C'est sans doute afin de donner un dernier coup de tournevis à leur nouvelle invention géniale que les ateliers Disney ont mis ce film de court métrage en chantier. Bien leur en a pris: le film a remporté haut la main l'Oscar du meilleur court métrage d'animation... L'utilisation de la caméra multi-plans, ici expérimentée avec succès (un dispositif qui permet de représenter plusieurs couches de décor, et d'atteindre un plus grand réalisme) va donner un avantage considérable à Disney, au moment d'entamer le premier long métrage maison, l'ambitieux Snow white and the Seven Dwarfs...
Un moulin tout vermoulu sert de refuge à toute une faune: oiseaux, rongeurs ont élu domicile dans son enceinte branlante, et sous l'ombre de ses ailes, une petite mare est habitée par des grenouilles. Mais le vent se lève, et l'orage menace...
Voilà, c'est tout, et c'est parfaitement suffisant pour remplir un court métrage de 8 minutes, rempli de prouesses d'animation, qui réussissent à être à la fois réalistes et en droite ligne de l'univers anthropomorphe des premiers courts métrages Silly symphonies: du coup, le film se place en précurseur de Blanche-Neige, bien sûr, mais aussi Bambi voire certains aspects de Fantasia.
Tout film de la série Silly symphonies se doit d'avoir un angle d'approche technique, ici il est vite trouvé: King Neptune est essentiellement le deuxième film Disney à se pavaner en Technicolor trois bandes, le système de Gone with the wind dont Disney avait à cette époque l'exclusivité sur les autres studios d'animation. Et la mission donnée à Burt Gillett était simple: montrer de l'action, du mouvement, pour en mettre plein la vue...
Quant à l'intrigue, elle est réduite à l'essentiel: des pirates (avinés, pas fins et très schématiques) avisent un groupe de sirènes et décident de les kidnapper, provoquant ainsi la colère de Neptune, et le déchaînement des eaux... Le film anticipe sur la Petite sirène à sa façon, et aurait largement pu s'appeler King Neptune and the Topless Mermaids, tellement ça saute aux yeux...
Notons pour finir que Gillett, le metteur en scène (non crédité selon les mauvaises habitudes de la maison) était attaché à son personnage de Neptune puisqu'il l'a utilisé dans d'autres films... et pas forcément tous des Disney.
La chanson qui donne le titre à ce film de la série Merrie Melodies, selon la tradition, est donc une ritournelle de basse extraction, le genre qui se chantait à l'entracte lors de séances cinématographiques...
C'est précisément le cadre du film, décousu et inégal, mais souvent glorieusement loufoque: pendant une séance, donc, nous assistons au ballet des changements de place intempestifs, à l'indécision d'un gigantesque hippopotame qui ne parvient pas à se décider, aux mésaventures d'un petit canard qui s'ennuie ferme, et pendant ce temps, nous voyons un certain nombre de passages de films parodiés. Le plus notable est une scène de The Petrified Florist, qui si vous voulez mon avis est nettement meilleure que l'intégralité du très ennuyeux The Petrified Forest...
Les scènes du public de la salle de cinéma seront recyclés plus tard, en particulier dans A Bacall to arms de Bob Clampett, en 1944.
En 1933, finalement, Ising et Harman, les transfuges de chez Disney qui ont constamment roulé leur bosse en passant sans vergogne d'un studio à l'autre, pouvaient en remontrer à n'importe qui: c'est la leçon de ce petit film d'une grande qualité en dépit de ses aspects franchement épisodiques...
Sur les étalages d'un marchand de journaux, les personnages des couvertures de magazines prennent vie, et dans un premier temps, se lancent dans l'interprétation d'une chanson (qui donne son titre au film). C'est un cow-boy qui donne le ton mais tout le monde participe. La deuxième partie voit des gangsters s'échapper des magazines de cinéma, et tenter de voler le contenu de la caisse, et tout le monde se ligue contre eux...
D'une part, on voit bien le mode de fonctionnement des Merrie Melodies, et leur limite: illustrer une chanson du répertoire Warner... De l'autre, outre le prétexte du film qui reviendra plusieurs fois notamment dans Book Revue de Clampett (et ce de façon autrement plus spectaculaire), nous voyons ici tout l'univers des cartoons de la WB, qui tranchait quand même beaucoup sur celui de Disney: une thématique volontiers adulte, un ton plus sérieusement acide, et une invention graphique solide... Sans oublier une inspiration fortement cinématographique. Une leçon que retiendra l'animateur en chef, ici: c'est Friz Freleng...
Tous les matins, Ralph le loup et Sam le chien quittent leur domicile respectif en se saluant; ils travaillent tous les deux au même endroit: l'un garde les moutons, l'autre doit les chasser. C'est bien sûr absurde, mais une fois le prologue établi on peut assister à une série de tentatives toutes plus lamentables les unes que les autres du loup, qui ressemble furieusement à un de ses cousins... Un certain coyote.
Sachant que l'histoire (pour sa plus grande part constituée de gags purement visuels) est signée du complice Michael Maltese, que les décors, fortement abstraits et stylisés, sont de Maurice Noble, on ne s'étonnera pas que l'ombre de la série des films du Coyote plane au-dessus de ce film. Mais c'est de bonne guerre, car le film inscrit son message éminemment philosophique dans le cadre de l'absurdité du monde du travail, un chantier de réflexion que l'humoriste Chuck Jones se plaisait à contempler, et en prime la situation est l'occasion pour les animateurs d'expérimenter avec non seulement le timing, mais aussi l'espace filmique. Comme dans les films du Coyote, le champ, le hors-champ, le vide sont mis à contribution avec une aisance déconcertante, et en plus...
D'une part, ce film très enlevé, qui tranche de façon saisissante sur les habitudes prises par Freleng, McKimson et Jones concernant le personnage de Daffy Duck, est un des rares films d'Arthur davis, qui fut entre 1947 et 1955 un des quatre mousquetaires... généralement, le quatrième, alors que son talent était bien supérieur à celui de ce pauvre McKimson, et bien qu'il ait retenu les leçons des trois dingos qui l'avaient précédé, avant de partir du studio: Frank Tashlin, Tex Avery et Bob Clampett...
Oui, donc on est face à un excellent film de la série des Looney Tunes, dans lequel Daffy Duck n'est pas cette lavette vouée à l'échec et à subir la vanité d'un Bugs Bunny par exemple, mais bien un vari héros de cartoon, surprenant et définitivement à l'épreuve des balles.
D'autre part, ça tombe bien qu'il soit à l'épreuve des balles, car l'idée principale de ce film est de montrer le canard aux prises avec ses pires ennemis: c'est, en effet, la saison de la chasse au canard.
Oui, vous avez bien lu: en Anglais, on appelle ça Duck season. Une paire de mots qui n'a l'air de rien, comme ça, mais qui est à la source d'une impressionnante trilogie de films signés de Chuck Jones, sortis quelques temps plus tard. Soyons juste: Jones n'a pas copié, il a juste offert une série de variations, toutes plus sublimes les unes que les autres, à ce film, qui lui reste quand même basé sur une histoire et non une série de gags. Et en lieu et place de Bugs Bunny, Elmer et Daffy Duck partagent la vedette avec un renard. Mais quand même: il est bon de retourner aux sources parfois, et ce film est une belle occasion de sortir des sentiers battus...
Le film commence par une introduction qui me rappelle à la fois A corny concerto (de Bob Clampett, sorti vers la fin de la même année) et son grand modèle, le film Fantasia... et justement, comme souvent avec les films de Freleng, ce Pigs in a polka est très musical: il est d'ailleurs soutenu du début à la fin par un recours de Carl Stalling aux Danses Hongroises de Johannes Brahms. En quelque sorte, on peut considérer le film comme une parodie (bon-enfant) de deux films Disney: Fantasia, même si l'animation y utilise beaucoup moins le vitriol que A Corny Concerto, et The three little pigs, dont on a ici toutes les traditions établies: I'll huff and I'll puff, les différences entre les trois cochons, et un loup menaçant mais essentiellement cartoonesque.
...Si ce n'est que c'est le loup qui effectue l'introduction, et qui présente les trois porcins comme ses faire-valoir. Une façon comme une autre pour Freleng, qui adorait ses "méchants", de signer un peu plus un film très tonique et plaisant.
Après le départ de Tex Avery, Bob Clampett a "hérité" de son unité, pour ses bons et loyaux services en tant qu'animateur sous les ordres de Tex, puis en tant que réalisateur des Looney Tunes, les dessins animés "économiques" en noir et blanc; ce qui veut dire qu'il allait pouvoir lui aussi réaliser des "Merrie melodies" (soit des films plus ambitieux, en couleurs, qui portaient en eux le prestige du label WB...
Sauf que Clampett étant Clampett, il a probablement fait plus fort encore que Tex Avery en matière de délire et d'affranchissement des limites. Ce film, qui raconte l'histoire rythmée dans le jazz le plus swing, d'un chat dragueur et assez clairement obsédé sexuel, en est une illustration parfaite: l'animation n'y est pas confortable et rassurante, mais frénétique et excessive, une marque de fabrique des films de Clampett, qui va profiter des moyens qui lui sont donnés pour pousser le bouchon de l'animation très loin: c'est à partir de cette époque en particulier qu'avec Manny Gould et Rod Scribner, il va prendre l'habitude de multiplier les dessins extrêmes dans les mouvements rapides, ajoutant à l'impression de folie furieuse de ses séquences animées...
Bref, on en prend plein la figure, et les Merrie Melodies, vitrine huppée du département animation de la Warner, qui souhaitait faire concurrence aux Silly Symphonies, ne survivra pas longtemps: pour preuve, ce film est sorti sous étiquette Looney Tunes...
Cinquième film de Clampett à mettre Bugs Bunny en vedette,Corny concerto (1943) anticipe le travail de Friz Freleng, qui allait représenter dans Herr meets hare un lapin qui s'adonne à du ballet avec rien moins qu'Hermann Goering, ainsi que le fameux (Mais plus tardif) What's opera Doc?de Jones. Et ce nouveau film est une parodie de Fantasia, que Clampett a vu et revu avant de s'y attaquer : il y représente un Elmer Fudd modelé sur le présentateur du film-concert, mais avec un rien moins d'élégance dans le maintien...
Deux oeuvrettes musicales y sont illustrées à la façon de Disney (Et dans un style comme toujours animé par McKimson, mais visiblement bien différent de celui habituel de Clampett): Tales from the Vienna Woods, et Le Beau Danube Bleu, de Johann Strauss. Si le deuxième se voit gratifier d'une intrigue inspirée du Vilain petit canard, le premier est une énième variation sur le principe du chasseur et du lapin... Le premier est Porky pig, le deuxième est bien sûr Bugs.
C'est éblouissant de bout en bout, surtout la première partie, où chaque geste est pensé non seulement pour accompagner la musique, mais aussi en fonction de la marodie et de l'histoire racontée. On peut faire confiance à Bugs Bunny pour en faire des tonnes, et Clampett le rend virevoltant, excessif, en contrôle mais pas que : sur la fin, le lapin est une silhouette qui se perd dans ses excentricités au point de tomber à la renverse...
Le Danube bleu est l'occasion pour Clampett d'improviser une jeunesse de Daffy duck, en canard qui souhaite s'incruster dans une famille de cygnes. C'est impeccable et très drôle, là encore, avec un style qui rappelle Disney, mais qui n'en est pas...
Le film qui a révélé Brad Bird, metteur en scène multi-récompensé de The Incredibles (ainsi que de son excellente suite récente), de Ratatouille, de MI4 et de Tomorrowland, est un film d'animation, réalisé pour la Warner à l'époque où celle-ci cherchait à rivaliser (un peu) avec Disney: sans grande surprise, compte tenu de la qualité parfois douteuse des films qu'ils ont sorti sous cette bannière maintenant défunte, le long métrage réalisé et écrit par le futur petit génie de Pixar est le meilleur film d'animation de long métrage jamais sorti par WB, tout simplement, tout en étant particulièrement personnel et singulier...
On parle ici d'animation à l'ancienne, donc majoritairement en 2D, même si Bird se laisse volontiers aller à utiliser avec une grande efficacité les effets 3D. L'intrigue, adaptée d'un roman de 1968 (The Iron Man) de Ted Hughes, est transposée de la Grande-Bretagne vers la côte Est des Etats-Unis, le Mine plus précisément (déjà un endroit bien connu pour ses attaques de Carcarodon Carcarias, si je ne m'abuse...). Hogarth Hughes est un petit garçon, fils unique élevé par sa maman veuve d'un pilote de chasse décédé, qui a tout du gamin des années 50: fan de films de science-fiction, peu intéressé par l'école, mais surtout désireux d'avoir un peu de compagnie. Il va en trouver lorsqu'un robot géant venu d'une autre planète va se poser à cinquante mètres de chez lui, et devenir son copain. Sauf qu'à cette époque, l'arrivée d'un engin comme celui-ci, non seulement aura du mal à être discrète, mais à l'heure où Spoutnik tourne autour de la terre pour narguer les Américains, les paranoïas vont s'échauffer...
Le style d'animation est d'une grande efficacité, avec un graphisme qui est à la fois l'héritier des Disney des années 60 et 70, et bien sûr des oeuvres de Chuck Jones, et c'est d'autant plus réussi que Bird a choisi de traiter son film comme une histoire avec des acteurs, et obtient de ses créatures aimées la même intensité émotionnelles, sans jamais mobiliser comme le font les plus embarrassants longs métrages de Disney les clichés les plus éculés! Et sa fable, qui traite non seulement avec tendresse d'un garçon à part, et de son amitié avec un tas de ferraille gigantesque qui est profondément attachant, se pare de couleurs particulières pour interroger la part d'ombre de l'humanité, dans son versant Américain. Il le fait néanmoins en ne diabolisant pas systématiquement les militaires, puisqu'il a choisi un agent spécial obsédé par l'ingérence étrangère pour incarner le mal dans son film.
Et il touche aussi des thèmes plus profonds, et qu'on retrouvera au long de son oeuvre cinématographique: la notion de choix de son destin par un protagoniste, est ici la principale leçon de Hogarth à son ami le Géant, quand il lui fait comprendre que ce n'est pas parce qu'il a été construit comme une arme destructrice qu'il doit nécessairement se laisser aller à le devenir... Un thème qu'on peut aussi, sans aucun doute, lire à double sens, là encore en le considérant comme un commentaire sur les USA des années 50, et ce qui en a suivi. Mais il a surtout fait un film, avec talent, justesse, tendresse et humour: ce Géant de fer est un pur chef d'oeuvre, comme les deux films qui suivront...