Le réalisateur de ce film est un obscur artiste d'avant-garde, qui a par ailleurs co-réalisé par la suite deux obscurs films de long métrage... Celui-ci, qui dépasse deux bobines (à 675 mètres) et tutoie la demi-heure, est un de ces nombreux essais cinématographiques qui ont pullulé à l'époque du muet et dont certains sont autrement passés à la postérité: entre Anemic Cinéma (Marcel Duchamp), Retour à la raison (Man Ray) ou Entr'acte (René Clair) d'un côté, et Un chien Andalou (Luis Bunuel) et A propos de Nice (Jean Vigo) de l'autre.
Il y a ici une intrigue, qui sert de prétexte à des jeux de montage et de point de vues: un couple, qui passe du bon temps à la fête foraine, hésite entre rester et profiter des manèges (ce que désire la dame, qui est très contente des plaisirs qu'elle trouve ainsi au milieu de la foule) et quitter la fête pour se rendre dare-dare à l'hôtel le plus proche (le monsieur se verrait bien faire ça en effet) parce qu'il faut bien dire que quand le désir est là, il faut en profiter... Ils vont suivre madame, et continuer en compagnie d'un autre couple (qui fournit, mais oui, de la comédie), et se retrouver face à un fakir qui va leur faire passer un test...
Un test assez obscur lui aussi, qui implique des manèges, encore des manèges... Renard a pris un malin plaisir à multiplier les prises de vue sur les montagnes Russes, c'est saisissant. Par ailleurs, il louvoie constamment entre l'exercice formel, et le récit avec narration, et se laisse comme il est de bon ton dans l'avant-garde contemporaine à des motifs érotiques pour rendre le désir du couple (mais également de l'autre monsieur) palpable. Comme on dit, cet exercice de style est une vraie curiosité...
Chance? C'est un bien grand mot! Disons que la chance, dans la vie de Dolly dite Angel Face, n'a pas un grand rôle, car elle sait très bien ce qu'elle fait. Au moment où commence le film, elle est standardiste dans un hôtel, et plutôt que de gagner sa vie honnêtement, profite de sa position pour faire la chasse aux monsieurs riches. Elle est repérée par des "amis", d'autres escrocs, Brad (Lowell Sherman) et Gwen (Gwen Lee) et ceux-ci font un "coup" avec elle... A l'issue duquel elle part avec l'argent, tout bonnement: bref: sans foi ni loi, c'est une pro.
Elle rencontre un jeune homme, Steve Crandall (Johnny Mack Brown), qui est Sudiste et qu'elle croit riche. Or, il ne l'est pas. Du moins pas encore. Et quand elle l'apprend, il est trop tard: ils sont déjà mariés. Et sinon il y a deux autres développements imprévus: d'une part, elle tombe amoureuse de sa victime potentielle, mais surtout, Brad et Gwen font irruption dans sa vie: difficile dans ces conditions de se racheter une honnêteté...
Ca commence par une étourdissante comédie dont la principale force est sa star, Norma Shearer dont on voit bien à quel point elle est heureuse, elle qui était de plus en plus abonnée aux rôles "positifs" tels que les concevait Louis B. Mayer gardien de la morale à la MGM, de jouer un femme profondément malhonnête, aguerrie, et sans aucun scrupule! La comédie repose entièrement sur la complicité inévitable qui s'établit entre elle et nous, et tout ou presque passe par un visage étonnamment expressif.
La scène la plus réjouissante reste celle durant laquelle Dolly tente de séduire le "millionnaire", du moins croit-elle, en révélant ses atouts: une paire de jambes comme il n'en a jamais vues! Sauf que justement, il n'en a jamais vu, et il s'efforce de les couvrir au fur et à mesure. La scène serait efficace telle quelle, mais Shearer en rajoute à notre bonheur par un jeu d'expressions et de réactions formidables...
Sans véritablement se gâter, ça baisse un peu en intérêt quand l'histoire d'amour prend le dessus, d'autant que Johnny Mack Brown a quand même la charge de jouer un benêt... Heureusement, Lowell Sherman et Gwen Lee sont eux toujours du mauvais côté de la loi et maintiennent à flot le salutaire esprit canaille du film. N'empêche, cette petite comédie sans prétention est une preuve de plus du talent de Norma Shearer, qu'une grande proportion des films parlants qu'elle a tournés n'ont pas su exploiter à sa juste mesure.
C'est l'un des derniers films muets de son auteur, et il y reprend le souffle social bien particulier qui faisait déjà l'intérêt de Die Verrufenen en 1925. C'est donc de nouveau un film sur Berlin et ses habitants, sur un thème qui a été beaucoup représenté au cinéma, en particulier dans le cinéma Allemand: on avait déjà du mal à ne pas penser à G. W. Pabst en voyant Menschen untereinander de 1926, qui était un peu comme l'envers de la médaille de Die Freudlose Gasse... Mais ici, on pensera forcément à Das Tagebuch einer Verlorene qui sera réalisé et sorti l'année suivante... C'est à mon avis quelque chose qu'il faut s'efforcer de chasser de son esprit, d'une part parce que les films sont différents, ensuite parce que les intentions sont différentes: une fois de plus, Lamprecht constate, il ne juge pas, ni ne milite pour quelque révolution sociale que ce soit. Ici, en revanche, contrairement aux trois autres de ses films "Berlinois" qu'il m'a été donné de voir, le metteur en scène et sa scénariste fétiche Luise Heilborn-körbitz se tiennent à l'écart de toute volonté de happy-end...
Else (Lissi Arna) est une jeune femme insouciante, amoureuse de Hans (Mathias Wieman), et qui pense pouvoir contourner facilement l'interdit paternel (Gerhard Dahmann) de prendre du bon temps: elle sort donc en douce, mais trouve porte close le soir quand elle revient. Pas d'autre solution pour elle que d'aller frapper à la porte de son petit ami. Dans un premier temps, les deux amoureux font chambre à part, et Hans prétend à son colocataire Max (Paul Heideman) que Else est sa soeur. Mais quand ils trouvent tous trois un travail sous la forme d'un numéro de music-hall, ça devient plus dur à prétendre, d'autant que Max est amoureux d'Else. Une fois la vérité admise le verrou saute: ils couchent ensemble... Et les ennuis commencent: le père qui a eu vent de la publicité autour de sa fille la retrouve et met la police sur le coup, et le patron des trois comédiens commence à tourner autour de Else. Celle-ci, de plus, est obligée de se cacher: La descente aux enfers a commencé...
Il y a dans ce film un aspect arbitraire avec lequel j'ai du mal: Hans dit au père d'Else que s'il continue à la chercher comme il le fait, elle sera obligée de rester dans la rue, et elle finira àla rue... Ca ressemble un peu à un mauvais jeu de mots, mais c'est surtout une faiblesse d'un film dont la prétention est de rester un reflet de la vie: derrière le déterminisme un peu malsain, se cache une vraie grosse convention de mélodrame. Mais ça n'est que partiellement embarrassant, tant le film peut aussi passer pour une fable. Une fable un peu simpliste, mais dans laquelle Lamprecht nous intéresse, deux heures durant, au destin contrarié d'une jeune femme qui est de son temps: Lissi Arna, certes, n'est pas Louise Brooks, mais elle sait insuffler une énergie, une combativité à son personnage, qui emportent l'adhésion.
Et s'il ne se départit rarement de son style direct et sans fioritures, Lamprecht se fait aussi plaisir, en amoureux du cinéma, avec une séquence superbe, où il détaille en dix minutes le destin de son héroïne, sans jamais la montrer. Une prouesse de montage et d'un choix d'objets et de symboles, montrés à l'écran, qui vont nous renseigner sur la nouvelle vie de femme entretenue de la jeune femme: les préparatifs d'un bain, une collection de Pékinois, les multiples couches d'habillage préparées par les mains d'une domestique, les bouteilles de parfum... Puis les chaussures élégantes, qui sont accompagnées des souliers noirs avec des guêtres de son amant. Enfin, un paravent sur lequel l'une après l'autre, les couches de vêtements viennent s'accrocher... mais la chemise de nuit, elle, y reste aussi: le dernier plan de la séquence est situé sur le côté d'un lit: le bras nu d'une femme éteint la lumière. A côté de la lampe, trahissant la situation, une miniature montre l'image d'une femme totalement nue.
Le film a aussi sa dimension morale, bien sûr, et le rôle joué par Hans est à la fois celui du traître (il va quasiment la répudier sur des soupçons injustifiables) et celui d'un homme qui va faire une tentative de sauvetage de la jeune femme une fois qu'elle travaillera 'unter die Laterne', sous le lampadaire, donc dans la rue. Une dimension naïve qui rappelle le credo de Lamprecht: commençons par agir et ne cherchons pas la solution politique. Un credo répété de film en film, qui allège leur portée au vu des critiques contemporains, mais qui donne curieusement à ces oeuvres oubliées une cohérence rare. Et in intérêt certain: je le répète, on peut penser aux autres cinéastes autant qu'on voudra, il n'empêche, ces films ne ressemblent qu'à eux-mêmes, hors des modes, des genres et des catégories courantes du cinéma de Weimar.
"Autour de...", c'était depuis Autour de La roue (de Blaise Cendrars, consacré au film-fleuve de Gance) le type de titre qui était donné aux films documentaires consacrés au tournage d'un film. Gance, qui financera lui-même outre Autour de La Roue (une bobine), un Autour de Napoléon (deux bobines) qu'on aimerait revoir, et un Autour de La fin du monde (également deux bobines) précieux qui contient de nombreuses images absentes du film fini, a créé une tendance, mais il n'était pas l'auteur unique des films en question. C'est également le cas de ce court métrage, signé par un journaliste et cinéphile, justement admirateur de Gance et de son cinéma, comme de L'Herbier.
L'idée de Dréville était simple: se déguiser en petite souris (ou pour reprendre l'expression Anglais, en "mouche sur le mur") et filmer le tournage de l'énorme superproduction L'Argent, de Marcel L'Herbier, en essayant de tout embrasser. La liberté dont Dréville a bénéficié sur le tournage se voit à l'écran, et on ne peut qu'être enthousiaste devant un film (de 39 minutes) aussi complet sur le quotidien d'une équipe de film. Il fait voir les images que Dréville a réussi à prendre de Brigitte Helm, Marie Glory, Henry Victor ou Pierre Alcover, tous concentrés sur la réussite d'un film auquel ils croyaient. Il reste que le plus fascinant à regarder est toujours L'Herbier, investi au point de modeler chaque mouvement de chaque geste pour ses acteurs... Et la technique cinématographique, dont l'amateur Dréville n'avait qu'une connaissance de fan, devient souvent non seulement le sujet objectif du film, elle est aussi utilisée à un degré d'invention rare pour un documentaire...
Le quatrième et dernier film Universal de Leni, qui allait décéder quelques mois plus tard, est assez proche de The cat and the canary, le premier, et le film probablement le plus célèbre de sa production Américaine. Il s'agit d'une énigme à tiroirs autour d'un thème de maison hantée, la maison étant cette fois un théâtre. Un immense avantage à cette intrigue, bien sûr, était qu'à la Universal, quand on avait besoin d'un décor de théâtre ou d'opéra, on avait déjà ça sous la main, depuis 1925!
L'intrigue commence par une représentation théâtrale perturbée: l'acteur principal, John Woodford (D'Arcy Corrigan), vient en effet de mourir en scène. Une mort louche, dont la police scientifique ne tirera rien, car le corps a disparu quelques minutes seulement après le constat du décès, et la panique qui s'ensuivit. Une affaire donc jamais élucidée, et propre à renvoyer chez eux tous les employés des lieux... Mais quelques années plus tard, sous la responsabilité de McHugh (Montagu Love), un solide producteur, les propriétaires, les frères Josiah (Burr McIntosh) et Robert Bunce (Mack Swain), font rouvrir les lieux, en compagnie d'une troupe qui contient beaucoup des anciens acteurs de la troupe, et quelques petits nouveaux: Richard Quayle (John Boles) va pouvoir retrouver sa petite amie l'actrice Doris Terry (Laura La Plante). Les rôles de John Woodford iront désormais à Harvey Carleton (Roy D'Arcy) qui auparavant jouait les "villains" à moustache, et d'autres acteurs complètent la troupe: on y reconnait en particulier Margaret Livingston, qui joue une femme manifestement ambitieuse qui s'attache très vite aux pas de Robert Bunce. Slim Summerville joue un électricien, et Bert Roach est le régisseur...
Evidemment, tout le monde est suspect, pour la police, qui s'arrache d'ailleurs bien vite les cheveux, mais aussi pour le public; l'intérêt n'est pas, pour nous, d'essayer de deviner qui a commis le crime, ni si les fantômes qui ne vont pas manquer de s'accumuler sont authentiques ou faux. L'intérêt bien sûr est de trouver du plaisir, en compagnie d'un casting exceptionnel, mais aussi d'un metteur en scène qui prend un plaisir gourmand à investir absolument chaque recoin du fabuleux décor, avec sa caméra. Le plaisir de filmer ici est tellement manifeste, que je suis persuadé qu'il y a plus d'un critique tatillon en France qui condamnerait ce film à vue pour sa virtuosité!
Quel dommage que Leni n'ait pu mettre ensuite sa virtuosité, justement, au service du cinéma fantastique de la Universal, comme c'était prévu. Il y a dans ses trois oeuvres Américaines qui nous restent, The cat and the canary, The man who laughs, et ce dernier film en forme de chant du cygne muet, tellement de promesses, qu'on n'ose imaginer comment il aurait pu donner sa version de Dracula, ou de la Momie... Et cet amoureux du spectacle, qui était un génie de la composition, savait mieux que personne imaginer les mouvements de caméra, et il était gonflé de surcroît, comme dans une des premières scènes où il demande carrément à son opérateur de passer sous le rideau dans la scène de panique, soulignant sans vergogne la présence continuelle d'une caméra au milieu des protagonistes... Il met en scène la peur des acteurs, devenus soudain malgré eux les marionnettes de plusieurs metteurs en scène: un ou plusieurs meurtriers, des policiers, un producteur qui cache quelque chose... devant le public du théâtre, ou plus simplement devant nous spectateurs, lors des répétitions, les cabotins jouent avec leur vie. Un cinéaste singulier, unique, qui avait certainement beaucoup à dire.... Flûte.
Fin décembre 1928, le film a été présenté et a été instantanément un triomphe: qu'on en juge: une année et quelques mois après The Jazz Singer de la Warner, la compagnie Fox pouvait se vanter d'avoir accompli une prouesse: un film 100% parlant, tourné en nombreux décors naturels et en son direct! Une obsession du studio, qui avait expérimenté sur plusieurs courts et moyens métrages avec les aléas du tournage parlant en extérieurs, et qui ne s'arrêterait pas là: The big trail (1930) est une épopée pour en témoigner.
Alors, Cummings ou Walsh, Walsh ou Cummings? Au départ, c'était le grand Raoul qui non seulement devait diriger le film, mais aussi interpréter le rôle du "héros" Cisco Kid. Quand il a eu un accident qui lui a d'ailleurs coûté son oeil, il a été remplacé par Cummings et le rôle a été repris par Warner Baxter. Maintenant, le film entier porte sa marque, à travers un certain nombre d'éléments: le picaresque, incarné ça et là par des acteurs qui sont ses copains (J. Farrell McDonald dans la séquence d'ouverture, James Marcus: tous deux composent des silhouettes de quidams inoubliables); les références à New York à travers le personnage de Edmund Lowe; et une multitude gags ethniques, références aux Irlandais, Chinois, Italiens, et Hispaniques qui peuplent l'Ouest de Walsh...
Cette histoire de bandit au grand coeur, trahi par la femme qui l'aime mais qui s'en sort au prix d'un grand sacrifice, n'a bien sûr pas un gramme d'intérêt, et on en oubliera très vite les contours. Quand au reste, il remplit le contrat du film: ça parle. pas très bien, et les accents de Dorothy Burgess et Warner Baxter donnent envie d'abattre le troupeau, mais le public de 1928 a du être conquis! Reste la curiosité d'un film situé dans les grands espaces aux confins de Monument Valley et qui nous fait entendre les sons des chevaux, coups de feu et autres diligences. Le cinéma devait sans doute en passer par là.
La Russie Tsariste vit ses derniers jours: sur le front, le Grande Duc Eugene (Charles Farrell) commande des soldats de moins en moins motivés; à l'arrière la famille impériale est sous l'influence d'un "moine noir" qui ne sera jamais nommé, mais il est inutile de nous faire un dessin. Dans la campagne, une jeune femme, Tasia (Dolores Del Rio) a été recueillie par des paysans, suite à l'assassinat de sa mère maîtresse d'école, et l'emprisonnement de son père qui souhaitait éduquer les paysans aux arts. Tout ce petit monde va se retrouver embarqué dans la même tempête, dans la même "danse rouge"...
Après son spectaculaire What price glory? de 1926, et le vénéneux Sadie Thompson qui le voit diriger Gloria Swanson en 1927, Walsh s'est donc illustré à la Fox, avec ce véhicule pour les deux stars de la firme. L'idée d'opposer cet éternel enfant de Charles Farrell et la sculpturale actrice mexicaine Dolores Del Rio promettait d'aboutir à des scènes intéressantes, et nous ne sommes pas déçus. La belle actrice a beau avoir publiquement regretté les rôles qu'on lui donnait à la Fox (Principalement à cause de la légèreté de la garde-robe), elle est assez proche de Garbo en un sens: elle rend n'importe quel personnage intéressant...
Par ailleurs, c'est du pur mélodrame, situé entre dénonciation des conditions sous les tsars, d'une part, et démonstration d'autre part des horreurs d'une révolution qui fait semblant de donner le pouvoir à des paysans alcooliques. A ce titre, je pense que Walsh n'a pas cru une seconde, et qu'il a traité le tout comme un film à mener tambour battant en s'amusant du mieux qu'il pouvait. Je préconise qu'on fasse de même.
N'empêche! le talent du metteur en scène pour nous embarquer dans une aussi improbable histoire, son sens de la composition qui éclate en particulier dans les séquences révolutionnaires (pas un paradoxe quand on connaît le tempérament du metteur en scène qui a appris à Griffith a gérer les scènes de bataille), et la façon dont il obtient de chaque acteur, particulièrement Farrell, Del Rio et Ivan Linow, un naturel reversant: tout ça, pour un petit film de rien du tout, est renversant.
Ce film est une véritable curiosité, dont l'existence même pose de nombreuses questions: qu'est-ce que Monty Banks, comédien Italo-Américain qui n'a jamais vraiment percé (disons qu'on ne l'associera pas avec Chaplin, Langdon, Keaton, Laurel ou Lloyd...) faisait à Londres en 1928? Pourquoi lui a-t-on confié ce film? Et par dessus tout, qui a laissé faire les transgressions contenues dans cette étrange comédie burlesque Britannique?
Sur un transatlantique, nous faisons la connaissance d'un certain nombre de personnes: un gentil jeune couple d'amoureux, la femme de chambre de la jeune femme, un escroc international et sa bande, trafiquants de drogue, et deux pickpockets alcooliques: concernant ces derniers, nous avons deux transgressions en une: que Fy Og Bi (Doublepatte et Patachon) soient des escrocs minables, passe encore, mais de redoutables pickpockets, ça ne leur va pas - et l'alcoolisme pratiqué par Madsen ici comme une religion et qui donne d'ailleurs son nom au film, ça fait très bizarre!
L'intrigue concerne le fait que pour écarter les soupçons, le bandit va se débarrasser d'un peu de cocaïne, en la cachant dans le vêtement du jeune amoureux, qui va immédiatement avoir des ennuis avec la justice. Les seuls témoins sont les deux vagabonds, mais ceux-ci sont débarqués dans un port par l'équipage: bref, course-poursuite, quiproquos divers, etc...
C'est plaisant, autant qu'une comédie décérébrée puisse l'être. Mais si on comprend très bien que la compagnie British International Pictures, qui souhaitait faire honneur à son nom, ait voulu faire du cinéma avec les deux immenses vedettes européennes qu'étaient Harald Madsen et Carl Schenström, j'aimerais savoir comment ce dernier a été amené à trahir son personnage et se laissant raser la moustache, et en apparaissant à la fin du film sous son vrai visage, celui d'un gentleman, certes grand, mais surtout élégant et semble-t-il désespérément normal. Oui: normal. Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark...
Avant-dernier film muet de Tod Browning, ce film taillé pour choquer un maximum, montre à la fois les caractéristiques de l'univers tout entier de Tod Browning, et ses limites de plus en plus flagrantes. Marqué par un montage serré et très sec, il fait preuve d'une mise en scène réduite à l'essentiel, et tout y est question d'atmosphère: la photo bien sûr, le jeu des acteurs: en pleine jungle, ils sont sales, suants, malades et on est en plein réalisme brutal. Et toutes les péripéties vont délibérément vers le sordide...
Phroso (Lon Chaney), un prestidigitateur de foire, est fou amoureux de sa jeune épouse, mais se rend compte qu'elle souhaite partir avec l'aventurier Crane (Lionel Barrymore). Celui-ci le lui explique, et dans la bagarre qui s'ensuit, Phroso se blesse et restera paralysé en dessous de la ceinture. Ce qui ne l'empêche pas de se mouvoir: quand il apprend quelques mois après que son épouse a trouvé refuge dans une église, il s'y rend, et c'est en rampant qu'il vient constater qu'elle est morte... dans l'église, il y a une petite fille, et Phroso jure alors devant Dieu qu'il fera payer Crane et sa fille...
Près d'une vingtaine d'années plus tard, "à l'ouest de Zanzibar", en pleine jungle, Phroso dirige un petit trafic de vol d'ivoire. Il ourdit une machiavélique vengeance qui implique d'attirer Crane, et de méthodiquement transformer sa fille (Mary Nolan) en une épave alcoolique. Mais il souhaite aller plus loin, en prenant appui sur une loi indigène qui décrète que quand un homme meurt, ses épouses et filles doivent l'accompagner dans la mort...
Tod Browning, illusionniste jusqu'au bout, utilise tous les écrans de fumée possibles et imaginables pour nous faire passer la pilule de cette "loi ancestrale" susceptible de sérieusement dépeupler les villages, et d'ailleurs noie tout son film dans la fumée, la boue, la nuit. C'est l'un des films MGM les plus désespérément noirs de toute la décennie... C'est aussi, probablement, une épure du style,ou du non-style de Browning. On constate que trois années avant le tournage de son Dracula, il installe son atmosphère particulière en multipliant les images d'animaux qui grouillent, garde ses distances face à tout ce beau monde, et laisse faire ses acteurs qui tout adoptent un jeu fait de grimace et d'excès: on est loin de la machine à glamour, et on voit que le studio commençait à ne plus trop savoir quoi faire, ni de Chaney, ni de Browning.
L'acteur commençait d'ailleurs à opérer une transition vers une carrière à la Lewis Stone, et désormais n'était plus l'amant délaissé, mais bien le père frustré (même s'il avait joué un peu les deux dans Laugh clown laugh); et dans Thunder, son dernier film muet, il jouerait un vieil homme sur le point d'être mis de côté... Avec West of Zanzibar, c'est un peu à un baroud d'honneur que le comédien nous convie: il y interprète pour la dernière fois un infirme qu'il doit jouer aussi physiquement que possible et joue avec force de son visage extraordinaire...
Et le metteur en scène oscillait entre succès et films problématiques. Je pense que West of Zanzibar n'ajoute rien à sa légende, et se contente de faire semblant de renouveler une formule en poussant au plus loin le bouchon de la cruauté, du bizarre et du malaise. ...le tout dans l'illusion, bien entendu. Et encore, le film a la réputation d'avoir été sévèrement coupé par la MGM avant sa sortie (ce que prouvent des photos de scènes qui sont absentes du film, dont une troublante apparition de Chaney avec un costume d'homme-poule, quatre ans avant Olga Baclanova)! Cela étant dit, cet avant-dernier muet de Browning vaut bien mieux que son film suivant, Where east is east, un film absolument et résolument vide du moindre intérêt.
Quel casting! Joan Crawford, Anita Page et Dorothy Sebastian, accompagnées de Nils Ashter et Johnny Mack Brown, sont des jeunes gens bien nés comme on dit, qui vivent en Californie. Nous allons suivre leurs soirées, leurs amours aussi, parfois en rivalité les un(e)s avec les autres... L'héroïne de ce film est Diana (Crawford), la plus énergique mais aussi la plus délurée des trois filles. Elle pense que la jeunesse est un moment dont il faut profiter, et le fait savoir, ce qui lui donne une réputation désastreuse auprès des parents! ...auprès des hommes aussi, du reste, même si ça ne les empêche pas d'en profiter. En dépit de son attirance pour elle (qu'elle fait tout pour encourager), le playboy Ben (Mack Brown) hésite à l'épouser; il finit par demander sa main à Ann (Page), qui le manipule depuis quelques temps en compagnie de sa mère obsédée par l'idée que sa fille puisse faire un "beau mariage". Pendant ce temps Diana trouve refuge auprès de sa meilleure amie Bea (Sebastian) qui s'est mariée avec Norman (Ashter): l'amour de ce dernier est étouffant au point qu'il a tendance à mettre son épouse sous cloche...
Trois femmes, trois comportements différents... Le film n'est pourtant pas porté par une vision morale très classique. Et cette histoire de femmes dessine aussi, en creux, un intéressant et impitoyable portrait des hommes, qui se servent du comportement parfois "risqué", souvent scandaleux, des jeunes femmes, jusqu'à ce qu'ils désirent se ranger, auquel cas les mêmes jeunes femmes deviennent tout à coup infréquentable. Il y a une ellipse, dans ce film, à laquelle on peut faire dire ce qu'on veut: est-ce que Ben a couché avec Diana? c'est probable, d'autant que l'une des raisons d'être de l'intense jalousie de Norman est cet euphémisme parfois rappelé par Bea rappelant qu'avant son mari, "il y avait eu des hommes"...
La cible de ce film, un énorme succès de l'année 1928 pour la compagnie Cosmopolitan et la MGM, était la jeunesse de la fin du jazz age, du moins en quelque sorte: le script a tout fait pour incorporer un maximum de cette ambiance de fête permanente de la bonne société Californienne des années 20, en favorisant le point de vue de quatre personnes: tous ont entre 20 et trente ans... Et pourtant il y a une sorte de morale parentale derrière. C'est sans doute un brin paternaliste, certainement motivé par une certaine démagogie bien dosée... c'est aussi constamment intéressant par une mise en scène inventive, notamment par le superbe travail de caméra.
Sachant que Beaumont n'est pas à proprement parler un grand metteur en scène, juste un technicien compétent qui fait ici sans doute son meilleur film, il convient de rappeler à quel point le cinéma Américain dans on ensemble est devenu un vivier artistique fabuleux en cette miraculeuse année 1928. Quand on voit ce que le metteur en scène du soporifique Beau Brummel (1924) est devenu capable de faire avec ce film, on en a une preuve en or... quant à Joan Crawford, excellente de bout en bout dans ce petit film qui repose sur son énergie, elle devra reprendre quasiment le même rôle dans deux autres films: un des derniers films muets en 1929, Our modern maidens, de Jack Conway, puis l'un des premiers films parlants de Crawford, Our blushing brides, de nouveau dirigée par Beaumont. Aucun des deux n'est proprement inoubliable... Celui-ci, la matrice, de par le reflet de la société de 1928 qu'il propose, de par son invention et la fraîcheur de ses interprètes qui se trouvent confrontées au rôle pur la première fois (Page reviendra dans les deux films suivants et Sebastian pour le troisième), a bien mérité son statut de classique.