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30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 14:01

Je n'aime pas ce film, et je ne suis pas le seul, si j’en crois l’anecdote racontée par Gilliam au sujet de Cannes : il attendait à l’issue de la projection à cannes, et a eu la désagréable surprise d’apprendre que le public de la Croisette avait hué et franchement détesté le film. Aujourd’hui, Fear & Loathing partage le redoutable honneur d’être à l’instar de The fight club, de David Fincher, un film détesté de la critique, et adoré, révéré même par une certaine partie du public.

Pourquoi, donc, ce film, qui tranche non seulement par rapport aux films américains contemporains par son originalité et sa verdeur, mais aussi qui n’a que très peu de rapports avec les films ultra-compartimentés et sur-produits de Terry Gilliam ? Celui-ci ne cache pas son admiration pour Hunter Thomson, le journaliste auteur des textes de base, et qui est représenté par l’étrange personnage chaotique de journaliste drogué campé par Johnny Depp. Il a souhaité depuis longtemps adapter le livre recueillant les articles de celui-ci, et accomplissait un vieux rêve. Mais plus encore, outre Gilliam, ses acteurs et Thompson lui-même, il y a un public pour un livre qui est un classique, certes bizarre, mais un vrai classique à part entière. Et puis la drogue, vue par Gilliam qui confesse n’y avoir jamais succombé, c’est un échappatoire au moins aussi intéressant que les rêves de Time bandits et Brazil, les inventions de Münchausen, les contes du Graal de Fisher King ou le monde vu par cet enfant adulte qu’était Bruce Willis dans Twelve monkeys … Bref, aussi mauvais soit le film, au moins il ne dépare pas totalement. Mais une chose est sûre: personne ne s’est retenu, sur le film, ni Gilliam, ni ses acteurs, Benicio del Toro en tête (il est hallucinant), ni Johnny Depp (il n’est pas mal non plus…).

Le principal défaut du film, c’est d’être trop graphiquement soumis au délire de ses héros. On sait, ou on peut savoir en le voyant, que le film n’est qu’une farce, consistant à laisser ses héros se vautrer sur le modèle américain, et le traîner dans la boue. Gilliam souhaitait faire résonner le vitriol de Thomson, qui sentait que la liberté qui avait soufflé dans les années 60 allait être oblitérée par les années 70 (Et il avait raison !): pour Gilliam, les 90s sont une série d’occasions manquées, et de dénis graves; allons, semble-t-il nous dire : la décennie de Kurt Cobain et de la libération de Nelson Mandela restera-t-elle uniquement cette fade période durant laquelle on a sagement adapté le libéralisme carnassier des années Bush Père avec un sage Bill Clinton, afin de mieux préparer à Bush Fils? En ce contexte, la sortie de Fear & Loathing, aussi raté soit le film, ne peut pas laisser indifférent. Je n’aime pas le film, non. Mais il y des moments de délire, de méchanceté, de clowneries aussi, qui sont, partiellement, irrésistibles. C’est souvent odieux, un peu froid, très impoli et agressif. Mais au moins ce film ne nous laisse-t-il pas indifférent…

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam Criterion
30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 12:58

Passé généralement inaperçu lors de sa sortie, et jamais montré à la télévision, ce film possède en plus le handicap d’avoir été presque désavoué par son réalisateur. A la base, un scénario de Richard La Gravenese, qui s’illustrera quelques années après par son script de The bridges of Madison County pour Clint Eastwood. C’est la première réalisation « Hollywoodienne » de Terry Gilliam, pour Tri-Star, et il a du changer sa façon de travailler après les tournages pharaoniques de Brazil et Münchausen : fini les mondes intégralement recréés en studio, « The fisher king » a été tourné dans les rues de New York, et le budget décor a été sérieusement limité ; son histoire le rattache pourtant au reste de la carrière de Terry Gilliam, y compris au premier long métrage auquel il a collaboré, Monty Python and the holy grail, de façon inattendue. Mais n’y voyons pas trop, le script ce LaGravenese aurait de toute façon incorporé ces allusions au Graal y compris si le film avait été tourné par Ron Howard ou Joel Schumacher (pour prendre deux exemples rigolos…).


Jack Lucas, sorte de Howard Stern fictif, est un animateur de radio auto-satisfait, qui jette sa bile sur les ondes, dans un talk-show dont le principe n’est pas d’apporter du sens, mais plutôt de laisser l’animateur dire des horreurs en rebondissant sur la naïveté de ses interlocuteurs: c’est donc très méchant, très populaire, et un soir, Jack répond à un auditeur d’une façon tellement noire et provocante que celui-ci va déclencher un massacre dans l’heure suivante, tuant 7 personnes. Criblé de remords, Jack abandonne son métier, sa vie, et tente de se refaire auprès d’une jeune femme, gérante de vidéo-club, mais il a du mal à ne pas sombrer dans l’alcoolisme. Un soir de beuverie, alors qu’il traine sous un pont, il est attaqué par des hommes qui souhaitent terroriser des clochards, mais il est sauvé par Parry, un SDF fantasque qui s’avère être l’époux d’une des victimes de la tuerie. L’association des deux hommes va changer leurs vies de façon durable…

Au-delà de la surprise de découvrir un film de Terry Gilliam qui se passe dans le monde réel, on est dans un univers familier: Le réalisateur donne libre cours à son génie pour les angles bizarres de caméra, les lentilles diverses et variées, et son sens de la composition est toujours aussi affirmé. Les acteurs, Robin Williams et Jeff Bridges en tête, sont des gens de confiance auxquels le metteur en scène a fait appel justement pour leur compétence, il serait illusoire de parler de direction d’acteurs avec Terry Gilliam. La palme du bizarre et du drôle revient tout de même à Amanda Plummer : elle joue une petite employée d’une maison d’édition, bardée de tics, dont le clochard Parry est amoureux. Elle est inadaptée, mal élevée, mal dégrossie, mais totalement séduisante dans son excentricité. Une scène à 4 dans un restaurant Chinois durant laquelle les deux « gens normaux » (Bridges et Mercedes Ruehl) assistent médusés à l’étrange ballet de raviolis et de nouilles absorbés salement par deux personnes totalement inadaptées et maladroites est un grand moment de n’importe quoi plutôt tendre, que Gilliam a choisi de traiter à la façon du burlesque muet, en un seul plan, et qui sent bon l'improvisation réussie.

L’essentiel de la thématique du film tient dans la générosité affichée de la rencontre entre l’univers de Jack Lucas, impatient de se reconstruire après avoir fauté en causant de fait la mort de plusieurs personnes, et celui de Parry, ancien professeur d’université qui s’est réfugié dans son nouveau monde afin de ne pas affronter son deuil: il s’est inventé un ennemi, un chevalier fantastique et rougeâtre, cracheur de feu, qui apparait à chaque sollicitation de son passé, lorsqu’on l’appelle par son vrai nom, ou s’il se rappelle sa femme. Les apparitions du chevalier, traitées au ralenti, nous rappellent le sens visuel du graphiste Gilliam. Mais elles sont utiles pour visualiser le problème de Parry, qui comme Jack a besoin de vivre en acceptant quelque chose : s’il veut se reconstruire, il va devoir regarder la vérité en face, et si Jack veut se reconstruire, il faut vraiment que pour une fois il fasse quelque chose pour quelqu’un d’autre. En allant chercher le « Graal », en fait une coupe quelconque aperçue sur une photo, et en le ramenant à Parry, Jack donne à sa destinée un sens, et il accomplit un acte totalement dénué d’égoïsme, puisqu’il sait que cet objet n’est pas le Graal. Mais il va aider Parry à renaitre, et à passer désormais une vie tournée vers l’avenir en compagnie de Lydia, sa bizarre mais attachante amoureuse. De son coté, Parry va aider Jack à regarder les autres, et va lui permettre d’affronter sa plus grande peur : admettre ses sentiments à l’égard de sa fiancée. Toute cette thématique de l’échange de bons procédés est sans doute à porter au crédit de Richard LaGravenese, mais une part de cette histoire est à rattacher entièrement à Terry Gilliam, et nous rappelle Time Bandits, Brazil, et Münchausen : La façon dont Parry affronte la réalité en passant totalement de l’autre coté du miroir, en devenant un chevalier et en redressant les torts sur les quais, nous est désormais vraiment familière…

Voilà donc un film vaguement religieux, mal fichu, mais sympathique, dans lequel un metteur en scène habitué à la toute puissance sur ses tournages va essayer de réapprendre son métier, et si ce n’est pas une totale réussite, c’est loin d'être indigne; et les séquences avec Amanda Plummer valent à elles seules le visionnage. Pour son premier film Hollywoodien, Gilliam a eu la chance de pouvoir prendre ses marques ; il fera beaucoup mieux avec son film suivant, dans lequel il saura se souvenir de certaines des expériences de The Fisher King.

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam Criterion
30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 12:54

Après l’énorme Brazil, dont les problèmes de tournage, de montage, de budget, et de sortie (Universal ne voulait tout simplement pas le sortir) ont été très amers, Gilliam s’est attaqué à… pire. Conçu en compagnie de Charles McKeown, déjà co-scénariste de Brazil, Munchausen s’occupe à montrer de quelle façon un vieillard peut régler finalement tous les conflits grâce à la puissance de l’imaginaire.
Dans une Europe ravagée par les guerres, une troupe de théâtre donne une pièce adaptée des « souvenirs » grandiloquents du Baron de Munchausen. Celui-ci, désormais un vieillard, intervient et décide de donner sa version des faits. Avec la complicité de Sally, jeune fille-comédienne, et de ses vieux compagnons retrouvés au hasard des épisodes, il entremêle alors la vérité et la fiction, quitte à se perdre dans une histoire qui nous emmène sur la lune, au fond d’une baleine, et dans un volcan…Nous assistons à l’étrange ballet des corps et têtes dissociés du roi et de la reine de la Lune, à des exploits réalisés par les étranges amis du Baron, ainsi qu’à la jolie naissance très Botticcellienne de Vénus, interprétée par la jeune Uma Thurman.

Il ya peu à analyser en surface dans ce film, qui construit une histoire très savamment en enchaînant les morceaux de bravoure ; Gilliam lui-même avoue ne pas savoir de quoi il parle, même s’il n’est pas difficile d’y voir l’affirmation par un artiste de la toute-puissance de l’imaginaire, ainsi que la présence obsessionnelle d’une Angleterre Thatcherienne, déjà la cible de Time Bandits, Brazil et Crimson permanent insurance. Cette Angleterre bureaucrate qui s'interdit de rêver, compte sou à sou et veut empêcher le bonheur, est confiée à Jonathan Pryce, tout un symbole...

De toute façon, le film est surtout une magnifique construction, dont chaque séquence est soignée à l’extrême, et chaque plan présente un défi. Les acteurs, les techniciens, tout le monde a fini le tournage exténué, mais le résultat vaut le détour: pour peu que le spectateur l’accepte, le voyage est extraordinaire; il faut juste y croire. Outre le fameux réveil de Vénus (En présence d'un Oliver Reed survolté dans l'un de ses rôles les plus géniaux), on signalera une des plus belles séquences surréalistes de l’histoire du cinéma, lorsque le vaisseau-montgolfière de Munchausen « alunit », dans ce qui semble être une mer calme, et qui est en fait le sol sablonneux de la lune… Le Baron va d'aventure en aventure en rajeunissant ou vieillissant au gré de ses humeurs et de sa fantaisie. IL va jusqu'à incorporer sa propre mort à son récit afin de mieux en triompher.

Ce film a sans doute coûté sa carrière de réalisateur respecté à Gilliam, désormais condamné à aller de studio en studio en quête de travail. Il saura souvent sauver la face, et même faire de grands films, mais ne retrouvera jamais les conditions de toute puissance dans lesquelles il aura tourné ce film. Une page se tourne, avant de voir Gilliam aller faire quelques films aux Etats-Unis, dans l’espoir de voir aboutir son projet d’adaptation de Watchmen. Ce qui n’arrivera, bien entendu, jamais.

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam Criterion
30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 12:49

Brazil! on a des sueurs froides rien que d'aborder ce film maudit... Surtout quand on pense au fatras juridique dans lequel se sont mis Terry Gilliam et la Universal. Brazil appartient à un cercle très fermé de films-univers, partageant avec Blade Runner, ou Metropolis d'être une re-création entièrement originale et cohérente d'un monde. L'univers ainsi créé est une Angleterre qui vit sous une main de fer jamais identifiée, minée par des attentats pas vraiment revendiqués; Il s'agit aussi d'un film dont les images énoncent de façon magnifique toutes les obsessions visuelles ou thématiques de Gilliam: la dictature, la tristesse de l'Angleterre conformiste, le consumérisme Américain, la futilité désespérante de l'être humain, la froideur d'un monde dominé par la bureaucratie et l'administration, l'importance du rêve. C'est ce dernier point qui me semble le plus important.

Sam Lowry (Jonathan Pryce), petit fonctionnaire minable, travaille pour le ministère de l'information. A ce titre, il doit un jour amener un chèque de dédommagement à une veuve dont le mari est mort, par erreur, sous la torture. En faisant cela, il met le pied dans un engrenage imprévu...
Sam n'est pas qu'un fonctionnaire minable, il est aussi un rêveur impénitent. dans ses rêves, il vole, et va secourir des belles dames en péril... Alors lorsque la belle dame de ses rêves (Kim Greist) entre dans sa vraie vie, Sam se met à ne plus faire correctement son travail...

Le film est irracontable, je le sais, j'ai essayé. Il est aussi magnifique, presque parfait en dépit des difficultés insurmontables qui ont émaillé le montage... Le film est surtout, après les excès narratifs de Time bandits, d'une grande cohérence, et d'une grande rigueur. Gilliam reprend la notion de rêve là ou Time bandits l'avait laissée, et s'intéresse désormais à la vie rêvée d'un adulte après celle de l'enfant, et comment s'étonner de l'horreur qui s'en suit? Sam Lowry se rêve en héros magnifiques, mais s'enfonce à chaque pas dans un monde terrifiant, fait de paperasse et de fascisme. Et l'héroïsme ne viendra que d'un certain individualisme, d'une forte dose d'inconscience, voire de coïncidences navrantes. Malgré cela, le film est aussi doté d'un humour ravageur, et ce dès la première séquence. Ne manquez pas Bob de Niro en Plombier-justicier!

 

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam Criterion
30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 12:37

 

29 ans après, ce film a bien vieilli. Certains aspects rappellent les années 80, et l’enthousiasme de Terry Gilliam a parfois laissé la place à des moments bâclés, et un peu ridicules. Qu’importe : le désir de cinéma du réalisateur, sa volonté de raffiner son art après deux longs métrages dont un en collaboration avec une bande de zozos incontrôlables, l’emportent largement sur les scories. Le film se place, beaucoup plus que Jabberwocky ou Monty python and the holy grail, en première place dans la continuité de l’œuvre, avec des résonnances dans trois autres films majeurs : Brazil, Les aventures du baron de Münchausen, et 12 monkeys. Trois réussites…

Kevin a des parents nuls, fascinés par la vie moderne au point de passer leur temps à utiliser, convoiter et se documenter sur des appareils (Grille-pain, mini-four, TV) qui forment leur univers. Pour autant, ils ne s’intéressent pas à Kevin, qui est pourtant fin et imaginatif. Celui-ci, passionné d’histoire et d’histoires, aperçoit une nuit un chevalier qui traverse sa chambre. Le lendemain, il se met à l’affut, mais cette fois ce sont des nains (6) qui sortent de son armoire : ils ont piqué à l’Etre suprême une carte du temps, et se présentent comme des bandits : ils vont dans le temps, voler des objets précieux (Ils ont d’ailleurs une Joconde dans leur sac !). Kevin s’associe à eux : tout, plutôt que de rester avec ses parents ! Il leur faut maintenant faire attention à l’Etre suprême, qui ressemble au Magicien d’Oz, et au génie du mal, qui convoite la carte du temps…

On est en pleine féérie, un peu à la façon du Legend de Ridley Scott paru peu d'années plus tard; mais là ou ce dernier était très sérieux dans le délire, et doté il est vrai d’un budget plus conséquent, Gilliam a laissé sa tendance naturelle et Montypythonesque au délire prendre le dessus; il faut dire que le scénario était signé de Michael Palin, autre Python, et de Gilliam soi-même. Hélas ! Aux trois-quarts du film, le délire visuel tend à prendre le dessus, et l’ennui pointe son nez au milieu de tout ce n'importe quoi. Le film représente bien sur une nette amélioration, tant sur Monty Python and the holy grail que sur Jabberwocky : le premier (Cosigné par l’autre Python, Terry Jones) soumettait son impeccable sens de la reconstitution et des costumes à un semblant de scénario dominé par des gags hilarants mais disjoints, et le deuxième laissait cette fois l’esthétique et la rigueur de la reconstitution prendre le pas sur les personnages et l’histoire ; cette fois, on a une histoire !

Le thème dominant de ce film est sans aucun doute le rêve, incarné par ce petit garçon, qui bien sur se retrouvera dans son lit à la fin (mais deux détails que je laisse découvrir lui permettront de savoir que le rêve n’en est pas vraiment un). Après Dennis Cooper, être distancié qui passe son temps à errer de ratage en anecdote incomprise dans Jabberwocky, Kevin est le deuxième héros rêveur de Terry Gilliam, mais pas le dernier; on retrouvera ce type de personnage qui éloigne son mal-être en révant tout éveillé, pour le meilleur (The fisher King, Münchausen) ou pour le pire (Brazil, 12 monkeys). Mais une autre des tendances typiques de Gilliam, c’ets de faire évoluer ses personnages dans un monde envahi par la bureaucratie. Cette manie très propre aux Monty Pythons, on la retrouve bien sur à son apogée dans Brazil, mais tous les films de Gilliam contiennent un ou plusieurs personnages, comptables tristes, fonctionnaires rances, qui sont là pour saper le bien-être des honnêtes gens. C’est d’ailleurs le sujet même de Brazil, et de Crimson’s permanent insurance, le court métrage réalisé par Gilliam qui ouvre le film The meaning of life… Disons, que cette tendance à l’excès fonctionnaire, est une caractéristique très Britannique, et qu’elle rapprocherait parfois Gilliam des libertaire, voire des « libertariens ». Chez lui, on a le sentiment qu’il faudrait un retour non à l’ordre, mais en tout cas à une société antérieure; plus Kevin remonte le temps, en compagnie de ses « bandits du temps », plus il se plait ; rencontrant Robin des bois (John Cleese), il est aux anges, et le roi de Mycène, Agammemnon, joué par Sean Connery, l’adopte. et il aimerait rester avec lui. Il ya aussi une forme d’escapisme dans cette volonté de partir à l’aventure, qui n’est pas sans rappeler la façon dont James Cole (Twelve monkeys), voyageant dans le passé pour prévenir un cataclysme, se prend à ne plus vouloir croire en l’imminence de la catastrophe, tant le monde auquel il est confronté lui parait plus beau que le nôtre.

Une autre constante de Gilliam qui apparait de façon très nette ici, c’est son hallucinante maitrise picturale, qui le pousse à la création d’images très fortes et qui hantent : en particulier, le géant qui sort de l’eau, portant un bateau sur la tête, écrasant négligemment une chaumière au passage, est dans la mémoire de ceux qui ont vu ce film.
 

Bref, sans être un chef d’œuvre, ce film est une introduction souvent drôle à l’univers d’un maître, alors en passe de transcender ses influences et de devenir le grand cinéaste qu’on s’est plu à voir en lui, jusqu’à ce que le film Fear and loathing in Las Vegas ne le discrédite à tout jamais aux yeux de la critique. On en appréciera la fantaisie, et les bouffées occasionnelles d’humour Pythonesque, en particulier assumée par les apparitions drôlatiques d’un couple qui, sans aucune bonne raison, traverse les siècles : Michael Palin et la délicieuse Shelley Duvall. Ils sont irrésistibles.

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam Criterion John Cleese
27 décembre 2010 1 27 /12 /décembre /2010 11:08

Ace in the hole, également connu sous le titre de The big carnival, et en France sous le titre de Le gouffre aux chimères, n’aurait sans doute pas été entrepris sans le succès phénoménal de Sunset Boulevard. Il est un film plus noir encore, dans lequel les personnages principaux sont corrompus au-delà de toute espérance, ce qui n’était pas le cas du film précédent. Le film n’a pas plu, pour tout un tas de raisons, et ce malgré les précautions de Wilder et son élégance légendaire: c’est un film, une fois de plus, d’une grande beauté… Et d’une noirceur sans égale. On revoit ici la tentation de faire jouer à fond les codes du film noir, comme à l’époque de Five graves to Cairo, Double indemnity et bien sûr comme dans Sunset Boulevard.

Charles Tatum (Kirk Douglas), journaliste New-Yorkais déchu dont la carrière périclite après un démarrage en flèche, arrive pour s’installer à Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Il est vite en proie à la simplicité des habitants, et les prend de haut, ce que n’améliore pas son attitude vis-à-vis de ses patrons. Un beau jour, il découvre par hasard un fait-divers local: suite à un éboulement, un homme est coincé dans une Mesa, et le journaliste a tôt fait de monter l’affaire en épingle, prenant le contrôle d’un cirque médiatique dont il entend bien tirer les marrons du feu, avec la complicité de l’épouse cynique de Leo Minosa, l’homme qu’il faut secourir, mais aussi du shérif véreux du comté.

L’humour n’est pas absent de ce film, contrairement à sa réputation. Le début, montrant un journaliste odieux arriver à Albuquerque, utilise avec esprit le décalage, en évitant d’insister sur le coté dépassé du lieu: à aucun moment le film ne nous donne l’impression de soutenir Tatum dans son dégoût pour la ville et ses habitants, et c’est clairement lui qui n’a pas sa place ici. Mais le sérieux l’emporte bien vite dans le ton, au détriment des habitudes comiques de Wilder. Il n’empêche pas de nous faire considérer le film comme une violente satire, qui vise moins l’indignation du spectateur que le fait de dénoncer symboliquement une dérive qui à l’époque restait envisageable, mais est aujourd’hui une réalité, des médias: Charles Tatum ne considère l’élément humain que comme un ingrédient formel, répétant à l’envi qu’il lui faut de l’«human interest». Il fait donc fi de tous les aspects vraiment humains, conduisant sa petite aventure médiatique comme un metteur en scène ou un producteur de télévision; s’il souhaite ardemment que Leo ne meure pas, ce n’est pas par amitié pour l’homme, c’est par souci du public. Cette charge au vitriol est d’autant plus forte qu’elle s’appuie sur un jeu de plus en plus maîtrisé par Wilder entre le personnage principal et certains personnages secondaires; voir à ce sujet les conciliabules crapuleux avec le shérif en mal de réélection… Wilder commente sur les marches à suivre par un plan superbe et très symbolique, qui voit le père de Leo et sa femme, regardant tous deux Tatum partir pour parler avec l’homme coincé sous les éboulis. Elle regarde, d’un air froid et vaguement moqueur, pendant que le vieil homme se signe…

Au-delà de cette charge des médias, ici sévèrement mais pas injustement attaqués (ils seront pourtant particulièrement amers sur ce film), Wilder a réussi aussi à s’attacher au portrait d’une Amérique de tous les possibles, ce qui était là encore déjà le cas de films aussi disparates que Double indemnity, Foreign affair et bien sur Sunset Boulevard. Mais à Tatum, personnage constamment odieux qui incarne l’agressivité des journalistes et des médias, Wilder impose d’une part Mr Boot le patron de Tatum, ainsi que le jeune photographe que Tatum essaie en vain d’entraîner dans sa chute. Les petites gens, tels le père de Leo, ou encore les autres membres de sa famille, son épouse exceptée, sont encore des échantillons d’être humains, qui appartiennent à une autre classe que Tatum. Mais il y a une autre dimension, dans ce monde représenté par le Nouveau-Mexique, qu’on pourrait croire assez peu typique de l’Amérique. Lorsque Tatum arrive, qu’il contemple de sa tour d’ivoire (Symbolique, mais il s’agit quand même d’une voiture en panne, remorquée par une camionnette de dépannage) les gens autour de lui, foule bigarrée et cosmopolite, Indienne, Hispanique ou Anglo-Saxonne, on voit l’œil malgré tout de Wilder, artiste attaché à une représentation discrète de la diversité, qui passe le plus souvent par ces noms qu’il se plait à inventer, les Phyllis Dietrichson et Walter Neff (Double Indemnity) , voire Krahulic (The seven year itch). Le cynisme de Tatum, ici, passe complètement à coté de cette vision idéale d’une Amérique multiculturelle qui vit aussi simplement que possible.

Toujours peintre d’une Amérique actuelle, tout comme il se plaisait à faire des allusions à Veronica Lake dans The major and the minor, Wilder a donc fait leur fête aux médias dans ce film, qui s’il est bien une grande date de son oeuvre, n’en reste pas moins une exception, un film sur lequel on ne peut absolument pas dire qu’il s’agisse d’une comédie, et qui dédie tout entier ou presque son temps aux égarement odieux d’une personnage terrifiant de cynisme. Le dernier plan, qui voit Tatum s’écrouler face à la caméra, l’œil aussi près que possible de la lentille, clôt de façon très efficace et magistrale un film âpre, méconnu et indispensable.

 

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Published by Allen john - dans Billy Wilder Noir Criterion