Il y a du rififi au royaume de Pélicanie! Suffisamment pour motiver le retour de la Princesse Wajda, héritière du trône, pendant qu'un roi de pacotille règne mollement pour préparer le terrain à un félon héritier dont les dents rayent le parquet... Mais comme Wajda (Elisabeth Frederiksen) s'est reconvertie dans le music-hall, elle revient au pays flanquée d'un souffleur (Carl Schenström, le grand maigre) et d'un maquilleur (Harald Madsen, le petit rabougri) qui vont plus ou moins lui servir de gardes du corps... et se laisser berner par des espions! Mais peu de monde a repéré que le maquilleur est un sosie du roi, à moins que ce ne soit le contraire...
Ce dernier détail laisse vaguement entendre que le film serait une parodie du Prisonnier de Zenda, mais ce n'est jamais vraiment le cas... C'est un film assez poussif, en tout cas, pour lequel les deux compères du duo comique le plus apprécié d'Europe sont dirigés, non par Lau Lauritzen, mais par l'obscur Valdemar Andersen, qui s'en débrouille sans jamais faire preuve du moindre trait de génie. Les meilleurs moments, d'ailleurs, sont à prendre dans la première partie située dans un music-hall: on sent les deux compères à leur aise, et le lieu leur inspire quantité de gags. Dans la partie "aventures en Pélicanie" du film, on a tendance à les séparer...
Moins dirigés que d'habitude, les deux acteurs restent aussi fascinants à regarder, par contre, et inventent des foules de petits détails loufoques, comme le fait de repasser un pantalon en se frottant vigoureusement le fessier dessus, les fauteuils vivants, voire la brosse à dents bien calée sur l'oreille droite au moment du coucher...
Un ami de Roderick Usher se rend dans la maison de ce dernier, pour vérifier si tout se passe bien chez lui: il a entendu des nouvelles alarmantes... Et c'est vrai que ça ne va pas fort: le maître de l'horrible maison, perdue au milieu des marécages, se perd dans une folie furieuse, s'acharnant à peindre le portrait de sa femme comme l'ont fait ses ancêtres... Mais plus il la peint et plus l'original s'étiole. A la fin elle s'écroule, morte... Mais le portrait a plus d'un tour dans son sac.
Soutenu par Gance, dont la compagne Marguerite interprète ici le rôle de Madeline Usher, Epstein s'est jeté à corps perdu dans toutes les expériences de cinéma possible, pour déboucher sur une prouesse embarrassante: avec des moyens cinématographiques et poétiques considérables, et un sujet pour une histoire de fantômes en or massif, il a en une heure, pas plus, commis l'un des films les plus ennuyeux que j'aie vus. Et s'il fallait le passer à une autre vitesse, pour commencer?
Ce n'est pas parce qu'on entre dans ce film accompagné par le rugissement d'un lion, que c'est une production de la MGM... Non, si la firme de Culver City est bien le distributeur, Roy William Neill travaillait à l'époque directement pour les Kalmus et pour la société Technicolor. Rappelons que ce studio existe depuis le milieu des années 10, et qu'après des essais peu concluants, avait sorti deux films en 1922 (The Toll of the Sea, Chester Franklin) et 1924 (Wanderers of the Wasteland, Irvin Willat, probablement perdu), avant de se placer en marge: ils fournissaient leurs services et leurs techniciens pour saupoudrer de séquences en couleurs les longs métrages des autres studios (Beyond the rocks, Phantom of the Opera, The ten commandments, Ben-Hur, Lights of old Broadway, Long pants, Seven Chances, Stage struck, The merry Widow et même Greed...), tout en maintenant une production de courts métrages. L'acharnement de Douglas Fairbanks à réaliser une production en Technicolor (une histoire de pirates, pour lui, ça ne pouvait être fait qu'en couleurs!) avec The black pirate a relancé l'intérêt pour l'idée de produire de nouveaux longs métrages, d'autant qu'en 1927, un nouveau procédé plus pratique voit le jour...
The Viking est donc, non pas le premier long métrage en couleurs (vous lirez cette bêtise un peu partout, et ça m'énerve), mai bien le premier tourné avec le troisième procédé de Technicolor deux bandes. Il inaugure une nouvelle ère, puisque cette fois, si de nombreux studios vont continuer à saupoudrer (The Wedding march, The garden of Eden, Fig Leaves, The mysterious Island, Hell's angels, Glorifying the American girl ou Mammy peuvent tous en témoigner), le nombre de films intégralement en couleurs va s'accentuer: on aura bientôt Redskin (qui triche un peu, puisqu'il y a un quart du métrage qui est en noir et blanc), The Rogue song, The King of jazz, Whoopee, Under a Texas moon, Dr X ou The mystery of the wax museum... Et cette aventure de vikings a aussi l'insigne honneur d'être le premier film en Technicolor doté d'une bande-son...
Le problème, c'est qu'il est bien joli, ça oui, mais ce n'est pas un très grand film. Il est largement fondé sur l'attente d'un spectacle qui ne viendra jamais, et on sent les producteurs gênés aux entournures, entre la représentation des vikings en pleine saga maritime, et la nécessité de prêcher des valeurs aussi Chrétiennes que possible. On a donc ici une référence constante à la piété religieuse de Leif Ericsson (Donald Crisp), qui est présenté comme un visionnaire au milieu de sauvages, et si c'est basé pour une part sur des faits historiques, on sent qu'on se prive de beaucoup de scènes intéressantes! Les couleurs servent surtout à des effets décoratifs, la caméra bouge peu, ce qui est attendu (ce dispositif Technicolor était difficilement maniable), et donc au-delà de la palette, l'intérêt est moindre... Ces vikings constamment coiffés de casques à cornes (dorment-ils avec?) sont souvent assez ridicules, aussi... Plus grave, la vision de l'esclavage, qui devient ici une vaste blague, est gênante venant d'un pays qui a si longtemps fermé les yeux sur la pratique, ou en a carrément encouragé l'exercice...
Au seizième siècle, lors d'une pause dans les guerres de religion, une dame de la cour, Isabelle Ginori, se fiance à un noble catholique, Henri de Rogier. Mais elle est convoitée par un seigneur protestant trouble, aux fréquentations interlopes, et à la morale douteuse: celui-ci intrigue auprès de la régente Catherine de Médicis pour avoir ses chances auprès d'elle, et obtient de la mère du roi l'idée d'un défi: un combat entre les deux homes, dont l'enjeu serait la main d'Isabelle...
Reprenons les mots définitifs prononcés par Max Ernst, en chef des bandits dans L'âge d'or: "Quelle salade!"... Il est fort probable que Renoir n'avait pas la folle envie de tourner ce film, pas plus d'ailleurs que Marquitta (aujourd'hui perdu) et son dernier muet, Le bled. Mais en aspirant cinéaste professionnel (ce qu'il croyait qu'il allait être un jour, comme quoi tout un chacun peut se tromper), il avait de bonne grâce accepté ces missions... ca part pourtant de bons auspices: la compagnie qui a produit ce Tournoi est la même qui avait officié sur Le miracle des Loups, et sur Le joueur d'échecs. Deux fantaisies historiques effectuées avec rigueur par Raymond Bernard. D'ailleurs les remparts de Carcassonne, un décor déjà utilisé pour Le miracle, allaient être repris aussi bien pour ce film que pour la production de La vie merveilleuse de Jeanne d'Arc, de Marco de Gastyne... Les costumes montrent un certain savoir-faire, aussi, alors?
Eh bien, honnêtement, où se trouvait Renoir durant le tournage? Qui a cadré ce film? Certes, en bon cinéphile, Renoir a du voir dans certains films de Griffith mais aussi dans Metropolis, ces plans où l'action importante est dans le fond, derrière ce qui normalement à l'arrière-plan. Des occasions pour les cinéastes de cimenter l'impression de réalité... Il tente de reproduire cet effet à plusieurs reprises et se plante généreusement, donnant l'impression qu'on a monté bout à bout des rushes des répétitions. L'action se traîne (en cause, certainement, la lenteur du défilement choisi pour le transfert), et que dire de ces moments à faire, où un gros plan bien senti aurait fédéré un peu plus les spectateurs à ce spectacle ennuyeux? Par exemple, au moment où l'abominable traître vient de tuer un homme et essuie le sans sur son épée avec les cheveux de sa maîtresse, appelait une implication de cadre et de montage, qui est ici absente. En lieu et place: un plan général, vite fait mal fait, hop! Les préparatifs du tournoi sont autant de plans qui semblent avoir été tournés par un amateur pendant une parade d'une attraction équestre quelconque...
Renoir, sans doute, savait ce qu'il faisait, la preuve nous en est apportée par la façon dont il a traité la découverte d'un cadavre, partie importante de l'intrigue mais qui a été jetée par dessus les remparts en même temps que l'infortuné personnage. L'épisode est, là encore, traité en un seul plan: des soldats arrivent, en une grappe grossière. Ils voient le corps, et tous lèvent les yeux vers le haut des remparts: effet comique assuré.
Je suppose que ce comique est volontaire, sinon, je soupçonne que le metteur en scène de ce film a aussi peu de talent, que, disons, l'acteur abominable qui gâche certaines séquences de, au hasard, Partie de Campagne, La bête humaine et La règle du jeu... Un certain Renoir, Jean.
La jeune Else (Elizabeth Bergner) part en vacances avec des amis, à St Moritz. Sa beauté et sa fraîcheur, dans la petite station de ski en effervescence (ce sont les jeux olympiques d'hiver) ont attiré l'oeil d'un ami de son père, Von Dorsday (Albert Steinrück)... Pendant ces vacances, son père apprend qu'il est ruiné suite à un coup en bourse mal négocié. Les parents envoient donc à leur fille une lettre où ils lui supplient de demander un prêt à leur "ami". Celui-ci accepte, à une condition: voir la jeune femme nue...
Le film prend son temps pour arriver à ce stade: les vacances et leur douceur de vivre, mais aussi le statut particulier d'Else dans la famille, une jeune adolescente insouciante et heureuse de vivre, qui est adorée par les domestiques (une scène au début montre les convives d'un dîner se boucher les oreilles quand le maître de maison se met au piano, et quelques instants plus tard les domestiques tendent l'oreille quand Else lui succède...). a perspective des vacances l'enchante légitimement, et la caméra véloce et mobile de Karl Freund s'insinue dans chaque pièce, à la suite de la bondissante demoiselle...
Tout n'est pas réussi: la scène de la découverte de la ruine par les parents sonne juste mais est trop longue, et de fait, on aimerait rester plus longtemps en compagnie de l'héroïne. Mais une fois la cruauté de sa situation connue, tous les efforts précédents paient. En effet, dans ce film où tout va se résoudre dans un déshabillage crapuleux et profane, le quotidien et une certaine dimension innocente de la jeune femme nous ont été détaillées, en particulier les efforts pour s'habiller, entre une robe de mousseline, qui soulignait sa jeunesse, les habits adéquats pour faire du ski... Et pour finir les atours d'une jeune femme, pour aller quémander une aide. Le film nous montre ces habillages comme en écho d'une nudité que nous ne verrons jamais vraiment, mais qui est le centre du fil, dans une scène extraordinaire et d'une grande tristesse.. Le film est inspiré d'une nouvelle de Schnitzler, il est inutile de dire que l'ironie domine, et que ça ne se terminera pas bien...
Quant à Elizabeth Bergner, décidément après Le violoniste de Florence, on pourrait croire qu'elle aimait à interpréter les jeunesses... Mais c'est en phase avec son physique étonnant, et ce film n'en finit pas de nous convaincre, elle n'est pas Mary Pickford. Cette ironique et méchante initiation express est un conte d'une grande noirceur.
Diana Merrick (Greta Garbo) et Neville Holderness (John Gilbert), depuis leur plus tendre enfance, s'aiment... Selon toute probabilité, ils vont se marier, mais le père (Hobart Bosworth) de Neville, qui n'a jamais pu souffrir ni Diana ni son petit frère alcoolique Jeffry (Douglas Fairbanks, Jr), envoie son fils au diable pour travailler, et ruine ainsi toute chance de mariage entre les deux amants. Diana se console dans les bras de David (John Mack Brown), le meilleur ami de Jeffry, mais celui-ci meurt dans des circonstances mystérieuses; la rumeur a vite fait d'attribuer cette fin précipitée à son mariage avec Diana, et celle-ci, malgré le soutien inconditionnel du Dr Trevelyan (Lewis Stone), vieil ami de la famille qui veille sur les destinées des deux orphelins, va s'abîmer dans un cortège de relations éclair avec toute la jet-set Européenne...
Quand Neville reparaît dans la vie de Diana, c'est marié, avec la belle Constance (Dorothy Sebastian)... Mais tout n'est pas réglé, et bien entendu, des questions restent en suspens. La première d'entre elles, évidemment, est liée à la mort soudaine de David.
Mort soudaine dont nous avons été les témoins, dans une scène qui ne résout par contre pas tout... David et Diana viennent de se marier, et arrivent à l'hôtel. Pendant que Diana attend son mari dans son lit, celui-ci, visiblement éméché, regarde le riz qui encombre ses poches, comme pour tenter de réaliser sa chance d'avoir épousé celle qu'il aime depuis longtemps. Soudain, il réalise que des hommes viennent d'entrer dans leur suite: l'un d'entre eux sort une paire de menottes... David saute par la fenêtre sous les yeux de Diana qui s'était levée. Il nous faudra attendre la fin du film pour comprendre le fin mot de l'histoire, et personne n'en saura rien, rendant ainsi toutes les hypothèses possibles, aussi valides les unes que les autres, y compris celles qui sont énoncées, dans lesquelles Diana est une gourgandine de première classe.
D'ailleurs, revenons au début du film: Greta Garbo joue la Diana post-adolescente en fille capricieuse et gâtée, qui emmène Neville en automobile et conduit au mépris du danger... Elle conduit sa voiture comme elle conduira sa vie en quelque sorte. Le message envoyé est celui d'une femme sans filtre, qui croque la vie à pleines dents en menant les hommes par le bout du nez... ou d'une dangereuse aventurière, c'est selon. Un aitre aspect qui est parfois évoqué à travers l'utilisation d'un terme dans les intertitres, c'est l'assimilation du personnage à la masculinité: quand son honneur sera éclairci, plusieurs personnages référeront à elle comme étant un gentleman, c'est un point qui permet de toucher à un thème prudemment laissé dans le sous-texte par Clarence Brown avec la subtilité dont il savait faire preuve: la notion de transfuge des genres inhérente à la sexualité. Si Diana (chasseresse, bien entendu) fait collection d'aventures comme un homme, dans cette société encore corsetée, son frère Jeffry pour sa part noie dans l'alcool une passion secrète mais qu'il n'est pas bien difficile de deviner, pour le beau David. C'est d'ailleurs pour protéger son frère que Diana taira la vérité sur son mari, qui s'avère être un dangereux voleur de classe internationale!
Brown avait déjà montré dans Flesh and the Devil comment il savait réaliser des films dont la sensualité apparaissait en filigrane derrière la mise en scène, et fait ici la preuve, surtout dans la première heure du film, qu'il n'a pas perdu sa verve. Maintenant, le film reste sage par rapport à ce qu'on aurait pu envisager: ainsi la vie aventureuse de Diana la prédispose à des maladies honteuses, que le roman adapté détaillait. Sinon, après s'être revus, Diana et Neville sont de nouveau séparés, et Diana est malade: on apprend que neuf mois ont passé, le message est clair. A ce propos, si la MGM misait tout sur la "réunion" entre les deux stars et le metteur en scène de Flesh and the Devil, on note que le film sert aussi de galop d'essai à d'autres acteurs et actrices; le jeune Fairbanks a un rôle ingrat, mais il s'en sort fort bien; Johnny Mack Brown reste léger, et Dorothy Sebastian en opposé de Diana ("Constance", ben voyons!) est adorable. Brown se livre avec ses acteurs à l'un de ses péchés mignons, le jeu de caméra sur les visages; c'est sans doute Dorothy Sebastian qui a droit à la séquence la plus spectaculaire, dans une scène où e désarroi de l'épouse qui se comprend potentiellement trompée, se dessine sur son visage en gros plan...
Tout ça fait un film qui était probablement contractuel pour la plupart des acteurs; reste que c'est l'un des plus surprenants, peut-être LE plus surprenant des films muets Américains de Garbo. Maintenant il n'apporte rien à la légende de John Gilbert, si ce n'est de le cantonner dans un second rôle pas toujours convaincant... Avec ses non-dits, il s'élève sans problème au-dessus de la mêlée, mais il laisse quand même une certaine frustration par le fait qu'il arrive souvent que l'intrigue se cogne dans les murs...
Le film a deux titres. Le titre Russe signifie Le fils de Gengis Khan, alors que la présentation triomphale à Berlin en 1929 a été faite sous le titre évocateur de Tempête sur l'Asie. Les deux sont en fait objectivement justifié par les événements de la dernière partie du film...
Un paysan Mongol se rend au marché de la ville la plus proche pour y vendre des peaux. Mais il se heurte à la violence de spéculateurs étrangers: la Mongolie est occupée par une force étrangère (le film nous montre des officiers qui ressemblent à s'y méprendre à des Britanniques) et le jeune homme se fait arnaquer. Il riposte, et est aussitôt poursuivi par des militaires... Il trouve refuge, paradoxalement, sur les eaux gelées de la Taïga: on est chez Poudovkine...
Hors de portée de ses poursuivants, il se cache dans les montagnes, alors qu'y fait rage une lutte à mort entre les Russes d'un camp et de l'autre, pour l'installation d'un pouvoir Soviétique. Il prend instinctivement parti pour les Rouges, et fraternise. Mais il sera fait prisonnier par les Européens et condamné à mort, avant qu'un linguiste ne se rende compte qu'un document manuscrit qu'il porte sur lui, écrit dans une ancienne langue quasiment oubliée, ne l'authentifie comme l'héritier de Gengis Khan. Il devient du coup un dirigeant fantoche pour servir les intérêts Européens, mais ça ne va pas durer...
A en croire les commentaires des historiens, on est face à un monument, une sorte de western des steppes, deux heures et dix minutes de pur souffle épique... Ne nous emballons pas: une chose est sûre: ça dure, en effet, deux heures et dix minutes. Poudovkine a du se rendre compte, lui aussi, qu'à force de célébrer la Révolution puis de re-célébrer la Révolution, le cinéma Soviétique tournait en rond, d'où une idée simple: partir de la grande ville maintenant que l'empire Soviétique s'est considérablement étendu, et tourner là où on ne va jamais... D'où un prologue impressionnant, tourné en pleine steppe avec du vide à perte de vue... Mais le film est rarement décoratif. Le décor est là, et il est impressionnant, certes, mais il sert constamment l'histoire...
Le choix de Valery Inkijinoff, un acteur qui traverse l'histoire du cinéma en faisant le tour du monde, pour incarner le paysan Mongol, est excellent: il donne à son personnage une force peu commune pour incarner à la fois le Candide, ballotté de situation en situation, accueilli par les rouges et arrêté par les Européens... et en même temps, il est l'homme sûr de son bon droit, qui n'accepte pas l'impérialisme parce qu'il le ressent comme profondément injuste. Le film utilise à fond les ressources du montage (Poudovkine se livre d'ailleurs à de nouvelles recherches pour trouver de nouvelles techniques, parmi lesquelles un montage d'images uniques, par groupes de deux, qui donne des effets électriques un peu bizarres), pour installer l'inévitable et sacro-sainte dialectique Bolchévique: les Européens, les capitalistes, le patronat, mal. Les paysans, les Mongols (qui s'ouvraient au communisme à l'époque du tournage), les braves gens, les Bolchéviques: bien. Et une fois de plus c'est là que le bât blesse: en terme de suspense, c'est un peu râpé: on SAIT que les Britanniques vont se comporter comme des pourceaux, que les partisans soviétiques sont valeureux et que tous ont l'âme pure et ne sentent pas mauvais de la bouche... Le manichéisme fonctionne à plein régime, et le proverbial "souffle épique" vire à la propagande pure et dure. Notons que Poudovkine retourne à son pécéh mignon: la citation de Griffith, avec cette fois-ci pour le final, un rappel de la chevauchée des chevaliers du KKK dans The birth of a nation.
Alors le film est peu commun, fort différent par exemple des oeuvres d'Eisenstein; il utilise avec adresse le montage, et certaines séquences sont superbes. Inkijinoff est splendide, mais franchement, une bobine entière pour nous montrer les préparatifs d'un général Britannique et de son épouse, suivis par une visite documentaire d'une lamasserie en temps réel, ça sent quand même un peu le remplissage. Même si ces "vues documentaires" seront ensuite louées par les tenants du cinéma vérité, les Ruttmann et autres...
Maintenant, s'il s'agit de rappeler que la Révolution est inévitable, que le Tsarisme (quoique absent du film, cette fois) est un totalitarisme inacceptable, qu'il fallait que quelque chose arrive... Oui, on ne peut que constater. Quand même, il faut le dire: le cinéma Soviétique n'en finissait pas de se mordre a queue.
Mis en chantier après Street Angel de Frank Borzage, qui réunissait Charles Farrell et Janet Gaynor, il me semble que Fazil est une bonne indication d'une volonté délibérée d'érotiser l'acteur, dont les scènes sentimentales dans Old ironsides ou dans les deux films qu'il avait interprété pour Borzage, montraient surtout sa gaucherie (calculée), son côté enfant... Avec Fazil, Hawks avait pour mission de le transformer en un bouillant objet de convoitise pour les spectatrices, un peu à la façon d'un Valentino, en particulier dans sa version "Sheik", auquel ce film fait souvent penser...
Fazil (Farrell) est un prince Arabe fier, et respectueux des lois et coutumes de son pays (le film s'obstine à parler de "race", plutôt que de pays, mais n'étant pas coutumier des gros mots, je m'abstiendrai), doit se rendre à Venise pour une mission diplomatique. Il y fait la connaissance de Fabienne, une jeune Française en villégiature: c'est le coup de foudre réciproque, suivi du'n mariage hâtif... Mais Fazil, à Venise, se révèle un amant capricieux, et un mari jaloux. En particulier, il interdit à son épouse de laisser un autre homme la regarder. Remis à sa place, Fazil repart seul chez lui... Aidée de ses amis qui lui enjoignent de rebrousser chemin, Fabienne se met en tête de le rejoindre...
...et ça finira mal, selon un code bien inscrit dans la tête des gens: east is east, and west is west, and never the twain shall meet, soit l'orient et l'occident ne peuvent pas cohabiter. En d'autres termes, le film fonctionne entièrement sur la base raciste de l'idée qu'un Arabe avec une "Blanche", c'est impossible. Un fantasme délirant, infect et inacceptable aujourd'hui (si vous pensez différemment de ce que je viens d'écrire, je vous interdis de me lire), mais si parfaitement intégré à l'époque qu'on en a imprimé des kilomètres de pellicule. C'est même tout un genre, qui fonctionne sur le frisson de l'interdit, l'exaltation et l'adrénaline du mystérieux: The Sheik, The son of the Sheik, The Arab...
L'intérêt de cette entrée tardive dans le canon est de présenter avec Fabienne, une héroïne autrement plus dégourdie, et bien intéressante non seulement que les autres du genre, mais aussi et surtout que Fazil. En Greta Nissen, l'autre Greta (venue de Norvège via le Danemark), Hawks trouve une actrice qui est à la fois profondément sensuelle, sans exagération, et très naturelle. Fabienne tient tête à Fazil et s'essaie même à l'éduquer sur leur égalité. Les femmes de l'époque avaient conquis le droit de vote, aux Etats-Unis, car ce n'était pas un pays sous-développé comme la France, et cette démarche vers l'égalité informe beaucoup le personnage, et place le curseur du film sur un terrain plus intéressant que le racisme bête et brutal. C'est cette volonté d'égalité qui trouble Fazil (Farrell, évidemment, est troublé), et qui couplé à la franchise érotique du film, le rend finalement assez intéressant, tout en se vautrant dans la dernière bobine dans un tout-venant mélodramatique assez rébarbatif. Quelques belles scènes, d'autres au moins notables par leur aspect direct: le coup de foudre est situé de part et d'autre d'un canal, à Venise, et vu de trois points de vue: celui de Fazil, puis celui de Fabienne, et enfin du point de vue d'un gondolier qui passait par là; la scène du réveil de la nuit de noces est d'une sensualité sans égal; et enfin, la visite par Fabienne du harem de son mari, dont elle n'avait pas connaissance, est un festival de tenues pour lesquelles l'adjectif diaphane a sans doute été inventé...
On le voit, si sa légendaire façon directe de raconter (ici tout est linéaire) est déjà là, on est dans un domaine qui reste assez étranger à l'univers futur d'Howard Hawks, tel qu'il se constituera à l'époque du parlant. Du reste, au vu du film, avec les à-côtés les plus cocasses voire saugrenus (pourquoi avoir demandé à Dale Fuller de porter un nez postiche, par exemple? Pour l'enlaidir? était-ce vraiment nécessaire?) qui semblent trahir le fait que pour le metteur en scène, tout ça n'était pas bien sérieux... Et le film suivant de Charles Farrell, qui recadrera les choses, permettra de situer cette recherche de l'érotisme du personnage, plus près de son caractère naïf: il sera Allen John Pender dans le merveilleux The river de Frank Borzage.
Une coproduction Germano-Danoise, un casting Européen, et au final, un film qui semble être complètement passé inaperçu en cette fin d'année 1928, alors que tous les regards étaient sans doute tournés vers les microphones Hollywoodiens, ces étranges objets auparavant inutiles et dont on attendait beaucoup... On ne refait pas l'histoire mais quel dommage.
On ne refait pas l'histoire, mais on peut tout au moins l'illustrer ou s'en servir à bon escient pour un conte. Celui-ci est tragique, cruel même, mais l'auteur a eu l'excellente idée d'y imposer le rythme d'une comédie, en se reposant beaucoup, au début du moins, sur l'abattage mutin de la dynamique actrice Karina Bell: en pleine révolution, la citoyenne Léontine est donc la bonne, femme de chambre et confidente d'une noble, jusque là épargnée par les affres de la Terreur, et qui s'apprête à convoler en justes noces avec un émigré. Sandberg donne dans ses premières bobines un rôle assez important à cette domestique, qui restera un personnage de premier plan jusqu'à l'avant-dernier quart du film; c'est elle qui va chercher à manger qui négocie avec les commerçants, qui reste le rempart de sa maîtresse contre le destin.
Celle-ci, nommée Alaine de l'Estelle (Diomira Jacobini), semble ne pas trop se soucier de cette Révolution dont elle ne comprend sans doute pas la portée, toute à sa promesse de bonheur, fût-il fugace... Et il le sera, car en même temps que son fiancé, l'officier émigré Prosper (Paul Henckels), Alaine voit arriver une troupe Révolutionnaire, conduite par deux officiers: Montaloup (Fritz Kortner) et son ami et second Marc Aron (Gösta Ekman)... Ils sont assez prompts à prononcer l'arrêt de mort de Prosper et Alaine, qui a fauté en hébergeant dans sa chambre d'auberge l'officier. Montaloup, sur la suggestion du mystérieux Marc Aron, accorde aux deux jeunes mariés le droit de passer une dernière nuit, mais Prosper, obsédé par sa survie, refuse d'entendre raison. Il négocie avec Marc Aron, qui accepte d'échanger sa place avec lui: quand l'officier émigré fuit, seul, Alaine comprend que le Lieutenant Révolutionnaire vient d'échanger sa vie contre une nuit d'amour...
L'histoire est hautement romantique, et a déjà été filmée dans les années 15, sous la direction de August Blom, qui n'est quand même pas n'importe qui! C'est donc à du matériau éprouvé que s'attaque Sandberg, qui ne change pas grand chose de l'intrigue (en gardant en particulier une durée de 75 minutes sur les 95 du film, pour l'épisode à l'auberge), mais se réfugie dans le souffle de l'aventure, en reconstituant de façon brillante et économique le Paris de la Révolution, et en poussant son sens du détail très loin.
Il se repose aussi beaucoup sur les acteurs: vous ne pouvez avoir échappé aux deux grands noms du cinéma Allemand (même si Ekman est Suédois, il a tourné dans Faust après tout) qui ont participé à la distribution du film, et Sandberg a confié un rôle fantastique à Kortner, qui n'est jamais un personnage diabolique: au contraire, c'est un idéaliste révolutionnaire qui souffre de devoir faire exécuter son meilleur ami... Le metteur en scène confie par contre à Gösta Ekman une impressionnante figure romantique. Un amant inattendu, qui préserve une grande part de mystère jusqu'au bout... Dans ce film qui comme je le disais est rythmé comme une comédie, Sandberg utilise aussi le suspense lié au temps en rythmant ses bobines de vues d'une pendule: nous savons que l'exécution des amants est planifiée pour 6 heures... L'essentiel de l'action se passe la nuit, et les scènes nocturnes bénéficient du savoir faire du réalisateur et de son chef-opérateur Chresten Jorgensen, qui a déjà travaillé avec lui. Les scènes nous montrant Léontine, cherchant à se faire "des amis", c'est-à-dire à corrompre quelque soldat, et errant au milieu des bivouacs improvisés dans l'auberge, sont absolument splendides.
Donc, une fois de plus c'est dommage, mais que voulez-vous? Les films de qualité, qui sont sortis cette année-là pour se planter en beauté, son tellement nombreux, qu'on ne peut plus s'en étonner. Reste que c'était le dernier film muet d'un auteur précieux, et totalement oublié depuis, qui n'allait jamais, dans les dix années qui lui restaient à vivre, retrouver le succès: c'est fâcheux!
Couvée par sa maman très (trop) Catholique, la belle Andalouse Mercédès (Alice Roberte) qui se destine la mort dans l'âme au couvent, se trouve dans une situation inattendue: un fringant Parisien, venu pour affaire dans l'Andalousie de ses ancêtres, a eu un accident et doit trouver le repos chez elle. Ils tombent amoureux, et Angel (Charles Vanel) repart donc à Paris avec celle qui va devenir sa femme.
Sauf qu'à Paris, il y a Suzanne (Arlette Marchal), qui fut longtemps la maîtresse d'Angel, et qui ne savait pas qu'elle allait être supplantée... Elle va donc tout faire, au nez de Mercédès et et la barbe d'Angel, pour reprendre celui qu'elle considère à elle... Pour sa vengeance, elle a décidé de mettre Mercédès dans les mains d'Harry (Harry Pilcer), un danseur TRES séduisant.
Avant-dernier long métrage de Durand, La Femme Rêvée est un peu son va-tout, sa presque dernière chance. Le metteur en scène, après la première guerre mondiale, n'a jamais vraiment retrouvé son enviable position de 1914, quand il était le prince de la comédie de destruction et le paradoxal roi du western Camarguais... Remis en selle par Perret en 1925, il entendait avoir du succès avec ce film, mais il est resté confidentiel.
Et pour cause: de salon en casino, de scènes bien réglée et rangée en conversation mondaine qui bien que muette nous est donnée in extenso, on attend longuement, avec de moins en moins de patience, qu'il y ait un peu de cinéma là-dedans. Quand enfin le film s'emballe, à une demi-heure de la fin, on est ravi, mais c'est trop tard: on a déjà assisté à l'ennuyeux drame bourgeois dans lequel Charles Vanel et sa subtilité, Arlette Marchal et son jeu dune grande sobriété, doivent servir de faire-valoir aux scènes entre Pilcer (assez quelconque, pour résumer) et Roberte (pas convaincante, en tout cas bien moins que dans son rôle magnifique dans un film de Pabst tourné juste après); un comble!
Bon, au moins dans cette dernière demi-heure, avons-nous un Vanel qui prend enfin le taureau par les cornes, des scènes Espagnoles d'une grande beauté qui rappellent un peu l'univers des westerns Camarguais de Durand, un accident de voiture, du suspense, et enfin une tempête et un orage aussi spectaculaires que métaphoriques, pour lesquels une vraie bourrasque a servi d'intermédiaire, et des truquages très accomplis ont permis d'ajouter de bien inquiétants éclairs...