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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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26 mai 2013 7 26 /05 /mai /2013 17:59

Une femme (Natalie Lissenko) en proie à des rêves brûlants, à tous les sens du terme, ne sait pas qu'elle y vit ce qui va définir le reste de sa vie... Elle va bientôt rencontrer pour de vrai le célèbre détective Z (Ivan Mosjoukine), engagé par son mari (Nicolas Koline) pour la surveiller, sous un prétexte un peu fumeux... Et bien sur les deux jeunes gens vont tomber amoureux l'un de l'autre, de façon irrémédiable. Ce qui n'en doutons pas va gêner l'enquête du détective. Et quand le mari, pas si bête, indiquera à son détective qu'il souhaiterait ne pas avoir à souffrir personnellement de les avoir rapprochés, la gêne s'installe...

Ivan Mosjoukine réalisait son deuxième film en France avec cette extravagante super-production, qui a le culot de faire la synthèse aussi bien thématique qu'esthétique entre absolument tous les genres possibles et existants en France à cette époque: la comédie, le mélodrame, les films mystérieux à la Fantômas, la comédie burlesque, le drame bourgeois, et bien sur l'avant-garde sous toutes ses formes, recyclée (et parfois anticipée, car Entr'acte de René Clair ne sera réalisé que l'année suivante) par Mosjoukine, qui utilise toutes les ressources du montage, du placement de la caméra, allant jusqu'à intégrer génialement des séquences en négatif.

Il est un acteur survolté, parfaitement à l'aise avec toutes les scènes, et s'amuse à représenter la rencontre entre l'Homme et la Femme, sous le signe du désir symbolisé de toutes les façons possibles. L'acteur s'engage à 100%, jouant tous les rôles qui permettront à l'homme d'apparaître sous son jour le plus fantasque. On pourra sourire des moments de pur machisme (tel que cette incroyable scène dans laquelle le détective montre sa puissance d'homme riche en obtenant l'impossible des jeunes femmes dansant dans un cabaret)... Mais il contre-balance cette incongruité en représentant son surhomme se comporter comme un enfant avec sa grand-mère adorée! Tout Mosjoukine à son meilleur est présent dans ce film: la complicité qui l'unit avec Natalie Lissenko, le génie qui lui permet d'aller jusqu'à se moquer de lui-même, la science du déguisement... Le Brasier n'est pas qu'ardent, c'est un film bouillonnant, excentrique et à voir et revoir.

...pas pour le public de 1923 cependant, semble-t-il, le film ayant coulé la compagnie Albatros une première fois, et renvoyé Mosjoukine à son statut d'acteur. Hum! Le Casanova de Volkoff est quand même diablement Mosjoukinien, non? Et si j'en crois les rumeurs, ce film serait l'un des deux qui auraient décidé Renoir à devenir cinéaste (ce qu'il a bien failli être, du reste)...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Ivan Mosjoukine Albatros 1923 *
20 janvier 2013 7 20 /01 /janvier /2013 11:16

S'il fallait systématiquement prendre pour argent comptant la réputation d'un film, on ne voudrait même pas regarder celui-ci, torpillé en particulier par Lotte Eisner, respectée historienne du cinéma Allemand des années 10 et 20... Ses arguments? coincé entre d'autres oeuvres autrement plus ambitieuses (L'oeuvre perdue Die Austreibung, troisième des "films paysans" de Murnau après Marizza et Terre qui flambe d'une part, et d'autre part Le dernier des hommes et sa réputation de chef d'oeuvre officiel...), Les Finances du grand-duc est une comédie, et Murnau ne saurait pas tourner ce genre de films. D'autre part, il serait plutôt un film de vacances (Tourné sur les bords de l'Adriatique en Yougoslavie) à l'heure ou Murnau se prépare à tourner un film qui va nécessiter toute sa concentration, ce qui est d'ailleurs tout à fait exact...  Pourtant la vision et la révision de ce petit film permet de mieux en apprécieer les contours, de le réévaluer et d'y voir finalement un vrai, authentique même si mineur, film de Murnau... Après Die Austreibung, c'est la deuxième production Decla de Murnau à se voir distribuée par UFA, avant que Pommer et Murnau ne deviennent définitivement de employés du plus grand studio Allemand, passés avec armes et bagages comme Fritz Lang d'une univers de productions ambitieusement artistiques mais financièrement modestes à de grosses machines à la fois commerciales et fascinantes: Die Nibelungen, Metropolis d'un côté, et Faust de l'autre... c'est sur là encore, ce film pâlit en telle compagnie!

 

Quelques années avant la révolution Russe, sur les bords de l'Adriatique. Abacco est un petit état, mené par un grand-duc (Harry Liedtke) intègre, affable, gentil et un brin indolent: il n'aime rien tant qu'à passer du temps assis sur un rocher à regarder la douce vie de ses sujets... Mais le grand-duché va mal: les finances sont au plus bas. Un créancier s'invite et menace clairement de faire main-basse sur les terres qui l'arrangent. Afin d'éviter cela, un mariage princier en vue (Avec la princesse Olga -Mady Christians- une jeune femme qui aime vraiment notre grand-duc) va tout sauver, mais un document est subtilisé, qui va sérieusement menacer le futur d'Abacco. Des conspirateurs prennent le pouvoir, pendant que la princesse Russe Olga, fuyant sa famille, cherche à s'y rendre, aidée par Phillip Collin, gentleman-détective-escroc mondain-cambrioleur (Alfred Abel) , un dandy qui a rencontré Olga dans le cadre de ses mystérieuse activités...

 

L'intrigue compliquée et riche en péripéties mélodramatiques à souhait, est due à Thea Von Harbou, dont c'était la quatrième et dernière collaboration avec le metteur en scène. Elle y cédait à une tentation de l'aventure délirante come elle l'avait déja fait pour son mari Fritz Lang, et le script est clairement prévu dès le départ pour un film léger. Mais le fait que le film ait été sérieusement réduit avant distribution sans pour autant que les péripéties aient été moins nombreuses, le rend parfois plus confus encore... Mais peu importe: on s'amuse de voir ces aventures de pacotille, ces clichés de conspirateurs pouilleux (Autant le dire tout de suite, l'un d'eux est Max Schreck), et le charme inattendu d'Alfred Abel en Arsène Lupin de carnaval, qui vient espionner chez un maitre-chanteur pour récupérer les lettres compromettantes d'un client, déguisé en ramoneur, avec toute la panoplie... Il est également rafraichissant de voir la façon dont le style de Murnau s'exprime ici en liberté dans un contexte autrement moins sombre que d'habitude: son sens de la composition, ses plans riches qui réduisent l'action en quelques secondes, la façon dont Abel et Christians se rencontrent, par exemple: il est assis à la table d'un café en pleine rue. Au fond de l'écran, un taxi s'arrête, en sort une jeune femme qui court jusqu'au premier plan. Aucun artifice de montage n'a été nécessaire, et la rencontre (Qui n' a rien de fortuite, la jeune femme cherchant l'aide et la protection du héros) est un passage qui allie la bonhomie du personnage principal avec le dynamisme d'un coup de théâtre... Une fois de plus l'utilisation du décor (Rochus Gliese, qui aiguise déja ses crayons pour Sunrise) et la beauté de la photographie solaire et pour une fois pas trop confinée dans un studio, de Karl Freund sont d'un grand secours.

 

Quant à la comédie tant décriée par Eisner, elle est étonamment proche, dans ce film on on n'a jamais le temps de s'ennuyer, de ce que feront les Américains dans le cadre de la screwball comedy, avec ces quiproquos et déguisements: la façon dont Abel prend un malin plaisir à enlaidir la princesse alors qu'elle est jolie comme tout afin de l'aider à passer inapercçue, tout en prétendant qu'ils sont mariés, par exemple... On pense à Lubitsch aussi, avec un royaume de pacotille qui aurait pu, de façon légèrement plus grotesque, rivaliser avec Die Austernprinzessin, ou Die Bergkatze. Du reste, Liedtke, ainsi que l'acteur Julius Falkenstein aperçu ici dans un rôle mineur, étaient des interprètes habituels du grand Ernst. Rien ici donc de si lamentable qui puisse nous faire suivre le jugement de Lotte Eisner, d'autant que Murnau fourbit encore ses armes, et commence à utiliser ici des astuces de cadre qu'il expérimentera dans le giron rassurant du studio de Der letzte mann...

 

Reste aussi à mentionner une image qui frappe, et qui en un éclair nous renvoie à ce fameux secret de polichinelle de la vie de Murnau, qui éclatera enfin au grand jour dans l'insouciance trompeuse (Qui lui coùtera hélas la vie) des mers du sud: le grand-duc qui s'amuse comme un petit fou à envoyer dans l'eau des objets à un groupe d'adolescents qui plongent nus dans l'eau: au-delà de l'image condescendante du noble et des sujets tous nus, comment ne pas penser à la façon dont Murnau filmera les corps bronzés de jeunes éphèbes Tahitiens dans Tabu? L'homosexualité de Murnau trouvait, on le voit, toujours le moyen de s'exprimer y compris dans la complexité d'une censure tatillone sur peu de choses, mais particulièrement corsetée sur ce sujet précis...

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1923 **
13 janvier 2013 7 13 /01 /janvier /2013 11:22

La France, la Belgique, la Suisse, les Etats-Unis... Réalisateur expatrié par excellence, le Belge Jacques Frederix, dit Feyder est aujourd'hui oublié, et c'est une profonde injustice. On connait mieux la grande Françoise Rosay qui après avoir été son interprète dès les années 10, est devenu son épouse, et sa compagne de tous les instants, de toutes les errances aussi, l'ayant suivi dans toutes ses pérégrinations même les plus hasardeuses, comme ce séjour mi-figue, mi-raisin à Hollywood pour un contrat à la MGM, qui résultat en peu de films et beaucoup d'ennui...

Visages d'enfants est un film apatride, réalisé par une équipe française en Suisse, à la demande de producteurs de Lausanne. L'auteur fêté de L'Atlantide (1921) et Crainquebille (1922) y réalisait son seul et unique film muet dont il serait aussi le scénariste, et a réussi à tourner un film sur l'enfance qui s'attache à un enfant sans jamais sombrer dans la facilité, le sucre, ou l'excès de pathos, un regard juste et émouvant sur les recoins sombres d'une enfance soudainement marqué par l'ignominie du deuil... Jean (Jean Forest) a perdu sa maman, et a d'autant plus de mal à l'admettre, qu'il ressent le remariage de son père (Victor Vina) comme une abandon, une trahison du lien avec la chère disparue. il va donc presque naturellement se réfugier dans une posture de défi à l'égard des deux nouvelles venues, Jeanne, la nouvelle épouse, mais surtout Arlette, sa fille, qu'il va être amené à haïr, ce qui va engendrer des situations compliquées et de nombreuses chicaneries... Ainsi que des drames.

Ce film, le deuxième de ses grands muets à faire l'objet d'une édition DVD (Après L'Atlantide), est assurément son chef d'oeuvre. Il y est question, comme pour Crainquebille et Gribiche, d'enfance, vue non pas du versant pittoresque, mais du coté de la cruauté: cruauté du sort qui prive l'enfant de sa mère, intransigeance de l'enfant qui refuse la nouvelle épouse de son père; sur ce canevas, Feyder fait dire à ses interprètes, petits et grands, la douleur et la jalousie, le désespoir et l'injustice, se refusant systématiquement le confort du manichéisme: pas de marâtre à la Folcoche, mais une belle-mère attendrissante. Pas de héros à la Dickens, mais un jeune garçon en révolte, qui refuse les nouvelles venues, sa belle-mère et la fille de celle-ci, dont il manquera provoquer la mort. Dans le rôle principal, Jean Forest est génial, et ceci n'est pas son premier travail avec Feyder: la grande complicité qui les unit est fructueuse. Il était déjà le garçon qui accompagnait Crainquebille, et on le reverra dans Gribiche. Le petit parisien a su s'adapter à la merveilleuse nature Suisse... et conserver son talent naturel. 
Si le film, bien que mélodramatique, se termine bien, c'est aussi parce que c'est l'ordre des choses; Feyder, qui a ancré ses personnages dans un paysage montagnard, dans lequel la neige rythme le passage immuable des saisons, a su nous montrer le passage d'une tempête sous le crane d'un enfant, qui saura grandir mieux, et plus fort. Ce souci de mettre en relation les personnages et le décor est une des marques distinctives du cinéaste, qui sait tisser des liens entre le drame de St Avit et le Sahara (L'Atlantide), entre Dom José et l'Andalousie (Carmen), entre Crainquebille et les marchés et le pavé Parisiens... Jusqu'aux Bourgeois inquiets de La Kermesse Héroïque qui évoluent dans un village Flamand plus vrai que nature. La photo de Léonce-Henri burel, qui avait accompagné Feyder déjà dans les expériences formelles audacieuses de Crainquebille, retrouve ici un style lyrique plus classique, en mettant en perspective la magnifique nature des Alpes dans les compositions superbes de Feyder. Au-delà de ce travail splendide, peu d'audaces formelles ici, ce n'est pas le sujet... Mais le point de vue, systématiquement celui des enfants est d'une rare justesse.

Une autre constante du cinéma du metteur en scène, le thème du choix d'un destin, prend ici une tournure plus dramatique encore, lorsqu'un enfant se place de lui-même en lutte contre toute sa famille, afin de laisser éclater sa colère et sa tristesse. Comme St-Avit dans L'Atlantide, Jose dans Carmen, l'enfant a choisi son destin, et aurait peut-être pu l'assumer jusqu'au bout, jusqu'à la mort, afin de ne pas avoir tort. en s'autorisant deux recours à la tension dramatique et au suspense, feyder concrétise de façon troublante le drame intérieur de Jean, et finit de capter son public... Voila un film indispensable a toute personne intéressée par le muet, et admirablement restauré.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Jacques Feyder 1923 *
19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 09:07

Les années 20, pour Cecil B. DeMille, sont un peu une période de moindre importance, durant laquelle il abdiquera clairement son métier, son art proprement dit, afin de continuer à fournir le public en émotions fortes, sans essayer comme il le faisait dans la décennie précédente de créer de nouveaux moyens de raconter des histoires en images, et tout en respectant l’ébauche d’un code de production qui veillait aux bonnes moeurs. Deux films encadrent particulièrement cette période, en fournissant en plus un argument de poids à la fois à ses elles sont toutes deux monumentales, jusqu’à l’excès ou jusqu’au sublime, et dans les deux cas quelques barrières ou lignes rouges aient été franchies en matière de mauvais goût, le réalisateur s’est lancé dans l’entreprise tête baissée, sur de son bon droit, et totalement sincère.
Il s’agit bien sur des Dix Commandements et de The king of Kings(1927). 

On a coutume d’appeler ces Ten commandments de 1923 la « première version », en faisant référence bien sûr au film de quatre heures qui allait manquer de peu l’Oscar du meilleur film en 1956 et s’installer pour l’éternité sur la liste des films inévitablement diffusés à la télévision à Noël. Mais ces deux films ne sont pas que deux versions d’une même histoire; le premier des deux est une œuvre en deux parties, dont la référence biblique sert d’illustration à une démonstration, et baigne la deuxième partie située quant à elle de nos jours. Aidé une fois de plus par sa complice, la scénariste Jeanie McPherson, DeMille se situe de fait à la fois dans la lignée d’Intolerance (Mettre en parallèle deux histoires liées par un fil extrêmement ténu) ou de films à sketches plus rigoureux dans leur présentation, et ne mélangeant pas les époques (on pense bien sûr aux Pages arrachées du livre de Satan de Dreyer). D’autre part, il a déjà sacrifié plusieurs fois (Voir Male and female, Manslaughter) à la citation Biblique ou Antique censée éclairer les personnages, mais il ne s’agissait que de vignettes. Ici, le prologue Biblique prend son temps, durant 50 minutes… Il n'en reste pas moins qu'il domine le film!

Madame MacTavish, la maman de deux hommes très différents, leur raconte sans cesse l’histoire de Moïse et des dix commandements. John MacTavish (Richard Dix), simple charpentier,  prend ça avec bienveillance, partageant la religion de sa maman. Mais Dan, le petit frère turbulent (Rod La Roque) ironise volontiers, soucieux de passer à autre chose. Il possède une petite entreprise de bâtiment… La famille recueille une jeune femme, Mary (Leatrice Joy), dont bien vite John tombe amoureux. Il essaie de lui passer le message, mais elle n’a d’yeux que pour le séduisant Dan, et partage d’ailleurs avec lui un certain dédain pour la religion. Ils se marient, mais le bonheur est de courte durée : Dan, dont l’entreprise fonctionne bien,  la trompe avec une vamp pulpeuse et Asiatique (Nita Naldi) ; par ailleurs, alors que son frère est aussi loyal, moral et rigoureux, dan s’est laissé aller à accepter un ciment de mauvaise qualité afin de truquer ses comptes…

Commençons par une question naïve : pourquoi d’une part choisir l’histoire de Moïse, alors que de multiples détails de l’histoire « moderne » revendiquent une filiation somme toute naturelle, pour un film Américain, avec l’évangile (Le héros est charpentier, et les allusions à Jésus sont nombreuses)? Peut-être le recours à l’ancien testament donne-t-il de meilleures opportunités visuelles, notamment grâce à la possibilité de représenter des orgies, ce qu’on ne peut pas faire avec la vie de Jésus; On sait le goût de DeMille et McPherson pour ce genre de petite manie… C’est bien probable, mais en retour, cela donne au message du fil une portée plus violente, plus archaïque qui renforce les exagérations… L’histoire est assez simple, pour ne pas dire simpliste. Une partie de l’intrigue repose sur le choix par le mauvais frère (Il construit des maisons) de couper son ciment avec du sable ; on pourrait mesurer l’ironie qui consiste dans un tel film à insister sur le fait que mélanger les ingrédients ne rend pas l’édifice plus solide, et c’est bien là le problème du film, le manque de cohérence entre deux histoires artificiellement reliées entre elles saute en effet aux yeux et elles ne bénéficient pas du même effort de mise en scène: la première partie est traitée en images d’Epinal, avec de réels efforts d’embellissement : un éclairage splendide, notamment lors de la scène ou Pharaon découvre la mort de son fils, ou l’utilisation du technicolor sur 8 minutes ou encore l’inévitable scène de la mer rouge (bénéficiant de la couleur) ; d’autre part les moyens mis en oeuvres sont assez louables, compte tenu du gigantisme de la production… Mais quoi qu’il en soit, cela reste un coûteux prologue statique de 50 minutes dans lequel les acteurs jouent lourdement et en traitant l’espace comme une scène de théâtre en 1902. Le pire en ce domaine est probablement Theodore Roberts en Moïse.
La deuxième partie bénéficie d’efforts plus notables, tant il est vrai qu’il s’agit d’une histoire centrée sur un petit nombre de personnages liés par le même drame, mais DeMille se tire avec acharnement une balle dans le pied environ tous les quarts d’heures en nous montrant le héros, interprété par Richard Dix, répéter à qui veut l’entendre que les dix commandements, c’est bien, alors que le péché, c’est mal. Convoquer la pulpeuse (Et suprêmement ridicule) Nita Naldi pour incarner le péché, c’est par-dessus le marché dédouaner un peu les hommes qui seront tombés dans ses filets de toute responsabilité dans leurs actes… Quoiqu’on se réjouira d’une entrée en scène à prendre au deuxième degré, lorsqu’une main transperce de l’intérieur un sac posé sur un dock, et qu’une étrange silhouette en sort, voilée de noir… Sinon, oui, quelques scènes brillent par l’éclairage ou le sens du détail dans la mise en scène (La mort de la vamp en particulier rachèterait presque toute la deuxième partie, on se croirait revenu 4 ans en arrière) ou un mouvement de caméra notable (L’utilisation de l’ascenseur qui mène l’héroïne vers Richard Dix, décidément un saint, puisqu’il élève son âme-Ce mouvement me fait penser à The fountainhead, de Vidor). Deux acteurs ont droit à une scène à forte tension vers la fin du film : Rod la roque vient de tuer Nita Naldi, et sait qu’il a attrapé la lèpre. Le cheminement de sa conscience est joué par l’acteur, sans qu’un intertitre y fasse quoi que ce soit… Ensuite, lorsqu’il se réfugie chez sa femme, celle-ci le cache derrière elle dans son lit, alors que la police est là. Elle est magistrale, réussissant à combiner l’amertume de la trahison, le sens du devoir, la tension du risque d’être prise la main dans le sac, et le fait de craindre que le mari se fasse prendre, au cours d’une scène de cinq minutes. Mais pour le reste, dans ce qui reste un film soigné, avec un sens de la composition superbe, une photographie et des moyens incroyables, c’est un film qui souffre terriblement de toutes ses sales manies: prêcher, encore prêcher, accepter tout comme argent comptant, diviser le monde en deux, le bien et le mal… Et si on écoute tous les admirateurs du cinéaste et du film, et il y en a beaucoup, l’argument généralement avancé pour excuser les égarements est celui d’un cinéma archaïque, ancien, en développement. Ca ne tient pas : DeMille avait prouvé qu’il maîtrisait mieux le médium que dans ce film, qui possède aussi parfois quelques qualités, mais qui est écrasé sous les volontés éducatives des deux auteurs, et sous des intertitres qui pèsent des tonnes: il aurait fallu dire à DeMille que de tirer des intertitres de la Bible ne les rend ni indiscutables, ni historiques : ce travers, Griffith l’a partagé dans son Intolerance, mais je ne tenterai pas la comparaison ici.

Mais il faut penser qu’en 1923, Stroheim tournait ce qui allait devenir Greed, Ford commençait à travailler sur The iron horse, et Chaplin sortait A woman of Paris. La comparaison entre ces films et celui qui nous occupe est cruelle pour DeMille. Encore une fois, c’est parce qu’il y croyait dur comme fer qu’il encadrait se contes moraux douteux dans un emballage biblique. Il est dommage qu’il se soit embarqué plus avant dans cette voie après un Manslaughter plus que douteux, mais le public suivait. Pour conclure, on pourra au moins dire que l’objet filmique, aujourd’hui disponible en bonus de luxe dans un coffret délirant (Les six disques sont présentés dans une réplique en plastique des tables des dix commandements), mérite malgré tout encore et toujours qu’on se penche sur lui, qu’on le voie, et qu’on se fasse une idée. Le metteur en scène, qui a commis des chefs d’œuvre indiscutables dans les années 10, et qui allait encore réaliser un film extraordinaire en 1928 (The Godless Girl) mérite après tout qu’on lui laisse une chance. Et le fait que le film soit aujourd’hui visible dans de si belles copies représente au moins une chance de s’immerger dans le cinéma muet Américain, pour le meilleur ou pour le pire.

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Published by François Massarelli - dans Muet Cecil B. DeMille 1923 Technicolor **
13 mai 2012 7 13 /05 /mai /2012 16:18

Esthète Irlandais et cabochard, Ingram ne pouvait finalement pas s'empêcher d'attribuer la vertu au beau et le vice au laid; on a des exemples de cette tendance dans le très mouvementé quatrième acte de ce beau film, première adaptation d'un roman de Rafael Sabatini dont George Sidney fera en 1952 un film de cape et d'épée entrainant et joyeux, avec Stewart Granger... Mais qui est finalement fort éloigné de cet imposant long métrage muet de dix bobines situé en pleine Révolution Française, sans doute le film le plus massif d'Ingram après ses Quatre cavaliers de 1921... Depuis le succès duquel le réalisateur a eu le temps de découvrir un nouveau jeune premier, Ramon Novarro, qui compose un excellent héros pour ce film. André Moreau est un jeune étudiant en droit, devenu fraichement avocat, qui revenant au pays est témoin de deux scènes qui vont le choquer très profondément: d'une part, un pauvre homme, surpris à braconner sur les terres du Marquis de la Tour d'Azyr (Lewis Stone), est ramené chez lui mourant, exécuté par les hommes du marquis; ensuite, lorsque l'ami d'André, Philipe de Vilmorin (Otto Matieson) dit son fait au noble qui assiste lui aussi à la scène, le marquis le tue froidement, étant la meilleure lame du royaume. Cherchant de l'aide auprès de sa famille, André essaie de mobiliser son parrain, Quintin de Kercadiou (Lloyd Ingraham), qui refuse de tenter quoi que ce soit contre le Marquis; puis il essaie, à nouveau en vain, d'en référer aux autorités. C'est alors qu'il prend conscience que le seul moyen de prendre efficacement des mesures contre l'injustice, c'est de lutter politiquement, mais cela ne lui apporte que des ennuis... Il en vient donc à se cacher, poursuivi par les troupes du roi, dans une compagnie théâtrale, à laquelle il va fournir de robustes succès, dont une pièce qu'il intitule Figaro-Scaramouche. C'est à ce titre qu'un soir, il voir face à lui dans le public, sa fiancée Aline de Kercadiou (Alice Terry), la protectrice de celle-ci, Thérèse de Plougastel (Julia Swayne Gordon), en compagnie de son ennemi juré le Marquis... Devenu Monsieur X, l'acteur, André se rend compte qu'il va falloir pousser la révolte un peu plus loin...

 

Ingram n'est évidemment pas un pro-révolutionnaire acharné, son protestantisme pro-Anglais (il est d'origine Irlandaise, certes, mais du camp Orangiste) ne le poussant pas à épouser une autre vision que celle partagée par le Hollywood de l'époque, coincé entre l'exaltation de la Révolution en ayant en tête celle de 1776 dont ils sont finalement les héritiers, et une tendance à freiner devant l'expression violente d'un changement populaire, telle qu'elle venait de s'exprimer en Russie. C'est dire si on est finalement dans un terrain déja parcouru par exemple par Griffith pour son Orphans of the storm (1921), qui montrait une révolution nécessaire, qui dégénérait en boucherie sous l'influence de l'odieux Robespiere, d'ailleurs nommément traité de "Bolchevique" par un intertitre. Mais Ingram, contrairement à Griffith, ne donnait pas ainsi son opinion aussi simplement, c'est la construction de ce film qui nous donne cette vision bien dans la ligne: un premier acte centré sur les efforts d'André pour essayer de faire triompher la justice, et venger son ami. La noblesse y est bien du coté des tortionnaires, incarnée en particulier par le Marquis; un deuxième qui le voit se cacher dans une troupe de théâtre, confronté sous cape à l'évolution de son pays; dans le troisième acte, il redevient André Moreau, est élu député, et décide de contrer la noblesse en adoptant ses propres armes, et il devient ainsi un bretteur redouté, et est de plus en plus populaire. Mais son histoire privée, et compliquée, avec Aline, culmine dans un duel avec le Marquis dont le véritable enjeu est plus la main de la jeune femme qu'autre chose. Enfin, le dernier acte, tumulteux et déchainé, voit Moreau apprendre que certains des nobles contre lesquels il se bat sont de sa famille, et la foule de son coté devient incontrôlable, se livrant à des massacres et des pillages... La seule voie possible, donc est une voie médiane, incarnée dans une scène par andré moreau défendant sa noble de mère et sa fiancée contre une foule hostile en appelant à ce qu'on le reconnaisse, ni noble ni roturier, juste un caractère noble, de basse extraction. Dans le même temps, le marquis devient vraiment noble en se sacrifiant pour sa famille, et le bien commun... Si on est très loin de Griffith dans la réalisation, on constate que la source est donc la même, et finalement les conclusions idéologiques absolument identiques.

 

Sca.jpgIngram est un grand directeur d'acteurs, qui a su jouer sur tous les tableaux, aussi bien des grandes scènes épiques, dont le souffle impressionnant n'étouffe jamais les personnages, que sur des moments d'intimité. il fait une utilisation fluide du montage, intégrant parfaitement des gros plans dynamiques, et repose beaucoup sur le jeu subtil et en demi-teintes de Alice Terry, Ramon Novarro et Lewis Stone. Ce dernier a la charge d'être le "villain" du film, mais étonne par son humanité, et sa capacité à mettre en particulier les rieurs de son côté dès sa première scène, lorsqu'en passant devant une femme qui lui fait de l'oeil, il se demande si il pourrait bien être le père de l'enfant qu'elle tient dans ses bras... un détail qui a plus d'importance qu'un simple gag, puisque le film possède une intrigue mélodramatique à souhait, avec coups de théâtre liés à de vieux secrets familiaux... Mais au-delà, c'est bien l'esthétique qui prime dans ce film rigoureux: des décors splendides, parfaitement intégrés dans des compositions magistrales; un sens, avec le fidèle chef-opérateur John Seitz, de la lumière, qui prolonge le travail d'un Maurice Tourneur: chaque gros plan d'un acteur est ainsi logiquement inséré dans la structure d'ensemble (Par opposé aux plans symboliques de Griffith), et doté d'un lien avec la lumière: une larme qui brille dans un rayon de soleil dans la scène d'ouverture, les yeux déterminés d'André Moreau dans une scène dramatique, etc... Ingram, dans des décors superbes, privilégie les lieux d'ombre, ave toujours une ouverture qui diffuse partiellement la magnifique lumière Calfironienne, donnant des images aux nuances riches... Le sens esthétique d'Ingram n'est pas lié qu'à cette tendance à bien composer, on le retrouve aussi dans sa façon de mobiliser des acteurs recrutés pour leur laideur et leur difformité, donnant ainsi aux sans-culottes une trogne et des manières odieuses, dignes de leur réputation... Mais le souffle épique de cette histoire mélodramatique, non pas réaliste, mais intrinsèquement parfaitement cohérente emporte l'adhésion jusqu'au bout, et culmine dans des scènes maitrisées de représentation du chaos, d'une rare violence...

 

Il ne faut pas chercher la vérité historique dans ce film, qui simplifie la marche de la Révolution en quelques touches efficaces avant de la montrer en déchainement spectaculaire d'une foule qui sent mauvais. Mais des allusions, ça et là, rappellent quand même un peu de vraisemblance, notamment le titre de cette pièce, qui a pour tâche de justifier le titre du film, désormais bien éloigné sans doute du roman initial (Le film de Sidney lui étant certainement plus fidèle, donne le temps à Granger de faire du personnage de Scaramouche qu'André Moreau interprète sur scène un véritable alter ego), mais aussi de rappeler un acte fondateur de la révolution balbutiante, le Mariage de Figaro de Beaumarchais. Ce qui fait d'André-Louis Moreau, dans sa version interprétée par Ramon Novarro, le véritable précurseur de la révolution Française... Bon, soyons clairs: on ne peut pas prendre ça au sérieux, mais qu'importe? Scaramouche, film magnifique et flamboyant, aussi prenant aujourd'hui qu'à sa sortie en 1923, film rescapé des années 20, reflet d'une période dorée du cinéma Américain, est un souffle qui emporte tout sur son passage, c'est le meilleur des films de Rex Ingram que j'ai vus.

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Published by Fraçois Massarelli - dans Rex Ingram Muet 1923 *
22 janvier 2012 7 22 /01 /janvier /2012 10:47

 

Après avoir réussi, de façon éclatante, une métaphore du rêve Américain et de l'ascension sociale (Safety last!), Harold Lloyd et son équipe (Les réalisateurs Newmeyer et Taylor, les scénaristes Tim whelan et Ted Wilde, tous ces gens partageant également la casquette de gagmen) sont revenus à un type de situation et de personnage qui renvoie à A sailor made man, ainsi que Grandma's boy, et de fait ils ont ainsi raffiné une formule qui resservirait, qu'on en juge: Girl Shy (1924), The Freshman (1925), For heaven's sake (1926) et The kid brother (1927) seront tous des variations sur le même modèle: un homme inadapté à une situation va finalement se découvrir et se révéler en puisant en lui des ressources insoupçonnées, lui permettant enfin de s'affirmer. Les obstacles à cette découverte du vrai soi, après l'oisiveté des riches dans A sailor made man, et la lâcheté de Grandma's boy, seront toujours différents: bégaiement (Girl shy), timidité et gaucherie (The Freshman), égoïsme et incommunicabilité (For heaven's sake), et enfin un environnement familial étouffant (The kid brother).

 

Ici, le problème renvoie un peu au personnage de A sailor made man. Harold Van Pelham est un hypochondriaque savamment entretenu à coup de pilules par son médecin, qui part pour une ile paradisiaque passer des vacances réparatrices. Il est accompagné de son valet et d'une infirmière personelle, qui est secrètement aoureuse de lui. Chaque changement en lui étant source d'inquiétude, il n'a jamais pris le risque de réaliser ses propres sentiments, et comme en plus il est riche et épouvantablement distrait, il ne peut s'apercevoir de rien. D'ailleurs, lorsqu'il arrive à Paradiso, une révolution vient juste d'éclater, mais Harold prendra au moins 30 minutes à comprendre la situation, croyant même qu'on le conduit à son hôtel sous escorte lorsqu'il est envoyé en prison par les nouveaux maitres de l'île...

 

L'hypochondrie du personnage n'est finalement qu'une part de son problème; le principal écueil pour que le personnage s'ouvre aux autres, c'est sa richesse, son insupportable côté enfant gâté. Mais le génie de Lloyd, qui était un grand acteur, n'ayant jamais peur de varier ses personnages, lui permet de réussir à fédérer les spectateurs derière son insuportable Van Pelham... Sa naiveté à l'égard du monde qui l'entoure est plus ou moins celle d'un enfant, qui ne se rend pas compte que l'habitant qui semble faire une révérence est en fait un homme qu'on vient d'assommer, qui prend les gestes d'une femme qui essaie de retenir la chute d'un home blessé pour une danse spontanée et improvisée en pleine rue, et se met à applaudir à tout rompre... Ces gags situés dans la première demi-heure sont justement célèbres. L'art du trompe-l'oeil est ici utilisé aux dépens du personnage et non du spectateur...

 

Si le film renvoie tout de même, avec son île et sa révolution de pacotille, au grotesque de certains des courts métrages parmi les moins bons (On pense parfois à His royal Slyness), le film est malgré tout sauvé par une construction logique et la création de personnages qui sont solides. Outre Van Pelham et les chefs de la révolution (On y reconnaît le versatile Leo White, pear exemple), on fait la connaissance de John Aasen, un géant de 2m20 qui joue un rôle important aux cotés de Van Pelham, et dont la complicité va lui rendre bien des services. Mais conforme aux mythe du bon géant, ce n'est pas l'intelligence qui l'étouffe. Par contre, jetée en pleine révolution, l'infirmière va se révéler efficace et va prendre la résolution de profiter des circonstances pour prouver à Harold qu'il n'est pas malade, qu'il n'a pas besoin de ses sacrées pilules, et qu'ils sont faits l'un pour l'autre. De son costume d'infirmière, rhabillée avec des habits locaux, la nouvelle leading lady Jobyna Ralston va se révéler beaucoup plus capable que Mildred Davis, qui à ce moment était désormais l'épouse, et non la partenaire du chef. Si Mildred a pu payer un peu plus de sa personne notamment dans Dr Jack, elle était généralement passive, mais Jobyna sera souvent une partenaire à égalité, volontaire et bien souvent plus lucide qu'Harold. Ici, elle porte une grande part de responsabilité dans les idées délirantes des trois héros pour triompher des révolutionnaires...

 

On a souvent comparé Lloyd à Fairbanks, notamment pour l'optimisme de ses courts métrages. Avec ce film, on voit quand même que l'optimisme de lloyd est largement soumis à des circonstances dans lesquelles le personnage doit trouver sa voie. Ces circonstances sont très clairement dues à la rencontre, avec Jobyna, mais aussi avec Colosso le géant. Doug aurait été seul, dans des films comme His majesty the American. Du reste, quand Doug jouait les benêts, il était dur de le croire. Harold, lui, s'en sort bien. Après ce film, il a effectué le grand saut vers l'indépendance... En attendant, même si on voit bien que ce n'est pas son meilleur film, on prend bien du plaisir avec cette superbe construction burlesque, qui se clôt sur un retour à a vie citadine, dans laquelle le bon géant a d'ailleurs un rôle à jouer, fut-il subalterne...

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1923 Sam Taylor *
20 janvier 2012 5 20 /01 /janvier /2012 18:35

Harold Lloyd a quitté la petite ville de Great Bend, pour devenir quelqu'un dans la grande ville. Il a promis à sa fiancée Mildred de devenir important rapidement, afin qu'ils puissent se marier. Mais la réalité ne lui permer pas de monter si vite les échelons du magasin ou il travaille, et il est un simple vendeur au rayon tissus. Lorsqu'elle vient le visiter, il a toutes les peines du monde à la maintenir dans son ilusion, c'est la raison pour laquelle il saute sur l'occasion qui se présente, lorsque ses patrons cherchent un coup publicitaire pour faire bondir leurs ventes, il leur propose de demander à un de ses copains, un ouvrier qui travaille dans la construction de gratte-ciels, et qui n'a pas la moindre complexe à grimper sur les façades des buildings, d'escalader l'immeuble du grand magasin afin de provoquer une affluence record. Mais le jour venu, le copain a maille à partir avec un policier, et c'est à Harold de remplir le contrat s'il veut vraiment monter en grade...

 

Ce film est bien sur le plus connu de tous les longs métrages de Lloyd, et on peut sans aaucun doute facilement le comprendre. Au coeur du film, la fameuse ascension, cette icone du muet, qui fait penser à bien des gens que Lloyd est une sorte de super-cascadeur, ce qu'il n'était pas, ou que tous ses films ne sont qu'un enchainement d'acrobaties. Le fait que Lloyd ait été particulièrement fier de cette séquence, l'ait souvent montrée hors contexte, a bien sur été un facteur déterminant. Mais voir le long métrage entier dans la continuité de ses 73 minutes, c'est toujours une occasion splendide de toucher du doigt le génie d'Harold Lloyd. On mentionnera une bonne fois pour toutes deux faits: d'une part, le comédien a perdu des doigts de sa main droite, ici cachée sous un gant qui la reconstitue: certaines scènes ont du être plutôt compliquées à tourner; ensuite, contrairement à la légende, ce n'est pas le comédien qui a fait toute cette impressionnante scène, mais tous les plans généraux de l'immeuble ont été tournés avec le cascadeur Bill Strothers qui joue le copain de Lloyd dans le film... La substitution de l'histoire est en fait inversée durant le tournage. Sinon, bien sur la topographie particulière de la Californie a permis à l'équipe de tourner les plans rapprochés de Lloyd qui grimpe en trompe-l'oeil. Mais c'est tellement bien fait! L'idée en était venue à Lloyd lorsqu'il avait vu un cascadeur escalader un immeuble en pleine ville; rendu conscient du suspense inévitable inhérent à ce genre d'activité, il avait eu l'idée d'en faire un film. Le nom du cascadeur? Bill Strothers...

 

Il est sans doute un rien facile de le dire, mais ce nouveau long métrage fait partie d'une petite liste, précieuse, de films parfaits: la construction, qui culmine à tous les sens du terme dans cette fameuse scène d'ascension, les gags superbes et riches, et nombreux, les enjeux qui collent si bien aux années 20, et le timing de tous les comédiens, Lloyd en tête, tout concourt à faire du film une réussite. De plus, si on était dans les deux longs métrages de Lloyd devant une glorification tranquille d'une certaine idée de la vie rurale, ici le sujet est bien sur axé sur la vie citadine, et sur une certaine idée du rêve Américain, et l'ascension sociale si simplement et si efficacement symbolisée par cette ascension réelle. 

 

Cette montée sur l'échelle sociale, festival de gags parfaitement enchainés, a été pour Lloyd si importante que le tournage (Durant l'été 1922) a commencé par ces scènes, avant de faire le reste, brillant, mais plus routinier. Lloyd a ensuite attendu le premier avril 1923 pour le sortir, ce qui lui a permis de raffiner son film à travers le système de previews dont il était l'inventeur. Comme de juste, sortant son film un premier avril, il a d'ailleurs commencé le long métrage par un des ses trompe-l'oeil qu'il affectionnait tant: tout concourt à fare croire que le jeune homme est condamné à mort et va être pendu, alors que lorsque la caméra s'éloigne elle révèle qu'il est juste dans une gare, derrière une barrière, le noeud coulant pris pour celui de l'échafaud étant un dispositif par lequel les postiers accrochent le courrier à prendre... Le film est le dernier pour lequel Lloyd joue avec sa future épouse Mildred Davis. Devenue Mme Lloyd, elle laissera sa place sur l'écran à la délicieuse Jobyna Ralston. Sinon, le succès énorme de ce film dont Lloyd a assumé toute la production sera sans doute déterminant dans sa décision de partir de Rolin Productions, le studio d'Hal roach, afin de tourner ses films en indépendance totale. Une page se tourne bientôt... Mais quel beau film!! La quintessence de l'art de Harold Lloyd, tout simplement.

 

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1923 Sam Taylor Criterion **
4 juin 2011 6 04 /06 /juin /2011 18:24

Trois raisons pour Chaplin de ne pas jouer de rôle dans ce nouveau film, le premier pour la nouvelle compagnie United Artists. Pour commencer, il essaie, on l'a vu, de se débarrasser de son personnage (The professor, Idle class), de le démythifier en le représentant marié (Pay day), avec des enfants (A day's pleasure), voire en se représentant tel qu'en lui-même, en insistant sur le fait que moustache et défroques sont bien factices (How to make movies). Bref, il souhaite contourner cette icône. De plus, il a le sentiment, pas faux à cette époque, qu'on l'assimile surtout à son personnage moustachu; or, Chaplin, souhaite être reconnu pour son rôle de metteur en scène, et aussi d'auteur de films. Enfin, il tourne depuis un certain temps autour d'une représentation complexe du monde à deux niveaux qu'il perçoit; The Kid, The idle class en ont déja montré les contours. Il se sent obligé de libérer son cinéma de son empreinte burlesque, ce qui veut dire que le moustachu n'y a plus sa place. Honnêtement, je ne sais pas si ce film représentait dans l'esprit de Chaplin un affranchissement total de son personnage a priori, ce qui aurait été ensuite contredit par le flop monumental, qui aurait conduit Chaplin à faire machine arrière, avec le succès que l'on sait, ou si le metteur en scène se contentait de faire ce film, et puis après revenir sagement de son propre chef. Quoi qu'il en soit, A woman of Paris est l'unique film muet dans lequel Chaplin n'apparaît pas de façon significative, et c'est à peu près la seule information de la plupart des textes qui y sont désormais consacrés, je n'y reviendrai donc pas...

Pourtant Chaplin est partout dans ce film: regardez les acteurs, leur façon de jouer, l'économie des gestes et des mimiques. Ce gigolo qui baille en levant mollement les yeux au ciel, combien de prises a-t-il fallu lui arracher avant qu'il ait le détachement nécessaire? Carl Miller, qui joue ici le petit ami d'Edna Purviance jouait déjà ce même personnage ou presque dans The Kid, et il est lui aussi entièrement vampirisé par Chaplin... Quant à Edna Purviance, elle est splendide, dans les mains du metteur en scène, elle ne craint personne. Tant mieux, parce que le film repose entièrement sur ces attitudes, sur ces corps et sur les vêtements qu'ils portent, c'est l'un des traits les plus saisissants du film.

Marie et Jean s'aiment, mais leurs parents ne l'entendent pas de cette oreille. Alors qu'ils souhaitent fuir pour se marier, Jean a un contretemps: son père meurt, et il n'a pas le temps de prévenir sa fiancée: elle fuit à Paris seule, croyant à une trahison. Elle y fait sa vie, et on la retrouve un an après, protégée du riche Pierre Revel; elle s'appelle désormais Marie St-Clair, et lorsque Jean débarque à Paris avec sa mère, Marie a du mal à abandonner sa nouvelle vie pour retourner vers son passé...

Carl Miller donne l'illusion d'être l'un des deux personnages principaux, mais ne soyons pas dupes: Chaplin dépeint ici un certain style de vie, une course à la réussite, qui passe par tout un tas de turpitudes qui ne sont qu'esquissées: a priori, la métamorphose de Marie en Marie St-Clair passe par tout ce qui est dans l'ellipse du début. La mère de Jean la considère d'ailleurs comme une traînée... Non, les deux personnages principaux sont bien Marie et Pierre (Adolphe Menjou). Celui-ci, après tout, est tout sauf antipathique, à part lorsqu'il se sert des amies de Marie pour la manipuler. Mais il joue de son charme, et sait manifestement perdre... Il sait surtout que ce que veut Marie, cette fuite en avant du luxe et de la vanité, lui seul pourra le lui amener. De son coté, Jean est peintre (Comme le personnage de Carl Miller dans The Kid, du reste), et il va peindre un portrait du passé de Marie, contre le gré de celle-ci, portrait qui va sceller leur mésentente, leur différence, et portrait qui sera pris à témoin par la mère elle-même sur la dépouille de son fils. ce portrait, c'est la vraie Marie, lui seul l'a vue. Il faudra une catharsis tragique pour que Marie comprenne enfin...

La noirceur du film va de pair avec l'humour noir, notamment dans la description toujours sur la brèche de la vie des nantis (le restaurant, avec ses truffes, pour les cochons ou les gentlemen), et la méchanceté dans la peinture des manipulations des intrigantes: Malvina Polo, la jeune femme idiote de Foolish wives, tente de ravir la place de Edna Purviance auprès d'Adolphe Menjou...

L'habit, cette deuxième peau, est un motif qui court d'un bout à l'autre du film. On ne compte plus le nombre de scènes d'habillage, de déshabillage, de préparation du corps (Massage), de dénudage plus ou moins gratuit (Le strip-tease); toutes ces scènes renvoient à l'idée du mensonge, de la parure comme protection. Chaplin s'en sert aussi comme une indication de contemporanéité, comme DeMille le faisait avec divers accessoires (Les disques de chansons populaires, qu'on voyait tourner sur des phonographes luxueux dans ses comédies matrimoniales). Le grand nombre de scènes liées au service des domestiques, et la compartimentation des appartements riches de Marie et Pierre Revel, aussi, renvoient à cette vie à tiroirs, dans laquelle les gens se barricadent derrière le décorum. Bien sur, les petites boîtes communiquent entre elles, on se souvient du faux col masculin aperçu par Jean chez Marie. Cette apparition d'un signe cinématographique est un autre aspect visible de la mise en scène riche de ce film: on note aussi l'utilisation d'un bandeau noir, signe de deuil. Les personnages voient et déduisent en même temps que nous...

La mise en scène du film est d'une précision, d'une force extraordinaire. Chaque plan est composé de façon précise, Chaplin et Totheroh n'ont pas changé leurs habitudes. A des scènes de luxe effréné répondent des images d'une austérité diabolique (on parle toujours de cette scène à la gare, ou le passage d'un train est représenté par ses lumières); un effet de rapprochement de la caméra, est répété trois fois dans le film (Deux fois dans la version actuelle, voir plus bas): La maison de Marie est vue en plan large, puis un peu plus près. un troisième plan resserre sur une fenêtre, ou s'esquisse le visage d'une femme dans la pénombre. Enfin le quatrième et dernier plan nous montre Edna Purviance à la fenêtre. A la fin du film, la maison où sont réfugiées Marie et la mère de Jean pour leur nouvelle vie est saisie de la même façon. La troisième occurrence est très cohérente, puisque c'est le portrait, entouré de crêpe noir, de la maman de Marie dans sa maison. Chaplin avait tenté d'établir une mise en scène fluide, détaillée, mais l'a comme chacun sait bousillée en 1976, 5 ans après avoir massacré le film The Kid. 34 ans après avoir anéanti The Gold rush: son idée, c'était de rendre A woman of Paris plus fluide, de le rendre "moins sentimental". faut-il le redire? Un metteur en scène lui-même n'a pas le droit d'altérer un film, à plus forte raison 53 ans après. Même Chaplin.

Pour le reste, ce film est un miracle de subtilité; les commentaires lus ça et là sur la stupidité du script ne valent pas tripette. Les gens qui parlent d'un insupportable mélo n'ont jamais vu de mélodrame de leur vie, et le film tient diaboliquement la route, à la source de tout un pan du cinéma Américain. Que Lubitsch l'ait vu et s'en soit inspiré, c'est une certitude. Que d'autres, qui y avaient été confrontés directement (Henry D'abbadie D'Arrast, Monta Bell), ou qui l'ont vu comme on reçoit une claque dans la figure (René Clair, de son propre aveu), s'en soient inspiré, c'est une évidence. Bref: il y a un avant et un après A woman of Paris. Pour Chaplin aussi, qui ne supportera pas de voir son 'enfant maudit' boudé par le public, et le retirera du circuit pendant donc 53 ans. Et plus j'y pense, plus je me dis qu'on a de la chance de l'avoir encore...

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1923 **
30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 15:06

C'est rageant. On ne peut pas voir tous les classiques: ce film de Mauritz Stiller a une réputation formidable, et tous ceux qui en ont vu la version intégrale (Et qui sont tous morts aujourd'hui) en ont vanté la poésie, le souffle épique que pourtant cette version existante ne parvient pas à réétablir: il manque au moins trois bobines. Les films suédois du muet ont beaucoup souffert, sans doute plus encore que les films Français, et beaucoup de chefs d'oeuvre de Sjöström ou de Stiller nous sont parvenus dans des copies incomplètes... Heureusement, on a La charrette fantôme ou La saga de Gösta Berling à se mettre sous la dent, mais c'est quand même terriblement frustrant.

 

Ce film, réalisé peu après les grands succès de Stiller que sont Erotikon de 1920 (disponible lui en DVD, dans des copies complètes) et Le trésor d'Arne de 1919 (idem), et juste avant son grand oeuvre, le déja mentionné La saga de Gösta berling de 1924 (la encore, Kino est passé par là), est donc réduit à moins de cinquantes minutes, et son histoire, très ramassée, flirte ouvertment avec le mélodrame, mais un mélo intérieur: Gunnar Hede a grandi entre sa mère, terriblement matérialiste, et son père qui a essayé de lui insuffler un peu de la poésie familiale. Il souhaiterait jouer du violon de son grand-père, avec lequel il excelle, mais sa mère le pousse à reprendre les affaires familiales. il rencontre une jeune femme, une musicienne des rues, dont il tombe amoureux, mais la mère réagit très mal en voyant son fils jouer du violon avec une inconnue. Il part et va vivre seul, afin de se marier avec la jeune femme. Mais lors de l'acheminelent d'un troupeau de rennes, Gunnar est blessé, en pleine neige, et a des hallusicnations qui lui font perdre la raison. la jeune femme va utiliser la musique et son amour pour faire revenir le jeune homme à la réalité.

 

Sous ce script, se cache à nouveau un roman de Selma Lagerlof, l'auteur(e) la plus adaptée par le cinéma muet Suédois. Son histoire appelait un film flamboyant, frontal, aux images fougeuses, et cela tombe bien: c'est le forte de Mauritz Stiller. la séquence centrale du film, avec son troupeau de rennes en panique, et les glaces, vaut le voyage à elle seule. Sinon, l'auteur se charge de reprendre à son compte les trucages popularisés par sjöström sur La charette fantôme, avec deux passages de communication onirique entre les deux amants séparés par les kilomètres. Intrigants, mais on se rappelle du Trésor d'Arne, dans lequel Mary Johnson voyait en songe sa soeur morte qui lui indiquait ses meurtriers. Ici, c'est à nouveau cette actrice, habitée et impressionante, qui se retrouve au centre du film, et de l'amour de Gunnar Hedes, joué par Einar Hanson. Un film forcément superbe, dont on aimerait voir un jour une copie plus complète...

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Published by François Massarelli - dans Muet Mauritz Stiller 1923 Scandinavie
19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 10:11

Spectaculaire: le deuxième long métrage de Buster Keaton permet à ce dernier d'utiliser la même équipe technique, les mêmes gagmen que son film précédent, et de se reposer sur l'amitié de Joe Roberts, dont ce sera le dernier film. Il y fait aussi jouer son père Joe, son épouse Natalie Talmadge, et leur fils James: ce film reste un nouveau départ, un coup de poker phénoménal. Les avis sont d'ailleurs partagés sur la place du film dans l'oeuvre, voire sa qualité, mais personne ne doute d'une part des ambitions de Buster Keaton en réalisant ce qui doit beaucoup à Griffith, entre autres, et du fait que, réussi ou non, le soin extrême apporté à ce film a porté ses fruits d'un point de vue esthétique.

Pour ma part, je pense que c'est l'un des meilleurs films de Buster Keaton, et l'un des joyaux du muet, comme The General du reste. Avec Three ages, Buster Keaton a prouvé qu'il pouvait soutenir une durée trois fois plus grande que ses courts métrages, et maintenir le ton résolument burlesque et badin de ses films, tout en offrant à la fin du film une conclusion plus directe, positive, et surtout moins sardonique qu'à l'habitude. Il a décidé désormais de s'intéresser à l'histoire de ses films, et ce nouveau long métrage est différent justement parce que tout en offrant comme de juste des gags, et non des moindres, il raconte aussi une intrigue, aussi simple soit-elle, qui fonctionne bien toute seule. Keaton a d'ailleurs testé Our hospitality en public sous la forme d'un moyen métrage dramatique, afin de voir si cela marchait. Le résultat était probablement bien inférieur à ce film, tel qu'il est dans son intégralité, mais peu importe: l'idée était d'étayer la comédie, le résultat s'en ressent.

En 1830, Willie McKay (Keaton) retourne dans son Kentucky natal, afin de prendre possession de la demeure familiale. 20 ans auparavant, sa mère était partie, en portant le jeune Willie encore bébé, suite à un duel entre son mari John et son voisin Canfield. Les deux hommes étaient morts à l'issue de la confrontation, et le frère de Canfield (Joe Roberts) a juré de continuer la lutte à mort avec tous les McKay qui se présenteraient. dans le train qui l'emmènent, Willie rencontre une jeune femme (Natalie Talmadge), dont il tombe amoureux, sans savoir qu'il s'agit de Virginia, la propre fille de Canfield...

Venons-en tout de suite à l'inévitable controverse: la séquence d'ouverture est totalement privée de comédie. Il s'agit d'exposer, et ce durant 7 minutes, la brouille haineuse initiale entre les Canfield et les McKay (Basée sur une histoire vraie, celle des Hatfield et des McCoys, qui sera à l'origine d'un autre chef d'oeuvre, Les rivaux de Painful Gulch, de Morris et Goscinny.). Donc il n'y a pas un gag dans cette séquence, mais elle est rehaussée d'une mise en scène à la sûreté diabolique, jouant sur les clichés parfaitement assumés: tout ou presque y est vu du point de vue de Mrs McKay, dans sa cabane, et la nuit d'orage donne une dimension mythologique à la scène, qui fonctionne très bien dramatiquement, et est d'une beauté picturale très impressionnante. Et c'est là que l'on est en droit de se demander si la présence d'un nouveau co-réalisateur aux cotés de Buster y serait pour quelque chose... Mais John G. Blystone n'est pas un réalisateur que je soupçonnerais de pouvoir supplanter Keaton sur un film. Du reste, ses seuls autre titres de gloire sont les films réalisés pour Laurel et Hardy (Blockheads, par exemple), autant dire qu'il y était assistant de Laurel. Il est temps d'ailleurs de faire une digression qui s'impose: s'il n'a signé que cinq films durant sa carrière de réalisateur (soit 1920-1929), Keaton a aussi beaucoup été secondé par des co-réalisateurs: Blystone, mais aussi et surtout Cline, et ça et là Mal St-Clair, Clyde Bruckman, Donald Crisp. Il ya eu sur Sherlock Jr une tentative de collaboration avec Roscoe "William Goodrich" Arbuckle, qui s'est soldée par un échec; puis à la fin de la période tous les films ont été signés par d'autres, dont Charles Reisner ou Edward Sedgwick. Mais tous ces films portent une marque et une seule: celle de Keaton. Je pense que Keaton travaillait comme Chaplin, dont on oublie souvent les "réalisateurs associés" (Charles Reisner sur The pilgrim et The gold rush, Henri d'Abbadie d'Arrast sur The gold rush encore, Monta Bell sur A woman of Paris, ou encore Robert Florey sur M. Verdoux): Personne ne conteste à Chaplin son crédit unique sur ses films, mais la situation est la même: l'un comme l'autre, les deux comédiens avaient besoin aussi souvent que possible d'un assistant qui puisse conduire les manoeuvres quand ils étaient occupés en tant qu'acteurs... Donc si le film est ce qu'il est, il l'est grâce à la mise en scène de Keaton, et ce sera la même chose jusqu'en 1929, bien que Keaton ne soit même plus crédité sur ses films à partir de 1927.

En plus de la séquence d'ouverture, ce qui frappe dans le film c'est que même lorsque les gags font leur apparition, la beauté de l'ensemble, la composition, et le soin maniaque apporté à la reconstitution d'une époque peu représentée dans les années 20 étonnent: le seul vrai anachronisme flagrant, c'est le chapeau mou de Keaton, dont la présence est expliquée par un gag parfaitement logique. De même, le choix de la région de Truckee, avec ses montagnes, ses vallées, son eau omniprésente donnent au film un aspect plus spectaculaire encore. le film est encadré par deux séquences longues qui méritent qu'on parle d'elles: d'une part, une promenade en train de près de vingt minutes qui justifie à elle toute seule le fait que le film soit plus long que ne le seront la plupart des longs métrages muets de Keaton, à deux exceptions près (The general, et Spite marriage): cette séquence qui repose sur l'utilisation d'une locomotive et d'un train qui sont présentés comme des répliques d'authentiques machines de 1830 permettent une série de gags finement observés, qui certes ne font pas trop progresser l'action, mais qui sont un hommage appuyé du technophile Keaton à l'évolution de la machinerie (Tout comme sa promenade en proto-cycle!!). On y remarque Keaton père en mécanicien irascible, et de plus le train revient lors des séquences de la fin. et ces séquences de la fin, justement, permettent à Keaton de faire montre de tout son talent en matière de cascades, mais permettent d'aller aussi plus loin; si le cinéaste Keaton pour ce film appelle une référence à Griffith, il est dans un premier temps aisé de tenter de comparer Keaton à Fairbanks (on sait que le rôle de Bertie, dans The saphead, est un héritage direct de Doug) mais la construction du personnage dans cette séquence renvoie Fairbanks à ses chères études: le personnage de Buster, dans cet épisode du film entièrement consacré à sa fuite pour éviter d'être éliminé par la famille Canfield, le voit progressivement faire des efforts physiques de plus en plus impressionnants, sans qu'il y ait cette aisance de Fairbanks, qui renvoie un peu au cirque. Keaton se retrouve attaché à un train en marche, ballotté au gré des rapides, puis accroché à un rondin qui menace de se précipiter dans le vide, et la difficulté se voit, elle confère à son personnage, comme d'habitude emmené par une eau menaçante, une humanité et une justesse qui vont au-delà du cinéma. ces séquences ne sont pas drôles: elles sont à couper le souffle, et donc aussi bien l'acteur que le réalisateur ont fait un grand pas avec ce film. Du reste, les occasions de se casser le cou ont été multiples ici, en particulier lors de la séquence durant laquelle Buster a vraiment été emporté par les rapides! 

Donc, on savait que Keaton pouvait payer de sa personne, mais ce film est le premier dans lequel le développement de l'histoire fait jeu égal avec la comédie d'une part, et sa reconstitution d'une époque d'autre part. Le résultat est un film hors-normes, qui gêne un peu de nombreux spécialistes qui accusent sa lenteur, qui lui reprochent ses longs intermèdes non burlesques. Mais l'ensemble est selon moi un grand film justement à cause de cette répartition égale entre intrigue pure et comédie. Buster Keaton ne fera rien d'autre dans son chef d'oeuvre, The general... Il est intéressant de voir comment Keaton aussi fait intervenir une esthétique de la comédie sentimentale qui doit certes beaucoup à Griffith, mais qui débouchera aussi sur une imagerie personnelle, comme en témoignent ce plan de Keaton et Natalie, d'une part et d'autre d'une barrière. une composition simple, mais qui renvoie à une image d'Epinal, comme certaines toiles de Rockwell sur le même sujet. Keaton, comme Ford ou Griffith, était un cinéaste Américain avant tout; Et en plus, ce type de composition reviendra dans d'autres films, Seven chances en particulier... 

Une note triste au passage, pour finir: Joe Roberts décédera un mois après la fin du tournage de ce film, d'un arrêt cardiaque, rappelant la curieuse destinée d'Eric Campbell, le génial acteur Ecossais dont Chaplin avait fait son parfait "méchant". Roberts avait 21 ans, mais contrairement à Campbell, avait tourné dans deux autres films, en dehors de ses apparitions pour Keaton. C'est la fin d'une époque, et il ne sera jamais remplacé.

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1923 **