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25 septembre 2016 7 25 /09 /septembre /2016 09:35

Pour aborder la carrière de celle qu'on a surnommée "La tragédienne de l'écran", ce film n'est peut-être pas le meilleur moyen... L'intrigue, la réalisation et le style global devaient probablement apparaître un peu surannés dès la sortie de cette solide et parfois indigeste pièce montée en 1923. On ne peut rien y faire: Frank Lloyd était un réalisateur compétent, pas un imaginatif, ni un révolutionnaire...

L'intrigue est compliquée, du moins si on se fie au prologue, qui précède donc l'entrée en scène de la star: Lors de la St Barthélémy, le comte de La Roche (Courtenay Foote), l'un des exécutants de Catherine de Medicis (C'est encore Josephine Crowell qui s'y colle comme dans Intolerance, et décidément le rôle lui sied!), paie sa dette à un Huguenot en lui laissant, ainsi qu'à sa fiancée, la vie sauve. L'homme est Rupert de Vrieac (Conway Tearle) et en échange pour cette faveur, doit se mettre au service de De La Roche, ainsi que de sa famille. Et parmi les membres de sa famille, bien sur, il y a une soeur, Yoeland (Norma Talmadge), qui ne va pas tarder à tomber amoureuse du ténébreux Protestant... Lors d'une visite à une cousine, qui va former l'essentiel de l'intrigue du film, elle exige d'être accompagné par lui afin qu'il la protège, et ils vont tous deux être confrontés à la bestialité de l'infâme Duc de Tours (Wallace Beery), un pourceau lâche, aviné, aux mains baladeuses, fourbes, et dont on devine en plus qu'il a certainement mauvaise haleine...

Prenat appui sur l'histoire de France, Lloyd se garde de nommer les camps autrement que par leur affiliation politique, allant finalement plus loin que Griffith dans la volonté de mettre le religieux à l'écart des guerres de religion! Mais son prologue, s'il multiplie parfois les personnages, a au moins le bon goût de ne pas trop déteindre sur l'histoire, car une fois Rupert au service des De La Roche, on ne se concentre plus que sur une intrigue mélodramatique à souhait, qui va permettre à Norma Talmadge d'utiliser son talent, centré une fois de plus sur sa capacité à utiliser son visage pour transmettre passion et émotions... Quoique, on peut quand même faire la fine bouche; D'une part elle n'est pas aidée par les autres acteurs, à commencer par Conway Tearle qui est infect. Wallace Beery est fidèle à lui-même, et on sait hélas par les souvenirs publiés de son épouse Gloria Swanson, que le rôle de violeur aviné qui lui échoit ici n'est pas un rôle de composition. Il est du coup un villain tout à fait solide... Sinon tous les autres jouent un peu à l'ancienne, sans se préoccuper de subtilité. Le metteur en scène b'a pas non plus un don phénoménal pour la composition, et si le film se laisse voir sans trop d'ennui, c'est quand même une déception, pour un film tourné la même année que Souls for sale, Safety last... Ou Greed.

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Published by François Massarelli - dans Frank Lloyd Muet 1923
2 juillet 2016 6 02 /07 /juillet /2016 22:47

Un film qui a sans doute fait beaucoup pour cristalliser l'image de la "flapper", la jeune femme insouciante, à travers les aventures romantiques de jeunes gens de la haute, qui se traînent de partie fine en inauguration de piscine. Un film qui a aussi inauguré le statut de star pour Colleen Moore, ce qui est une bonne idée: la dame avait un sacré talent, il suffit de la voir interpréter la fameuse scène du miroir, dans lequel elle use de toutes les facettes d'expression de son visage pour faire passer l'émotion d'une coquette qui se fait un film en se maquillant. Le film, hélas, est perdu... N'en restent que des fragments disjoints: chutes? Bande-annonce pour exploitants? Extraits assemblés par une main anonyme? On ne sait pas, mais il n'en reste que 11 minutes.

Hélas...

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Published by François Massarelli - dans Muet Colleen Moore 1923 Film perdu
5 juin 2016 7 05 /06 /juin /2016 18:22

A New York, une jeune femme qui travaille dans un grand magasin, Mary Turner (Norma Talmadge) est accusée de vol. Son procès aurait pu prendre une tournure plus clémente, mais le patron veut faire un exemple, et il fait pression sur les juges pour que la peine soit exemplaire. Elle va donc purger une peine de 3 ans, et quand elle en sort, c'est déterminée à faire payer ceux qui l'ont mise en prison, sans écouter sa version des faits. Sitôt sortie, elle rencontre d'ailleurs une jeune femme qui lui avoue avoir mis les objets volées dans son casier afin de se disculper. Elle échafaude pourtant un plan simple pour sa vengeance, en prenant le parti de ne faire que des actions légales... Elle va rester, comme le dit le titre original, "dans le cadre de la loi"...

Un grand sujet social, un film de huit bobines bien remplies, on imagine aisément le metteur en scène de Oliver Twist ou de A tale of two cities s'emporter pour faire une épopée sociale un brin didactique, mais on sent bien dans ce film, sans pour autant spéculer qu'il y ait eu le moindre conflit entre eux, que le patron n'est pas Lloyd, mais bien sa star, la grande "tragédienne de l'écran" pour reprendre la formule qu'on lui appliquait alors. Cette production First National est en effet chapeautée par Joe Schenck, le mari de Norma Talmadge, et si on a probablement engagé Lloyd pour son indéniable talent, le film reste très sage du début à la fin. Et bien sur, plutôt que de se lancer, ou même d'asséner, un message de tolérance, le film dévie vers le mélodrame. Avec talent...

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Published by François Massarelli - dans Frank Lloyd Muet 1923 *
16 avril 2016 6 16 /04 /avril /2016 17:52

L'ombre, au cinéma, c'est un peu l'un des principes de mise en scène les plus attirants, surtout en matière de mise en évidence des angoisses. chez certains metteurs en scènes, dont surtout Michael Curtiz, l'ombre devient aussi une extension élégante de l'acteur, qu'on convoque lorsqu'on souhaite montrer l'immontrable, ou explorer les zones les plus obscures du subconscient. En 1923, en pleine mode de l'expressionisme au cinéma, l'une des tendances était de faire des films sans intertitres, totalement visuels: Le Rail (1922), de Lupu Pick, La Rue (1923) de Karl Grüne, ou encore Le dernier des hommes (1924) de F. W. Murnau, allaient tous dans ce sens. Le plus extravagant reste sans doute ce Montreur d'ombres: dans la maison d'un homme jaloux dont l'épouse parade un peu trop souvent avec de jeunes prétentieux, un magicien arrive, et donne un spectacle d'ombres qui va révéler sa vérité intérieure à chacun, montrant à l'homme et son épouse à quel point ils n'ont pas encore épuisé leur mariage.

Parmi les maîtres d'oeuvre du film, on repère le nom d'Albin Grau, qui une année auparavant avait été plus que le collaborateur de Murnau sur Nosferatu: il en était le principal inspirateur, notamment sur tout le côté inspiré par l'occultisme, et avait, en plein essor de l'expressionnisme et du faux qui en découlait, persuadé Murnau de tourner le plus possible en décors naturels. Il est ici, une fois de plus, le décorateur, et on retrouve également, en plus de Fritz Kortner ou Fritz Rasp, les acteurs Gustav Von Wagenheim (L'un des soupirants de l'épouse) et Alexander Granach (Le montreur d'ombres), et la cinématographie est due à l'un des chef-opérateurs de Nosferatu, le grand Fritz Arno Wagner. Ce dernier est le grand gagnant du film: l photo est superbe, et le dispositif des ombres est très impressionnant... Mais...

...C'est extravagant, lent, ampoulé, même si ce n'est jamais dénué d'intérêt. Mais par rapport aux oeuvres de Lang et Murnau, la portée de ce film est infime. Elle permet une expérience, sans lendemain, plus qu'autre chose. Dommage.

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Published by François Massarelli - dans Allemagne Muet 1923 *
14 juillet 2015 2 14 /07 /juillet /2015 11:15

La cupidité est au coeur de l'oeuvre de Pabst, en particulier ses films muets: l'argent est le moteur de nombreux personnages de La Rue sans joie, le pharmacien du Journal d'une fille perdue est prêt à vendre sa fille pour garder son commerce, et certains amis de Loulou semblent aisément et dangereusement corruptibles... Ce premier film du metteur en scène sous forte influence de l'expressionnisme cinématographique Allemand, qui vivait ses derniers feux en cette année 1923 (Le cabinet des figures de cire, de Paul Leni), s'appelle justement Le trésor, et va tourner autour de réactions différentes à l'appât d'un magot, qui pour rejoindre une autre préoccupation majeure du cinéaste, est assimilé à la sexualité, et l'amour...

En actuelle Slovénie, chez un artisan, on parle d'un trésor légendaire: quand les Turcs ont envahi la région de Vienne, un magot phénoménal aurait été caché dans les environs. C'est un conte plus ou moins accepté comme une légende, mais un homme y croit dur comme fer, un assistant (Werner Krauss) de l'artisan (Albert Steinruck). Arrive un travailleur itinérant (Hans Brausewetter) qui demande et obtient de s'installer avec eux, et entend parler du trésor. Il n'y croit pas, préférant s'intéresser à a fille du patron, mais celle-ci (Lucie Mannheim) lui fait comprendre qu'il y a peut-être du vrai dans cette histoire... La compétition devient rude entre les deux assistants, que ce soit pour trouver ce fameux trésor, ou pour les faveurs de la jeune femme...

La préférence de Pabst, elle, ne fait aucun doute. Werner Krauss, qui sera bientôt (Dans la magnifique La rue sans joie de 1925, le troisième film de Pabst) un boucher qui fournit de la viande aux jeunes femmes contre des faveurs sexuelles, joue ici un homme inquiétant, presque animal, dont l'obsession sexuelle est soulignée dès les premières séquences, au moyen du regard terrifiant et fixe avec lequel il dévisage l'objet de son désir. On le verra, le trésor est pour lui plus qu'une obsession, ce sera la clé de ses fantasmes puisqu'il échangera l'usufruit du magot une fois celui-ci trouvé contre la fille... Mais le héros, pourtant un cavaleur de première classe trouvera lui en la fille de la maison l'amour, et saura s'arrêter à temps.

L'intrigue, comme celle de beaucoup de films muets Allemands, tient en vraiment peu de péripéties, mais Pabst a surtout soigné son image, en combinant avec adresse des décors inspirés de l"expressionnisme, mais bien plus réalistes, un clair-obscur adroit (Du au chef-opérateur Otto Tober) et un jeu divisé en deux tendances: excessif pour les obsédés du trésor, plus raisonnable pour les autres. Pabst, on le sait, ira vers le naturalisme avant la fin de la décennie, pour l'instant il est amené à étudier et exploiter l'héritage expressionniste avec une certaine finesse, dans un petit film miraculé comme tant d'autres...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1923 Georg Wilhelm Pabst * ...Jusqu'à l'aube
16 juin 2015 2 16 /06 /juin /2015 16:44

Michael Ramsay (Milton Sils) néglige son épouse (Anna Q. Nilsson), et celle-ci est très tentée de répondre aux avances de l'intrigant "M.Jaromir" (Theodore Kosloff); ele ne sait pas que celui-ci est en réalité le roi en exil d'un petit pays européen en ébullition. De son côté, Tillie, la fille des Ramsay (Pauline Garon) souhaite conquérir le coeur d'un anthropologue réputé mais ô combien distrait (Elliot Dexter). Les cinq vont se retrouver mêlés dans un maelstrom de coups de théâtre sentimentaux...

Ce film date de la période située, dans la carrière de DeMille, juste entre son fameux et si embarrassant Manslaughter, dans lequel il laisse la morale de pacotille l'emporter sur l'art, et sa première version de The ten commandments. Adam's rib (Ne pas confondre avec le merveilleux film de Cukor portant ce même titre) est un mélange étonnant, extravagant, mais surtout décevant et bien mal fichu, de tout ce qui fait DeMille: un sujet moderne, une vraie interrogation sur la pérennité de l'amour conjugal, un soupçon de comédie, une réflexion sur le rêve Américain, un épisode loufoque faisant référence à une époque mythique (Ici, une préhistoire de carton-pâte se substitue avec humour mais aussi une certaine insistance la sempiternelle allusion biblique), et des tonnes de prêche moralisateur et sexiste sont mélangés dix bobines durant. Le film possède aussi une séquence dans un musée, avec deux amoureux et un squelette de dinosaure, qui aura une descendance intéressante, puisque Hawks s'en inspirera pour son film Bringing up baby. DeMille continue à se raccrocher à ses comédies de 1918 à 1920, mais le film s'en éloigne aussi, comme le faisaient Male and female et The Affairs of Anatol, sans vraiment convaincre. Dans Anatol, après tout, certes DeMille divaguait, mais au moins il adaptait Schnitzler. Maintenant, il se repose entièrement sur les délires de Jeanie McPherson: trop de salade tue le saladier...

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Published by François Massarelli - dans Muet Cecil B. DeMille Navets 1923 *
5 octobre 2014 7 05 /10 /octobre /2014 16:31

King Vidor et le mélodrame, c'est une évidence, étaient faits pour s'entendre... Et pas plus tard qu'en 1923 le futur metteur en scène de Duel in the sun (1946) ou Ruby Gentry (1952) en a déjà tracé les contours dans ce film superbe, tourné pour la compagnie Goldwyn, qui vivait ses derniers instants avant l'absorption au sein de la MGM, le studio qui allait donner ses premiers gros succès à Vidor. Avec un casting réduit à cinq personnages, un décor exotique, on n'est pas très éloigné du film Victory de Maurice Tourneur qui voyait un certain nombre de personnages plus ou moins échoués (Même volontairement) sur une île à l'écart du monde se déchirer autour de la possession de la richesse et d'une femme. Mais là ou Tourneur privilégiait le symbolisme, Vidor laisse libre cours à son lyrisme et à son sens dramatique.

Situé au Sud de la Georgie, dans un rivage propice aux bayous et aux marais, infesté d'alligators, Wild oranges doit son titre à ces fruits qui poussent au hasard de la végétation, et qui sont nous dit un intertitre, d'abord assez peu attirants à la première bouchée, mais un arrière-gout nous pousse à y revenir. Un peu comme cet endroit apparemment désert ou vient accoster le bateau de John Woolfolk (Frank Mayo). Accompagné de Paul Halvard (Ford Sterling), un marin qui lui fait aussi la cuisine, celui-ci a pris la mer afin d'oublier le décès accidentel de son épouse, un traumatisme que le prologue du film nous a présenté. Mais très vite, il va s'apercevoir que le lieu est habité, de trois personnes: Millie Stope (Virginia Valli) y vit avec son grand-père (Nigel de Brulier), un vétéran de la guerre de sécession à demi-fou, qui s'est réfugié dans une peur permanente, de tout, qu'il a communiqué à sa petite-fille; leur voisin, l'inquiétant Nicholas (Charles Post), est une grosse brute clairement attiré par Millie, mais qui va devenir très menaçant quand il va se rendre compte de l'attirance mutuelle entre la jeune femme et Woolfork...

Vidor impose deux types de jeu à ses acteurs: aux habitants du lieu, il mipose un jeu tout en drame et en émotions, là ou Sterling et Mayo ont un jeu plus naturel, plus posé... Mais le théâtre des opérations devient assez vite l'âme humaine, un endroit qui a toujours fasciné Vidor, et ou il aime à faire se promener ses instrigues! Ainsi les marais, les bayous, la plage et le bras de mer traître (Apparemment assez facile à naviguer, il n'en possède pas moins une barre difficile à franchir, et la tempête peut être meurtrière), mais aussi la maison des Stope, avec sa grange envahie par des animaux sauvages (Raton-laveur, grue, chauve-souris gardent les lieux), le metteur en scène fait feu de tout bois pour figurer les tréfonds de l'âme humaine, le théâtre des opérations dans lequel va se jouer le drame du désir et de l'amour. A ce titre, même s'il est un personnage de méchant haut en couleurs, le brutal Nicholas est fascinant par l'affirmation haute et forte de son désir, sans parler du fait que de nombreux épisodes du film le voient prèt à dégainer un couteau pour un oui ou pour un non. Evidemment, pour lui, le désir ne saurait s'exprimer dans la subtilité, et c'est en se livrant à divers chantages qu'il va essayer de triompher du refus de Millie. Mais celle-ci qui va apprendre à cesser d'avoir peur de tout, a choisi Woolfork. Celui-ci va devoir s'impliquer au-delà de la civilité, et batailler ferme, dans une scène de bagarre monumentale marquée par la mort (Le grand-père exécuté par Nicholas qui git aux pieds des deux hommes), le feu (La maison brule dans un dernier feu de joie avant le départ des protagonistes) et d'une manière générale la violence et la passion. Vaste programme? Oui, mais Vidor, lui, il peut tout. Alors on regarde, séance tenante, le premier chef d'oeuvre du futur réalisateur de The big parade!!

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Published by François Massarelli - dans King Vidor Muet 1923 *
14 septembre 2014 7 14 /09 /septembre /2014 09:31

Mabel Normand a besoin d'une réhabilitation: a plus d'un titre, d'ailleurs. Au-delà d'un cercle d'initiés, ou de gens qui l'ont découverte au hasard des films qu'elle a interprétés aux côtés de comédiens plus en cour (Roscoe Arbuckle, avec lequel elle a interprété de nombreux films en tandem sous la direction de l'imposant acteur, ou même Chaplin, dont la venue dans le studio Keystone a été postérieure à la notoriété de la dame), son nom n'a semble-t-il aucune résonnance auprès du grand public, contrairement à Chaplin, Keaton, Lloyd et dans une moindre mesure Langdon. Non seulement comédienne et scénariste (Et gagwoman, car on ne travaille pas chez Mack Sennett en ces années 10 et 20 sans contribuer en matière de gags!), elle est aussi metteur en scène, en particulier entre 1914 et 1915, puisqu'elle sera effectivement créditée en tant que réalisatrice au générique de plusieurs de ses courts métrages, et non des moindres: elle y dirige des stars de la Keystone, dont Roscoe Arbuckle, des nouveaux venus comme Chaplin, Charles Parrott (Futur Charley Chase) ou Al St-John. Les films qui nous sont parvenus montrent une certaine originalité comparés à ce qui formait le tout-venant de la Keystone: un humour volontiers grossier mais assumé, baroque, souvent frénétique et grotesque. Mabel au milieu de ce cirque est souvent une jeune femme fragile, un peu gauche mais toujours séduisante. Elle a sans doute été pour beaucoup dans la capacité du studio à évoluer, justement, et si la rencontre entre Chaplin et la jeune femme a été paraît-il houleuse, il a certainement plus appris d'elle que de Henry Lehrman, ou de George Nichols, les deux metteurs en scène les plus fréquents de ses films avant qu'il ne mette en scène lui-même.

Normand n'a pas été seulement un grand nom de la Keystone ou des studios Mack Sennett (On sait que celui-ci a souvent négocié des virages dans sa carrière, et que le studio a changé de nom très souvent): elle a aussi, à divers moments de sa carrière, tourné pour Goldwyn ou même Hal Roach à la fin des années 20. Les oeuvres de cette époque ne sont pas ses réalisations, ce qui n'est pas si important quand on considère la façon dont bien des comédiens travaillaient: Lloyd ou Laurel n'étaient pas non plus les réalisateurs de leurs films, mais on sait bien qui était le patron... On peut émettre aussi l'hypothèse concernant Mabel Normand que sur des films mis en scène par d'aures, elle avait toujours son mot à dire. On le sent bien ici, dans un film tourné 8 ou 9 ans après sa glorieuse période de co-vedettariat avec Roscoe Arbuckle. Long métrage de 6 bobines, il est écrit par Mack Sennett, et dirigé par F. Richard Jones, qui n'est pas n'importe qui: c'est le directeur général du studio, un superviseur qui fera aussi ce travail au studio de Hal Roach plus tard dans la décennie. Clairement, le film porte les marques d'une oeuvre envisagée pour représenter le prestige d'un studio... Un studio pourtant encore assimilé, parfois avec raison, avec de la comédie déjantée, délirante et pas vraiment sophistiquée en ce début des années 20. Pourtant ce film est d'une grande délicatesse, et propose une forme de comédie bien plus fine que la production habituelle de Sennett. Tout y est fait pour permettre à Mabel Normand d'y installer son style, et le jeu des acteurs est d'une grande subtilité...

Sue Graham est la fille d'un garagiste (George Nichols) qui vit loin vers l'est, dans une petite bourgade tranquille. La vie y est calme, réglée, même longtemps à l'avance: le garagiste a promis depuis belle lurette sa fille au commerçant local (Vernon Dent). Mais Sue aime depuis l'enfance son ami Dave (Ralph Graves) qui le lui rend bien, et la jeune femme souhaite par dessus tout devenir une actrice de premier plan, et percer bien sur à Hollywood. Alors que le mariage se précise à l'horizon, elle envoie sa contribution à un concours organisé par un studio, et suite à un quiproquo, gagne le premier prix, ce qu'elle apprend le jour même de son mariage. Avec l'aide de Dave, elle s'enfuit, mais arrivée à Hollywood elle déchante bien vite: elle va bien être engagée par le sudio, mais en tant qu'ouvrière. La situation se précipite lorsque Dave la rejoint et lui annonce que ses parents ont tout vendu pour la rejoindre à leur tour...

Dans le script et la continuité du film, on peut voir la marque de Sennett, qui aimait jongler avec les formules pré-établies: plusieurs intrigues imbriquées, qui auraient sans problème aucun pu fournir la matière de plusieurs films; tout ce qui concerne bien sur l'envie de cinéma par opposition à la vie rurale et tranquille imposée à la jeune femme d'abord. Ensuite, à l'intérieur de la première partie, les rivalités avec un rectangle amoureux: Vernon Dent veut Mabel, qui aime Ralph Graves, mais celui-ci est convoitée par une jeune veuve avide de chair fraîche qui ne lésine pas trop sur les moyens (Charlotte Mineau). Tout ceci est la base de nombreux courts métrages Sennett! ensuite, bien sur, les tribulations de Mabel au studio, qui sous un faux nom est bien le studio Sennett avec son personnel (On y croise Eddie Gribbon, Billy Bevan, Max Davidson, et même le chien Teddy et les lions du studio!): dans cette partie du film, on trouve bien sur tous les gags les plus traditionnels, même si le rythme en est plutôt tranquille. La concurrence avec Hal Roach et son style de comédie civilisée est passé par là... Enfin une dernière sous-intrigue est développée dans les deux dernières bobines: un ami Hollywoodien de Mabel la conseille financièrement et s'avère un escroc qui tente de piquer les économies de ses parents. Une intervention de Mabel superbement mise en images, avec une arme, débouche sur une scène d'action de mélodrame pur, sans un gramme de comédie... Tout ce déluge d'intrigues tend à déboucher sur une impression de déséquilibre, et on aurait aimé que les deux personnages de la première demi-heure que sont l'ex-futur marié (Dent) et la veuve-vamp (Mineau) ne disparaissent pas aussi sèchement. D'où une impression fugitive de collage...

Ce qui tient malgré tout le film ensemble, et le rend fascinant, c'est la monopolisation de l'écran par Mabel Normand, et son volontarisme, sans parler de son implication physique.Elle est une héroïne rompue à toutes les facettes de la comédie, mais compose avant tout un personnage d'une grande cohérence. Elle n'est pas ridicule en fille dévouée qui n'a rien à perdre et qui attaque le voleur des économies de ses parents avec un revolver... La mise en scène d'une grande efficacité de F. Richard Jones la suit, d'autant que l'accent mis sur un jeu aussi subtil que possible nous rend sensible aux personnages. Le pathos déployé dans l'histoire (La fuite de Mabel ne se fait pas sans larmes, et le père est souvent saisi par la mélancolie devant l'attitude de sa fille) passe plutôt bien: ce film ne se prive pas de mobiliser nos sentiments et le fait avec savoir-faire... Tout en le faisant dans un certain conservatisme quand même: la morale de cette histoire édifiante, c'est qu'une femme doit réfléchir à la possibilité de devenir une mère au foyer sans histoires avant de se lancer dans une perspective aussi fâcheuse que d'imaginer réussir à Hollywood. Car contrairement à n'importe quel personnage de Lloyd par exemple, Sue Graham ne réussira pas. Mais alors, pas du tout... Mais elle trouvera le bonheur dans son couple, et la conclusion, toute réactionnaire qu'elle soit, ne peut s'empêcher de faire exactement comme le film: elle s'accomplit grâce au cinéma. C'est l'un des atouts les plus forts de ce long métrage, que de nous donner à voir le fonctionnement de l'usine à rêves, et l'envers du décor des films Sennett, avec humour et tendresse, sans jamais forcer la dose. Et c'est une raison de plus pour faire de ce film un passage obligé pour qui s'intéresse à la comédie burlesque Américaine. Comme Ella Cinders, de Alfred E. Green, avec Colleen Moore... Un film qui lui doit d'ailleurs beaucoup.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1923 Comédie **
9 août 2014 6 09 /08 /août /2014 18:34

Quasimodo, Esmeralda, Phébus de Chateaupers, Louis XI... Et Notre-dame de Paris; une grande partie des héros du roman de Victor Hugo sont là, même si le film bénéficie d'un happy-end partiel, et même si un personnage s'est vu scinder en deux: il était hors de question de garder tel quel le personnage de Don Frollo, le prêtre luxurieux. A la place, il y a donc deux frères, l'un religieux et joué par l'inévitable Nigel de Brulier; l'autre, prêtre défroqué, assume toute la partie diabolique, et est interprété avec emphase et grandiloquence par Brandon Hurst. L'un des acteurs qui tire le mieux son épingle du jeu est le grand Ernest Torrence, dans le rôle du chef de la pègre, Clopin. Esmeralda est incarnée par Patsy Ruth Miller; Quant à ce brave Norman Kerry (De Chateaupers), son rôle est une fois de plus strictement décoratif... Selon les critères de 1923.

Ce film est très connu, finalement, bien qu'on puisse presque cyniquement se demander si ça en valait la peine... Mais remettons un instant notre blouse d'historien pour constater l'importance évidente de ce long métrage en 1923, avant d'en observer les limites: en 1923, les studios changent, les metteurs en scène perdent de leur pouvoir, et on serait en droit de penser, comme on l'a dit et écrit si souvent que ce film est pour la Universal la preuve de la prise de pouvoir par le jeune producteur Irving Thalberg. De fait, le studio met toutes les chances de son côté, et le metteur en scène choisi est un yes-man sans envergure... Mais ce serait faire fausse route: ce film est en vérité le bébé du génial acteur Lon Chaney, qui a vu dans l'opportunité de jouer Quasimodo une suite logique à toute sa carrière, en même temps qu'un moyen sur de marquer es esprits à tout point de vue, tout en sacrifiant au plaisir de faire au mieux son métier d'acteur transformiste par le biais du maquillage...

Mais les limites sont là: si le film est superbement mis en images, doté de décors d'une grande beauté, il est lent, lourd et peu imaginatif. On sent bien à la vision du film la mainmise qu'avait Chaney, dont l'interprétation domine en permanence le film. Mais ce beau spectacle de dix bobines reste bien plat, y compris comparé à d'autres films pas toujours parfaits, The phantom of the opera en tête. C'est donc un film important, oui, qui a permis à la Universal de jouer dans la cour des grands, mais Foolish wives le faisait aussi, tout en exposant de façon évidente le génie d'un metteur en scène...

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Published by François Massarelli - dans Muet Lon Chaney 1923 **
23 février 2014 7 23 /02 /février /2014 09:37

Marie (Gina Manès) est une enfant trouvée, élevée et exploitée dans un bar du Vieux Port de Marseille par un couple de cafetiers, les Hochon. elle est convoitée par Petit Paul, le caïd local (Edmond Van Daële), une grosse brute qui raconte des boniments au patron du café, de toute façon trop content de la perspective de se débarrasser de la jeune femme. Mais Marie aime Jean (Léon Mathot), un brave homme qui surtout est décidé à la respecter, ce qui n'est absolument pas le cas de Paul. Celui-ci réussit à faire croire à Hochon qu'il emporte Marie pour se marier avec elle, mais il veut surtout passer du bon temps, et Jean qui les a suivi à Manosque intervient au moment ou Paul entraine Marie dans un hôtel; ils se battent, et Jean considéré comme l'agresseur va écoper d'un an de prison. Pendant ce temps, Marie vit avec son bourreau, qui lui a donné un enfant. A sa sortie de prison, Jean est déterminé à retrouver la jeune femme.

 

C'est un scénario original de Jean et Marie Epstein qui sert de prétexte à ce film, une production Pathé qui réconcilie le mélodrame très populaire et classique, avec l'avant-garde, dans le sillage de Gance. Mais une autre influence qui apparait de façon frappante, c'est celle de Stroheim à travers l'utilisation savante du sordide magnifié par les sentiments, des détails mis en exergue au service d'une narration au plus près des corps. La lenteur du film est bien entendu contemplative, l'interprétation étant dominée par un naturalisme des gestes, et une accentuation du regard. Epstein, avec le chef-opérateur Léon Donnot, utilise intelligemment ses effets (Surimpressions, montage rapide, iris blancs, filtres, fondus et contrechamps inattendus). Les décors naturels (La Provence, inondée de lumière) sont fort bien combinés avec des intérieurs tournés à Vincennes mais criants de vérité... et de saleté! Epstein a donné dans la deuxième partie un rôle crucial à Marie Epstein, celui d'une jeune infirme (Là enciore, on pense à Stroheim!) qui va beaucoup donner pour le couple, et participer à un motif qui donne son titre au film: elle utilise de la craie pour signaler à Jean les absences de Paul, un feu vert en forme de coeur pour aller retrouver Marie. Une jolie idée, qui trouve dans le film son  contrepoint, puisque Paul a lui aussi une "donneuse", une prostituée qui la renseigne sur les faits et les gestes de Marie Et Jean derrière son dos. 

 

Malgré un épilogue en forme de happy ending, le film se clôt presque sur une image qui fait froid dans le dos, celle d'un homme mort dont la tête repose sur le couffin d'un enfant. La juxtaposition de la tête ensanglantée et du bébé qui pleure ne présage rien de bon, ni pour l'enfant, ni pour les amants survivants... Le premier film importantde Jean Epstein, qui a bénéficié de la confiance de Pathé en dépit du fait qu'il n'était après tout qu'un amateur éclairé, est une belle preuve d'un temps héroïque du cinéma français dans lequel l'ambition artistique pouvait faire corps avec une réelle fibre populaire du cinéma...

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Published by François Massarelli - dans Muet Jean Epstein 1923 **