Egghead, le prototpe de ce qui allait devenir Elmer Fudd, n'est apparu que dans une poignée de cartoons de la série des Merrie melodies. C'est particulièrement notable qu'un héros aussi transparent ait pu se retrouver à la tête de courts métrages d'animation en couleurs, à l'heure où Porky Pig et Daffy duck, pour leur part, étaient cantonnés dans les plus économiques dessins animés de la série Looney tunes, en noir et blanc... Mais c'est essentiellement dû au fait que le personnage était beaucoup plus un ingrédient pratique aux yeux de son créateur Tex Avery, qu'un véritable personnage. D'où cette impression que le personnage change (physiquement, moralement) à chaque apparition.
...Ce qui est encore plus notable lorsqu'il change d'équipe comme ici: Egghead y est un simplet qui rêve de devenir boxeur, et reçoit par la poste un kit pour accomplir son rêve. Il s'entraîne dans sa cave, et se retrouve sur un ring. Et franchement, ces sept minutes sont un calvaire. Pas que pour lui.
Egghead est le premier personnage qui vienne vraiment de l'inspiration de Tex Avery, et qu'il a essayé de lancer comme plus tard on lancerait Bugs Bunny. Mais le moins qu'on puisse dire c'est que ça n'a pas marché. Les quelques tentatives qui nous restent montrent un personnage en quête d'identité, qui est toujours à son meilleur en perturbateur d'intrigue, pas quand on lui confie le rôle principal... Sauf sans doute dans Johnny Smith and Poker-Huntas, mais il est vrai que ce film est de toute façon déjà pourvu d'une intrigue complètement dynamitée de l'intérieur! Autre problème, la voix: parfois dotée d'un accent New Yorkais de wise-guy, grâce à mel Blanc (Johnny Smith and Poker-Huntas), parfois plus indicative d'un simple d'esprit, et parfois proche d'une imitation de Jimmy Durante comme c'est le cas dans ce film, ces changements montrent que l'équipe d'Avery n'avait pas encore trouvé quoi faire avec le personnage, qui allait évoluer vers Elmer Fudd en assez peu de temps.
Dans ce film, Avery se paie au moins le plaisir de parodier un monde qu'il affectionnait et pour cause, celui du western: Egghead rêve de partir à la conquête de l'ouest sauvage et répond à une annonce du Bar-None Ranch: on cherche des cow-boys... Les essais seront peu convaincants, c'est une évidence...
Quelques gags se distinguent ici, notamment ceux de l'environnement westernien... Mais le film est comme le personnage, il se cherche. Et Egghead, quand il doit mener une histoire sérieuse, ne fait décidément pas le poids...
Tex Avery se plaindra souvent du manque de liberté dont il disposait à la Warner, mais il faut reconnaître qu'il y aura eu de fort bons moments... Ce film qui aurait pu en d'autres mains virer au conte édifiant en est un exemple, et sur un grand nombre de points, il annonce le style qui sera le sien à la MGM, le systématisme en moins...
Une famille de perroquets est en pleine leçon: les trois petits reçoivent des instructions de leur maman pour dire convenablement "Polly wants a cracker", ce qui déplaît fortement à l'un d'entre eux: il voudrait être marin comme son père... Malgré les efforts de sa mère pour l'en empêcher il se lance vite à la conquête du vaste monde...
Pour ce faire, on notera au passage qu'il est aidé d'un caneton (jaune) interprété par Mel Blanc qui commençait à poser sa marque indélébile sur les films du studio. Les raisons d'apprécier ce film (qui finit quand même par raconter une histoire, tout en s'adonnant au plaisir du gag) sont nombreuses, notamment dans la destruction du fameux quatrième mur, lors d'un flash-back (le père ivre, dont la mère raconte le départ définitif, qui corrige la narration entre deux hoquets), et aussi par le fait que la mère s'adresse directement à nous. Avery fait tout pour nous montrer qu'il ne croit pas une seule seconde à l'histoire édifiante qui nous est racontée, en dynamitant le suspense interne, et il s'amuse beaucoup avec l'environnement, d'une façon qu'il affectionnait.
Des affiches publicitaires et les personnages qui y figurent s'animent, et entrent en interaction avec leur environnement: Eddie Camphor chante une chanson, et un poussin qui a une sérieuse envie de voir le monde affronte un ver vindicatif et un chat gourmand...
Billboard frolics est intéressant pour deux raisons essentiellement: d'une part, il semble établir un précédent riche en possibilités, qui se concrétiseront souvent, que ce soit sous la responsabilité de Tex Avery, ou sur celle plus féconde de Bob Clampett qui adorait l'exercice: un monde qui s'anime et devient prétexte aux jeux de mots, aux chansons allusives de la culture populaire, etc... L'autre raison de se pencher sur ce petit film, c'est bien sûr la musique: comme son nom l'indiquait, la série des Merrie Melodies était souvent le prétexte à revisiter une chanson qui était la propriété de la Warner. Ici, la bande-son de l'intégralité du film est Merrily we roll along, qui deviendra précisément l'air entendu au début de tous les Merrie Melodies, y compris une fois que la série fusionnera avec les Looney Tunes...
Pour le reste, bien sûr le film est assez moyen voire routinier, Freleng se réfugiant un peu vite dans le mignon Disneyien.
Emile Cohl, le précurseur de l'animation Française, était aussi un cinéaste qui a parfois produit des oeuvres qui reposaient entièrement sur la prise de vues réelles. Mais ce film, produit en 1910 et bien dans sa manière, est un mélange savant des deux techniques:
Un garçon de café, pendant que la clientèle vaque à son occupation principale, s'assoupit tranquillement... et rêve que son corps est soumis à bien des transformations! Le réveil sera brutal mais surtout humide!
Sitôt endormi, le garçon de café laissera la place à un double dessiné, qui va passer à travers toutes les techniques possibles et imaginables: Cohl en fait une figurine articulée en trois parties, l'anime en image par image, et au gré de son humeur et de son inspiration, transforme un rêve qui joue sur le physique même de l'humain, en un cauchemar de têtes grimaçantes. On navigue en pleine association d'idées, quelque part entre George Méliès et les surréalistes...
Après Tale of two kitties, de Bob Clampett, les personnages de Babbitt et Catstello deviennent des souris. Largement influencés par Abbott et Costello, les deux sous-comiques curieusement très populaires (on se demande vraiment pourquoi!) des années 40, les deux personnages de cartoon ont un duo assez classique, avec un dominant et un dominé parfaitement nigaud. Ils font beaucoup, beaucoup appel, comme leurs modèles, à des éléments verbaux qui personnellement me tapent sur le système.
L'histoire est un prototype de ce qui arrivera souvent dans les cartoons de Speedy Gonzales: deux souris convoitent du fromage, et doivent braver un chat. Sauf que ce sont les deux souris qui sont à la peine, et Catstello impose à Babbitt de faire tout le travail.
Tashlin n'est pas crédité dans ce film, qui a été fini à son départ du département d'animation de la Warner, et par moments on jurerait qu'il s'agit d'un film de Clampett: même distorsion des corps, même décomposition anarchique du mouvement, et même tendance à l'excès. mais, est-ce l'irritation que me causent les personnages, l'indigence du script, ou un ratage de l'ensemble? Ca ne marche pas, le film n'arrive pas à se hisser au-dessus de son anecdote.
Produit durant l'étrange période qui voyait la Warner participer à l'effort de guerre, y compris dans son département des dessins animés, ce film de Tashlin met en scène Porky Pig pour l'une des dernières collaborations du metteur en scène au studio. D'emblée, il se distingue par le côté volontiers anarchique de son animation, mais d'une anarchie bien différente de celles développées par Avery et Clampett: une tendance, notamment, à "poser sa caméra" beaucoup plus près des personnages, par exemple, qui participe à l'hystérie de l'ensemble. Autre fait notable: Porky Pig, dans ce film, porte... un pantalon.
L'intrigue est donc liée à l'attitude générale des Américains moyens durant la guerre, tout en usant d'une certaine ironie: toutes proportions gardées, on n'est pas trop loin de Draftee Daffy, de Clampett, qui voyait le peu patriotique canard tenter d'échapper à la conscription. Ici, une maman toute entière dévouée à l'effort de guerre, et désireuse de partir travailler sans inquiétude, confie son abominable garnement à Porky, et lui donne même un manuel d'instructions qu'elle prétend fort utile.
C'est une "Merrie Melody", mais on est bien loin des fadaises de Freleng et de Harman et Ising! Avery n'avait pas son pareil pour dépoussiérer à la dynamite tous les départements où il passait, et on voit bien avec ce film que la respectable série animée en couleurs, qui était au départ prévue pour chasser avec le plus d'élégance du côté de Disney, ne lui a pas résisté. En route donc pour un film de gangsters à la manière de, avec un bull-dog qui répond au nom pas vraiment crypté de Edward G. Robemsome, dans le rôle du bandit.
Dès le départ, Avery n'attend même pas que la situation soit installée pour balancer des gags idiots (mais alors vraiment!) à la mitraillette. Le chef de la police s'appelle Flat-foot Flanagan, ce qui permet un sous-titre 'With a floy-floy", allusion au méga-tube de Slim Gaillard et Slam Stewart, The flat-foot floogee with a floy, floy (une preuve de goût). Les banques dévalisées commencent par la First National bank, mais très vite ça dégénère: la 2nd National bank, puis ça monte jusqu'à la 112e. A l'exception notable de la treizième, le bandit étant superstitieux... Enfin, c'est l'une des plus célèbres intrusion dans le film d'un membre du public avec ce spectateur qui cafte à la police...
Bref tout n'est jamais sérieux. On regrette que l'imitation de Robinson tombe quand même un peu à plat, et on se délecte des jeux autour du langage, l'un des péchés mignons d'Avery, auteur de l'incontournable Symphony in slang.
Et donc, après la réussite indéniable du Domaine des Dieux, qui renouvelait enfin la formule de l'adaptation animée d'Astérix dans le bon sens, en utilisant à bon escient les images de synthèse, on prend les mêmes et on recommence: aux manettes, donc Alexandre Astier, humoriste exigeant (parfois un brin ombrageux voire obscur, mais il a une éthique, et il a compris comment fonctionnait Goscinny, c'est important), et Louis Clichy, animateur aguerri qui a beaucoup, mais alors beaucoup étudié le trait, mais aussi la façon de gérer les décors, d'Uderzo. Et à ce niveau, c'est irréprochable.
Panoramix se blesse: il prend alors conscience de sa mortalité, et décide de former un successeur. Le problème, c'est que sa magie (et en particulier sa fameuse recette de la potion magique qui donne une force surhumaine) doit être transmise selon la formule consacrée, "de bouche de druide à oreille de druide"... la tâche va être rude: il va lui falloir, avec une jambe en compote, trouver un druide en Gaule qui soit digne et capable. Pour l'aider, il va choisir deux braves guerriers, bien sûr, et se retrouver flanqué d'une petite Gauloise intrépide aux ressources insoupçonnées, Pectine: élève du vieux druide à l'école du village, elle essaie de lui montrer des inventions...
Et il se passe quelque chose d'inattendu: dans cette histoire qui selon les canons établis par Goscinny et Uderzo eux-même, maintenus par le dessinateur dans sa désastreuse équipée en solo, et continuée aujourd'hui par Conrad et Ferri, Astérix se passe un coup sur deux auprès du village, et la fois d'après ailleurs. Le domaine des dieux restait Armoricain, donc l'essentiel de ce nouveau film est situé au loin, même si on reste proche de la Gaule. Mais ce qui est inattendu, presque une transgression, c'est le fait que tous les hommes (sauf un, Assurancetourix) du village aient suivi... Ca nous donne quelques gags de fort bon ton, ou de fort bon thon puisque beaucoup sont dus à la nouvelle marotte d'Ordralfabétix: il tente des formules magiques, et ce n'est pas brillant...
Sinon les auteurs se sont efforcés, dans ce qui reste une histoire originale, donc à prendre avec des pincettes, de trouver un méchant intéressant, un rival (ancien ami) de Panoramix; il vient compléter une galerie de portraits assez traditionnelle, et un certain nombre de variations sur les figures imposées (le retour d'Aplusbégalix, le chef Gaulois Romanophile du Combat des chefs, César dans son palais mais surtout dans son bain, les pirates dans leur malchance habituelle, et un paquet de druides dont beaucoup, il faut le dire, sont gâteux, et bien sûr les bagarres du village, et les noms savoureux, parmi lesquels je garde toute mon affection au sénateur Tomcrus, ou aux apparitions fugaces de jean-Patrix ou des quatre Fantastix) renouvellent la série en douceur. Je suis plus circonspect sur le final délirant avec gigantisme de rigueur, mais il contient suffisamment de gags pour nous satisfaire.
Reste deux problèmes de taille: d'une part, Astérix et Obélix, héros historiques, semblent purement et simplement disparaître des radars devant tout ce cirque. C'est dommage... Sinon, j'appréciais beaucoup le rythme parfois indolent du Domaine des Dieux: on pouvait compter les poules. Ici, c'est difficile même si les gallinacés y jouent un rôle crucial, voire héroïque... Je pose donc la question: à quoi bon s'efforcer de reprendre au mieux le style d'Uderzo, ce virtuose des arts graphiques, si ce n'est pour qu'on ne puisse jamais prendre le temps d'en profiter, parce que quelqu'un qui ne fait pas confiance à la patience d'un public certes accro aux jeux vidéos, s'est cru obligé d'imposer un rythme infernal à ce film?
Tout en affichant ma méfiance, j'ai décidé de faire comme tout le monde et de créditer Walt Disney à la réalisation de ce film, mais je n'y crois pas une seconde: c'est très probablement Ub Iwerks, principal animateur de ce qui est la toute première (et la plus courte!) des Silly symphonies, ces courts métrages qui allaient pendant environ dix années envahir les cinémas, bien placés dans des programmes de complément des longs métrages, et parfois rafler la vedette tellement ils étaient bons. Et chacun d'entre eux allait à sa façon apporter une pierre à l'édifice: l'utilisation inventive de la couleur, les raffinements de la bande-son, les essais de perspective et l'illusion du relief, tout vient des Silly symphonies!
Pourquoi ne pas en créditer le patron lui-même? Tout simplement parce que le bonhomme a passé sa vie à placarder son nom sur des films réalisés par d'autres, le moins souvent possible crédités, alors que le nom de Walt Disney était sur toutes les lèvres: mais David Hand, Ub Iwerks, Burt Gillett, Jack King ou d'autres encore ont toujours fait beaucoup plus que le VRP Disney, commercial de génie, oui, mais dont la principale idée aura été de s'approprier les personnages des autres, à commencer par Mickey Mouse, créé par Iwerks...
Ce qui n'enlève rien à ce film, véritable merveille de grand n'importe quoi ironique et macabre, dont les squelettes prennent vie à l'heure où tout le monde se couche, et se lancent dans une grande farandole à la fois noire et idiote, faisant autant rire que peur. La musique de Carl Stallings (futur compositeur pour les Looney Tunes et les Merrie Melodies de la Warner, les éternels concurrents) y est formidable et a clairement servi de base pour les danses joyeusement crétines de ces squelettes bien inoffensifs. Pas un plan de trop, pas un geste inutile: cette Danse macabre (qui tourne autour de Saint-Saens plus qu'autre chose, sans jamais citer ouvertement le maître) est tellement rigolote que les modèles d'animation qu'elle propose seront utilisés et réutilisés dans plusieurs autres films de l'époque.