Il aurait fallu pouvoir compter sur Paul Leni. mais la mort du metteur en scène en 1929 a été un point final tragique à une carrière prometteuse, que le fait d'avoir été cantonnée au muet a aussi précipitée dans l'oubli pendant très longtemps. Décorateur génial à Berlin, il a aussi très vite mis en scène des films sans jamais abandonner, du moins en Europe, sa première activité... On lui doit un film expressioniste tardif, Le cabinet des figures de cire (1924), film à sketches avec Emil Jannings, Wilhelm Dieterle, Conrad Veidt et Werner Krauss, soit le gratin du cinéma Allemand; appelé à Hollywood par Carl Laemmle qui souhaitait lui aussi avoir sous contrat un génie Européen (Il en aura d'ailleurs plusieurs, puisque outre Leni, Karl Freund et Paul Fejos réaliseront aussi des films pour la Universal durant les dernières années du muet ou les débuts du parlant), il dirige des films esthétiquement très différents de ce qui se pratique alors à Hollywood, et va beaucoup faire pour définir un style fantastique dont la firme fera le socle d'un genre à venir: en d'autres termes, sans l'arrivée de Leni et son Cat and the canary (1927), pas de Dracula (1931) ni de Frankenstein (1931). Leni était d'ailleurs le réalisateur pressenti pour Dracula lors des premiers préparatifs de l'adaptation de la pièce inspirée du roman de Bram Stoker.
Avant The man who laughs, il y a The hunchback of Notre-Dame (Worsley, 1923), puis The phantom of the opera (Julian, 1925), bien sur: tout en restant une usine à films (La fameuse "usine à saucisses", comme l'appelait sans grande affection Erich Von Stroheim), la firme de Carl Laemmle cherchait le prestige, en s'inspirant de romans fantastiques ou gothiques Français, après avoir cherché la classe du coté de Stroheim et de ses poisons Viennois... Le succès de Lon Chaney dans les deux premiers films ne pouvaient qu'appeler une suite, et le fait d'avoir de nouveau recours à Hugo s'explique de multiples façons: l'adaptation de Notre-Dame de Paris avait été une tâche difficile, mais pas aussi complexe que The phantom of the opera, qui avait du être retourné puis remonté durant un an avant que des compromis acceptables voient le jour, et les romans de Hugo reposaient moins sur le sensationnel que ceux de Leroux. Et L'homme qui rit, roman mineur de Victor Hugo, permettait de toucher paradoxalement un plus grand nombre par son sujet étonnant, tout en permettant un creuset de genres. Il est probable que le film était déja dans les cartons au moment ou se terminait le montage du Fantôme, mais le fait que Chaney ait définitivement dit adieu à la Universal en partant pour la MGM a du freiner les ambitions du studio... Par contre, dès son arrivée, Leni est l'homme idéal pour le film, étant probablement le plus prestigieux des réalisateurs de la firme. Il est vrai que la Universal est un studio que l'on quitte (Stroheim, bien sur; Ford, Ingram, Wyler...) mais auquel on revient peu (Sauf Browning!)... les metteurs en scène sont plus à l'aise dans les prestigieuses Fox, MGM et Paramount...
Arrive alors Conrad Veidt: venu à Hollywood sur l'insistance de John Barrymore qui voulait travailler avec le prestigieux acteur Allemand (The beloved rogue, Crosland, 1927), il est aussitôt pressenti par Leni autant que par Laemmle pour jouer le rôle de Gwynplaine. Il est remarquable de constater que Laemmle, considéré comme un abominable inculte (une blague célèbre lui prête un mémo envoyé à un assistant, après que le patron de la Universal ait vu une pièce de Shakespeare: Carl Laemmle demandait à rencontrer l'auteur pour lui faire signer un contrat...), avait en ce qui concerne le cinéma de son pays d'origine un instinct redoutable: il avait fait venir Leni, Veidt, à la Universal, et s'était chargé de signer le contrat de distribution du Dernier des hommes, ce qui eut pour effet de faire venir Murnau à Hollywood... Veidt, encore marqué dans les esprits par sa participation de premier plan au cinéma expressionniste, n'était pas Lon Chaney, mais il était juste lui aussi un immense acteur, dont le jeu énorme garantissait les grands frissons pour un tel rôle; de plus, son physique particulier le rendait là aussi idéal... Pour compléter la distribution, Leni a pioché d'une part dans le vivier d'acteurs de la Universal, avec le méchant Brandon Hurst (The hunchback of Notre-Dame), et l'actrice Mary Philbin (The phantom of the opera); il a aussi sur compter sur les grands "character actors", notamment Josephine Crowell, plus une faune de gens souvent aperçus dans les petits rôles durant les années 20: John George, Cesare Gravina, Lon Poff... enfin, Leni et Veidt se sont tous les deux impliqués dans le débauchage d'une actrice Russe de passage, Olga Baclanova, dont Sternberg alait vite repérer l'insolente plastique (probablement dans The man who laughs, justement) et l'engager pour deux films.
Gwynplaine, un enfant héritier du domaine d'un ennemi politique du roi James II, est vendu à des gitans qui vont le défigurer afin de faire de lui un monstre de foire. Désormais paré d'un éternel sourire grimaçant, il échappe à la mort lorsque ses nouveaux maîtres sont sommés de partir d'Angleterre; il est recueilli en même temps qu'une petite fille aveugle, Déa, par Ursus, un forain. Les trois vont rester ensemble et
monter un spectacle basé sur le physique particulier de Gwynplaine. Mais les intrigues de cour vont les rattraper, puisque les biens et les terres qui doivent revenir à Gwynplaine sont sous le contrôle de la duchesse Josiana, une cousine de la reine à la beauté (et la libido) sans limites...
Le mal dont souffre Gwynplaine est qu'il aime Déa, sans retenue, mais qu'il se demande si elle serait toujours amoureuse si elle pouvait le voir. De son coté, la jeune femme aime sans aucune condition celui auprès duquel elle a grandi, et leur idylle est surveillée de près, avec tendresse, par Ursus... Par comparaison, le reste du monde régi par la politique du royaume d'Angleterre est sans pitié, et bien sur l'éminence grise de la Reine Anne, qui jouait déjà ce rôle sous le roi James, est également de mèche avec la duchesse Josiana. Celle-ci, interprétée par Olga Baclanova, est d'une importance capitale pour l'intrigue, dans la mesure ou elle va servir à Gwynplaine de révélateur durant un épisode du film: venue voir la pièce L'homme qui rit, avec en vedette un
Gwynplaine au succès phénoménal, elle a décidé de le séduire... une scène fougueuse de séduction durant laquelle Baclanova fait fondre la pellicule s'ensuit. De son coté, Gwynplaine est motivé par son propre amour, ce qui peut paraître paradoxal: il se dit que si une femme peut le désirer tel qu'il est, alors il n'y a plus d'obstacle à son amour avec Déa. Ne nous le cachons pas, cette dernière, jouée par Mary Philbin, est l'un des moindres intérêts du film... Baclanova a d'ailleurs droit à une autre scène érotique, durant laquelle elle est vue prenant un bain, à travers de nombreux dispositifs pour (à peine) cacher son corps.
Veidt, assisté par Jack Pierce dont le studio utilisera bientôt la science du maquillage pour ses films fantastiques (le fameux monstre de Frankenstein par Boris Karloff!!), a composé un personnage laid, dont le sourire permanent et grimaçant est encore aujourd'hui inconfortable. L'acteur joue de ses yeux extraordinairement expressifs, et de son corps long et élancé. Le maquillage de Veidt était si contraignant qu'il garantissait que le film ne pouvait qu'être muet tant il était malaisé pour l'acteur de parler durant le tournage...
Les moyens dont Leni a bénéficié sont très impressionnants, et on sent la confiance que lui témoignait Laemmle; les décors certainement largement récupérés de productions antérieures, dont The hunchback of Notre-dame bien sur, sont utilisés avec un sens plastique extraordinaire, la photo joue de toutes les nuances de gris, les costumes sont superbes... il commande sans difficultés aux foules qui peuplent son Londres post-expressionniste. Et Leni n'a pas son pareil pour truffer son film de détails macabres, comme ces gibets dans la brume durant les scènes hivernales. Du coup, le film quant il est vu dans sa version intégrale restaurée est l'un des plus beaux et vénéneux à voir de toute la période muette Américaine...

Je le disais: la maîtrise dont Leni a fait preuve sur ce film lui garantissait de mener la révolution des films d'horreur Américains, un genre dans lequel le cinéma Américain a toujours été mal à l'aise... Avant que la firme ne produise coup sur coup Dracula et Frankenstein en 1931. Mais le sort en a décidé autrement, puisque Leni ne fera, après cet Homme qui rit, qu'un seul film, The last Warning, petite comédie à frissons située dans le monde du théâtre qui n'a rien d'indispensable... Mais avec The man who laughs, il a signé le meilleur des trois films gothiques fleuves que la Universal a produit durant le muet, un des plus beaux films de l'année, et un film qui aurait été un immense succès et un grand classique... si le parlant n'avait pas été tant à la mode en dépit de ses imperfections techniques durant cette fatidique année 1928.
Faut-il le préciser? la sortie en DVD et Blu-Ray, dans la somptueuse collection Criterion, du film Lonesome de Paul Fejos, est un événement inespéré. Et non seulement ce film, témoin de la très curieuse période durant laquelle le cinéma parlant va naître du cinéma muet, nous est présenté dans une version restaurée qui rend justice à son incroyable richesse formelle, mais il est en guise de bonus accompagné de deux autres longs métrages, le dernier muet de Fejos The last performance et son premier film parlant, /image%2F0994617%2F20230721%2Fob_a0b215_qvz32ypstw1qsbbdvzg2fatzw3rolx-large.jpg)
Non que le tournage ait été facile... comment en aurait-il été autrement avec un tel sujet? Un film, quasiment un western, mais privé des morceaux de bravoure qu'après Stagecoach on assimilerait systématiquement au genre, tourné en plein désert avec un vent à décorner les boeufs, qui souffle en permanence de la poussière... L'actrice, en perte de vitesse au box-office, a par ailleurs besoin d'un matériau adulte, et de ne pas trop se reposer sur son image éthérée de vierge éternelle... Elle a donc sélectionné elle-même le roman de Dorothy Scarborough, dont l'adaptation a été confiée à la scénariste Frances Marion: le film, en 75 minutes, nous détaille de façon hallucinante la transformation d'une femme déçue, une Bovary sudiste (Elle vient de Virginie!) qui doit affronter la crudité du monde, symbolisée par la tourmente incessante d'un vent et de tempêtes de sable, et s'éveiller aux sens, à son corps défendant d'ailleurs. Letty Mason arrive au Texas pour vivre chez son cousin, persuadée qu'elle va trouver un endroit plaisant à vivre, mais se retrouve chez des paysans qui vivent dans des cabanes délabrées, en plein désert, en plein vent... Et la femme de son cousin ne voit pas arriver une rivale potentielle avec la plus grande bienveillance. Au bout de quelques jours, Letty se voit contrainte de choisir un mari pour quitter les lieux. Trois choix possibles: Wirt Roddy, un séduisant voyageur de commerce, Lige Hightower et Sourdough, deux cow-boys amis de la famille...
porte au moment ou il la presse de partir avec lui est sans ambiguïté: la nuit n'a pas été pour elle la révélation d'un amour... Elle est prête à le tuer pour l'empêcher de la prendre avec lui.
but. Du reste, Sjöström a beaucoup utilisé la fragmentation des corps dans son film, de multiples façons: les pieds qui jouent à la place des visages dans la scène évoquée plus haut; les mains des personnages, soit cadrées en gros plans, soit seuls "accessoires" utilisés par le metteur en scène et les acteurs (La scène ou Cora, l'épouse, regarde Letty sans bouger, sauf sa main qui tient un énorme couteau de boucher et en essuie le sang sur son tablier...); les yeux de Wirt Roddy (Montagu love) quand il regarde successivement la photo de Letty telle qu'elle était à son arrivée, puis la jeune femme aussi délabrée que la cabane dans laquelle elle vit, rendue folle par le vent... De même qu'il sait mettre en valeur n'importe quelle partie du corps pour pour lui faire exprimer des émotions, Sjöström a de toute façon un grand sens du détail, comme on l'a vu avec le fameux holster dont dépasse une arme qui va symboliser autant le viol que le meurtre qui suit.
Oui, car si on a beaucoup reproché au système Hollywoodien d'avoir imposé un happy-end à Sjöström et Lillian Gish pour ce film par ailleurs structuré en cinq actes en dépit de sa brièveté, il n'en reste pas moins que Lillian Gish se rend coupable d'un meurtre, même si comme le dit son mari, il a été commis de bon droit. Et ces deux amants poussés l'un contre l'autre par le vent et le sort plus que par l'amour, doivent désormais vivre dans la prudence, car ils ont un lourd secret à dissimuler.. On peut rêver plus heureux, non?
Je tiens Jacques Feyder pour le meilleur cinéaste Français des
années 20, tout bonnement... Mais il faudrait le faire revenir au premier plan, ce qui n'a rien d'aisé. de temps en temps, un film se rappelle à notre bon souvenir, et la chaine Arte a beaucoup
fait pour redonner l'occasion au grand public (Du moins celui qui accepte de se laisser tenter...) de voir notamment Crainquebille, Visages d'Enfants,
Gribiche, Carmen, et même The Kiss, film Américain dont la vedette est Greta Garbo. Au sein d'une oeuvre protéiforme, plombée par la
légende d'un film disparu, le Thérèse Raquin de 1927 dont tous les historiens nous disent qu'il fut sans doute son chef d'oeuvre, ce film brille d'un éclat particulier. Rare
comédie politique, doublée d'une allégorie subtilement symbolique, le film est aussi un brin sentimental, cousin en cela des oeuvres du gentil mais talentueux René Clair à la même époque. Je
pense en particulier aux Deux timides, mais aussi et surtout au Chapeau de paille d'italie dans lequel Clair abandonnait sa tendance à l'onirique un peu bouffon
pour tenter soudain une certaine vision burlesque mais réaliste de notre société. Les nouveaux messieurs emprunte d'ailleurs à ce film son acteur principal, Albert Préjean,
et se garde de pousser la satire politique jusqu'au grotesque, sauf dans une scène de rêve, qui est restée la séquence la plus célèbre du film (Durant laquelle les députés sont en fait des
ballerines rêvées par un vieux politicien assoupi)...
Pièce gentiment
populaire, le film n'aurait pas du faire de vagues, proposant après tout une satire de bon aloi: le propos de Feyder n'est que d'observer la vie politique de l'intérieur, en substituant à lamour
de la république l'amour d'une seule et même femme, qui va devenir la motivation principale, pour Gaillac, de devenir député, et pour Montoire, de renverser le gouvernement dont fait partie son
rival. Hésitant sans cesse, la jeune femme symbolise une Troisième République instable, qui tend toutefois à se réfugier dans le giron de la droite par sécurité... et puis les petits travers et
petites combines sont évoqués avec prudence, depuis l'entrevue entre adversaires qui cherchent des passe-droits et du favoritisme, à la tentation d'écarter un rival dangereux en l'exilant dans
une quelconque ambassade. Pourquoi le film a-t-il été censuré? la raison officielle est toute simple: "atteinte à la dighnité du parlement"... La faute à un gouvernement (Des gouvernements, tant
ils passaient vite) englué dans le conservatisme, qui souhaitait sans doute cantonner le cinéma à un rôle d'amusement public. Pour la même raison, L'Age d'or aura à subir la
censure lui aussi... Mais si Feyder est loin ici de la chronique sublime de l'enfance (Visages d'enfants) ou de la peinture d'une obsession meurtrière
(L'Atlantide, Carmen), il n'en reste pas moins que son film, impeccable dans son interprétation comme dans on montage, est la preuve que le cinéma Français avait
à l'époque de la compagnie Albatros, un savoir-faire impressionnant, et des metteurs en scène capables non seulement de vouloir faire des films différents et ambitieux dans un cadre commercial à
l'instar du cinéma Américain. ...Que Feyder dégouté par l'accueil réservé à son film allait alors rejoindre.
Et puis dans ce film qui s'intitule Four sons, comment faire l'impasse sur la mère? Après Mother Machree, avant Pilgrimage, avant The grapes of wrath, cette mère Fordienne jouée par Margaret Mann est un personnage qui a toute la tendresse de Ford, et qui lui donne le rôle central, dans le film, mais aussi dans deux scènes composées autour d'elle: elle fête son anniversaire en compagnie de ses quatre fils, tous autour de la table. c'est un moment sacré. Au début du dernier acte, elle est seule, et les imagine tous autour d'elle, par la magie de la surimpression... Le dernier acte du film nous conte comment Joseph la fait enfin venir chez lui, et ce qui n'aurait du être qu'un simple happy ending devient une anecdote riche, celle d'une vieille dame accidentée par la vie qui est perdue dans une grande ville, ne parlant pas la même langue que les habitants.../image%2F0994617%2F20230717%2Fob_7931e5_speedy-criterionbd.jpg)

Réalisé à nouveau par Harry Langdon, et pensé sans doute en réaction au flop monumental de Three's a crowd, The chaser n'a fait qu'envenimer les choses. Il n'aura pas plus de succès, et ne sera jamais vraiment apprécié, bien qu'il présente une comédie noire et typique du style de Langdon, à nouveau épaulé par un script du à son complice Arthur Ripley. Le film commence par deux cartons introductifs: Dieu a fait l'homme à son image, et un peu plus tard, il a créé la femme. Les mêmes cartons reviennent en conclusion, après une heure durant laquelle les auteurs auront usé de toute leur sauvagerie et d'un certains sens de l'absurde pour explorer une certaine forme de mysoginie, mais aussi l'ineptitude de Harry en tant qu'homme.../image%2F0994617%2F20230719%2Fob_e95c70_mb6gef7osb6xgh8tmxthvmufhiwmtb-large.jpg)






