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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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26 janvier 2013 6 26 /01 /janvier /2013 15:48

Terre qui flambe est le onzième film de Murnau, situé entre deux autres films majeurs: Nosferatu, tourné au printemps 1921 mais sorti seulement quelques jours avant ce nouveau film, et Phantom qui occupera le metteur en scène durant l'automne de cette même année 1922. Le film est aussi le deuxième opus d'un ensemble de trois films dits "paysans", tant vantés par l'historienne Lotte Eisner qui y voyait le sommet de l'oeuvre de Murnau. Les deux autres (Marizza et Die Austreibung, "L'expulsion") étant perdus à l'exception de la première bobine de Marizza, il ne nous reste que celui-ci pour nous faire une idée. de prime abord, on peut assez facilement s'égarer en trouvant Nosferatu et ce film très dissemblables; cest au mieux une fausse piste, au pire une grosse bêtise... Ces deux films sont de toute évidence les créations du même homme, un Murnau enfin arrivé, après seulement quatre années de travail dans le cinéma, à un sommet de son art. Produit partiellement par l'incontournable Erich Pommer, le film bénéficie de trois noms de scénaristes au générique: Willy Haas, Arthur Rosen, et Thea Von Harbou. On y repère aussi Rochus Gliese, dont le talent de décorateur sera de nouveau mis à profit par Murnau dans Die Austreibung, Les finances du Grand-Duc, et bien sur Sunrise. C'est d'ailleurs l'un des aspects les plus remarquables de ce film qui sert, après Nosferatu et avant Tartuffe, Faust et Sunrise, à définir au mieux le rapport unique de Murnau avec l'espace filmique et les décors, son organisation du cadre et son utilisation inventive de la profondeur de champ...

 

Le vieux Rog (Werner Krauss), un paysan, va mourir; il a auprès de lui son fils Peter (Eugen Klöpfer), mais son autre fils Johannes (Wladimir Gajdarov), parti à la ville, se fait attendre. Il arrivera trop tard... Et restera à peine, ayant mieux à faire: il veut s'installer au plus près d'un potentat local, le voisin des Rog, le comte Rudenburg (Edward Von Winterstein). Celui-ci passe son temps à déserter son pigeonnier, au sommet de son chateau pour se livrer à une inspection minutieuse et fiévreuse d'une de ses terres, le "champ du Diable", qui le fascine sans que quiconque puisse le comprendre... L'ambitieux Johannes va vite devenir le secrétaire particulier du comte tour en courtisant sa fille Gerda (Lya de Putti). Mais il va vite apprendre que la raison de l'obsession du vieil homme pour le "champ du diable" est que le sous-sol en regorge de pétrole. Lorsqu'il assiste le comte pour modifier son testament, il apprend que le vieillard lègue l'ensemble de sa fortune à Gerda, à l'exception de son "champ du diable" et du chateau, qu'il laisse à sa deuxième épouse Helga (Stella Arbenina). Johannes entreprend donc immédiatement les travaux d'approche afin de séduire la comtesse...

 

Deux mondes ici se regardent sans vraiment s'affronter. Le chateau et la ferme des Rog sont deux univers qui sont séparés par leur appartenance à des classes différentes, mais on a envie d'ajouter que la façon dont les humains y sont traités est également un important facteur de différence. Les Rog, à l'exception de Johannes, sont respectueux, directs, et semblent-ils soudés. Les employés y mangent à la même table que les employeurs, et Peter Rog, le patron en titre, après le décès de son père, demande la main d'une bonne, la petite Maria (Grete Diercks). Mais celle-ci aime Johannes qui a méprisé son amour, et comme elle le dit, elle a accepté de souffrir pour lui. Au chateau, en revanche, les gens de maison sont relégués au sous-sol, et seule la comtesse fait un effort pour les approcher... pour le comte, pour sa fille, et bientôt pour Johannes Rog qui va évidemment habiter le chateau après le mariage de la comtesse, le chateau deviendra le symbole non seulement de sa réussite, mais surtout d'un tremplin vers de meilleures situations, puisqu'il entend ne pas s'arrêter en si bon chemin, visant à devenir avec son gisement de pétrole un interlocuteur privilégié du gouvernement...

 

C'est le sens d'un film dont la décoration est extrêmement variée, aidée en cela par un découpage qui passe de façon unique d'une pièce à l'autre, d'un lieu à l'autre: la ferme Rog, le chateau, le champ du Diable et sa chapelle maudite (De tout temps le lieu a eu la réputation d'être hanté par le diable depuis qu'une explosion bien compréhensible - le pétrole- a semble-t-il oté toute fertilité à son sol.), les bords désolés et enneigés d'une rivière gelée, mais aussi un riche salon dans lequel on a convié Johannes Rog pour lui faire miroiter un futur prestigieux... les extérieurs tranchent par leurs grands espaces avec les intérieurs, avec leurs plafonds apparents, qui définissent dans un premier temps la classe sociale, mais qui jouent aussi un rôle pour enrichir plus avant le contraste entre les différents protagonistes: on remarque ainsi très vite la structure verticale du chateau Rudenburg, mise en relief par l'utilisation d'escaliers dans toutes les scènes. La comtesse doit descendre pour passer du temps avec les domestiques, et elle est la seule à la faire. De son côté, le comte s'est aménagé une pièce au plus haut, qui deviendra bien sur le repère de Johannes après qu'il se soit approprié le mariage... C'est de ce pigeonnier que le jeune homme verra brûler le champ de pétrole à l'issue du drame. A l'inverse, la ferme des Rog est un lieu dans lequel le niveau de toutes les pièces est le même, en écho à l'humanisme plus simple de ces gens. Les scènes d'escalier abondent, comme je le disais, avec des dimensions sociales (Descendre un escalier pour visiter les invités, ou les gens de maison, au moins brièvement), mais aussi parfois des connotations morales: ainsi lorsque Gerda, qui croit encore pouvoir se marier avec Johannes, découvre celui-ci dans les bras de sa belle-mère, elle est en haut d'un escalier...

 

La grande lisibilité du film est d'autant plus étonnante que le metteur en scène a pris le parti de multiplier les lieux et les points de vue; ainsi, le bord d'une rivière dans laquelle Helga va se jeter afin de se suicider lorsqu'elle aura enfin compris que son amour a été dupé par l'ambitieux Johannes, est-il vu selon un autre angle lors de la tentation de Johannes lui-même de se jeter à l'eau... Les plans du "champ du diable" se suivent et ne se ressemblent pas, et Murnau multiplie les scènes situées dans des lieux différents au chateau, mettant en lumière la richesse du lieu, mais aussi le dédale de possibilités, tant du niveau des rapports humains, que de celui des ambitions de Johannes Rog.

 

Johannes Rog, prédateur et ambitieux, utilise les femmes, et n'est pas éloigné d'un Nosferatu qui va utiliser l'agent immobilier Knock pour trouver une maison, et accessoirement avoir accès à Hutter, et va utiliser celui-ci pour accéder à Wisborg, puis à la femme d'Hutter, Ellen. Ici, Rog utilise Gerda, puis Helga, afin de mettre la main sur la fortune Rudenburg. Ce faisant, il va s'aliéner sa famille entière... On notera au passage que la façon dont le "héros" utilise les sentiments des autres ou s'assoit dessus (Maria) nous rappelle le destin peu glorieux de tous les couples de Murnau jusqu'ici... Helga et Johnannes sont un exemple particulièrement frappant de ratage conjugal caractérisé.

 

Ce film majeur sur l'homme et son environnement atteint une sorte de happy end, pas vraiment si joyeux que ça, puisque une femme s'est suicidée, que les ambitions d'un homme ont été réduites à néant, finisssant de donner à ses retournements affectifs la couleur de trahisons sordides et inutiles. Comme plus tard Lubota dans Phantom, Johannes Rog est un homme qui tourne en rond. le fait qu'il ait décidé d'agir, on le voit, ne fera que précipiter sa chute. Comme le comte Orlok dit Nosferatu, le jeune homme aura confondu un lieu avec son destin, et les êtres humains avec des moyens de parvenir à ses fins, entrainant la mort sur son passage, et aura par son comportement marginal détruit tout ce qu'il souhaitait construire. Dans ce film situé en plein hiver, plutôt qu'un fatal rayon de lumière, c'est le feu qui va tout nettoyer.

 

Ce film admirable a longtemps été compté parmi les films perdus de Murnau, avant qu'une copie soit miraculeusement retrouvée. La restauration en a été effectuée dans les années 90, nous permettant de mettre la main sur une pièce essentielle du puzzle de l'oeuvre de Friedrich Whilhelm Murnau: un film ambitieux, immense, qui prolonge dans le monde réaliste du drame la réflexion engagée sur Nosferatu, ce qui n'est pas rien. Après de nombreux mélodrames plus ou moins intéressants, Murnau a je pense trouvé sa voie avec ces deux films, une voie qu'il ne quittera plus jusqu'à Tabu. On se rappelle par ailleurs une phrase de Henri Langlois: «Ce sera l'un des crimes du XXe siècle d'avoir laissé détruire La Terre qui flambe de Murnau», et on a envie de se réjouir qu'il ait eu tort... Sauf que bien sur d'autres oeuvres, elles, n'ont pas refait surface. Dont, d'ailleurs, Four devils (1928), détruit par un incendie alors que la seule copie existante était entreposée... à la Cinémathèque Française, sous la responsabilité de Langlois, une ironie un brin méchante... mais ce n'est pas le sujet: Terre qui flambe est l'un des plus beaux films de Murnau, et il est aujourd'hui très compliqué à voir. Il faut que ça change.

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1922
26 janvier 2013 6 26 /01 /janvier /2013 09:11

J'émettais l'hypothèse, à partir de certains indices disséminés dans le précédent film de Tim Burton, Dark Shadows (Très probablement postérieur dans l'essentiel de sa confection à celui-ci, dont la post-production a du être bien longue), d'un retour aux sources conscient, qu'il me semblait important de faire pour le réalisateur tant ses films me semblaient devenir furieusement quelconques depuis Big Fish. Sympathiques, décalés, certes. Mais quelconques, moyens, voire franchement mauvais pour l'un d'entre eux. C'est donc avec plaisir qu'on accueille ce nouveau long métrage, triple retour aux sources en effet, et retour en forme, de façon évidente... Triple, puisque d'une part il s'agit d'un film d'animation (En volumes), renvoyant à ces années de formation durant lesquelles le jeune homme fantasque de Burbank apprenait un métier dans l'industrie locale: Disney; ensuite, retour à un univers qui lui est propre, situé entre la banlieue Américaine vue par des ados qui s'ennuient, et un monde d'horreur et d'épouvante, marqué par une fascination de la mort et un humour noir qui réussit à rester bon enfant, le monde donc de Beetlejuice; enfin, Frankenweenie est un remake de... Frankenweenie (1984), moyen métrage réalisé en prises de vues réelles par Tim Burton pour Disney qui servait de complément de programme pour je ne sais quel long métrage d'animation... ce retour aux sources est confirmé et souligné par un procédé auquel Burton a eu recours dans... Beetlejuice, Batman, Edward Scissorhands, Batman returns, Ed Wood, et Mars attacks!, consistant à détourner le logo du studio afin de le personnaliser et signer le film à la manière d'Hitchcock dans ses apparitions discrètes: Disney a laissé faire, c'est un signe...

Le film suit l'intrigue du moyen métrage original, soit les aventures d'un jeune garçon, nommé Victor Frankenstein. il habite dans la banlieue "middle America" (Et imaginaire) de New Holland, un paradis pour les parents, mais un ennui mortel pour les enfants, à moins qu'ils ne trouvent à s'occuper: des copains, éventuellement, des choses plus ou moins saines à faire, et dans le cas de Victor, des films, assemblés autour de son chien, le gentil Sparky, son seul compagnon. Ses parents, gentils aussi mais un peu benêts, le soutiennent dans cette activité artistique, mais le père soucieux tente de pousser son fils vers la normalisation via le base-ball; parallèlement, un professeur de sciences magnifiquement excentrique va demander aux élèves de travailler sur un projet scientifique, qui les passionne tous.

C'est dans ce contexte que Victor perd Sparky, à cause du base-ball d'ailleurs, lorsque le chien enthousiaste court après une balle, sans voir la voiture qui approche, et... le tue. Victor a donc tout perdu, mais le déclic viendra de son professeur de sciences, lorsque Victor rapprochera dans son esprit la perte de son chien d'une expérience de physique qui démontre qu'un choc électrique peut provoquer chez un individu mort des réflexes: il décide d'utiliser l'électricité pour "réveiller" Sparky. C'est un succès, mais les ennuis vont commencer: comment cacher un chien mort et ressuscité, à plus forte raison lorsque celui-ci aime gambader, farfouiller et draguer la caniche des voisins? Comment empêcher les autres enfants bizarres du coin de venir fouiner dans ses petites affaires quand on a un secret aussi encombrant? Enfin, comment échapper à la médiocrité lorsque les parents locaux sont des imbéciles qui se transforment en meute prête au lynchage à la première occasion, professeur de sciences trop original, ou chien fantôme...

 

L'univers de Tim Burton, ce n'est pas que ce superbe noir et blanc, cette obsession des codes du film d'épouvantes et les enfants qui se vautrent dans les expériences bizarres, non: c'est aussi une certaine façon de dépeindre l'Amérique moyenne, entre banlieue cossue et traditions loufoques, comme cette célébration de la commune dans laquelle une petite fille, par ailleurs saine d'esprit, se voit obligé d'entonner un hymne local à la grande satisfaction de son oncle, le maire sadique du lieu, qui lui impose de porter un chapeau orné de bougies d'anniversaire... C'est aussi un endroit ou, bien que peuplé d'immigrants (Le garçon Toshiaki, par ailleurs fourbe et un peu voyeur, doté d'une caméra en permanence), on se méfie des étrangers, d'où la vindicte populaire contre le professeur Rzykruski, accusé d'inventer des informations pour embêter les parents, comme cette relégation de Pluton, qui n'est plus considérée comme une planète. Lorsqu'on en est réduit à accuser les professeurs d'écrire les manuels afin de tromper les enfants, c'est qu'on n'est pas loin du fascisme et de l'autodafé. Mais en suivant le canevas de Frankenstein, c'est sur Sparky le gentil chien que la folie du lynchage va retomber, même si les expériences menées par les autres enfants vont toutes dégénérer, Sparky est, pour les adultes, l'étincelle de la folie destructrice des enfants... Bref, des gros crétins comme il en existe tant dans nos beaux pays.

Cet univers passe donc aussi par la description des enfants, qui dans ce film sont tous des laissés pour compte: Toshiaki, enfant d'imigrés Japonais, Edgar, bossu et difforme, une variation sur tous les assistants de Frankenstein depuis Dwight Frye, Nassor, un grand maigre qui ressemble à Boris Karloff, et va d'ailleurs finir en momie, une jeune fille très bizarre, qui interprète de façon embarrassante les crottes de son chat, un matou étrange, Elsa la jolie voisine, une nouvelle variation sur les personnages joués par Winona Ryder dans Beetlejuice et Edward (Et dont la voix est précisément celle de Winona Ryder, autre retour aux sources), et enfin Bob le garçon obèse: tous n'aiment pas vraiment Victor, certains sont méchants, mais tous ont une raison pour leur comportement: survivre à la banlieue. Ils vont se livrer, à l'imitation de Victor, à des expériences sur des animaux morts, qui vont tourner au désastre... Ces laissés-pour-compte sont l'anti-High school Musical par excellence... Tourné chez Disney.

Enfin, Burton retourne à l'un de ses péchés mignons, comme dans le moyen métrage original: le film est un démarquage de Frankenstein bien sûr, ce que les noms du héros, d'Elsa (L'actrice Ela lanchester était la "fiancée"), le caniche avec la coiffure d'Elsa Lanchester, la présence de Boris Karloff et de Christopher Lee (Vu dans un Dracula de la Hammer regardé à la télévision par les parents de Victor) et le final dans le vieux moulin, comme dans Sleepy hollow, rend aussi explicite que possible... Mais Burton renvoie à d'autres oeuvres, comme La momie à travers le personnage de Nassor, dont l'animal fétiche est un hamster mort emballé dans des bandelettes (Qui donne lieu à un gag sadique réjouissant à souhait), Godzilla grâce à l'apparition d'une tortue mutante et géante (Qui s'appelle Shelley... Duvall?), et Nosferatu dans un plan d'ombres d'enfants qui montent un escalier... Bref, on retrouve cette échappatoire constant vers le cinéma, tendance fantastique, afin d'oublier la médiocrité des gens et de la vie, sans pour autant adopter un ton trop décalé et trop cynique de M. Je-sais-tout comme il sied désormais dans les films pour enfants. Non, pour Tim Burton, cette histoire ne se conçoit qu'au premier degré...

L'animation est superbe, intégrant des marionnettes qui bougent de façon fluide, dans des décors soignés avec l'aide discrète mais à bon escient de 3D pour la finition. Les textures "bougent" parfois discrètement, comme dans King Kong ou dans Wallace & Gromit, ce qui est un choix de souligner la confection artisanale du film, qui manquait dans le trop lisse The corpse Bride. Et le design inspiré des dessins de Burton lui-même (La seule chose qui puisse relier la réalisation du chef d'oeuvre d'Henry Selick The nightmare before christmas et l'auteur de l'intrigue Tim Burton) nous renvoie à l'art et l'univers graphique d'un metteur en scène qui avait oublié qu'il n'était pas obligé de ressembler à sa propre caricature... Le film adopte le même point de vue que celui du court métrage original, et ressemble beaucoup plus à une façon a posteriori de rectifier le tir, en proposant un élargissement du film, passant de 30 à 85 minutes. Sans enlever les mérites du film court, il était une oeuvre de jeunesse. Rien de ce qui a été ajouté ne trahit le film de toute façon, et certains éléments haussent cette nouvelle version à la hauteur des plus grands films de Tim Burton, Edward Scissorhands, Ed Wood... Ca fait très plaisir. Et si on entend ici les voix de complices comme Winona Ryder, Martin Landau (Ed Wood), Martin Short (Mars attacks!), et Catherine O'Hara (Beetlejuice) pas de Johnny Depp, ni d'Helena Bonham-Carter. Non qu'on ait quoi que ce soit contre eux, mais il fallait effectivement briser la malédiction de Tim Burton. C'est malin, maintenant on va l'attendre au tournant!

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Published by François Massarelli - dans Tim Burton
23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 15:27

Pour la deuxième fois consécutive, Lloyd interprète un personnage, dans un film, qui n'est en aucun cas un Harold. pas important, sans doute, mais en réalité eu égard à l'histoire du comédien et la façon de faire le lien entre lui et son public, c'est une certaine forme d'acceptation d'une évolution nécessaire, si ce n'est pas une capitulation, une hypothèse d'autant plus valide selon moi qu'à la fin du film une deuxième transgression, plus choquante encore (Toutes proportions gardées) se présente à nous... J'y reviendrai.

Harold Lloyd joue donc ici un personnage de laitier un peu benêt, Burleigh Sullivan, dont la première scène nous fait clairement comprendre qu'il n'est pas des plus efficaces. Un soir, alors qu'il rentre chez lui en compagnie de sa soeur, ils rencontrent deux hommes saouls, avec lesquels il se bat. Dans la mêlée, il apparait que Sullivan a mis l'un d'entre eux K.O... or, l'homme en question n'est autre qu'un champion de boxe. Pour le manager du boxeur, le seul moyen d'échapper au ridicule de la situation, la presse s'étant joyeusement emparé de la nouvelle, est bien sur de travailler en compagnie du "laitier boxeur", sans le mettre au courant de toutes les subtilités: Burleigh commence donc une nouvelle carrière de boxeur, sans rien comprendre au succès foudroyant qui lui tombe dessus...

 

Les acteurs de premier et second plan qui entourent Lloyd sont ici des gens connus, déja vus dans d'autres films des nouveaux princes de la comédie (Capra, Leisen, LaCava, et... McCarey). Lionel Stander et Adolphe Menjou s'en donnent à coeur joie, Menjou en particulier, en manager véreux jusqu'aux orteils, et il est presque l'égal de John Barrymore lorsqu'il s'agit de voler une scène. Mais Lloyd se défend quand même, sachant qu'après tout les idiomes des deux comédiens ne sont pas les mêmes... Comédie plus verbale, donc, basée sur la nervosité et l'expression joyeuse d'une certaine vulgarité pour Menjou, et plus coroporelle pour Lloyd qui reste agile, même s'il n'a pas l'age de son rôle... McCarey ici fait son métier, plutôt pas mal dans un film qui n'est pas son meilleur, mais qui est aussi l'un des meilleurs Lloyd.

 

...Même si le fait qu'il y ait Harold Lloyd ici devient finalement accessoire. Je reviens à cette mystérieuse transgression à laquelle je faisais allusion plus haut: Lloyd, a un moment, boxe, et quelqu'un suggère à son adversaire... d'enlever les lunettes du héros. certes, il ne le fait pas... Mais c'est la première fois qu'elles sont mentionnées. On le sait, cet accessoire fait partie intégrante du personnage, qui dort avec , prend des douches avec, et ne les enlève jamais. On n'en parle pas...Ce n'est donc sans doute pas un hasard si peu de temps après ce film, et après le suivant (Professor Beware), Lloyd allait se lancer dans une nouvelle aventure inattendue, pour lui: une semi-retraite...

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Leo McCarey
20 janvier 2013 7 20 /01 /janvier /2013 16:21

Le cinquième film de Dreyer est aussi le premier de ses deux films muets Allemands. Bien que Danois, le réalisateur ne se cantonnait à cette époque jamais à son pays, allant au gré des propositions de studio en studio, en totale liberté souvent. Mais ce film rare, perdu puis retrouvé et restauré est d'autant plus intéressant qu'il nous montre une facette bien connue, honteuse de l'histoire de la Russie, mais rarement montrée au cinéma; à plus forte raison à cette époque troublée qu'était les années 20: l'utilisation par les autorités de tous les clichés antisémites afin de désigner un bouc émissaire et éviter une révolte... Jusqu'au massacre s'il le faut. Les acteurs ont été recrutés par Dreyer de tous les côtés: acteurs de théâtre expatriés depuis Moscou avec la troupe Stanislavski, figurants amateurs issus pour beaucoup de l'émigration Juive (Dont certains ont d'ailleurs vécu les évènements dont il est question), mais aussi acteurs Allemands ou Danois (on reconnait le fidèle Johannes Meyer). Le film bénéficie d'un réalisme parfois sordide, et de tournage dans des endroits aussi authentiques que possible.

On fait la connaissance de la famille Juive Segal, en particulier de la fille Hanne-Liebe, dont l'arrivée à l'école Othodoxe est tolérée, mais elle sera exclue à cause de ragots colportés par un voisin sur elle et son ami Sascha. Elle décide, pour échapper à un mariage arrangé, de prendre le chemin de St Petersbourg pour y vivre chez son frère, qui a fait le choix de se convertir au Christianisme à la fin de ses études, mais c'est un choix qu'il regrette, ayant du en plus couper les ponts avec sa famille. Parallèlement, nous suivons aussi Sascha, dont les sympathies politiques vont le pousser à s'associer avec des anarchistes qui sont le jouet d'un agitateur, Rylowitsch, qui va trahir la cause pour travailler avec la police tsariste: c'est lui qui va dénoncer Sascha, mais aussi Hanne-Liebe, et qui va ensuite se rendre dans le ghetto et pousser les Russes à se venger sur les Juifs, alors que de leur coté les Segal pleurent leur mère récemment décédée...

On se perd un peu dans le début d'une intrigue qui multiplie les propositions, mais le film est vite passionnant, par le ton résolument réaliste d'abord, par la force de ses acteurs ensuite; comme toujours chez Dreyer il faut considérer l'action sur deux plans: le plan physique, strictement vécu de l'intrigue, et une dimension spirituelle et morale, explorée à travers les quelques passerelles entre les différentes communautés, mais aussi et surtout, hélas, à travers les manifestations explicites (Et violentes) d'intolérance à l'égard des Juifs. On y parle de sacrements, de prière, avec un arrière-plan documentaire qui a par exemple souvent fait reculer le cinéma Américain... Et les spécificités, les croyances (L'impureté du porc, par exemple) y sont utilisées sans pour autant qu'il y ait une quelconque ironie. Le mécanisme d'un pogrom y est détaillé de façon rare là encore, depuis une entrevue entre une espionne et le chef de la police, jusqu'à la concrétisation par le biais du bouche à oreille, et enfin la manifestation de haine, avec des images qui sont sans ambiguité. Pour résumer, on pourrait les comparer au déchaînement de violence représenté par le massacre de la St-Barthélémy, vu dans Intolerance (1916) de Griffith, mais en pire... Le film fait sans aucune équivoque, non le procès de l'église orthodoxe, mais celui de l'intolérance, de la haine et de la bêtise, la marque ici d'un authentique humaniste, intéressé par l'exploration de l'âme et de la morale humaine face à la religion, comme il l'avait déjà fait dans l'intrigant Pages arrachées du livre de Satan, et comme il allait le refaire dans son chef d'oeuvre de 1928, La passion de Jeanne d'Arc. Dreyer, qui allait toute sa vie faire preuve d'une grande tolérance religieuse, n'a pourtant jamais été aussi explicite que dans ce film, un précurseur particulièrement fascinant dont le titre Français est encore plus direct: Aimez-vous les uns les autres.

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Published by François Massarelli - dans Carl Theodor Dreyer Muet 1922 **
20 janvier 2013 7 20 /01 /janvier /2013 11:16

S'il fallait systématiquement prendre pour argent comptant la réputation d'un film, on ne voudrait même pas regarder celui-ci, torpillé en particulier par Lotte Eisner, respectée historienne du cinéma Allemand des années 10 et 20... Ses arguments? coincé entre d'autres oeuvres autrement plus ambitieuses (L'oeuvre perdue Die Austreibung, troisième des "films paysans" de Murnau après Marizza et Terre qui flambe d'une part, et d'autre part Le dernier des hommes et sa réputation de chef d'oeuvre officiel...), Les Finances du grand-duc est une comédie, et Murnau ne saurait pas tourner ce genre de films. D'autre part, il serait plutôt un film de vacances (Tourné sur les bords de l'Adriatique en Yougoslavie) à l'heure ou Murnau se prépare à tourner un film qui va nécessiter toute sa concentration, ce qui est d'ailleurs tout à fait exact...  Pourtant la vision et la révision de ce petit film permet de mieux en apprécieer les contours, de le réévaluer et d'y voir finalement un vrai, authentique même si mineur, film de Murnau... Après Die Austreibung, c'est la deuxième production Decla de Murnau à se voir distribuée par UFA, avant que Pommer et Murnau ne deviennent définitivement de employés du plus grand studio Allemand, passés avec armes et bagages comme Fritz Lang d'une univers de productions ambitieusement artistiques mais financièrement modestes à de grosses machines à la fois commerciales et fascinantes: Die Nibelungen, Metropolis d'un côté, et Faust de l'autre... c'est sur là encore, ce film pâlit en telle compagnie!

 

Quelques années avant la révolution Russe, sur les bords de l'Adriatique. Abacco est un petit état, mené par un grand-duc (Harry Liedtke) intègre, affable, gentil et un brin indolent: il n'aime rien tant qu'à passer du temps assis sur un rocher à regarder la douce vie de ses sujets... Mais le grand-duché va mal: les finances sont au plus bas. Un créancier s'invite et menace clairement de faire main-basse sur les terres qui l'arrangent. Afin d'éviter cela, un mariage princier en vue (Avec la princesse Olga -Mady Christians- une jeune femme qui aime vraiment notre grand-duc) va tout sauver, mais un document est subtilisé, qui va sérieusement menacer le futur d'Abacco. Des conspirateurs prennent le pouvoir, pendant que la princesse Russe Olga, fuyant sa famille, cherche à s'y rendre, aidée par Phillip Collin, gentleman-détective-escroc mondain-cambrioleur (Alfred Abel) , un dandy qui a rencontré Olga dans le cadre de ses mystérieuse activités...

 

L'intrigue compliquée et riche en péripéties mélodramatiques à souhait, est due à Thea Von Harbou, dont c'était la quatrième et dernière collaboration avec le metteur en scène. Elle y cédait à une tentation de l'aventure délirante come elle l'avait déja fait pour son mari Fritz Lang, et le script est clairement prévu dès le départ pour un film léger. Mais le fait que le film ait été sérieusement réduit avant distribution sans pour autant que les péripéties aient été moins nombreuses, le rend parfois plus confus encore... Mais peu importe: on s'amuse de voir ces aventures de pacotille, ces clichés de conspirateurs pouilleux (Autant le dire tout de suite, l'un d'eux est Max Schreck), et le charme inattendu d'Alfred Abel en Arsène Lupin de carnaval, qui vient espionner chez un maitre-chanteur pour récupérer les lettres compromettantes d'un client, déguisé en ramoneur, avec toute la panoplie... Il est également rafraichissant de voir la façon dont le style de Murnau s'exprime ici en liberté dans un contexte autrement moins sombre que d'habitude: son sens de la composition, ses plans riches qui réduisent l'action en quelques secondes, la façon dont Abel et Christians se rencontrent, par exemple: il est assis à la table d'un café en pleine rue. Au fond de l'écran, un taxi s'arrête, en sort une jeune femme qui court jusqu'au premier plan. Aucun artifice de montage n'a été nécessaire, et la rencontre (Qui n' a rien de fortuite, la jeune femme cherchant l'aide et la protection du héros) est un passage qui allie la bonhomie du personnage principal avec le dynamisme d'un coup de théâtre... Une fois de plus l'utilisation du décor (Rochus Gliese, qui aiguise déja ses crayons pour Sunrise) et la beauté de la photographie solaire et pour une fois pas trop confinée dans un studio, de Karl Freund sont d'un grand secours.

 

Quant à la comédie tant décriée par Eisner, elle est étonamment proche, dans ce film on on n'a jamais le temps de s'ennuyer, de ce que feront les Américains dans le cadre de la screwball comedy, avec ces quiproquos et déguisements: la façon dont Abel prend un malin plaisir à enlaidir la princesse alors qu'elle est jolie comme tout afin de l'aider à passer inapercçue, tout en prétendant qu'ils sont mariés, par exemple... On pense à Lubitsch aussi, avec un royaume de pacotille qui aurait pu, de façon légèrement plus grotesque, rivaliser avec Die Austernprinzessin, ou Die Bergkatze. Du reste, Liedtke, ainsi que l'acteur Julius Falkenstein aperçu ici dans un rôle mineur, étaient des interprètes habituels du grand Ernst. Rien ici donc de si lamentable qui puisse nous faire suivre le jugement de Lotte Eisner, d'autant que Murnau fourbit encore ses armes, et commence à utiliser ici des astuces de cadre qu'il expérimentera dans le giron rassurant du studio de Der letzte mann...

 

Reste aussi à mentionner une image qui frappe, et qui en un éclair nous renvoie à ce fameux secret de polichinelle de la vie de Murnau, qui éclatera enfin au grand jour dans l'insouciance trompeuse (Qui lui coùtera hélas la vie) des mers du sud: le grand-duc qui s'amuse comme un petit fou à envoyer dans l'eau des objets à un groupe d'adolescents qui plongent nus dans l'eau: au-delà de l'image condescendante du noble et des sujets tous nus, comment ne pas penser à la façon dont Murnau filmera les corps bronzés de jeunes éphèbes Tahitiens dans Tabu? L'homosexualité de Murnau trouvait, on le voit, toujours le moyen de s'exprimer y compris dans la complexité d'une censure tatillone sur peu de choses, mais particulièrement corsetée sur ce sujet précis...

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1923 **
19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 18:01

Tourné après le succès de Nosferatu, Phantom est un pas de géant pour F. W. Murnau: un film très ambitieux, qui adapte pour une fois de façon officielle un succès contemporain, paru en feuilleton dans le Berliner Illustrierte Zeitung et écrit par Gerhart Hauptmann. Il conte l'obsession criminelle d'un homme, née d'une rencontre fortuite avec une femme, et qui va pratiquement le perdre... Le film fait partie des oeuvres tournées pour la Decla d'Erich Pommer, comme précédemment Schloss Vogelöd ou Der Brennende Acker, et qui vont mener le metteur en scène comme le producteur à travailler pour la UFA quelques années après. Ce qui est remarquable dans ce film, le plus long de son auteur, c'est la façon dont il ajoute à son arc (Mise en scène constamment inventive sur le plan visuel, gout pour les plans riches en action et en défis visuels, jeu intériorisé mis en valeur par le décor et la composition...) une nouvelle corde: un soudain intérêt pour le montage, qu'on ne lui connaissait que peu. Phantom est aussi une introduction du cinéma allemand à la psychanalyse, comme Caligari avant lui, et si ce n'est pas le plus emballant des aspects du film, c'est au moins notable. La liste des interprètes est impressionnante, puisqu'on trouve dans ce film, outre le premier rôle interprété par Alfred Abel, trois actrices de premier plan dans des rôles de femmes bien différentes les unes des autres: Lya de Putti, Lil Dagover et Aud-Egede Nissen. la photographie est assurée par le vétéran Danois Axel Graatkjaer et un illustre inconnu, Theophan Ouchakoff. Par contre le scénario est signé d'une sommité: rien moins que Thea Von Harbou, qui avait déja travaillé avec le metteur en scène sur Der Brennende Acker...

 

Lorenz Lubota (Alfred abel) est un clerc sans histoire, dont la mère malade a bien du mal à joindre les deux bouts. Elle a un autre fils, le jeune Hugo (Heinz Heinrich Von Twardowski), et une fille, Melanie (Aud-Egede Nissen); celle-ci, intéressée par une vie dissolue, désespère sa mère. Un jour que Lorenz se rend au travail, il a un accident, renversé par un véhicule à cheval. Une fois qu'elle a constaté que le jeune homme n'a rien, la conductrice (Lya de Putti) repart, mais Lorenz la poursuit: il vient de tomber amoureux, et n'aura de cesse de tout faire pour la revoir, et surtout accéder à son niveau: elle est riche, pas lui... Il va entamer une descente aux enfers, et en particulier négliger puis perdre son travail, puis l'estime et la confiance de sa famille, puis fréquenter une jeune femme (Dont il paie la mère...) qui s'avère être un portrait craché de Veronika, la femme de ses rêveries. Enfin, il va participer à des escroqueries organisées par un ami de sa soeur, pour soutirer de l'argent à sa tante...

 

L'intrigue de ce film est bien difficile à raconter, tant on passe d'une vie bien réglée à un tumulte souvent onirique: Lubota perd littéralement la tête d'amour, au point d'ailleurs de vivre des rêves éveillés. Sa rencontre avec Veronika sera "revécue" de trois façons, par des visions que le metteur en scène nous fait partager, en les variant: la première est une parodie de film à la Caligari, avec ville expressioniste; la deuxième est une cauchemardesque virée au noir, avec l'attelage de Veronika poursuivi par le pauvre Lubota. Enfin, un court plan nous montre le vrai Lubota dans les rues médiévales de sa ville, renversé par une carriole imaginaire qui passe en surimpression, de dos. A ces visions qui accompagnent la déterioration de son héros, Murnau ajoute une séquence floue et lente dans laquelle Lubota s'imagine se marier avec Veronika, ainsi que des effets visuels effectués non seulement par la caméra, mais aussi par le truchement des décors, dus à Hermann Warm: Lors d'une soirée en boite de nuit, Lubota et Mellitta (Le double de Veronika) son entourés de motifs circulaires; un cycliste tourne inlassablement au plafond, comme pour suggérer la folie de Lorenz; enfin, un tête à tête entre eux les voit soudain s'enfoncer dans le décor, comme pour accompagner la descente aux enfers. A tous ces plans de folie on peut se demander s'il ne conviendrait pas d'ajouter les séquences qui voient Lubota fricoter avec Melitta, qui ne croise jamais les autres protagonistes du film. Le sosie parfait (Physiquement, parce que sinon, c'est une autre paire de manches...) de la jeune femme riche de ses rêves, ne l'a-t-il pas inventée?

 

La névrose de Lubota est un oubli de soi, une fuite en avant plus que délirante, dans laquelle l'argent devient le nerf de la folie et de la débauche; principale source d'échange entre Lubota et Mellitta, les liasses toujours plus grandes que Lorenz donne à sa maîtresse ou la mère de celle-ci, nous rappellent que l'Allemagne est en pleine inflation. Mais la maladie de Lubota est aussi une crise d'inspiration chez un homme qui s'est cru poête, et ne parvient pas à fournir. Il finit par admettre, à une tante qui a cru brièvement en son talent, qu'il n'estime pas en avoir du tout, et ne parviendra jamais à quoi que ce soit. Cette remise en question peut bien sur être accompagnée d'une réflexion sur l'impuissance (Cette obsession de courir après une jeune femme, notamment, et les nombreux revirements de Lubota qui semble incapable d'assumer le moindre acte jusqu'au bout, depuis son travail jusqu'à sa poésie, en passant par la cour qu'il se promet de tenter auprès de Veronika...). Et en filigrane, à travers les trois (Ou quatre, voir plus haut) personnages de jeunes femmes du film, se glisse une variation sur la complexité des rapports hommes-femmes, qui prolonge celle de Terre qui flambe, dans lequel un homme s'abîmait dans l'ambition en utilisant l'amour qu'il inspirait chez les femmes... Mellitta la prostituée, Veronika la bourgeoise hautaine, Melanie la jeune femme éprise de plaisirs et de vie simple sont complétées par Marie (Lil Dagover), la petite amoureuse vertueuse qui attend en coulisse et repêche le héros pour un happy end de circonstance... Prolongé par un prologue, une structure qu'affectionnaient les Allemands, voir une fois de plus Caligari à ce sujet... Quatre portraits de femmes, pour une difficulté à assumer sa vie, son destin, voire sa virilité pour Lubota.

 

Le film est d'une grande beauté visuelle. une fois de plus on constate que s'il n'est pas son propre chef opérateur, Murnau sait instiller son style, son goût pour le cadre à l'intérieur du cadre (Un trait de style particulièrement remarquable depuis Nosferatu), sa façon d'utiliser les décors et les polonger ou les arranger de manière à obtenir le maximum d'effets. Mais comme je le disais plus haut, ici, il a recours à un montage notable sinon révolutionnaire. Le montage parallèle était en vigueur dans Nosferatu, qui traçait des liens entre Hutter et son épouse Ellen, puis Nosferatu et la jeune femme, et qui nous montrait l'arrivée du vampire en bateau comme une inéluctable destinée à accomplir par les protagonistes qui l'attendaient à Brême; ici, Murnau tisse entre Lubota et les contours de son obsession des liens qui nous sont rendus visibles par le montage, et le cinéaste coupe certaines séquences de plans extérieurs à l'action, toujours en rapport avec les rêveries ou l'amour impossible du jeune homme. Il souligne son montage en utilisant non pas des fondus enchainés, mais plutôt des flous ultra-criants, et va plus loin, dans une séquence entre Mellitta et Lubota, il montre la jeune femme de trois angles différents, sans pour autant répéter son action, comme si Murnau s'était plu à aller chercher dans les trois négatifs d'un tournage: Cette tendance de tourner à plusieurs caméras en même temps, liée à la nécessité d'avoir plusieurs négatifs afin d'alimenter les marchés domesiques, Européens et Américains en copies, n'était pourtant pas encore totalement en vigueur dans les films de Murnau à cette époque. C'est une simple hypothèse de ma part...

 

Le film est visuellement très engageant, réussi même. Les séuences d'effets visuels, qui seront pour certains repris dans le plus prestigieux Dernier des hommes (La séquence durant laquelle Lubota imagine la ville qui s'écroule sur lui, et cherche àla détruire), la richesse d'une histoire un brin cruelle et le jeu des actrices, toutes excellentes, ne doivent toutefois pas nous faire oublier que le choix d'Alfred Abel, trop vieux pour incarner Lubota, jeune homme fantasque, est pour tout dire embarrassante. Et le film, par ailleurs, dresse de la femme une image qui part un peu dans tous les sens, en ajoutant aux trois ou quatre portraits déja mentionnés celui de la mère éplorée et malade, et celui de la tante acâriatre et près de ses sous. Un peu misogyne, globalement, le film vaut quand même la peine par la somme de ses qualités et son incroyable extravagance...

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1922 **
19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 09:32

La sortie en 1920 de ce film sur les écrans Allemands est un de ces actes fondateurs particulièrement notables, qui font de toute la période du muet une aventure passionnante et plus riche que tout ce qui a pu suivre. A plusieurs niveaux, du reste: le film a montré au monde entier à la fois la vivacité et la spécificité d'une cinématographie nationale d'un pays qu'on vouait alors à l'oubli pur et simple; on se souvient à ce titre de campagnes de presse lors de la sortie Française qui enjoignaient les gens de ne pas aller voir ce film, qui était à n'en pas douter une oeuvre "boche", donc dégénérée. Le Cabinet du Docteur Caligari a aussi donné naissance, mais de façon moins directe qu'il n'y parait, à une fusion de styles et de thèmes, hérités partiellement du cinéma des années 10 (Der Golem, Der Student von Prag, Homunculus) et partiellement d'autres arts, notamment la peinture et la photographie mais aussi le théâtre qui va largement influencer le jeu des acteurs qu'à défaut d'autre appellation on va rapidement qualifier d'expressionnistes. Et Caligari, comme on l'appelle le plus souvent, est donc l'acte de naissance du nouveau cinéma allemand, qui va aussi enfanter le cinéma fantastique Américain, le film noir, et certains metteurs en scène Anglais... voilà qui mérite qu'on s'y intéresse, donc.

Pour commencer, mettons les choses au point: on a pu lire beaucoup de bêtises sur ce film, comme d'ailleurs sur tant d'autres: on a eu coutume d'attribuer tout ou partie de Caligari à la présence dans les coulisses du jeune Fritz Lang, qui a d'ailleurs revendiqué la paternité d'un certain nombre d'aspects du film, notamment l'idée de rendre l'oeuvre moins avant-gardiste en l'inscrivant dans la subjectivité d'un aliéné. On a aussi dit que le film était l'oeuvre de ses trois décorateurs beaucoup plus que celle de Wiene, ou du scénariste Carl Mayer, faisant de fait d'eux de simples exécutants d'un projet essentiellement esthétique: dans les deux cas, il ne faut pas en tenir compte; Lang n'était en aucun cas ce maître du cinéma Allemand qu'il allait devenir par la suite, et il allait de petit boulot de scénariste en petit boulot de réalisateur, jusqu'à 1921 et la consécration de Der Müde Tod - un film sous l'influence particulièrement marquée de ce Cabinet du Docteur Caligari... et si l'importance du travail de Hermann Warm, Walter Röhrig et Walter Reimann n'est plus à démontrer tant elle saute aux yeux à la vision du film, il fallait un scénariste qui puisse donner corps à cette histoire parfaitement cohérente, et un metteur en scène pour donner un peu d'unité à ce qui aurait pu n'être qu'une expérience particulièrement douloureuse pour le spectateur...

Qu'on en juge: le film conte l'histoire d'un homme aliéné qui raconte à un autre pensionnaire de la même institution son expérience (L'a-t-il vécue ou rêvée? On ne le saura pas) d'une série de crimes épouvantables, perpétrés par un somnambule sous la coupe d'un certain Dr Caligari, montreur de foire à ses heures perdues mais d'abord et avant tout directeur d'un asile d'aliénés. Crime, perversion, folie et subconscient se mêlent dans une histoire apparemment compliquée mais qui se déroule de façon claire et linéaire sous nos yeux. Mais les décors du film sont volontairement distordus, faux: inspirés de façon évidente par l'expressionnisme alors en vogue dans la peinture et le théâtre Allemand, les décorateurs ont imaginés un dédale de maisons en carton-pâte, invivables et cauchemardesques, construites dans les studios de la Decla-Bioscop. Les décorateurs ont conçu leur ville de manière à utiliser la profondeur de champ. Pour parer à la théâtralité inévitable de l'ensemble, le recours à un montage serré, avec inserts de gros plans, et un rythme qui s'emballe parfois, accentue la prise sur le spectateur. Enfin, l'histoire cauchemardesque est prétexte à développer un jeu d'acteurs sur trois niveaux: les deux vedettes du film, Werner Krauss ("Caligari") et Conrad Veidt (Cesare, le somnambule filiforme en collants noirs, aux yeux rehaussés de kohl, figure d'épouvante) ont un jeu authentiquement expressionniste, exagéré, et emphatique. Les personnages qui seront leurs victimes, Friedrich Feher et Lil Dagover, passent d'un jeu plus naturel, plus en phase avec le cinéma Allemand de l'époque, à des pics expressionnistes et de brusques éclairs émotionnels. Le reste de la distribution est d'une manière générale moins voyant. Le résultat de ces choix permet là encore d'adhérer à l'histoire sans souffrir des transgressions stylistiques...

Le film joue sur plusieurs tableaux: d'une part, cette histoire de hiérarchie (Le directeur d'un asile) devenue folle et qui sème le crime par la seule volonté de contrôler le subconscient d'un homme, est riche en transgressions, en allusions aussi à la crise contemporaine que traverse l'Allemagne, vaincue pour avoir trop voulue étendre son hégémonie. Le chef est fou, nous dit le film, et le prologue et l'épilogue rajoutés pour intégrer l'histoire dans une réalité plus acceptable et moins polémique, ne nous rassurent qu'à moitié... situés dans un asile qui ressemble étrangement à celui du film, et qui participe de ce même effort d'utilisation de l'expressionnisme, il est aussi peuplé des acteurs du drame: Cesare y est un autre patient interné, la belle Jane (Lil Dagover) y est aussi, et le "Docteur Caligari" est, là aussi, quoique moins effrayant dans son aspect, le professeur en charge de la clinique. Mais le film est aussi une exploration de l'inconscient, à travers cet homme piloté à distance, dont les pulsions érotiques se manifestent envers et contre tout: contre son propre état de sommeil, contre la victime de ce qui à l'origine devait être un meurtre, et contre son "maître", le Dr Caligari, qui croyait pouvoir enjoindre à un homme en sommeil permanent de tuer mais n'avait pas prévu que le désir lui donnerait d'autres plans... La scène fabuleuse de l'arrivée de Cesare chez Jane (le seul endroit dans le film dans lequel les décorateurs se soient amusés à styliser leur déor avec plus de formes circulaires que d'angles douloureux...) qui le voit raser un mur de sa silhouette trop maigre pour inspirer confiance, puis s'introduire lentement dans la maison, apparaître lentement à la fenêtre, et enfin s'introduire du fond de l'image pour frapper sa victime endormie au premier plan, va faire des petits: Nosferatu, bien sur, mais aussi Frankenstein, dont on sait que le metteur en scène James Whale était précisément un admirateur de ce cinéma Allemand qui naît à nouveau avec Caligari.

C'est d'ailleurs remarquable, que ce film qui est brut, si on le compare à sa descendance et au raffinement des décors et éclairages de Der müde Tod (1921) ou Le cabinet des figures de cire (1924), aille si loin dans la représentation de conflits entre les pulsions et la raison. Il est de fait beaucoup plus Freudien dans son anarchisme d'épouvante que ne seront des oeuvres présentées comme d'inspiration ouvertement psychanalytique, en particulier Les secrets d'une âme (1926) de Pabst... quoiqu'il en soit, tout en étant un magnifique précurseur et en faisant la synthèse du cinéma fantastique des années 10, Le Cabinet du Dr Caligari n'aura de descendance que limitée: l'expressionnisme se diluera dans le cinéma Allemand. Des films comme Die Nibelugen, ou Faust, lui devront beaucoup dans leur volonté de créer un monde en studio, en utilisant une nature volontiers déformée, mais ce sont surtout les éclairages, la science des ombres et un jeu décomplexé qui lorgne vers l'épouvante, qui vont finalement s'installer dans la tradition du cinéma Allemand. L'expérience visuelle si singulière de ce film restera unique, quoiqu'on en dise. Des metteurs en scène vont tenter de rééditer l'expérience (Wiene lui même dès l'année suivante, avec un Genuine peu inspiré), mais là encore le cinéma va faire évoluer les décors vers plus de réalisme: tout en étant d'inspiration Caligaresque dans leur déformation, les maisons du ghetto de Der Golem sont plus tangibles. Le mur de la mort dans Der müde Tod, ou encore la ville orientale dans le Cabinet des figures de cire sont des décors en dur, qui vont vite éclipser les toiles peintes et les cartons glorieusement faux, les portes impossibles du film de Wiene... Celui-ci ne pouvait qu'être unique, mais son succès allait, je le répète, bouleverser non seulement le cinéma Allemand, menant à Metropolis ou Le dernier des hommes, mais aussi et surtout le cinéma mondial.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1919 **
16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 16:37

Un tel film ne pouvait se faire qu'à la Warner, dans cette première moitié des années 30, et on a le sentiment que seul Wellman pouvait le mener à bien... il décrit les errances de trois jeunes gens, et leurs compagnons, dans les Etats-Unis de 1933, en proie à une solide crise qui fait des victimes dans tous les foyers. Le metteur en scène s'est enthousiasmé non seulement pour un sujet qu'il avait déja abordé sous un angle plus esthétique que militant (Beggars of life, avec des adultes toutefois en 1928, mais c'était avant la crise, justement), et auquel il revient dans des conditions plus proches du documentaire, exalté par le parlant, et semble-t-il poussé par ses interprètes qui sont tous formidables, Frankie Darro en tête... Le film dépeint une fraternité entre les jeunes, qui dépasse d'ailleurs les barrières raciales, ce qui est particulièrement notable, même si c'est sur ce point assez timide.

 

L'histoire part d'une situation adolescente comme il en existe des centaines, dans les comédies de campus des années 20: Ed et Tommy sont deux copains qui ne sont pas fortunés, mais qui aiment à s'amuser le soir dans le tacot invraisemblable de Ed, et qui sont de toutes les fêtes, jusqu'au jour ou le chômage touche aussi bien la mère veuve dee Tommy que le père d'Ed. ils partent donc en train pour aller ailleurs trouver du travail, et se retrouvent bien vite piégés dans une vie sur la route qui n'est pas sans dangers...

 

Passionnant et court, le film n'écarte aucune forme de réalisme, montrant non seulement les rapines, que la réaction des autorités locales devant ces afflux de jeunes désoeuvrés (Des milices aidées de la police, dont les méthodes ne sont pas tendres pour les faire déguerpir), que le viol dont est victime une des jeunes. On notera toutefois la ligne de conduite toujours décente et empreinte de morale de Ed et de ses deux amis, qui participent ici de la politesse de la fiction... Le film se termine avec l'intervention de la NRA: non pas le lobby des armes, mais la National Recovery Administration, officine mise au point sous l'administration Roosevelt pour commencer à mettre en place le New deal; cette intervention permet de rassurer, et de finir sur une note d'espoir, bien dans la ligne éditoriale d'un studio qui était partie prenante de façon sans doute un brin opportuniste d'une politique volontariste. Mais cette tendance à ménager le spectateur comme les dirigeants d'un pays part d'un bon sentiment, ce qui n'est pas condamnable (Même si c'est plus le bon sentiment du studio que celui de William "Wild Bill" Wellman...), et surtout rien à la fin de ce film ne peut diminuer la force des 60 minutes qui précèdent cet épilogue heureux...

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Published by François Massarelli - dans William Wellman Pre-code
16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 16:11

Deuxième film de Murnau a avoir été conservé in extenso (Après l'obscur Der gang in die Nacht), ce film connu en France sous le titre adéquat de La découverte d'un secret (C'est d'ailleurs le sous-titre de la version Allemande), a souvent eu la réputation d'être un film d'horreur, à l'époque maintenant lointaine d'avant la vidéo de salon, durant laquelle les films étaient surtout connus par leurs titres... en effet, derrière le plutôt neutre 'Chateau des oiseaux' du titre Allemand, se cachait la plus sombre perspective du "Chateau hanté" du titre Anglais du film (Haunted castle), probablement trouvé par un exploitant peu scrupuleux qui entendait capitaliser sur la sulfureuse réputation de l'auteur de Nosferatu et Faust... Pourtant, ce film parle surtout d'une machination effectuée par un homme accusé d'un crime dans le but de prouver son innocence, et se passant selon la tradition théâtrale quasiment uniquement dans un sombre manoir, mais à l'exception d'un rêve supposé apporter un peu de comédie, pas de fantôme ni de monstre à l'horizon...

Le comte Oetsch s'immisce parmi les invités d'un week-end de chasse au chateau Vogelöd, ce qui n'arrange personne, puisqu'il a la réputation d'avoir tué son frère, dont l'épouse désormais remariée à un vieil ami de la famille ne lui a jamais pardonné. Il a été acquitté, mais un doute subsiste, et le comte s'installe manifestement sans scrupules au chateau, semblant même se délecter de l'effet de rejet que semble provoquer ses allées et venues sur les autres invités. Mais lorsque le père Faramund, autre invité arrivé entre temps, ne revient pas d'une promenade, on ne tarde pas à accuser de nouveau le comte de cette disparition suspecte...

Le film est plutôt un de ces travaux de jeunesse, un de ces nombreux tatonnements qui jalonnent le parcours du cinéaste. L'énigme posée par le film reste sans intérêt, et il semble que pour Murnau, l'essentiel du film était de pouvoir s'amuser avec les décors, à suggérer par exemple des émotions par le seul placement des personnages. La composition est donc constamment inventive, le travail des décorateurs aussi. Pourtant, pas d'expressionisme, ici, tout au plus certains intérieurs se parent-ils d'une plus grande abstraction au fur et à mesure que le mystère se dévoile... Le rythme du film a également été travaillé, de façon à jouer sur la lenteur de l'action; reste que ce film préfigure par certains cotés Tartuffe dans la façon dont Murnau et Carl Mayer placent leurs personnages au coeur du chateau, et du drame, et que le récit cruel de ce comte qui tout en cherchant à prouver son innocence, se repait de sa marginalisation, renvoie à ces nombreux personnages exclus dans l'univers du cinéaste, de Terre qui flambe à Tabu en passant par Nosferatu et Le dernier des hommes...

Schloss Vogelöd (Friedrich Wilhelm Murnau, 1921)
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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1921 **
13 janvier 2013 7 13 /01 /janvier /2013 17:01

En arrivant à la UFA, Murnau fait face à la possibilité de sceller une fois pour toutes sa place de premier rang dans le cinéma Allemand, et il revient de loin... Produit par le minuscule studio Prana Films, son Nosferatu est à la limite du cinéma amateur, dans son pedigree sinon dans son style (on en est même loin!) et beaucoup de ses films ont été tournés grâce à des mécènes ou pour des compagnies moribondes. Arrivé à la firme la plus prestigieuse du pays, et l'une des plus importantes en Europe il va consacrer ses efforts sur trois films, tous mettant en scène la plus grande vedette du cinéma Allemand d'alors, Emil Jannings. Chaque film l'occupera un an, et si les styles de chacune des trois histoires et le "genre" choisi diffère, les apports techniques de cette triplette magique seront énormes, menant tout droit à une carrière à Hollywood, et à Sunrise... Cela étant dit, ce "Dernier des hommes" est un film paradoxal, un objet à deux faces, une sorte de classique officiel et obligé, à la Citizen Kane et un vestige du passé qui peut éventuellement être d'un abord difficile... C'est aussi une oeuvre dont la beauté est essentiellement formelle.

 

Côté face, le film porte la marque de ce que Carl Mayer avait appelé le "Kammerspiel", expérimentant sur deux films (Scherben, de Lupu Pick en 1922, et Sylvester -film perdu- du même l'année suivante) des drames intériorisés, narrés sans intertitres. Le film de Murnau allait donc porter cette idée à son apogée, réussissant à prouver qu'on pouvait se passer de ces encombrants textes, ou éventuellement les traiter comme de l'image. Cette histoire de vieux portier d'hôtel fier de son image et de prestige, qui est relégué aux toilettes à cause de son age, et qui ne supporte pas l'humiliation, au point de voler son ancien uniforme pour ne pas perdre la face en son domicile, est entièrement racontée de façon inventive par les images seules. Murnau et son chef-opérateur Karl Freund ont libéré la caméra de ses chaines, d'une façon spectaculaire, sans jamais perdre en lisibilité. Le film est une prouesse constante, montrant la maîtrise d'un cinéma total dont le metteur en scène faisait preuve à ce moment...

 

Côté pile, le film souffre un peu aujourd'hui d'être justement cette prouesse technique, et manque de coeur, un reproche que je ferais à d'autres films de Murnau en Allemagne du reste, Faust en tête. Sans pour autant se désintéresser du vieil homme interprété par Jannings, on a le sentiment que l'humour du film (Et il n'en manque pas) joue un peu contre lui... Et cette situation, quoique inspirée de façon évidente (et non officielle) par Le manteau de Gogol (Murnau n'en était pas à sa première adaptation pirate, décidément...), est particulièrement Germanique, liée à ce prestige de l'uniforme incarné par le vieux portier...

 

Le film souffre aussi de son épilogue, bien sur, ce qui est souvent relevé. Le portier et un homme qui a sympathisé avec lui quand il était au fond du trou sont devenus riches, et dans le même hôtel, festoient à s'en éclater la panse... Qu'il y ait un happy end ne me gène en rien, mais qu'il faille 14 minutes pour voir deux hommes satisfaits après avoir été dans les tréfonds de la tristesse, manger, se rengorger de leur soudain attrait auprès de ceux qui auparavant les méprisaient, c'est excessif, et ça gâche le film. N'allons pas jusqu'à en accuser "les producteurs", air connu, je doute que les décideurs de la UFA aient pu imposer quoi que ce soit à leur nouveau poulain en 1924... Par ailleurs il est intéressant de constater que si le metteur en scène allait intégrer à son style les intertitres "animés" (Voir Sunrise à ce propos), il n'allait pas pour autant réitérer l'expérience de ce Letzte Mann... Non, décidément, ce film est un jalon essentiel du muet, une grande date d'un point de vue technique, mais aussi un film devant lequel on peu parfois s'impatienter un brin, contrairement à Sunrise qui conserve son pouvoir de fascination intact... Sur votre serviteur en tout cas.

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1924 **