/image%2F0994617%2F20230721%2Fob_f61bd6_poe0rbvpifexo7eroisf126v663x9j-large.jpg)
Je n'aime pas ce film, et je ne suis pas le seul, si j’en crois l’anecdote racontée par Gilliam au sujet de Cannes : il attendait à l’issue de la projection à cannes, et a eu la désagréable surprise d’apprendre que le public de la Croisette avait hué et franchement détesté le film. Aujourd’hui, Fear & Loathing partage le redoutable honneur d’être à l’instar de The fight club, de David Fincher, un film détesté de la critique, et adoré, révéré même par une certaine partie du public.
Pourquoi, donc, ce film, qui tranche non seulement par rapport aux films américains contemporains par son originalité et sa verdeur, mais aussi qui n’a que très peu de rapports avec les films ultra-compartimentés et sur-produits de Terry Gilliam ? Celui-ci ne cache pas son admiration pour Hunter Thomson, le journaliste auteur des textes de base, et qui est représenté par l’étrange personnage chaotique de journaliste drogué campé par Johnny Depp. Il a souhaité depuis longtemps adapter le livre recueillant les articles de celui-ci, et accomplissait un vieux rêve. Mais plus encore, outre Gilliam, ses acteurs et Thompson lui-même, il y a un public pour un livre qui est un classique, certes bizarre, mais un vrai classique à part entière. Et puis la drogue, vue par Gilliam qui confesse n’y avoir jamais succombé, c’est un échappatoire au moins aussi intéressant que les rêves de Time bandits et Brazil, les inventions de Münchausen, les contes du Graal de Fisher King ou le monde vu par cet enfant adulte qu’était Bruce Willis dans Twelve monkeys … Bref, aussi mauvais soit le film, au moins il ne dépare pas totalement. Mais une chose est sûre: personne ne s’est retenu, sur le film, ni Gilliam, ni ses acteurs, Benicio del Toro en tête (il est hallucinant), ni Johnny Depp (il n’est pas mal non plus…).
Le principal défaut du film, c’est d’être trop graphiquement soumis au délire de ses héros. On sait, ou on peut savoir en le voyant, que le film n’est qu’une farce, consistant à laisser ses héros se vautrer sur le modèle américain, et le traîner dans la boue. Gilliam souhaitait faire résonner le vitriol de Thomson, qui sentait que la liberté qui avait soufflé dans les années 60 allait être oblitérée par les années 70 (Et il avait raison !): pour Gilliam, les 90s sont une série d’occasions manquées, et de dénis graves; allons, semble-t-il nous dire : la décennie de Kurt Cobain et de la libération de Nelson Mandela restera-t-elle uniquement cette fade période durant laquelle on a sagement adapté le libéralisme carnassier des années Bush Père avec un sage Bill Clinton, afin de mieux préparer à Bush Fils? En ce contexte, la sortie de Fear & Loathing, aussi raté soit le film, ne peut pas laisser indifférent. Je n’aime pas le film, non. Mais il y des moments de délire, de méchanceté, de clowneries aussi, qui sont, partiellement, irrésistibles. C’est souvent odieux, un peu froid, très impoli et agressif. Mais au moins ce film ne nous laisse-t-il pas indifférent…