forme de cinéma-pamphlet qui n’aura qu’une descendance limitée.

Pourtant, si le titre The mother and the law a été remplacé par Intolerance, affublé de sous-titres tous plus grandiloquents les uns que les autres (Love’s struggle through the ages, A sun play of the ages), l’histoire de ces jeunes gens en butte à l’hostilité de la société reste le fond, le principal fil narratif, un fil rouge particulièrement important dans l’œuvre finie. Matrice d’Intolerance, The mother and the law fera même l’objet d’une sortie tardive, 3 ans après l’échec commercial de son film-manifeste, sous la forme d’une version réduite à la seule histoire moderne. Deux indices nous permettent de confirmer l’importance de ce petit film dans la structure initiale d’Intolerance : les tournages successifs des segments ajoutés se feront sous l’appellation The mother and the law, avant qu’un nouveau titre ne soit trouvé ; enfin, la structure laisse la part belle à cette histoire, que Griffith désigne dans ses intertitres par « our modern story », « our story of today », et qui commence et finit le film, et en définit le sujet même.

L’intrigue est située dans un New York de 1915, ou une jeune adolescente (Mae Marsh) qui vit avec son père dans des conditions modestes, rencontre un jeune gangster (Bobby Harron), l’épouse et le réforme par la même occasion. Manque de chance, rattrapé par son passé, il est l’objet d’une vengeance de ses anciens amis, qui l’envoient en prison. Son épouse a un enfant, mais celui-ci lui est enlevé par une association de femmes réformistes qui l’ont surprise buvant de l’alcool pour soigner un rhume. Une fois libéré, le mari est condamné à mort pour le meurtre de son ancien patron (Walter Long), qui a essayé de profiter de sa jeune épouse. Seulement il est innocent : C’est la maîtresse du patron (Miriam Cooper) qui a commis le meurtre par jalousie (Dans une scène au montage exceptionnellement rapide et virtuose). Il s’agit pour la jeune épouse de réussir à innocenter son mari aux yeux du gouverneur, afin d’obtenir la grâce; mais le temps presse…

Le film est tourné en pleine rue, et l’authenticité de la mise en scène fait plaisir à voir. Griffith a choisi de ne pas nommer les protagonistes, autrement que par des groupes nominaux aussi génériques et arbitraires que possible, nommant du même coup ses préférences : Mae Marsh est The dear one (la chère petite, ou la petite chérie) ; Harron est The Boy; Long est le Mousquetaire (Musketeer, tiens donc), etc. Le prologue est selon moi entaché par le jeu de Mae Marsh, à laquelle Griffith demande une fois de plus de jouer la petite fille attardée : chez Griffith, il n’y a pas d’adolescence pour les filles. Elles passent directement de l’enfance à l’âge adulte. C’est en particulier vrai pour Mae Marsh, qui jusqu’à Intolerance n’a joué que des fillettes ou presque, et qui continue ici à se conduire de façon ridicule, gambadant de façon puérile, distribuant des baisers à tous les animaux qu’elle rencontre… Heureusement, les scènes qui suivent la mort du père lui permettent de faire preuve de plus de retenue, et l’équipe qu’elle forme avec Bobby Harron s’en sort très bien. Un magnifique plan de Mae Marsh, au milieu du film, la voit rentrer chez elle après le verdict de condamnation à mort, et son visage fond littéralement au noir sur l’écran: une véritable figure tragique…

Le parcours du personnage joué par Bobby Harron va de l’adolescence, lorsqu’il travaille à l’usine locale avec son père, jusqu’à l’âge adulte, quand il est devenu gangster, aux cotés de Walter Long. Entre les deux, il a perdu son père lors d’une tuerie organisée par une police privée qui a brisé une grève à la demande du patron local (M. Jenkins) : la charge anti-capitaliste est extrêmement virulente, et les images de grève légitime cassée par des milices et des anti-grévistes armés de fusils reste en mémoire longtemps après avoir vu le film. Quoi qu’il en soit, Harron qui était un ado attardé dans The Birth of a nation, qui jouait souvent le grand benêt dans les courts Biograph, est ici totalement convaincant. La subtilité de son jeu, son coté sec, mais pas encore totalement endurci comme l’aurait été Elmer Booth par exemple, cristallise l’affection du public. D’ailleurs si le titre The mother and the law donne l’impression que l’histoire, comme c’est si souvent le cas chez Griffith, tourne autour de la jeune femme, le jeune homme est le principal héros de bien des péripéties. Il lui est même permis de ressentir, suprême audace, les tourments moites et humides de la puberté, surtout face à la tentation, représentée par Miriam Cooper : le fait que celle-ci soit la femme du patron reste un argument de poids pour aller voir ailleurs, et rencontrer Mae Marsh… La question du sexe est ici aussi abordée, par Un Griffith qui a décidément beaucoup évolué: à la fin d’un après midi, lorsque le jeune homme raccompagne la jeune femme chez elle (peu de temps après que Mae Marsh ait perdu son père), il lui fait comprendre qu’il souhaite entrer malgré son refus. Un débat animé s’ensuit, au cours duquel la jeune femme se précipite chez elle, concrétisant par la fermeture de la porte la barrière morale qu’elle est décidée à ne pas franchir. Finalement, à travers la porte, le jeune homme lui fait comprendre que s’ils étaient mariés, elle lui ouvrirait la porte. Régissant favorablement à la proposition de mariage, elle entrouvre la porte, et laisse la tête de Bobby Harron entrer pour un chaste baiser.

La peine de mort, rarement mise en doute en ce début de siècle, est l’objet du final de The mother and the law. Griffith donne son avis à plusieurs reprises ; si il me paraît prématuré de devoir attribuer un caractère abolitionniste à toute fiction mettant en scène un innocent accusé à tort (Clint Eastwood disait qu’avec True Crime / Jugé coupable, en 1999, il ne remettait pas en question la peine de mort, juste son efficacité), Griffith est explicitement amené à prendre fait et cause contre la sentence : lors du verdict, l’intertitre reprenant les mots du juge nous donne l’impression, d’un écho fatal sur le dernier mot: Dead, dead, dead. Plus tôt, un autre titre nous dit : œil pour oeil, dent pour dent, une vie pour une vie, un meurtre pour un meurtre. Il va s’attacher à donner une importance particulièrement grande à l’exécution, aux tentatives de Mae Marsh et de son entourage pour l’empêcher, aux tentatives de confession de Miriam Cooper, et va jusqu’à représenter l’exécution de façon documentaire : ses préparatifs, les circonstances, les acteurs : bourreaux, prêtre, officiers de justice, etc… On l’aura compris, cette omniprésence de la peine de mort est particulièrement notable pour une film tourné en 1915/1916, surtout d’un auteur qui montrait le lynchage d’un esclave violeur comme un acte nécessaire, effectué par les héros de son film précédent… Mais ne parlons pas des choses qui fâchent.

Donc, dans son état actuel, The mother and the law est un film crucial, splendide, qui reprend les choses là ou s’étaient arrêtés A corner in wheat, The musketeers of Pig Alley et The painted Lady, mais on peut se demander s’il y avait besoin d’en ajouter. En effet, le meilleur moyen de voir ce film est aujourd’hui de regarder Intolerance, dans lequel quatre histoires, dont The mother and the law se succèdent, se chevauchent, se prolongent et s’interrompent les unes les autres dans un puzzle unique en son genre. Il convient de se demander pourquoi, de s’interroger sur les intentions de Griffith, qui est omniprésent dans son film, par le biais de ses intertitres, mais aussi de décisions de montage radicales : parmi les commentaires railleurs de certains critiques, il y a eu des voix pour dire qu’il était difficile d’adhérer à un film au cours du final duquel on a peur que l’héroïne Babylonienne, conduisant son char, se fasse percuter par un train… Et c’est l’effet produit par certaines scènes, si on n’y prend pas garde. Pourtant, s’il serait facile de rire avec les railleurs, ou de considérer ce salmigondis indigeste de presque 3h20 comme une ridicule tentative de détourner l’attention au moment ou un insistant procès médiatique en racisme empêche l’auteur de The Birth of a nation de savourer tranquillement son succès, reste que ce nouveau film, unique en son genre, est un évènement cinématographique à chaque vision, y compris 92 ans après.

La réaction de Griffith aux accusations dont il était l’objet à propos de son brulot fascisant fut d’abord d’en appeler au premier amendement (Entre autres, garantissant la liberté de parole et de la presse) et de demander à faire valoir la totale liberté de l'auteur d’utiliser The Birth of a nation pour y exprimer une opinion. Il s’inquiétait notamment de voir des villes ou des états interdire la diffusion de son film, ou en couper de larges portions, afin de garantir la paix civile. Il n’a jamais eu gain de cause, la justice locale considérant systématiquement son film comme un produit commercial et non un organe d’expression. C’est donc en citoyen outragé par une atteinte à sa liberté qu’il va réfléchir à répondre par un film, et tout naturellement considérer son petit film The mother and the law, toujours pas sorti, comme la base d’une œuvre qui pourrait bien s’attaquer à un des maux de l’Amérique moderne. Les premiers ajouts se feront sur l’histoire moderne, dans laquelle, il va ajouter des portraits de réformateurs (Des gens que Griffith n’aimait pas: l’un de ses derniers courts s’intitulait The reformers, or the lost art of minding one’s business en 1913 : les réformateurs, ou l’art perdu de se mêler de ses propres affaires), qui sont dans l’histoire de vieilles filles aigries ne supportant pas de voir la jeunesse ouvrière vivre sa vie d’une façon indécente à leurs yeux. Le capitaliste de l’histoire, Jenkins, est présenté comme un homme froid et coupé des réalités, qui ordonne de tirer sur les manifestants depuis la solitude de son bureau. Les soldats (Ou miliciens, selon les copies) qui tirent sur la foule sont également un ajout par rapport à la première version… Après avoir infléchi son film dans une nouvelle direction Griffith va y ajouter les autres épisodes. Le concept, justifiant le titre final, est d’apporter une comparaison (Explicite d’après les intertitres : maintenant que nous avons vu ce qui se passe à notre époque, intéressons-nous à d’autres temps, durant lesquel, etc) avec The mother and the law: la vie du Christ (Howard Gaye) est donc évoquée à partir de vignettes inspirées de quelques épisodes importants : l’anecdote de la femme adultère, les noces de Cana, la montée au Golgotha, la crucifixion. Ces anecdotes sont généralement liées au thème des scènes modernes qu’elles viennent illustrer de façon allégorique, et le meilleur exemple en est probablement la vision du Christ portant sa croix, précédant de quelques minutes la montée de Bobby Harron à l’échafaud. Une autre histoire utilsée pour un temps relativement limité est une vision typiquement Griffithienne de la Saint-Barthélémy : le massacre de Protestants par les Catholiques, le roi étant poussé par ses conseillers et sa mère, fait écho à l’histoire initiale, et le massacre historique rejoint thématiquement la grève brisée à coups de fusils des débuts du film. Lautre intérêt de cet épisode est de fédérer les protestants avec un rappel de leurs persécutions passées : le film est non seulement Chrétien, il est de plus on ne peut plus Protestant. Le traitement de l’histoire par griffith reste le même que d’habitude : la grande Histoire vue à travers la petite : Eugene Pallette, pas encore ventripotent (mais déjà bonhomme) joue ici Prosper Latour, un huguenot qui s’apprête à se marier, et doit essayer de sauver sa chérie (Yeux Bruns) contre les milices royales et les Catholiques assoiffés de sang. Prétendant défendre les libertés avec son film, Griffith en a semble-t-il pris beaucoup avec la vérité historique.
 


La troisième histoire rajoutée est la plus spectaculaire, et sans la plus difficile à justifier, du moins thématiquement : voir en la Babylone antique un royaume de bonté précurseur de 1915, il fallait oser, surtout lorsque les caméras de Griffith soulignent les spécificités vestimentaires (Ou dépourvues de vêtement, comme les fameuses séquences de 45 bobines dévolues aux prêtresses d’Ishtar, qui me font irrésistiblement penser aux vestales du Castle Anthrax des Monty Python), les coutumes bizarres, et se faisant aider d’intertitres gonflés: ainsi, le marché au mariage, ou les hommes seuls venaient chercher une épouse est-il comparé avec l’époque moderne; pas très différent de notre méthode, nous dit Griffith. En revanche, elle trouve son utilité dans deux domaines: le décor, la présence de batailles spectaculaires (Avec moult détails : décapitation, brulures, amputations, etc….), les mouvements de caméra piqués à Cabiria permettent à griffith de rivaliser avec les peplums Italiens, mais aussi avec lui-même : Après , Griffith pensait que le public n’aurait pas compris que le metteur en scène ne cherche pas à faire plus, toujours plus loin, toujours plus fort… Disons que si la plupart des images qui sont aujourd’hui montrées du film tournent généralement autour de cet épisode, et en particulier des décors extraordinaires construits pour l’occasion, mais aussi des mouvements de caméras qui nous les montrent, c’ets quand même cette partie du film qui gêne le plus, par le jeu ampoulé (Griffith souhaitait aussi copier le jeu délirant de certains films européens, mais ne se rendait pas compte que le naturalisme de ses films modernes était bien en avance. Alfred Paget, Seena Owen, Tully Marshall et surtout Constance Talmadge en font des tonnes, et Elmer Clifton est totalement nul : l’histoire nous conte comment le jeune prince Belshazzar (Paget) va perdre Babylone lorsque le grand prêtre de Bel (Marshall) va donner à Cyrus le moyen d’envahir la ville afin de venger son Dieu, délaissé au profit d’une déesse de l’amour, Ishtar. Le tout est conté avec le point de vue d’une jeune « Fille de montagnes » (Talmadge) qui a eu vent du complot contre son prince adoré, par un soldat amoureux d’elle, mais décidément assez peu doté en matière grise (Clifton). L’histoire sortira en film indépendant elle aussi (The fall of Babylon), mais ce n’est pas une très bonne idée…

Le principal atout, et la principale invention d’Intolerance, c’est bien sur son montage unique : au lieu de faire se suivre les quatre histoires, et de prier pour qu’un lien se fasse dans l’esprit du spectateur après avoir tout vu, Griffith décide de tout mélanger, selon une suite rigoureuse de séquences, toutes empreintes d’une certaine cohésion, du moins au début. L’histoire moderne est la première à être montrée, vite suivie par une introduction à l’histoire Biblique, et le début de la St-Barthélémy, qui commence par une exposition assez classique : le lieu, l’époque, le contexte… On s’attend à un long métrage de facture classique pour les trois histoires. Après un retour à l’histoire moderne, Griffith sort son va-tout avec l’histoire Babylonienne, dont l’exposition, comme celle des autres histoires, est détaillée et suffisamment riche pour qu’on s’attende à de vastes développements. La suite apparemment disjointe et aléatoire d’extraits peut faire penser à un zapping géant, mais elle a une fonction : le spectateur s’abandonne, et sera constamment surpris par les destinations. Ensuite, aucun hasard ici : Griffith nous emmène là ou il veut. Trois des histoires y sont narrées in extenso, et la seule qui soit vraiment épisodique est la moins développée, celle du Christ: Griffith n’y fait qu’une ou deux allusions. Les trois autres sont de véritables histoires cohérentes et développées, mais le déséquilibre entre les trois est criant : La St-Barthélémy ne dure environ qu’un trentaine de minutes, et voit ses séquences, généralement courtes, principalement placées en début et en fin du long métrage. Les deux histoires restantes se partagent 2h30 de temps.

Ce qui frappe, c’est le lien : toutes ces histoires sont liées entre elle par un Griffith narrateur, qui multiplie les interventions sous forme de notes, qui pilote les comparaisons et les digressions et qui assume totalement chaque image avec un aplomb remarquable : heureusement, car ce film est un échafaudage très fragile, et il n’est pas sur qu’ion puisse se reconnaitre dans ce qui est, décidément, une vision personnelle, trafiquée, de l’histoire : on sait ce qu'il faut en penser à propos de The Birth of a nation, c’est la même vision tronquée qui prévaut ; mais le lien artificiel établi, s’il renvoie forcément à l’auteur, renvoie aussi à l’Amérique, celle de 1916, celle de Mae Marsh et Bobby Harron : notre histoire moderne, une histoire humaine, comme étaient humains les gens de l’époque Babylonienne ; une histoire Chrétienne, et plus encore protestante: voilà le pedigree du film, ainsi constitué afin de fédérer le public auquel Griffith le destinait en priorité. Peut-être a-t-il réussi dans ce sens, peut-être non ; les gens n’ont pas vraiment suivi (Même si, contrairement à la légende, le film n’a pas été un échec : il a juste fait un petit succès, mais Griffith a décidé de jouer son va-tout en amenant son film sur les routes, à la façon dont il avait lancé une tournée pour The Birth of a nation, et c’est là que le public a réagi négativement : cette tournée lui a couté une fortune, et s’est avérée un gouffre.) mais l’essentiel est ailleurs : Griffith a bouleversé le cinéma dans un essai unique au monde.

Totalement Griffithien, le film repose sur des genres que l’auteur connaissait bien, et la fluidité et la virtuosité présentes dans la partie moderne nous montrent sa science en matière de narration cinématographique. Les autres épisodes reposent quant à eux sur des bases éprouvées, par l’auteur de ces quelques 400 courts métrages qui vont dans tous les sens, mais aussi de Judith of Bethulia. Il ya aussi une volonté de faire un cinéma de la psychologie (Renvoyant à The painted lady, et incarné ici par Miriam Cooper dont les tourments intérieurs sont exprimés par un visage fascinant) et de pousser plus loin encore les limites de la représentation (Violence, sexe, conditions sociales) dans son style de mise en scène: Griffith est donc chez lui. Il faut ajouter à cet échafaudage l’influence des films Italiens, évidente dans l’épisode Babylonien, tant dans le luxe hallucinant des décors que dans les mouvements de caméra. Griffith n’a de toutes façons pas choisi ses périodes au hasard, et l’a fait pour des raisons esthétiques avant tout: toujours son vieux démon de reproduire le cinéma Européen, celui de Cabiria et de L’assassinat du duc de Guise. Et puis ces périodes l’ont clairement inspiré, notamment en matière de décors : ils sont très impressionnants de bout en bout.

On ne débouche pas avec un tel mélange, sur un film parfait, c’est évident. Le jeu des acteurs dans La Chute de Babylone, les digressions parfois irritantes, il y a de nombreux défauts. Mais que de morceaux de bravoure : Chaque histoire fourmille de scènes, de décors qui s’impriment en nous (Les fameux plans des décors de la partie Babylonienne, avec les mouvements de caméra depuis un ballon captifs, ou encore les mouvements de panique à la fin de la fète, quand Cyrus s’introduit dans le palais : une scène de panique vue au microscope. ), une justesse étonnante là ou on ne l’attend pas : l’histoire de Jésus est d’une sobriété rare, et évite les lenteurs propres à ce genre de sujet : voir à ce titre le film d’Alice Guy (1906) de sinistre mémoire… La Saint-Barthélémy est généralement très intéressante, et deux scènes me restent en tête: la crise de nerfs du roi qui en bave (C'est daiileurs un détail dégoutant) lorsque sa mère et la cour le poussent à signer l’ordre de massacrer les protestants, et la mort de Prosper Latour, tenant sa fiancée morte à bout de bras, face à un bataillon de soldats qui le fusillent littéralement. Il est dans l’entrebaillure d’une porte : Griffith nous le montre criant sa rage, de face, puis nous montre le peloton. Retour à prosper, mortellement touché. Quand il s’écroule, c’est depuis la maison qu’on le voit: Griffith nous implique totalement, avec sa science du point de vue, et nous fait endosser celui des victimes : voilà un exemple de ce coté fédérateur voulu par Griffith pour ce film.

Mais je ne cache pas mon sentiment: l’essentiel du message est à prendre dans l’histoire moderne, dont la présence (environ 1h20), la situation géographique (d’un bout à l’autre du film), et l’avantage de posséder un happy-ending font de manière évidente le principal attrait du film. C’est par cet épisode que Griffith accroche ses spectateurs, qu’il justifie les digressions (La première est d’ailleurs une illustration Biblique, renvoyant de fait à l’âme Américaine), qu’il cimente le tout. Son énigmatique image-lien, celle de Lillian Gish en mère du monde, est sans doute moins efficace (Elle sert quand même d’indication, et est très efficace pour signaler quelques transitions un peu plus dure à avaler) que l’intérêt généré par cette histoire mélodramatique. Là encore, les morceaux choisis sont d’une richesse à couper le souffle : la répression de la grève, frontale et brutale, qui tranche sur le coté petit-bourgeois de Griffith qui pouvait se manifester ça et là dans son œuvre ; la scène du meurtre, ancré sur une multitude de micro-suspenses, tout comme la poursuite finale, avec la voiture de course qui tente de rattraper le train, afin d’empêcher l’exécution. Ayant vu un montage des scènes modernes, dépourvues de tout le reste, je le dis malgré tout ici haut et fort : avec les autres histoires, la force qui se dégage de ce film est encore plus impressionnante. Les digressions informent le tout, prolongent les autres histoires et notamment la partie moderne, et servent un dessein plus élevé que l’enfumage des critiques par un auteur blessé, qui était avouons-le la principale motivation de ce film au départ… Le film Intolerance est un film social génial et excitant déguisé en pamphlet, dont les images fortes impliquent le spectateur dans le bon sens, cette fois. Comment pourrait-on après en penser le moindre mal, quant on ressent l’effet physique du montage, dans les scènes et entre elles, et qu’on assiste éberlué à ce kaléidoscope humain? Intolerance est pour cela un des films les plus importants au monde.

La descendance de ce très long métrage ne pouvait pas être très étendue : comme d’autres films, on peut difficilement s’en inspirer sans le copier. Il est amusant de constater que la plupart des disciples d’Intolerance (Dreyer pour les Pages arrachées du livre de Satan, Lang pour les Trois Lumières, DeMille pour ses Ten Commandments de 1923) ont remis de l’ordre dans leurs films, afin de ne pas perdre le public. Malgré celà, ce qui reste d’Intolerance et de son apport dans le cinéma mondial, c’est cette science de la digression et de la comparaison qui va être une sorte de marque de fabrique vaguement prétentieuse, sur les films de DeMille et Curtiz, et cette tendance à l’allégorie qui disparaîtra à la fin du muet: oui, je pense que sans Intolerance, il n'y aurait pas eu de Manslaughter. Toutefois, un metteur en scène a réussi à reprendre le flambeau de Griffith, et à fait la même chose que lui, imposant un lien unificateur entre trois histoires contées en puzzle : c’est Buster Keaton, avec The three ages. Et en plus, c’est rigolo.

Le relatif échec de Griffith et d’Intolerance mettra un coup d’arrêt à ce type d’expérimentations et Griffith fait désormais des films plus sages : un cycle de films de guerre en particulier (Je n'en ai vu aucun), dont un brulot anti-Allemand qui nous rappelle par sa mauvaise réputation de bien mauvais souvenirs: Hearts of the world(1918). Il ne s’arrêtera pas pour autant d’intervenir en tant que narrateur, et d’abreuver un spectateur qui n’en demandait pas tant de notes parfois limites malhonnêtes (Robespierre, le Bolchevik de la révolution Française dans Orphans of the storm, 1921), mais plus jamais chez lui, nous ne verrons de train risquer d’écraser le Christ en partance pour sa crucifixion pendant qu'un curé Catholique recueille une petite fille Protestante poursuivie par un soldat Babylonien.

 

Versions

Pour finir, il faut s'intéresser aux différentes versions d'Intolerance. Il est remarquable qu'un film aussi épisodique, dont les copies différaient d'une représentation à l'autre, ait été préservé de manière aussi uniforme. Cela dit, il existe plusieurs versions, et je ne parle ni de The mother and the law, ni de The fall of Babylon, les deux longs métrages effectués et sortis en 1919 afin de tenter de capitaliser sur un film commercialement fragile: Intolerance a deux montages distincts, dont les différences sont en fait présentes dans les intertitres, et donc dans les intentions, mais aussi dans deux séquences absentes de la version Kino et de son édition Française chez MK2. La scène de la fusillade, dans la version courante, est montrée avec des policiers (Ou miliciens) qui tirent sur la foule. Un intertitre de l'autre version nous informe que les miliciens en question n'utilisent que des balles à blancs, les morts durant la fusillade seront dus aux balles des employés briseurs de grève de Jenkins. Un épisode de la chute de Babylone est également présent (Et répertorié dans le découpage publié par les Cahiers il y a quelques années maintenant) mais il est clairement redondant. Son seul argument est de représenter une rencontre plus importante entre Balthazar et la fille des Montagnes (qu'on retrouve d'ailleurs dans The fall of Babylon, dans sa version "long métrage" de 1919). Une séquence supplémentaire, enfin, donne à voir la fin de l'intrigue moderne avec le bébé qui est rendu à la petite famille une fois le mari innocenté. C'est sans aucun doute une fin alternative, dont l'intention était de finir de rassurer dans les chaumières. Une question toutefois: et Miriam Cooper, qu'advient-il d'elle? Dans le film, on la voit quitter la prison bras-dessus bras-dessous avec Tom Wilson, le futur policeman de The Kid. Elle vient de confesser un meurtre, pourtant... Aucun changement dans cette version à ce sujet. Bon, si vous souhaitez voir ces images supplémentaires, elles sont sur une des versions restaurées il y a une dizaine d'années, parfois éditées (Un DVD TF1 a existé, mais il est indisponible à ce jour). Cette version provient d'une copie tirée en 1917 et disponible au DFI de Copenhague.

 

La version la plus communément répandue, en 13 bobines, provient d'une ressortie basée sur un remontage (1926) par Griffith de la version de 1916. c'est la version qui fait autorité aujourd'hui, dans laquelle apparemment les intentions de Griffith apparaissent le plus clairement, sans doute. Il est permis d'en douter, d'autant que ce montage survient 10 ans après la sortie, d'une part, et que à ce stade, le destin du film était scellé, faisant du film plusou moins un flop; je reste persuadé que le metteur en scène n'a pu qu'altérer un peu son film... Difficile de pouvoir l'établir, pourtant, en l'absence d'une authentique copie d'origine. Mais toutes les autres "incarnations" du film (la copie Danoise, et les deux longs métrages de 1919 tirés des histoires individuelles) possèdent des variations, et surtout des développements qui n'y sont pas présents.

 

Cette version "officielle" par défaut s'accompagne aujourd'hui d'une disponibilité des deux films de long métrage qui ont été retirés du fiasco. Si The fall of Babylon est une restitution de l'essentiel du découpage de cette portion d'Intolerance avec quelques chutes pour agrémenter le tout, The mother and the law dans sa version de 1919 est un long métrage de 99 mn, qui ajoute de nombreux développements -et redondances, on ne se refait pas- à ce que contient le film de 1916. Tout me semble dater de 1915-1916, et c'est peut-être le long métrage prévu avant que Griffith ne bouleverse ses plans. Il est aussi fort, et possède les mêmes combats qu'Intolerance, mais dans ses ajouts, donne plus de vie à Mae Marsh et Bobby Harron... Et ajoute un détail sordide: la mort du bébé... Je pense que ce film contient au moins 20 minutes inédites, fragments disparates ou fascinants d'un puzzle qui n'a pas fini de nous intriguer.

 

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet 1916 Lillian Gish **
25 octobre 2024 5 25 /10 /octobre /2024 18:30

Dans le prologue, on fait la connaissance de quatre amis: les deux soeurs Kate (Helen Eddy) et Mary (Pauline Curley) sont toutes deux amoureuses: Mary d'un beau jeune homme bien sous tous rapports, Jimmy (John Gilbert), et Kate d'un jeune scientifique Indien (Sessue Hayakawa): les deux jeunes hommes se sont connus à l'université... Mais les conventions de l'époque, ainsi que son romantisme un peu morbide, empêchent Kate d'assumer cet amour, et Ashuter doit retourner en Inde, pendant que Jimmy et Mary se fiancent... 

Mais Jimmy, qui a souhaité prouver à Mary qu'il pouvait se débrouiller, est tombé sous la coupe d'une secte de malfaiteurs, et il est dans l'obligation de commettre un meurtre pour eux... Ashuter décide de tenter le tout pour le tout pour sauver son ami.

C'est du mélodrame, du bon du gros, avec un sous-texte plus que surprenant, mais assez courant dans les films de Sessue hayakawa: car quel que soit le rôle qui lui échoit, il est condamné à ne pouvoir, selon les lois en vigueur, convoler en justes noces avec une jeune Américaine! On appellait ce genre de mariage de la miscégénation aux Etats-Unis, où c'était passible de gros ennuis, selon les états (ça pouvait aller jusqu'au meurtre, bien entendu)...

Le film a donc la bonne idée de faire reposer la dynamique de l'intrigue en partie sur cet état de fait, pourtant bien insatisfaisant pour les personnages. Etant obligés de ne pas s'aimer, l'amour de Kate et Ashuter devient sublime... Et ça marche assez bien, d'autant qu'helen Eddy s'en sort avec les honneurs en dépit de la charge élodramatique de son personnage.

Et tant qu'on est sur les us et coutumes de cette période ô combien reculée, et ô combien fascinante, comment peut-on passer sous silence cette manie qu'avaient les mélodrames de l'époque de tourner autour du pot, en montrant des groupes d'agités du bocal, politiques et terroristes à la fois, à la pratique sectaire? C'est sans doute ainsi que les Américains moyens de 1919 se représentaient la proverbiale "menace Bolchevik"... 

Reste un film atypique, plaisant, avec un jeune et fringant John Gilbert, et un thème sous-jacent qui en ferait presque un plaidoyer pour l'intégration, face à ce Dr Ashuter, le plus civilisé des hommes, bien plus armé pour la vie, qu'elle soit à l'ombre ou à la lumière, que son copain un rien inutile, qui est né avec une cuillère en argent dans la bouche (ou ailleurs) et auquel on donnerait probablement, comme on dit, le Bon Dieu sans confession!

Il suffit donc d'accepter que Sessue Hayakawa soit natif d'inde.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1919 **
24 octobre 2024 4 24 /10 /octobre /2024 09:10

Yukio,  un jeune homme issu des amours d'une Japonaise et d'un officier Américain stationné au Japon, a grandi sans sa mère: celle-ci est morte après que le beau militaire a quelque peu oublié de revenir la voir. Devenu adulte, il est déterminé à se redre aux Etats-Unispour la venger... 

Une fois aux Etats-Unis, il se lance dans cette entreprise, mais il va avoir d'abord à déméler les intrigues autour de lui: en effet, un certain nombre d'escrocs tournent justement autour de son père, et voient Yukio et sa naïveté romantique comme une opportunité à saisir...

Le film fait partie des longs métrages dédiés à l'acteur Sessue Hayakawa; il joue avec conviction le décalage culturel, qui confine souvent à la comédie dans les deux premières bobines conservées (la première et la quatrième, sur cinq en tout, sont perdues); le reste du film est beaucoup plus proche des traditions du mélodrame, avec son intrigue d'espionnage et les possibilités offertes par l'éventuelle réunion entre le père et le fils. On notera que le film se tient à l'écart de toute possibilité d'un rapprochement entre le jeune homme et une Américaine, dans la mesure où ce genre d'associations était, dans la loi de beaucoup d'états à l'époque, un délit. 

Mais le titre ajoute une certaine ambiguité, en rappelant que de par sa naissance (légitimée par le fait que, même s'il l'a abandonnée, le père avait bien épousé sa mère), il est aussi Américain, apte à jouer un rôle auprès de son père s'il le souhaite. Ca ne l'empêche pas dans la première partie du film d'être immédiatement catalogué en tant qu'Asiatique, et les seuls emplois qu'on lui propose sont dans le service et bien sûr, il finira majordome...

Le film vaut surtout, en vérité, pour l'acteur, qui joue énormément de son visage, et qui a un certain magnétisme, sans doute moins outré mais aussi moins spectaculaire que dans le film le plus notable, sans doute, de sa carrière, The Cheat, de Cecil B. DeMille...

 

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Published by François Massarelli - dans 1918 Muet **
21 octobre 2024 1 21 /10 /octobre /2024 15:43

Un criminel mystérieux, qui se déguise en chauve-souris et utilise de façon insistante une imagerie et une symbolique liée à l'animal, dérobe des bijoux prestigieux, et menace une demeure louée par l'autrice Cornelia Van Gorden. Autour de cette dernière, et alors que les indices de la présence du maléfique individu se précisent, des individus divers et variés: la nièce et son petit ami, un étrange domestique Japonais (probablement fourni avec la maison), un détective privé mystérieux, et un policier qui l'est moins... 

Fatalement, la question n'est pas tant "que va donc faire la "Chauve-Souris", que "QUI est la Chauve-souris". La solution sera donnée, au terme d'un film décoratif et parfois pesant. Tout ici, bien entendu est nocturne, et assez théâtral, dans la mesure où West, qui vient justement des planches, adapte ici un énorme succès qui se répète depuis des années sur Broadway. Il est d'ailleurs probable que le succès de la pièce a eu une incidence sur l'émergence d'un genre à part entière: One exciting night, de Griffith, ou encore Haunted spooks de Harold Lloyd en témoignent. ...et West lui-même s'y est essayé en 1925 avec The monster, un film assez moyen, mais à l'esthétique totalement délirante.

C'est d'ailleurs à ce genre de production de maison hantée que les films d'épouvante d'avant Dracula et Frankenstein vont systématiquement se référer, avant de trouver enfin la lumière et de se laisser enfin influencer par le cinéma Allemand. Ici, ce serait plutôt le cinéma Danois qui serait la référence... Un art aimable et volontaire de la lumière, dans des cadres rigoureux et bien définis. C'est sûr, on appréciera la façon dont West utilise les ressources de sa vision nocturne. On constatera aussi que force reste à la comédie... Comme s'il fallait ne surtout pas prendre trop au sérieux ces diableries... 

Des acteurs compétents, enfin, font consciencieusement leur travail: Tullio Carminati est le mystérieux détective, Jewel Carmen la jolie nièce et son copain est interprété par Jack Pickford. Louise Fazenda joue la bonne de Cornelia Van Gorden interprétée par Emily Fitzroy. L'inspecteur Anderson est interprété par Eddie Gribbon, et le mystérieux Japonais ne pouvait être que Sojin Kamayama! Mais bon, d'une part mettez un acteur ou une actrice dans un costume de chauve-souris (je ne vous dirai pas qui) et vous n'obtiedrez rien d'autre que du ridicule... et sinon, l'année suivante, Paul Leni tournera l'exceeptionnellement beau The cat and the canary: LE film du genre. 

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 **
7 octobre 2024 1 07 /10 /octobre /2024 17:42

Tatsu (Sessue Hayakawa) est un homme semi-sauvage, qui vit dans une sorte de rêve éveillé depuis des années, dans la montagne. Il est obsédé par une princesse qui lui serait promise, kidnappée par un dragon, et tant qu'elle ne lui revient pas il s'obstine à dessiner encore et toujours des images de dragon... Ses dessins parviennent sous les yeux d'Indara (Edward Peil) un peintre génial et reconnu, qui cherche à passer le flambeau. Il reconnait dans les oeuvres de Tatsu la patte d'un successeur, et le fait venir... Mais pour obtenir quoique ce soit de lui, il va devoir faire passer sa fille Umé-Ko (Tsuru Aoki) pour la princesse...

C'est un des films réalisés à Hollywood autour de Sessue Hayakawa, un acteur Japonais qui avait été engag par Thomas Ince, et autour duquel un culte s'était construit. Mais ce film, contrairement à beaucoup d'autres (en particulier ceux de Ince, justement), a l'avantage delaisser l'acteur composer un personnage qui puisse évoluer dans un cadre Japonais...

Sa fréquente partenaire Tsuru Aoki était venue à la fin de la première décennie aux Etats-Unis, après avoir été découverte par David Belasco. Si le troisième rôle le plus important était tenu par un acteur Anglo-saxon dévolu aux rôles orientaux (il interprète Evil Eye dans Broken Blossoms de Griffith par exemple), on remarque que le Japon "Californien" qui nous est présenté bénéficie grandement de sa distribution où les acteurs Nippons dominent...

Le film est d'ailleurs assez étrange, il ne ressemble pas tant qu'on aurait pu le croire à un film Américain, derrière son aspect de conte philosophique... Mesuré, mais quand même suffisamment excentrique pour trancher sérieusement sur la production ambiante. La narration est un peu lente, mais le film ne cherche pas à éviter d'apparaître extravagant, en étant même grâce au décalage entre la brutalité enfantine de Tatsu et les manières policées d'Indara, presque comique par endroits... Le drame pointe quand même le bout de son nez, avant un happy-ending inévitable...

Et pour finir, on ne s'étonnera pas que le film soit très décoratif, profitant pleinement de montagnes parfois allègrement peintes, et parfois de vues plus authentiques... mais Californiennes.

 

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Published by François Massarelli - dans ** Muet 1919
17 août 2024 6 17 /08 /août /2024 17:39

Il y a fort longtemps, en Ecosse, les Clans Campbell d'un côté et MacDonald de l'autre se vouent une haine sans limites... Quand le corps sans vie d'un MacDonald est retrouvé, sa famille n'a pas besoin de chercher bien loin les coupables! D'expéditions punitives en tentatives de réconciliation, les deux familles se jaugent sans jamais qu'une d'entre elles ne lance une grande attaque.

Mais ça va changer, car lors d'un raid, les MacDonald ont enlevé Enid Campbell, la fille du maître de l'autre clan. Sauf qu'elle va tomber amoureuse du jeune MacDonald! Et de son côté la cousine d'Enid, Annie Laurie (Lillian Gish) a rencontré Ian (Norman Kerry), l'ainé des fils du vieux MacDonald (Hobart Bosworth), et en dépit de ses fiançailles avec l'infect Donald Campbell (Creighton Hale), elle est prête à se laisser tenter...

Robertson est un réalisateur qui ne brille pas par son originalité, mais plutôt parson efficacité sans chichis... Et dans ce film, il délivre exactement ce qui lui était demandé, à savoir une romance suffisamment marquée et suffisamment illustrée par les clichés attendus (voyons... kilt, tartan, bonnets, chardons, et les mots "Lass", "Bonnie", "Ye", et "Aye" à longueurs d'intertitres... Nous sommes donc face à un film réalisé à la MGM, qui devrait avoir tout du plaisant, de l'efficace, et sans aucune profondeur psychologique.

Sauf que... la production est tombée entre les mains de Lillian Gish. Cette dernière a toujours minimisé la présence de ce film dans sa carrière, sans doute parce que sa mère était tombée malade durant le tournage et qu'elle n'avait pas estimé y avoir mis autant d'elle-même que dans son précédent film, The scarlet letter. C'est vrai.

Mais... Même si elle n'a pas été au bout de ses capacités, sa façon de travailler a eu un effet sur toute l'équipe du film: c'est extrêmement soigné, et l'actrice, pour laquelle l'importance des répétitions n'était pas un vain mot, a réussi à obtenir de l'ensemble du casting un certain sérieux. Et elle est fidèle à la pratique de son art: quand Lillian Gish incarnait un personnage elle jouait de tout son corps et ça se voit. Elle donne d'ailleurs vie à des scènes d'amour avec ce grand nigaud de Norman Kerry, et ça il fallait le faire... Fidèle à ses valeurs elle tend constamment vers la tragédie, même si le studio ne la laisse pas faire, et d'ailleurs, il est difficile de prendre ce film même très soigné au sérieux. Ca fait partie de ses charmes...

Restauré et réédité avec son final en glorious Technicolor, accompagné d'une partition splendide due au talent de Robert Israel, c'est une résurrection inattendue, et un plaisir constant.

 

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Published by François Massarelli - dans ** 1927 Lillian Gish Muet Technicolor
17 août 2024 6 17 /08 /août /2024 17:26

Francis Ford interprète un scientifique totalement immergé dans ses recherches, et qui va devenir la victime d'un confrère d'origine mal définie, qui utilise l'ancienne addiction du héros pour l'alcool, afin de le faire tomber sous sa coupe, et lui voler ses secrets... Mais avec l'aide d'une jeune femme, le héro triomphera...

Pour commencer, j'ai de sérieux doutes quant à la présence de John Ford (même crédité Jack) dans les crédits, en tant qu'assistant réalisateur. Certes, il a travaillé à ce poste pour son grand frère, mais c'était avant de devenir lui-même un réalisateur, ce qu'il est donc depuis 1917. A moins donc que ce film date d'avant cette période (durant laquelle le jeune Ford enchainait film après film), il semble douteux d'aller dans cette direction... 

C'est de toute façon un film remarquable, en particulier pour le côté baroque: à plusieurs reprises, Francis Ford utilise des effets spéciaux pour figurer l'ivresse et les tentations les plus folles... C'était dans l'air, après tout, l'année précédente, DeMille avait réalisé avec The Whispering Chorus une oeuvre d'une immense influence, dans laquelle les tourments de l'âme étaient représentés avec des surimpressions multiples... Mais Ford ne semble jamais utiliser le sac à trucs de façon excessive. 

Derrière la fable un peu simplette, il y a une leçon de morale: le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est jamais très claire, allant des dangers de l'alcoolisme (un sujet que les frères Ford devaient hélas particulièrement bien connaître...) à la domination d'un être humain par un autre... Mais je pense que je préfère de très loin me concentrer sur le pouvoir onirique du cinéma tel que ce film hors du commun le présente!

 

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Published by François Massarelli - dans Francis Ford Muet 1918 **
26 juillet 2024 5 26 /07 /juillet /2024 15:49

Les huiles arrivent,

les délégations qui comptent, comme son altesse royale le Prince de Galles, futur roi démissionnaire aux sympathies nazies,

Des potentats divers, variés, et qui se contentent de sourire, parfois à la caméra, parfois pas, d'un air gêné,

Puis des sportifs en chapeau, qui défilent en rangs de sardines, des gens venus d'un peu partout mais surtout du monde qui se respecte, les Etats-Unis, les Britanniques, le Canada, la Grèce,

La caméra à distance, on n'est pas encore l'objectif dans la narine, comme un siècle plus tard, 

Puis les jeux commencent,

Se déroulent,

Des jeux,

Encore des jeux,

Toujours des jeux,

Et le film se termine, sans qu'on puisse échapper à l'impression d'avoir vu le prologue le plus ennuyeux au monde,

un prologue

sans 

film.

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Published by François Massarelli - dans Navets ** Muet 1924
26 juillet 2024 5 26 /07 /juillet /2024 12:15

Tourné immédiatement après Die Augen der Mumie Ma, qui tranchait singulièrement sur sa production de comédie, ce nouveau fiml est une preuve supplémentaire de l'ambition de Lubitsch d'exister hors du genre qui l'a fait connaître, et d'étendre le champ d'action de sa mise en scène. Le résultat est impressionnant et lui donne raison...

Le film adapte le court roman de Prosper Mérimée, bien entendu: c'était dans l'air en cette fin des années 10, alors que la guerre se terminait... Rien qu'en 1915, il y avait eu trois adaptations: Celle de cecil B. DeMille (Paramount, avec Geraldine Farrar), celle de Raoul Walsh (Fox, avec Theda Bara), et... celle de Chaplin pour la compagnie Essanay, qui ne sortirait qu'en 1916, et dont le pedigree reste sujet à caution (court métrage? long métrage? avec Edna Purviance)... Autant dire que, comme avec Les trois mousquetaires, Carmen est devenu une spécificité cinématographique à part entière, dans laquelle les metteurs en scène prennent ce qui leur permet de faire du cinéma attractif. En gros, la femme fatale, le conflit entre devoir et amour, le désir (dont Carmen est une personnification puissante), et les inévitables clichés de l'espagne, les Gitans, la Corrida... et la "Cat fight" dans les ateliers de la fabrique de cigares!

Pola Negri est une Carmen glamour à souhait, avec cet étonnant équilibre entre la canaillerie et la sensualité qui a fait sa réputation. Si la mission de Lubitsch était en ce qui la concerne de l'auréoler du statut de star par chaque plan, chaque action et chaque scène, alors c'est réussi. Harry Liedtke, solide acteur rompu aux excentricités de son metteur en scène, se prête au jeu en interptrétant un Don José qui se plie aux clichés le concernant, victime sans cesse des manioulations, désirs et caprices de sa maîtresse. 

En réduisant le champ de l'intrigue (seul Feyder, à ma connaissance, restituera à José sa dimension de héros tragique en lui donnant une histoire et par là-même une âme, en en faisant un fuyard de la cause basque, dans sa version de 1926) aux passages obligés et largement couverts par l'opéra de Bizet, Lubitsch achève de réaliser un film soigné, à la mise en scène très précise, ultra-lisible, et qui semble prendre les devants: certes, l'Allemagne se prépare à vivre des instants terribles, mais le cinéma national est prêt, semble-t-il dire, à prendre sa part au concert des nations. C'était bien vu, car c'ets précisément ce type de film (avec aussi Madame Du Barry tourné l'année suivante) qui tapera dans l'oeil des studios Américains, qui ne manqueront pas de faire venir le grand metteur en scène...

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Muet ** 1918