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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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25 octobre 2018 4 25 /10 /octobre /2018 16:49

Le titre original, Kanzashi, se traduirait plutôt par "l'épingle ornementale", et fait allusion à un objet qui va jouer le rôle du destin, ou d'un entremetteur, mais qui verra ses desseins réduits à néant par les circonstances... Comme dans d'autres films de Shimizu, l'action est située à l'écart du monde, et concerne des gens dont la vie pourrait bien basculer, pour le meilleur, loin de la corruption de la grande ville, si seulement...

...Si seulement il n'y avait pas de guerre: lors d'un séjour dans un hôtel de montagne (assez similaire au lieu de villégiature des protagonistes de Une femme et ses masseurs), le soldat permissionnaire Nanmura (Chishu Ryu) se blesse le pied: en prenant un bain dans une source située dans l'hôtel, il a accidentellement marché sur une épingle à cheveux laissée là. A tous ceux qui s'empressent de s'excuser, ou de lui suggérer de demander des comptes, il répond en invitant, au contraire, la femme qui a oublié cet objet dans l'eau à se faire connaître. Arrive alors sur les lieux Emi (Kinuyo Tanaka), une femme de Tokyo qui a saisi le prétexte de revenir sur les lieux pour répondre à la demande de Nanmura, afin de quitter son domicile, où elle vit avec un homme odieux... Le coup de foudre sera absolu.

Nous avons, nous, déjà vu la jeune femme lors de la toute première séquence, qui partage avec Monsieur Merci et Une femme et ses masseurs de reposer essentiellement sur un lent travelling arrière, filmant des gens qui avancent: à pied, ou en bus. Cette fois, nous voyons Emi et son amie Okiku (Hiroko Kawasaki), deux geishas qui sont en pèlerinage. Mais l'essentiel de cette exposition se passera sans la jeune femme, et est vue par deux points de vue dominants: celui, porté vers la comédie, du professeur Katada (Tatsuo Kaito, souvent vu dans les comédies de Yasujiro Ozu, était un acteur très populaire de comédies justement), et celui de Nanmura, plus grave ou plus philosophique.

Ce dernier est un soldat, mais c'est un détail qui est souvent mis de côté, au profit d'une psychologie fondée sur un positivisme à toute épreuve. Il se plaît à considérer l'accident qui va le laisser boiteux durant tout le film, comme un signe poétique du destin, et je pense que Shimizu aussi... Mais c'est surtout ce qui permet au cinéaste de faire venir la merveilleuse Kinuyo Tanaka, et à lui donner justement l'exclusivité du point de vue, car à partir de son arrivée, c'est d'elle que nous parle le film, et de son sacrifice...

Car c'est bien d'un sacrifice qu'il s'agit, dans un film qui se mue volontiers en conte triste: une fois guéri, Nanmura doit retourner à ses obligations (il dit "à Tokyo", en l'occurrence) et Emi, qui a fait le choix de ne pas rentrer en ville afin de ne pas retourner à un rôle qui est quasiment celui d'une prostituée, restera seule avec ses souvenirs, d'une idylle commencée mais condamnée probablement à ne jamais se poursuivre. Et Shimizu multiplie les signaux à son public, comme cette scène douce-amère durant laquelle les vacanciers attablés s'imaginent revenir à Tokyo et garder le contact dans la "vraie vie": l'évidence, pour le public de 1941 comme pour celui de 2018, c'est que c'est inutile de rêver. Quand à la fin du film Nanmura réussit à triompher de sa blessure et s'élève littéralement en montant les marches qui vont prouver qu'il est guéri, il laisse derrière lui Emi, qui a compris que l'avenir du jeune homme se fera sans elle.

 

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Published by François Massarelli - dans Hiroshi Shimizu Criterion
24 octobre 2018 3 24 /10 /octobre /2018 16:31

Les premiers dont on pense qu'ils seront les héros du film, ce sont deux masseurs qui occupent toute la première séquence: ils marchent sur une route, devisant gaiement. Selon la tradition, ils sont tous deux aveugles, et font de leur handicap un atout en permanence, se lançant des défis: "combien d'enfants allons-nous croiser", ou une tentative de dépasser en vitesse un groupe d'étudiants, dotés eux de tous leurs sens. Toku (Shin Tokudaiji) et Fuku (Schinichi Himori), qui travaillent dans des hôtels d'une petite station balnéaire, ne sont pourtant pas vraiment les personnages centraux, ils sont juste non seulement masseurs, mais aussi passeurs, si on me pardonne ce jeu de mot hâtif: c'est par leur biais qu'on fera connaissance des autres locataires, de leurs clients, et qu'on aura vent des intrigues. 

Car il se passe des choses: des étudiants venus pour passer du bon temps, mais qui se font vieux: incapables de suivre des filles en montagne, et en prime ils se font rosser par un masseur aveugle! un homme de la ville avec son neveu, une vraie petite peste, celui-ci, il ne se passe pas une minute sans qu'il ne tente de faire une bêtise... Et puis il y a une belle femme de Tokyo (Mieko Takamine) elle aussi, dont le parfum hante Toku. Mais elle montre trop d'intérêt à son goût pour le monsieur de la ville... 

Et surtout il y a un vol, de l'argent est pris dans la chambre des étudiants quand ils sont au bain. Toku, qui sent les choses plus qu'il ne les voit, a bien compris que la belle jeune femme dont il est plus ou moins amoureux a quelque chose à se reprocher, et fait face à un conflit: la protéger, ou la démasquer?

On ne voyage pas, ici, de la même manière que dans Monsieur Merci, le road-movie de Shimizu tourné en 1936. Une fois arrivés dans la petite localité, les personnages n'en bougent plus. Pourtant tous ou presque font l'objet d'une errance. Les masseurs "viennent dans le nord en été et repartiront vers le sud en hiver", la jeune femme mystérieuse fuit quelque chose, mais quoi? Et les étudiants sont en transit, entre deux séries d'examens, sans doute. Les rapports entre tous ces gens, notamment vis-à-vis des masseurs qui ont un service à rendre, sont civils, mais de façade. Et si les deux hommes savent se défendre, ils ont beaucoup à conquérir dans ce film qui les considère avec tendresse.

Je m'empresse d'ajouter qu'on n'aura pas la clé de tous les mystères à la fin du film, dont la structure épisodique et hachée ressemble finalement à la vie elle-même. Et je pense que Shimizu avait à coeur de confier à Mieko Takamine un rôle très proche de celui interprété par Michiko Kuwane dans Monsieur Merci, celui d'une belle jeune femme évidemment moderne, mais à la profonde sensibilité, et qui transporte en elle la frustration d'un secret inavouable...

 

 

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Published by François Massarelli - dans Hiroshi Shimizu Comédie Criterion
24 octobre 2018 3 24 /10 /octobre /2018 10:19

"Monsieur Merci" est le surnom du chauffeur de bus (Ken Uehera) le plus populaire de toute une région: sa ligne relie la campagne à Tokyo, à travers la montagne, et quand on est dans son véhicule, c'est souvent pour toute la journée. Il gagne son surnom du fait de son extrême politesse, quand un obstacle humain (groupe de marcheurs, paysans qui emmènent des animaux, voitures et autres charrettes) se dresse sur sa route: il contourne, négocie en douceur et lâche un jovial 'Merci' en repartant...

Dans son bus, ce jour-là, il y a beaucoup de monde, mais on en retiendra particulièrement quatre: un monsieur de la ville (Ryuji Ishiyama), important et accroché en permanence à sa montre en or, dont la moustache paraît factice; il est louche, et un peu trop intéressé par les jeunes femmes... Une dame moderne (Michiko Kuwane), qui fume, partage le contenu d'un flacon d'alcool, en pince pour le chauffeur, mais le bon esprit de cette dame qui connait la vie, sera de grand secours; enfin, deux femmes, une mère (Kaoru Futaba) et sa fille (Mayumi Tsujiki), sont du début à la fin au fond du bus, et elle ne sont pas à la fête: c'est la crise, et la mère n'a pas d'autre ressource que d'amener sa fille à Tokyo, pour qu'elle y 'travaille'. A aucun moment on n'en saura plus, du moins à aucun moment cela ne sera dit: car on n'a aucun doute sur le destin de la jeune femme, qui garde la tête baissée, de honte, durant tout le trajet. Le chauffeur, qui a entendu une conversation au début du film, est troublé par la jeune femme...

Tout le film se passe en extérieurs, dans ou autour du bus et le plus souvent sur la route. Et quand je dis route, c'est plutôt l'ancien modèle: très inconfortable, à plus forte raison quand le bus transporte non seulement des passagers, mais aussi l'équipe du film et son matériel! Shimizu, en toute logique, choisit de donner aux plans subjectifs filmés depuis le bus en route le rôle de fil rouge. Et pourtant, si on sent bien la répétition des situations, ce n'est pas gênant, tant le metteur en scène construit sa comédie de situations et d'observations de tous ces gens qui voyagent de concert. On passe par beaucoup d'émotions, bien sûr, notamment en raison de l'intrigue principale autour de la jeune femme et de la frustration du héros qui voudrait tant l'aider, mais n'en trouve pas les moyens. Mais ce qu'on en retient principalement, c'est la légèreté et l'humanité de l'ensemble, ce sentiment d'entraide qui va tellement de soi dans le film.

Le tournage n'a pas été de tout repos, et la vaste majorité a été tournée en muet, et sonorisée par la suite, donc le confort cinématographique n'est sans doute pas des plus évidents; cela dit, l'authenticité, la fraîcheur de l'ensemble et la chaleur des sentiments déployés dans le film emportent l'adhésion. Et l'humanisme de Shimizu se fait plus fort encore lorsqu'il incorpore dans son film des idées glanées au hasard du tournage: l'anecdote la plus célèbre est cette rencontre entre l'équipe et des travailleurs Coréens, une minorité peu considérée à cette époque. Elle a débouché sur le tournage d'une scène dans laquelle lors d'une pause à l'entrée d'un tunnel, M. Merci discute avec une jeune femme Coréenne qui lui explique qu'elle ne le verra plus, car le chantier auquel elle participait est fini, et elle va devoir participer à une autre construction dans la montagne. La scène était imprévue et l'actrice n'en est pas une...

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans Hiroshi Shimizu Comédie Criterion
14 octobre 2018 7 14 /10 /octobre /2018 16:25

L'historienne Lotte Eisner a longtemps été la principale autorité sur tout ce qui concerne le cinéma Allemand, mais ça, c'était avant: avant qu'on puisse disposer de certains films à la maison. Il me semble que l'oeuvre de sa vie a été de réécrire l'histoire glorieuse de Fritz Lang, à la lumière de ses souvenirs sur les films eux-mêmes, de ce que Lang en a dit, mais aussi d'un parti-pris malhonnête, qui lui a fait constamment prendre parti pour le metteur en scène de Metropolis contre celui de Nosferatu, car s'il y a un réalisateur qu'Eisner ne pouvait pas encadrer, c'est clair qu'il s'agit bien de Murnau. Quoi qu'il en soit, la thèse quasi officielle sur ce film, le dernier réalisé en Allemagne avant son exil Californien (en passant par Paris) par Lang, est qu'il s'agit d'une oeuvre géniale et anti-nazie, totalement visionnaire, dans laquelle Lang aurait mis les mots d'Hitler dans la bouche d'un fou criminel... Ce qui est faux. Car si le film est visionnaire, c'est qu'il anticipe sur le chaos, sans jamais en nommer les responsables, comme dans M et dans le Mabuse de 1922.

On passe sur les mensonges du cinéaste, qui se représente quasiment poursuivi par les sbires de Goebbels à la suite d'une entrevue avec le chef de la propagande d'Hitler: c'est vrai que Goebbels qui admirait Lang, et n'aimait pas du tout son dernier film, a néanmoins proposé au metteur en scène de prendre en mains la destinée du cinéma Allemand. C'est également vrai que Lang, décontenancé, n'a pas su quoi lui dire. C'est toujours aussi authentique que le metteur en scène est alors parti aux Etats-Unis, laissant derrière lui un risque sérieux lié à ses propres origines, mais aussi ses amis Thea Von Harbou et Rudolf Klein-Rogge, qui eux allaient se comporter en bons petits Allemands bien comme il faut dans les douze années à venir. Mais l'entrevue et la fuite n'ont pas eu lieu, comme le prétend le metteur en scène, le même jour, ni d'ailleurs la même semaine; le processus de départ s'est étalé dans le temps, sur plusieurs semaines. Ce qui est vrai en revanche, c'est que Seymour Nebenzal, de Nero Films, a bien laissé carte blanche en 1932 à Lang pour réaliser un film qui serait la suite de Dr Mabuse Der Spieler, son film emblématique de 1922; et pendant ce temps, l'auteur des romans d'origine Norbert Jacques devait lui aussi broder sur les mêmes idées que Lang et sa scénariste Thea Von Harbou, pour un "Testament" qui est parait-il fortement éloigné du film...

Dans ce film, on suit des péripéties autour de la découverte d'une mystérieuse bande de bandits au chef mystérieux, et de leur impressionnante faculté à déjouer les plans de la police. Lang et Von Harbou orchestrent leur intrigue autour d'un certain nombre d'éléments: la tentative de fuite d'un ancien policier (Karl Meixner) qui souhaite se réhabiliter, mais qui craint pour sa vie d'autant qu'il connait, lui l'identité du maître du crime; les aventures d'un bandit amoureux (Gustav Diessl) qui souhaite s'en sortir, mais va avoir du mal à rejoindre sa petite amie; la façon dont le commissaire Lohmann (Otto Wernicke) mène l'enquête à partir d'un puzzle... Le tout étant saupoudré de scènes liées au professeur Baum (Oscar Beregi), le directeur de l'institution mentale dans laquelle le criminel Dr Mabuse (Rudolf Klein-Rogge), a été enfermé lors de son arrestation. Baum, fasciné par le Docteur, prétend que les papiers que le criminel fou noircit jour après jour, sont le secret de son esprit...

A partir de ces éléments en apparence disjoints, Lang organise une histoire à l'unité indéniable, grâce en particulier au truc qu'il affectionnait tant depuis Mabuse: créer un lien entre deux scènes, deux espaces, deux séries de personnages en apparence sans rapports entre eux, par la simple grâce d'un mot, d'un geste, d'un montage précis. Chaque fois qu'nu personnage demande "qui est derrière tout ça?", le plan suivant nous répond. dans ces conditions, bien sûr, il est difficile de ne pas voir très vite qui est réellement derrière tous ces crimes, mais Lang, toujours dans la lignée de son maître Feuillade, n'est pas là pour l'énigme, plus pour le frisson du suspense, et bien sûr l'écheveau d'images, de signes qu'est son film. Il prend un plaisir évident à réaliser une oeuvre totalement distrayante, à la mise en scène parfaite... Sans pour autant, bien entendu, se contenter de réaliser un film de genre.

Les nazis ont interdit ce film: est-ce uniquement parce qu'il avait été produit par Nebenzal, ou y ont-ils vu les éléments dont Eisner prétendait qu'ils faisaient l'intérêt du film? Je pense que la vérité serait entre les deux: il n'y a finalement pas, dans ce film pas plus que dans M, du reste, de référence directe aux nazis, juste une atmosphère particulière: comme dans M, on nous montre une Allemagne en proie à la crise, mais dans laquelle la vie continue, et le commissaire Lohmann, limier fin mais débonnaire, a surtout envie qu'un jour on puisse le laisser aller au spectacle sans l'embêter avec un crime ou un cambriolage... Mais dans l'ombre, un criminel tisse une toile inquiétante, et d'une façon d'autant plus effrayante qu'il semble n'en rien retirer d'autre que le chaos. Au Mabuse de 1922, qui assurait sa toute puissance en s'installant dans l'esprit de chacun par l'hypnose, mais devenait riche au passage, le Mabuse de 1933 est plus ambigu encore. Les bandits le demandent, d'ailleurs: pourquoi on fait tout ça si ce n'est pour avoir de l'argent? 

Visait-il le nazisme, ou tout simplement voulait-il s'en prendre au mal dans toute son acceptation? Lang avait déjà fait en 1922 le portrait d'une Allemagne malade, qui se jette dans les bras ouverts d'une classe de profiteurs, qui gangrenait déjà toutes les couches de la société: policiers comme bandits y portaient les mêmes smokings. L'Allemagne de 1933, nous dit-il, est encore plus malade, et il met en garde de façon assez claire les gens sans conscience, les hommes trop faibles (Baum qui va être "envahi" par l'étrange prose de Mabuse) comme les quidams qui vivent leur vie sans se soucier des autres (n'as-tu pas un chèque tous les mois? Alors de quoi te plains-tu?): son film est un étrange conte, d'ailleurs, dans lequel tout revient sans cesse au point de départ, à un message qu'on a empêché un homme de délivrer à la troisième minute, qu'il réussit finalement à donner à son destinataire à la fin. Une sorte de boucle sans queue ni tête, presque, dont les scènes se succèdent par la grâce de liens logiques, mais aucun de ces liens n'est vraiment chronologiques...

...Sauf l'histoire de Lilli et Kent: ils sont bien mignons, d'ailleurs, ces deux-là. Mais si Lang les a intégrés à son histoire, c'est qu'il a décidé de donner du suspense à son public, à travers une formidable scène de tension dramatique. Car la très bonne nouvelle, c'est que si Lang est un cinéaste inquiet, désireux d'éveiller le public à son malaise, sans pour autant pointer du doigt vers le ou les responsables, il le fait avec génie, à travers une histoire riche en péripéties: poursuites, explosions, mystère garanti. Et il le fait aussi pour la dernière fois, car après ce film, Lang ne fera plus un seul film en totale liberté. Ni en France, ni aux Etats-unis, ni en Allemagne (où il ne tournera d'ailleurs que deux films d'une platitude affligeante, si vous me demandez mon avis)... Dans ces conditions, je pense qu'il était pertinent pour le metteur en scène de faire appel à Otto Wernicke, le commissaire de M: il lui permettait de faire se rejoindre son chef d'oeuvre formel de 1931, et sa grande fresque de 1922, en une seule et même oeuvre à tiroirs. 

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Fritz Lang Criterion
30 août 2018 4 30 /08 /août /2018 17:16

Tom Jones, né enfant illégitime (mais de qui? La question, elle, est légitime mais n'a pas vraiment de réponse totalement satisfaisante...), est élevé par le très digne (et insoupçonnable) Allworthy, le bien nommé. Si Tom a donc une éducation proche de celle d'un lord, il a aussi des opportunités, notamment auprès des dames... C'est donc à une suite d'aventures plaisantes, cocasses, coquines, ribaudes, et j'en passe, que nous invite ce film, de coup de théâtre en renversement de situation.

Tony Richardson a fait partie de ceux qui ont fondé une autre nouvelle vague, Britannique celle-ci, largement dominée par des films sur la classe ouvrière... Jusqu'à ce Tom Jones, qui a non seulement eu un énorme succès, mais a aussi raflé l'Oscar du meilleur film cette année-là! De la vague nouvelle française, Richardson a pris deux choses: d'une part, un refus de la recherche de perfection, afin de laisser respirer son film; d'autre part, il se livre à des petits jeux de narration réjouissants, et s'interdit de s'interdire quoi que ce soit. Il brise avec allégresse le quatrième mur, et ose en permanence improviser...

Richardson, entouré d'acteurs compétents, voire géniaux, a des idées qui vont au-delà de ces quelques transgressions formelles, et a surtout une histoire à raconter. Il se base sur un roman picaresque, un classique de la littérature populaire britannique: Tom Jones, a foundling, de Henry Fielding, est publié en 1749, et comme on s'en doute, c'est un roman haut en couleurs, qui jette le flegme britannique par dessus les orties, sans se priver le moins du monde... Et c'est un film qui vient du pays dont Truffaut, célèbre représentant d'une autre nouvelle vague, a dit un jour qu'il était incompatible avec le cinéma.

...Du reste, le film aussi fait souvent fi des convenances, qui anticipe de quelques années la grande explosion du swinging London. Tony Richardson et son casting se livrent à une petite révolution qui a le bon goût de savoir occasionnellement s'arrêter («par respect des bonnes mœurs et de notre censeur», nous dit clairement la voix off) et donc pourra être entendu jusqu'au bout, sans crainte de dame Anastasie. Mais ce qu'il nous raconte est finalement l'inéluctabilité d'une révolution des mœurs, et bien sûr de la libéralisation sexuelle qui allait venir. L'introduction du film est un film muet, avec intertitres, les personnages nous parlent parfois, nous regardent souvent, les arrêts sur image appuyés sont légion: c'est raconté d'une façon hilarante, interprété par Albert Finney, Susannah York, Hugh Griffith (parfois tellement saoul sur le tournage qu'il a fourni des cascades involontaires), Jack McGowran, Joan Greenwood et David Warner... bref: j'en redemande.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Criterion
19 août 2018 7 19 /08 /août /2018 09:54

Un seigneur Japonais, soupçonné d'entretenir le chaos et la sédition car il est bon avec ses sujets, est destitué. Il doit partir en exil, et sa famille est forcée de le quitter. Tamaki (Kinuyo Tanaka), son épouse, part donc sur les routes en compagnie d'une domestique fidèle et de leurs deux enfants, le garçon Shizu et la fille Anju. Leur situation, précaire, ne s'améliore pas lorsqu'un décret interdit aux particuliers d'accueillir des inconnus... Ils trouvent pourtant refuge auprès d'une vieille femme, mis c'est un piège: le lendemain, des pirates enlèvent Tamaki et livrent Shizu et Anju à un intendant, le cruel Sansho (Eitaro Shindo). Celui-ci va les exploiter, comme esclaves. Ils vont grandir: Shizu (Yoshiaki Hanayagi), qui fait rigoureusement ce qu'on lui demande, va-t-il devenir à son tour un bandit? Ou Anju (Kyoko Kagawa), qui n'a jamais renoncé à fuir, va-t-elle lui permettre de garder son humanité, et de retrouver le désir de liberté? Pendant ce temps, Tamaki devient une courtisane, mais ses jours ne sont-ils pas comptés?

Il faut toujours savoir se méfier des chefs d'oeuvre officiels... Pourtant, Sansho Dayu est un grand film, qui a gagné le lion d'or à Venise: la troisième fois consécutive pour son metteur en scène, Kenji Mizoguchi, un cas unique dans l'histoire du festival... Bon. Et ce film totalement ancré dans on œuvre brasse des thèmes importants, notamment celui de la résilience de l'homme, de la souffrance des femmes, et de l'injure qui leur est parfois faite avec la bénédiction de la loi. Après les années de guerre et de troubles divers (qui durent depuis bien longtemps au japon), le questionnement est pertinent. Mais si la première moitié du film ne souffre d'aucun défaut, c'est lorsqu'on se concentre sur le personnage de Shizu que le bât blesse. Celui qui revient progressivement à la vie, qui prend en charge son destin, et qui va finalement retourner la situation pour réparer, au moins partiellement, une injustice, n'était à mon avis pas le plus intéressant, et il suffit de voir le traitement accordé par le réalisateur au suicide de Anju, pour constater qu'il aurait sans doute lui aussi été plus intéressé par ce personnage, femme forte, véritable moteur de la rébellion de son frère, et dont le sacrifice va être l'élément déclencheur du retour de Shizu à sa mère...

Donc, le film est hélas redondant, dans sa dernière demi-heure en particulier. Ce qui n'enlève rien bien sûr à la force du message, qui condamne toute attaque à la liberté, et scrute avec une certaine franchise les comptes du passé Japonais, et de ces époques médiévales qui s'accommodaient si bien de l'esclavage, de la prostitution, et de tous les mauvais traitements qui y sont liés. Et Mizoguchi utilise la nature avec génie, contrastant les premières séquences de la fuite en famille (tournées en studio, donc avec une nature sous contrôle), et les scènes de captivité des enfants, situées après la séparation (tournées en décors naturels, et d'un grand réalisme selon la tradition du film de période). C'est superbe, bien sûr... Mais je continue à préférer à cette belle reconstitution, le conte intérieur d'Ugetsu, ou le réalisme urbain de Akasen chitai. Question de goût, je suppose... Et peut-être aussi Mizoguchi visait-il directement et sciemment son troisième Lion d'or...

 

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Published by François Massarelli - dans Kenji Mizoguchi Criterion
12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 12:48

Rouge est le troisième film de la trilogie  imaginée par Kieslowski, avec son complice Piesewicz: représenter, à travers trois films et trois héros ou héroïnes, les concepts de liberté (Bleu), égalité (Blanc) et Fraternité (ce dernier film donc). Fêté par tous les critiques, il a semble-t-il été victime du battage médiatique unanime qui l'a entouré, et n'a pas obtenu la Palme d'or que tous lui prédisaient. Une leçon à retenir, sans doute, mais Kieslowski l'a interprétée comme un coup d'arrêt, puisqu'il a arrêté le cinéma peu de temps après...

Le film commence comme les deux précédents par un mouvement, celui des ondes qui voyagent d'un téléphone à l'autre, depuis l'Angleterre jusqu'à Genève. On les suit, et le téléphone va jouer un rôle considérable dans cette histoire qui tourne autour de la fraternité, mais aussi des liens entre les êtres... Les deux personnages en sont d'une part Valentine, une jeune modèle (Irène Jacob) fiancée à une homme extrêmement jaloux et compliqué qui vit de l'autre coté de la Manche, et d'autre part Joseph Kern, un vieux juge (Jean-Louis Trintignant) retraité et misanthrope, qu'elle rencontre et qui passe le plus clair de son temps à écouter les conversations téléphoniques de ses voisins. Une intrigue apparemment secondaire nous intéresse à Auguste, un jeune juge (Jean-Pierre Lorit) qui a une relation avec une jeune femme de deux ans son aînée (Frédérique Feder), mais elle le trompe... Valentine et Auguste, que la caméra rapproche aussi souvent que possible dans de virtuoses plans-séquences, sont faits l'un pour l'autre, et le destin, sous la forme du vieux juge qui a un faible pour Valentine, va précipiter les choses... 

Kieslowski était très fier de ce dernier film, qui aborde une foule de sujets, et revient en les raffinant sur un certain nombre de traits déjà vus dans les deux films précédents mais aussi dans La double vie de Véronique: ainsi Auguste et le vieux juge sont ils présentés par l'auteur comme un seul et même homme: même relation amoureuse compliquée, suivie de fuite en Angleterre, même circonstances aussi durant lesquelles ils ont obtenu de devenir juges... et logiquement, Valentine sera un point commun entre eux elle aussi. Sinon, après tant d'années et de films à montrer des personnages (Weronika, Julie dans Bleu, puis Karol dans Blanc) assister sans pouvoir -ou vouloir- l'aider au triste spectacle d'une vieille dame qui essaie de placer une bouteille dans un container destiné au recyclage du verre, Valentine va l'aider, et triompher de la difficulté. Le thème de la fraternité est abordé de multiples façons: obsédée par le problème du mal-être de son frère qui l'a conduit à l'héroïne, Valentine est aussi celle qui va tenter de contrer le cynisme du vieux juge en essayant de le persuader qu'il a tort d'espionner ses voisins, et d'ailleurs elle va au moins réussir à le faire revenir à la vie...

Valentine partage avec les autres héros de Kieslowski le fait d'avoir une histoire de famille compliquée, et de ne pas savoir organiser les choses pour revenir au calme et à la simplicité: elle affronte d'ailleurs deux tempêtes dans le film: celle qui va couler le ferry-boat dont elle réchappera en compagnie des autres héros de la trilogie, mais aussi le fait que son frère s'enfonce dans la spirale de l'héroïne, délaissant de plus en plus sa mère. Mais celle-ci habite à Calais: comme Julie (Bleu) impuissante devant la maladie de sa mère, Valentine a fui, loin de sa famille dont elle assiste à distance à la destruction programmée... Le film raconte comment elle va commencer à se prendre en charge pour aider les autres. Un chien, par exemple, puis un vieil homme qui bien besoin d'un coup de pied aux fesses...

Rouge aborde de fait non seulement le thème de la fraternité à travers les mésaventures d'un certain nombre d'êtres humains, mais il est aussi l'histoire d'un vieil homme qui assiste à d'autres vies, sans les juger, en ayant le sentiment de ne pas avoir vécu comme il le voulait. C'est à Trintignant que revient le final, avec ce plan du vieux juge souriant face à une de ses fenêtres brisées par ses voisins, une larme sur la joue, après qu'il ait vu l'une des images les plus belles, mais aussi les plus énigmatiques du cinéma de Kieslowski... 

Unique point commun visible entre Rouge et les deux autres films, l'épilogue durant lequel un ferry coule, avec à son bord les héros de chacun des films, ainsi réunis pour un sauvetage télévisé: sont enfin réunis, Julie et son collaborateur et amant Olivier, Karol et Dominique, et bien sur Valentine et Auguste... Sans doute le film souffre-t-il de venir en queue de peloton, et d'avoir été peut-être un peu trop mûri: mais on ne va pas se plaindre de la virtuosité d'un cinéaste passionnant, qui aime à jouer avec son spectateur comme aucun autre artiste ne le fait.

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Published by François Massarelli - dans Krzysztof Kieslowski Criterion
12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 12:37

Le deuxième film de la trilogie 'européenne' Trois couleurs de Krzysztof Kieslowski commence par une énigmatique vision, celle d'une grosse valise véhiculée sur un tapis roulant dans un aéroport... un point commun entre les trois films, celui de commencer par un mouvement lié à une idée-clé du film. La valise, symbole à la fois du voyage, du dénuement, du déracinement, et de la ressource du personnage principal, s'imposait...

Blanc partage une scène avec Bleu, dans un tribunal au début du film; dans le premier film, Julie cherche une personne au tribunal, ouvre une porte et interrompt brièvement une audience: on aperçoit donc Juliette Binoche dans Blanc, qui interrompt l'audience du jugement de divorce de Karol Karol (Zbigniew Zamachowski) et Dominique (Julie Delpy)... Blanc aborde le thème de l'égalité sous l'angle... de l'inégalité! Karol est venu à Paris, mais tout autour de lui se casse: son épouse divorce parce qu'il n'est plus capable de la satisfaire sexuellement, elle garde tout, il perd son salon dans des circonstances peu glorieuses, et par dessus le marché, il ne comprend rien à rien... il retourne en Pologne, ou la malchance continue brièvement, avant que les rôles ne se renversent. Puisqu'il ne peut conquérir son épouse par l'amour, il choisit de la faire venir d'une autre manière, et va prendre effectivement le dessus sur elle.

Le film est une comédie, comme l'était du reste Décalogue X, la précédente collaboration de Kieslowski avec Zamachowski; ce dernier s'appelle Karol Karol, ce qui revient selon Kieslowski à l'appeler doublement comme Charles... Chaplin. La photo du film est baignée de blanc, mais ce film central du dispositif est aussi marqué par un nombre incroyable d'objets bleus et rouges... les bleus revoient le plus souvent au passé (Paris et l'échec du mariage), les rouges à l'avenir: lors de sa rencontre dans le métro Parisien avec Mikolaj, l'ami qui va lui permettre de retourner à Varsovie, ce dernier porte une écharpe rouge; à Varsovie, quand ils se retrouvent, Mikolaj a brièvement une écharpe bleue, qui redevient rouge lorsque les circonstances s'améliorent; la maison du frère de Karol (Jerzy Stuhr, vieux complice depuis L'amateur en 1979, et qui jouait déjà avec Zamachowski dans Décalogue X) est envahie d'objets rouges aussi: le drap dans lequel Karol se remet de ses émotions, l'évier... Le film est au centre de la trilogie, et Kieslowski nous le rappelle constamment.

La deuxième citation de Bleu est un gag, qui donne le ton satirique du film: lors d'une scène d'amour, Dominique a (Enfin!!) un orgasme. Fondu au blanc, comme lors des épiphanies de Julie, et l'écho du gémissement tient lieu de musique. Sinon, tout comme l'expérience douloureuse de la liberté dans Bleu, ce nouveau film tend à démontrer que Karol et Dominique sont condamnés à l'absence d'égalité: si Dominique méprise le Karol Parisien, ce dernier une fois revenu en Pologne a trouvé un moyen définitif de la conserver... prisonnière! Le dernier plan montre Karol qui pleure en contemplant avec ses jumelles la femme qui l'aime, dans une cellule de prison, qui lui dit avec le langage des signes qu'elle l'aime aussi... Une fin délicate pour un film dans lequel Kieslowski retrouve sa jeunesse, avec un vrai sens de l'humour iconoclaste qu'on lui reconnait assez peu!

Ce film est peut-être, de toutes les dernières oeuvres de Kieslowski, la plus pure, ou en tout cas celle avec laquelle il réussit à aller au bout de son propos avec le plus d'aisance. Le langage, sans doute, et aussi cette atmosphère particulière des scènes Polonaises, à la fois ouatées (c'est l'hiver!) et d'un réalisme sordide, l'aident dans sa démarche. Et puis tous les acteurs sont excellents, au service d'une tragi-comédie au ton si particulier...

Reste, pour les maniaques, une interrogation: comment Karol Karol, supposé mort mais bien vivant, et Dominique Vidal, son épouse accusée de son meurtre, vont-ils se sortir de cette situation et se rendre capables de prendre le fameux ferry dans la Manche, dont ils échapperont au naufrage dans le film Trois couleurs: Rouge? Nous ne le saurons bien sûr jamais...

 

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Published by François Massarelli - dans Krzysztof Kieslowski Criterion
12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 12:27

En 1994, au moment de sortir le dernier film de sa trilogie Européenne, Kieslowski est sans doute épuisé: il vient, depuis 1987, de sortir pas moins de 14 films, dont cinq sous le format de long métrage, et a été le centre de l'attention cinématographique, en France mais aussi à l'étranger. Les festivals se le sont arraché, il est consacré grâce au Décalogue, à La double vie de Véronique, vu et apprécié un peu partout, et presque muséifié grâce à une triplette extravagante de longs métrages... Mais il y a des ombres au tableau. Comme Pedro Almodovar ces derniers temps, Kieslowski ne recueille pas à Cannes la symbolique mais convoitée Palme d'or pour Rouge. Trop attendue? Peu importe. En tout cas, il annonce un peu partout qu'il ne fera plus de cinéma, et de fait tiendra parole puisqu'il décédera deux ans plus tard; trop tôt, cela va sans dire... Aujourd'hui, la trilogie est sans doute son oeuvre la plus "grand public", la plus connue, et la plus diffusée. Et les trois films ultimes de ce créateur obsédé par les séries (Le hasard et ses multiples possibilités, le Décalogue et ses dix films, ou encore la Double vie de Weronika et Véronique...) sont aussi bien visible comme des films indépendants les uns des autres que comme trois parties d'un tout.

A l'origine, Krzysztof Piesewicz son co-scénariste et Kieslowski ont basé leur idée initiale sur une erreur naïve: ils attribuent aux couleurs du drapeau Français des associations avec les trois concepts de liberté, égalité et fraternité, et se lancent donc dans trois scénarios basés sur ces concepts. Le producteur Marin Karmitz les a éclairés sur cette erreur, mais les a aussi laissé faire. Si chacun des films peut donc être visible en toute indépendance, ils ont été tournés sur quinze mois en une seule traite, par ordre d'arrivée. Ils ont aussi un grand nombre de points communs, tant conceptuels que structurels: un début sous forme de mouvement, une fin qui tourne autour d'un motif, un des personnages qui pleure, face à une vitre ou un obstacle, à l'issue d'un changement drastique, ou d'une épiphanie; trois héroïnes, aussi: Juliette Binoche, Julie Delpy et Irène Jacob, la muse de La double vie de Véronique. Et sinon, Zbigniew Preisner revient à la composition, comme toujours depuis Sans fin en 1985... Mais les trois films auront aussi des spécificités: Slawomir Idziak est le directeur de la photo de Bleu, Edward Klosinski celui de Blanc et enfin Piotr Sobocinski celui de Rouge: Kieslowski renoue ainsi avec la tradition du Décalogue dont neuf directeurs de la photographies assurent les images... Compte tenu des délais, deux monteurs assureront le travail: Jacques Witta pour Bleu et Rouge, et Ursula Lesziak pour Blanc. Pour ce dernier film, tourné en majorité en Polonais, il importait sans doute à Kieslowski de s'assurer la collaboration d'un monteur qui connaisse la langue... et donc, dernier point de divergence entre les films, Bleu a été tourné en France, notamment à Paris, Blanc a Paris et en Pologne, surtout à Varsovie, et Rouge à Genève pour la plus grande partie...

Bleu commence par une séquence durant laquelle on voit une voiture, sur une autoroute... Puis sur une route de Campagne ou elle a un accident. On apprend ensuite que des trois occupants, deux sont morts: Patrice de Courcy, compositeur, et sa fille. La veuve, Julie, va donc décider après une tentative pathétique de suicide, de tirer un trait sur tout: la musique de son mari, dont une oeuvre importante était en cours d'achèvement, la maison, les souvenirs... Elle va faire l'expérience d'une vie de liberté totale, sans attache, sans famille, et va surtout constater à quel point cette liberté à l'écart de toute attache affective est contraire à l'être humain. Le film se veut son parcours, et le personnage principal ayant tendance à étouffer ses émotions, il est le plus froid des trois...

Les efforts de Juliette Binoche pour se détacher de tout et de tous seront difficiles, puisqu'elle devient copine avec une prostituée pétillante (Charlotte Véry) qui fait elle aussi l'expérience amère d'une certaine liberté, qu'elle se lie avec Olivier (Benoît Régent), un ancien collaborateur de son mari, qu'elle visite sa mère (Emmanuelle Riva), victime d'un Alzheimer manifeste, ironique quand on pense au désir de Julie d'oublier; enfin, elle va rencontrer une femme (Florence Pernel) qui a partagé l'intimité de son mari, et qui attend un enfant de lui.

Personnage du drame, la musique de Preisner prend énormément de place, et ce n'est peut-être pas son chef d'oeuvre. Mais le film est fascinant par le jeu des sens, de la subjectivité qu'il déploie. Et il est sans doute l'oeuvre la plus virtuose de son auteur, avec ces moments ou, tout benoîtement, le réalisateur semble "débrancher" son héroïne, qui se laisse envahir par le souvenir, ce qui est suivi d'un fondu au noir, accompagné par de la musique. Bleu marque aussi par l'utilisation de cette couleur, réservée le plus souvent aux objets qui forgent un lien avec le passé, notamment les objets liés à la fille de Juliette Binoche (Un lustre, une sucette trouvée dans un sac). Le film se conclut sur un plan de l'actrice, seule face à une vitre et envahie par l'émotion, elle a enfin réussi à faire son deuil de la mort de ses proches, mais aussi de son expérience hasardeuse de la liberté...

 

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Published by François Massarelli - dans Krzysztof Kieslowski Criterion
2 juillet 2018 1 02 /07 /juillet /2018 17:07

Pour son deuxième film à la Paramount, Lubitsch a une mission délicate: faire oublier quelques échecs ou semi-échecs embarrassants (Eternal love, en particulier, son dernier film muet réalisé en indépendance totale), d'une part; d'autre part intégrer de façon intelligente le médium du cinéma parlant, à l'heure où bien des metteurs en scène du muet voient leur poste remis en question par les studios... Et enfin, relancer sa carrière. Ce sera une triple mission accomplie, assortie du lancement de pas moins de deux stars: Maurice Chevalier, paradoxalement, et Jeannette MacDonald...

Mais tant qu'à faire, le metteur en scène va aussi créer de toutes pièces un nouveau genre, à l'heure où le musical végète d'une façon misérable, de films-revues en fausses comédies musicales qui mélangent numéros de music-hall joués dans l'intrigue, et mélodrame plus ou moins bien fichu: Lubitsch, avec The love parade, va inventer un genre totalement nouveau de film-opérette dans lequel il va intégrer la musique, la chanson et dans une moindre mesure la chorégraphie à la continuité filmique: à l'exception des musicals de la Warner qui vont perdurer avec génie, tout le genre viendra désormais en droite ligne de ce film...

Cette "parade d'amour" raconte donc les aventures coquines de la reine Louise de Sylvania (MacDonald) , qui après tant d'années à hésiter, a enfin trouvé l'âme soeur en la personne du beau comte Alfred (Chevalier), de son patronyme seyant Renard. Mais si l'alchimie entre les deux est indéniable, le prix à payer pour Alfred est trop grand: abandonner sa masculinité afin de devenir le prince consort ne va pas aller sans être compliqué...

N'y cherchons pas un message, juste une série de variations géniales sur le thème de la friponnerie la plus pure; avec ses personnages (auxquels il convient d'ajouter Jacques, le valet joué par Lupino Lane) et sa situation, son monde à deux vitesses (les nobles et les domestiques) qui avancent de concert, et la science du sous-entendu, associée non seulement à la suggestion de l'image, mais aussi au pouvoir du langage, fait absolument merveille.

Sans parler du fait qu'avec Chevalier et MacDonald, n'en déplaise aux détracteurs de l'un et de l'autre, Lubitsch a trouvé deux interprètes fantastiques: Chevalier est doté d'un timing impeccable et d'un talent incroyable pour faire passer tout ce qui n'est pas dit dans les sous-entendus, ce que Wilder saura rappeler dans le brillant Love in the afternoon; et MacDonald n'a pas son pareil pour assumer totalement de jouer un personnage de friponne au désir bien chevillé au corps.

Bref, avec cette Love Parade, Lubitsch effectue sans doute la plus décisive de ses métamorphoses...

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Ernst Lubitsch Musical Pre-code Criterion