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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 16:40

Il aurait fallu pouvoir compter sur Paul Leni. mais la mort du metteur en scène en 1929 a été un point final tragique à une carrière prometteuse, que le fait d'avoir été cantonnée au muet a aussi précipitée dans l'oubli pendant très longtemps. Décorateur génial à Berlin, il a aussi très vite mis en scène des films sans jamais abandonner, du moins en Europe, sa première activité... On lui doit un film expressioniste tardif, Le cabinet des figures de cire (1924), film à sketches avec Emil Jannings, Wilhelm Dieterle, Conrad Veidt et Werner Krauss, soit le gratin du cinéma Allemand; appelé à Hollywood par Carl Laemmle qui souhaitait lui aussi avoir sous contrat un génie Européen (Il en aura d'ailleurs plusieurs, puisque outre Leni, Karl Freund et Paul Fejos réaliseront aussi des films pour la Universal durant les dernières années du muet ou les débuts du parlant), il dirige des films esthétiquement très différents de ce qui se pratique alors à Hollywood, et va beaucoup faire pour définir un style fantastique dont la firme fera le socle d'un genre à venir: en d'autres termes, sans l'arrivée de Leni et son Cat and the canary (1927), pas de Dracula (1931) ni de Frankenstein (1931). Leni était d'ailleurs le réalisateur pressenti pour Dracula lors des premiers préparatifs de l'adaptation de la pièce inspirée du roman de Bram Stoker.

Avant The man who laughs, il y a The hunchback of Notre-Dame (Worsley, 1923), puis The phantom of the opera (Julian, 1925), bien sur: tout en restant une usine à films (La fameuse "usine à saucisses", comme l'appelait sans grande affection Erich Von Stroheim), la firme de Carl Laemmle cherchait le prestige, en s'inspirant de romans fantastiques ou gothiques Français, après avoir cherché la classe du coté de Stroheim et de ses poisons Viennois... Le succès de Lon Chaney dans les deux premiers films ne pouvaient qu'appeler une suite, et le fait d'avoir de nouveau recours à Hugo s'explique de multiples façons: l'adaptation de Notre-Dame de Paris avait été une tâche difficile, mais pas aussi complexe que The phantom of the opera, qui avait du être retourné puis remonté durant un an avant que des compromis acceptables voient le jour, et les romans de Hugo reposaient moins sur le sensationnel que ceux de Leroux. Et L'homme qui rit, roman mineur de Victor Hugo, permettait de toucher paradoxalement un plus grand nombre par son sujet étonnant, tout en permettant un creuset de genres. Il est probable que le film était déja dans les cartons au moment ou se terminait le montage du Fantôme, mais le fait que Chaney ait définitivement dit adieu à la Universal en partant pour la MGM a du freiner les ambitions du studio... Par contre, dès son arrivée, Leni est l'homme idéal pour le film, étant probablement le plus prestigieux des réalisateurs de la firme. Il est vrai que la Universal est un studio que l'on quitte (Stroheim, bien sur; Ford, Ingram, Wyler...) mais auquel on revient peu (Sauf Browning!)... les metteurs en scène sont plus à l'aise dans les prestigieuses Fox, MGM et Paramount...

 

Arrive alors Conrad Veidt: venu à Hollywood sur l'insistance de John Barrymore qui voulait travailler avec le prestigieux acteur Allemand (The beloved rogue, Crosland, 1927), il est aussitôt pressenti par Leni autant que par Laemmle pour jouer le rôle de Gwynplaine. Il est remarquable de constater que Laemmle, considéré comme un abominable inculte (une blague célèbre lui prête un mémo envoyé à un assistant, après que le patron de la Universal ait vu une pièce de Shakespeare: Carl Laemmle demandait à rencontrer l'auteur pour lui faire signer un contrat...), avait en ce qui concerne le cinéma de son pays d'origine un instinct redoutable: il avait fait venir Leni, Veidt, à la Universal, et s'était chargé de signer le contrat de distribution du Dernier des hommes, ce qui eut pour effet de faire venir Murnau à Hollywood... Veidt, encore marqué dans les esprits par sa participation de premier plan au cinéma expressionniste, n'était pas Lon Chaney, mais il était juste lui aussi un immense acteur, dont le jeu énorme garantissait les grands frissons pour un tel rôle; de plus, son physique particulier le rendait là aussi idéal... Pour compléter la distribution, Leni a pioché d'une part dans le vivier d'acteurs de la Universal, avec le méchant Brandon Hurst (The hunchback of Notre-Dame), et l'actrice Mary Philbin (The phantom of the opera); il a aussi sur compter sur les grands "character actors", notamment Josephine Crowell, plus une faune de gens souvent aperçus dans les petits rôles durant les années 20: John George, Cesare Gravina, Lon Poff... enfin, Leni et Veidt se sont tous les deux impliqués dans le débauchage d'une actrice Russe de passage, Olga Baclanova, dont Sternberg alait vite repérer l'insolente plastique (probablement dans The man who laughs, justement) et l'engager pour deux films.

 

Gwynplaine, un enfant héritier du domaine d'un ennemi politique du roi James II, est vendu à des gitans qui vont le défigurer afin de faire de lui un monstre de foire. Désormais paré d'un éternel sourire grimaçant, il échappe à la mort lorsque ses nouveaux maîtres sont sommés de partir d'Angleterre; il est recueilli en même temps qu'une petite fille aveugle, Déa, par Ursus, un forain. Les trois vont rester ensemble et monter un spectacle basé sur le physique particulier de Gwynplaine. Mais les intrigues de cour vont les rattraper, puisque les biens et les terres qui doivent revenir à Gwynplaine sont sous le contrôle de la duchesse Josiana, une cousine de la reine à la beauté (et la libido) sans limites...

 

Le mal dont souffre Gwynplaine est qu'il aime Déa, sans retenue, mais qu'il se demande si elle serait toujours amoureuse si elle pouvait le voir. De son coté, la jeune femme aime sans aucune condition celui auprès duquel elle a grandi, et leur idylle est surveillée de près, avec tendresse, par Ursus... Par comparaison, le reste du monde régi par la politique du royaume d'Angleterre est sans pitié, et bien sur l'éminence grise de la Reine Anne, qui jouait déjà ce rôle sous le roi James, est également de mèche avec la duchesse Josiana. Celle-ci, interprétée par Olga Baclanova, est d'une importance capitale pour l'intrigue, dans la mesure ou elle va servir à Gwynplaine de révélateur durant un épisode du film: venue voir la pièce L'homme qui rit, avec en vedette un Gwynplaine au succès phénoménal, elle a décidé de le séduire... une scène fougueuse de séduction durant laquelle Baclanova fait fondre la pellicule s'ensuit. De son coté, Gwynplaine est motivé par son propre amour, ce qui peut paraître paradoxal: il se dit que si une femme peut le désirer tel qu'il est, alors il n'y a plus d'obstacle à son amour avec Déa. Ne nous le cachons pas, cette dernière, jouée par Mary Philbin, est l'un des moindres intérêts du film... Baclanova a d'ailleurs droit à une autre scène érotique, durant laquelle elle est vue prenant un bain, à travers de nombreux dispositifs pour (à peine) cacher son corps.

Veidt, assisté par Jack Pierce dont le studio utilisera bientôt la science du maquillage pour ses films fantastiques (le fameux monstre de Frankenstein par Boris Karloff!!), a composé un personnage laid, dont le sourire permanent et grimaçant est encore aujourd'hui inconfortable. L'acteur joue de ses yeux extraordinairement expressifs, et de son corps long et élancé. Le maquillage de Veidt était si contraignant qu'il garantissait que le film ne pouvait qu'être muet tant il était malaisé pour l'acteur de parler durant le tournage...

Les moyens dont Leni a bénéficié sont très impressionnants, et on sent la confiance que lui témoignait Laemmle; les décors certainement largement récupérés de productions antérieures, dont The hunchback of Notre-dame bien sur, sont utilisés avec un sens plastique extraordinaire, la photo joue de toutes les nuances de gris, les costumes sont superbes... il commande sans difficultés aux foules qui peuplent son Londres post-expressionniste. Et Leni n'a pas son pareil pour truffer son film de détails macabres, comme ces gibets dans la brume durant les scènes hivernales. Du coup, le film quant il est vu dans sa version intégrale restaurée est l'un des plus beaux et vénéneux à voir de toute la période muette Américaine...

 

Je le disais: la maîtrise dont Leni a fait preuve sur ce film lui garantissait de mener la révolution des films d'horreur Américains, un genre dans lequel le cinéma Américain a toujours été mal à l'aise... Avant que la firme ne produise coup sur coup Dracula et Frankenstein en 1931. Mais le sort en a décidé autrement, puisque Leni ne fera, après cet Homme qui rit, qu'un seul film, The last Warning, petite comédie à frissons située dans le monde du théâtre qui n'a rien d'indispensable... Mais avec The man who laughs, il a signé le meilleur des trois films gothiques fleuves que la Universal a produit durant le muet, un des plus beaux films de l'année, et un film qui aurait été un immense succès et un grand classique... si le parlant n'avait pas été tant à la mode en dépit de ses imperfections techniques durant cette fatidique année 1928.

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Published by François Massarelli - dans Muet Paul Leni 1928 **
15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 17:40

Faut-il le préciser? la sortie en DVD et Blu-Ray, dans la somptueuse collection Criterion, du film Lonesome de Paul Fejos, est un événement inespéré. Et non seulement ce film, témoin de la très curieuse période durant laquelle le cinéma parlant va naître du cinéma muet, nous est présenté dans une version restaurée qui rend justice à son incroyable richesse formelle, mais il est en guise de bonus accompagné de deux autres longs métrages, le dernier muet de Fejos The last performance et son premier film parlant, Broadway, dans des versions miraculées...

Lonesome fait partie de ces oeuvres, en 1928, qui montraient un visage différent du cinéma, proche des gens, et qui sont contenues entre The crowd, à la narration fleuve encore classique qui suit un homme simple de son enfance à sa peu glorieuse vie d'adulte, et Sunrise, dont l"intrigue est limitée à une journée et une nuit. Mais Lonesome va encore plus loin, puisqu'il conte un samedi dans la vie de deux personnes, qu'on voit partir au travail le matin, puis dans leur activité, enfin partir en week-end pour affronter la solitude avant de partir tous deux sur un coup de tête pour Coney Island, où ils se rencontreront enfin... pour mieux se perdre et comprendre l'amertume de la solitude...

Avec cette intrigue qui n'en est pas vraiment une, Fejos fait de l'or. rappelons que le metteur en scène était arrivé à la Universal après avoir réalisé en amateur un film aujourd'hui perdu, The last moment, dont Chaplin lui-même avait asuré la diffusion par United Artists comme il l'avait fait pour Salvation Hunters de Sternberg. C'est donc en quasi-amateur, ne se refusant rien, qu'il aborde son film, en se laissant guider par son instinct, et en confiant les rôles principaux à deux comédiens issus du burlesque, qui ont tous deux travaillé chez Roach, et ne sont pas à proprement parler des gravures de mode, Barbara Kent et Glenn Tryon. Le film commence par une incursion dans New York qui renvoie au documentaire européen façon Ruttmann, et Fejos conte son film en ayant recours à des surimpressions, en utilisant le son: trois séquences dialoguées, mais aussi beaucoup d'effets sonores synchrones, et des passages ou l'image ne fonctionne pas sans la bande sonore, comme ce moment ou les deux héros, chacun à son tour, entendent une fanfare qui va ensuite leur donner l'envie d'aller effectivement à Coney Island. Fejos utilise pourtant plus l'image que le verbe, et le langage corporel de Tryon est souvent mis à contribution... Lors des séquences d'attractions à Coney Island, on a aussi une utilisation de la couleur, teintes et couleurs appliquées à la main: Bref, le film est une envie permanente de cinéma, déguisé en un petit film mélodramatique tendre, qui en plus finit bien!

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Paul Fejos Criterion **
19 août 2012 7 19 /08 /août /2012 09:22

Ne soyons pas timides: The wind est le couronnement de la carrière de Lillian Gish, actrice de premier plan dont la longévité force presque autant le respect que son génie. C'est aussi une grande date pour le réalisateur Victor Sjöström, tout en étant hélas son chant du cygne, et tant qu'à faire, rangeons-le par la même occasion dans la catégorie des meilleurs films de 1928, oui, oui, l'année de The circus, Steamboat Bill Junior, Street Angel ou The last Command: ça en impose...

Et comme de bien entendu, cet admirable film n'a pas eu le succès escompté, sorti en novembre 1928 à l'issue d'un montage qui n'a pas été de tout repos, le film a du subir les interférences de distributeurs qui espéraient ne pas avoir de nouveau un film de Lillian Gish qui se termine en tragédie, et surtout en cette fin d'année on aurait été voir n'importe quel film à condition qu'on y parle un peu... The wind était glorieusement muet, se contentant d'utiliser la bande-son pour fournir un accompagnement musical sans aucun relief.

Le carton de titre, qui clame "A Victor Seastrom production" (Seastrom était l'américanisation de Sjöström), ne doit pas nous tromper: à la base du film, on trouve Lillian Gish, actrice de renom, dont l'aventure en indépendante entre 1922 et 1924 n'avait produit que deux films, The white sister et Romola, tous deux de Henry King; cela l'avait amenée en 1925 à accepter une proposition de Irving Thalberg de venir s'installer à la toute nouvelle MGM, afin de grossir les rangs des acteurs sous contrat du studio. Le prestige de l'actrice était son principal atout, et l'un des objectifs de l'actrice était d'aller de l'avant, et de ne plus être associée systématiquement à son ancien mentor David Wark Griffith... Ce n'était pas faute d'avoir tout fait pour se dégager de son influence, jusqu'à avoir réalisé un film, aujourd'hui perdu, Remodeling her husband (1920), avec sa soeur Dorothy dans le rôle principal, et quand même sous la supervision de Griffith. A la MGM, Lillian Gish a la plupart du temps choisi ses scripts, ses partenaires, ses réalisateurs... et a relativement peu tourné: The wind n'est que son cinquième film pour le studio, après La bohême (King Vidor, 1926), The scarlet letter (Victor Sjöström, 1926), Annie Laurie (John S. Robertson, 1927) et The enemy (Fred Niblo, 1927). les deux premiers étaient des oeuvres artistiquement ambitieuses, menées par l'actrice, mais les deux suivants représentaient un compromis entre elle et le studio. Pas The wind: du moins, pour le film, Lillian Gish, Victor Sjöström et Irving Thalberg parlaient semble-t-il d'une seule voix, et le choix du metteur en scène incombait à Lillian Gish seule.

 

Non que le tournage ait été facile... comment en aurait-il été autrement avec un tel sujet? Un film, quasiment un western, mais privé des morceaux de bravoure qu'après Stagecoach on assimilerait systématiquement au genre, tourné en plein désert avec un vent à décorner les boeufs, qui souffle en permanence de la poussière... L'actrice, en perte de vitesse au box-office, a par ailleurs besoin d'un matériau adulte, et de ne pas trop se reposer sur son image éthérée de vierge éternelle... Elle a donc sélectionné elle-même le roman de Dorothy Scarborough, dont l'adaptation a été confiée à la scénariste Frances Marion: le film, en 75 minutes, nous détaille de façon hallucinante la transformation d'une femme déçue, une Bovary sudiste (Elle vient de Virginie!) qui doit affronter la crudité du monde, symbolisée par la tourmente incessante d'un vent et de tempêtes de sable, et s'éveiller aux sens, à son corps défendant d'ailleurs. Letty Mason arrive au Texas pour vivre chez son cousin, persuadée qu'elle va trouver un endroit plaisant à vivre, mais se retrouve chez des paysans qui vivent dans des cabanes délabrées, en plein désert, en plein vent... Et la femme de son cousin ne voit pas arriver une rivale potentielle avec la plus grande bienveillance. Au bout de quelques jours, Letty se voit contrainte de choisir un mari pour quitter les lieux. Trois choix possibles: Wirt Roddy, un séduisant voyageur de commerce, Lige Hightower et Sourdough, deux cow-boys amis de la famille...


Qui peut nous émouvoir aussi bien que Lillian Gish lorsque, sommée de choisir un mari pour survivre elle trouve comme par hasard rapidement la perle rare dans la personne de l'élégant voyageur de commerce (Montagu Love) qui la fréquente avec une certaine assiduité depuis le début du film? Elle réussit à maintenir la naïveté de son personnage sans pour autant se priver de lui faire exprimer ses désirs (en écho au personnage d'Hester Prynne dans Scarlet Letter, qui conduit effectivement le pasteur vers des rapports charnels, sans hésitation aucune, et sans apparaître pour autant une femme de mauvaise vie...). Mais l'homme est déjà marié, et Letty devra faire un autre choix. Et la scène de séduction finale, lorsque l'homme s'introduit dans la cabane de Letty Mason, toujours virginale, n'en prend que plus de poids: on peut dire que c'est un viol, mais le fait est que le personnage de Letty Mason consent et accepte son destin: elle choisit, entre la fuite et l'errance dans le vent ou le quasi-viol par un homme qui par ailleurs la séduit, le moins pire des deux, et scellera son choix en tuant l'homme. Elle le tuera dans un geste ô combien ironique, puisque le révolver est l'objet que Sjöström choisit de cadrer, dépassant de son holster, pour suggérer le rapport sexuel (on hésite à parler de nuit d'amour...) qui vient de se produire: après l'inévitable ellipse, on revient dans la cabane. L'homme se rhabille, ses armes sont sur la table. Letty les regarde, puis regarde l'homme au moment ou celui-ci se rhabille. Le regard qu'elle lui porte au moment ou il la presse de partir avec lui est sans ambiguïté: la nuit n'a pas été pour elle la révélation d'un amour... Elle est prête à le tuer pour l'empêcher de la prendre avec lui.


On est loin des bluettes Griffithiennes... Le forte de Sjöström, l'utilisation des éléments du décor et des éléments tout courts, dans le but d'exprimer les passions humaines, trouve un écho formidable dans une Lillian Gish magnifiée par l'approche de la quarantaine(Il faut voir la scène, célèbre du reste, dans laquelle la jeune oie blanche se transforme d'un coup en créature plus charnelle, mais sans en avoir conscience, en se coiffant, révélant de façon troublante sa chevelure jusqu'ici contenue, qu'elle coiffe avec énergie... La répression des pulsions est au coeur de cette scène et de ce film...) et sa collaboration fantastique avec Lars Hanson, qui donne une impressionnante consistance à son personnage de bouseux frustré: Lui qui croit que Letty le choisit par amour, il découvre à la faveur d'une scène magistrale de lune de miel maladroite (Sjöström ne cadre que les pieds des acteurs, exprimant leur désir, leur hésitation, leurs impulsions et leurs déplacements; une idée qui pourrait être attribuée à Lillian Gish, qui aimait les scènes d'amour les moins explicites possibles) qu'elle ne l'épouse que pour avoir un toit. Le personnage, jusqu'ici bouffon, va acquérir une véritable dimension tragique par le sacrifice auquel il consent: il va permettre à sa femme de partir et économise dans ce but. Du reste, Sjöström a beaucoup utilisé la fragmentation des corps dans son film, de multiples façons: les pieds qui jouent à la place des visages dans la scène évoquée plus haut; les mains des personnages, soit cadrées en gros plans, soit seuls "accessoires" utilisés par le metteur en scène et les acteurs (La scène ou Cora, l'épouse, regarde Letty sans bouger, sauf sa main qui tient un énorme couteau de boucher et en essuie le sang sur son tablier...); les yeux de Wirt Roddy (Montagu love) quand il regarde successivement la photo de Letty telle qu'elle était à son arrivée, puis la jeune femme aussi délabrée que la cabane dans laquelle elle vit, rendue folle par le vent... De même qu'il sait mettre en valeur n'importe quelle partie du corps pour pour lui faire exprimer des émotions, Sjöström a de toute façon un grand sens du détail, comme on l'a vu avec le fameux holster dont dépasse une arme qui va symboliser autant le viol que le meurtre qui suit.

 

Oui, car si on a beaucoup reproché au système Hollywoodien d'avoir imposé un happy-end à Sjöström et Lillian Gish pour ce film par ailleurs structuré en cinq actes en dépit de sa brièveté, il n'en reste pas moins que Lillian Gish se rend coupable d'un meurtre, même si comme le dit son mari, il a été commis de bon droit. Et ces deux amants poussés l'un contre l'autre par le vent et le sort plus que par l'amour, doivent désormais vivre dans la prudence, car ils ont un lourd secret à dissimuler.. On peut rêver plus heureux, non?

Quoi qu'il en soit, The wind est un admirable chef d'oeuvre, un film dont le visionnage s'impose... si on peut le voir, puisque Warner qui détient les droits du film, se refuse pour l'instant à l'éditer, ni dans un DVD ou Blu-ray digne de ce nom, ni dans la collection de VOD Warner archives. Le film est juste régulièrement programmé sur TCM. Un jour, peut-être...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Victor Sjöström Lillian Gish *
29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 07:11

The Mating Call est clairement un cas à part dans la fresque du cinéma Américain... Cruze, Hughes, ce film doit son existence à deux fortes têtes, l'un déterminé à continuer à jouer un rôle de premier plan, après avoir commis plusieurs films importants, l'autre décidé à devenir un nom qui compte parmi les producteurs de Hollywood: James Cruze a en effet réalisé The covered wagon , Hollywood, et Old ironsides; Howard Hughes tente avec insistance un assaut du box-office depuis quelques années: avec Lewis Milestone, on lui doit aussi Two Arabian knights qui obtint le rarissime Oscar pour la meilleure comédie. The mating call n'est pas un film fréquemment traité par les historiens, en raison d'abord de sa rareté. Il a disparu sans laisser de traces peu de temps après son exploitation, et bien que distribué par Paramount, il appartenait à Caddo pictures, la société de Hughes, et n'a pas pu bénéficier des conditions optimales de préservation d'un grand studio... Et sa position de production indépendante tend à l'éloigner des radars, également... Il a heureusement été redécouvert, puis restauré, dans le cadre d'une collaboration bienvenue entre TCM et Flicker alley, en même temps que deux autres films muets de Caddo: Two Arabian Knights (Lewis Milestone, 1927) et The racket (Film remarquable de Lewis Milestone, 1928). Des trois films, celui-ci est le plus étonnant... il combine de façon assez extravagante plusieurs genres, aborde des sujets particulièrement tabous, et le fait en multipliant les provocations. On sait que Hughes s'est attiré les foudres de la censure en 1943 avec son film The outlaw, un western d'une rare médiocrité, mais qui dévoilait une proportion inédite des arguments de Jane Russell. Pourtant The outlaw n'est rien à coté de ce film.

Edicté en 1922, le Code Hays est en théorie une liste de recommandations afin d'éviter tout débordement. Le but de ce document approuvé par tous les studios est non pas de censurer les films, mais d'éviter qu'ils soient censurés par les localités de tous les états ou ils sont distribués. Y sont inscrits des conseils à suivre par les studios, qui doivent veiller à ne pas faire de vagues en matière de représentation de la sexualité, de la perversion, de l'adultère, de nudité évidemment, d'homosexualité, mais aussi en matière de criminalité, de violence et d'agitation politique. La peinture du racisme ordinaire, par exemple, y est peu recommandée, en raison des troubles à l'ordre public que cela peut engendrer. Ainsi un film qui pronerait l'égalité entre les différentes races (Le terme "race" a un sens pour certains états en 1928, ne l'oublions pas, même s'il n'a absolument aucun sens pour un être humain évolué de 2012) serait-il forcément refusé par un studio, sachant qu'il serait automatiquement banni par les Etats du Sud. Ainsi, les studios produisent-ils en 1928 des films standardisés qui ne dépassent pas du cadre imposé, ou apparemment pas puisque certains d'entre eux réussissent à passer entre les lignes, certains metteurs en scène passant maitres en matière de suggestion et de contournement. Pas The mating Call. Non que le film soit prude ou consensuel, loin de là; mais ce que je veux dire c'est qu'il ne cherche pas à passer entre les lignes en insistant sur la suggestion. Il est au contraire d'une frontalité assez rare pour un film de cette époque...

Leslie Hatten (Thomas Meighan), un vétéran de la première guerre mondiale, revient chez lui après trois ans passés en France. Il a particulièrement hâte de retrouver Rose (Evelyn Brent), son épouse: il s'est marié juste avant de partir au front, littéralement, il n'a pour tout souvenir que la cérémonie de mariage et un baiser: pas le temps pour la nuit de noces... C'est donc un peu fébrile qu'il arrive dans sa petite ville, persuadé qu'elle sera là pour l'accueillir à la gare... Mais il apprendra vite qu'elle n'est en fait pas son épouse: elle n'avait pas la majorité requise au moment du mariage, et ses parents ont pu sans problème faire annuler le mariage... Elle est donc mariée, cette fois entièrement légalement, au brutal Lon Henderson (Alan Roscoe). A partir de ces prémisses, on s'attend un peu à ce que le film prenne soit la forme d'une comédie de la reconquête par Leslie de son épouse, soit d'un mélodrame dans lequel les vrais amants ne seraient réunis qu'après que Leslie aurait tiré la vertueuse Rose des griffes de son mari brutal et adultère... Et c'est là qu'on a tout faux. Bien sûr, ce type de mélodrame ne se fait plus guère en 1928, et bien sûr de fait, Lon est en effet brutal et adultère. Mais il n'est pas le seul dans ce dernier cas...

Rose, en effet, voit le retour de Les avec un certain intérêt. Elle n'a semble-t-il pas trop changé d'avis à son égard: il l'intéresse beaucoup. Et elle lui fait très vite comprendre qu'elle passerait bien du temps avec lui. Elle va même jusqu'à impliquer Les dans une machination visant à reconquérir sa liberté: elle s'introduit chez lui officiellement pour demander sa protection contre son mari, le vampe avec insistance (Brent sort le grand jeu, se frottant sans aucune équivoque contre Thomas Meighan, qui n'a pas si souvent eu à subir de tels assauts), et de fait lorsque son mari intervient, elle offre l'image d'une femme qui a suffisamment fauté pour qu'un divorce soit inéluctable. Mais Leslie ne veut pas d'elle, et prétend alors qu'il est lui aussi marié... Coup de théâtre imprévu pour le spectateur également, ce stratagème qui vise bien sur à faire taire toutes les rumeurs, mais également à empêcher Rose de lui porter préjudice oblige Leslie, qui prétend donc s'être marié en France, à trouver dare-dare une prétendante pas trop regardante: il se rend donc à Ellis Island, la station d'immigration principale de la Côte Est, comme on se rend au marché au mariage.

C'est donc à ce moment qu'arrive la deuxième femme du film: Renée Adorée, alors en contrat à la MGM (The Big Parade, The Black Bird, La Bohême, The show, Mr Wu)... Française et préposée à jouer les Européennes, petite et mutine, elle est ici Catharine, une jeune immigrée Russe qui va accepter le marché proposé par Les: Avec ses parents, elle intègre la ferme, ils aident tous les trois en travaillant, mais elle devient l'épouse de Leslie. Ils sont mariés sur place, et vont ensuite s'installer. Et très vite, la jalousie de Rose (Et son mépris évident à l'égard de celle qu'elle considère évidemment comme une domestique) va se manifester; de son côté, Catharine va vite manifester une certaine frustration face à ce mari qui maintient ses distances, et la considère effectivement plus comme une employée que comme une épouse. Elle va donc devoir s'imposer à lui, et le rappeler à ses devoirs conjugaux.

Deux derniers points s'imposent dans ce qui reste une intrigue bien compliquée: tout ce qui précède relève plutôt de la comédie, et on y voit d'ailleurs beaucoup de bases de ce que sera plus tard la screwball comedy. Mais en plus de ce jeu risqué autour du mariage, il y a une autre intrigue entre Rose te son mari Lon: celui-ci a fricoté avec Jenny, une jeune femme du village... Celle-ci, surveillée par son père, se suicide lorsqu'elle comprend que Lon ne l'épousera jamais. et d'autre part, le village est régi par une société secrète, "the order", l'ordre: avec leurs masques et leurs rencontres nocturnes autour d'une croix, et leur sale manie de se mêler de ce qui ne les regarde pas, difficile de ne pas penser au Ku-Klux-Klan. mais ils ne s'intéressent absolument pas à des hypothétiques rapports raciaux: ils sont juste là pour faire en sorte que tout un chacun dans le village se conduise en accord avec les principes de la Bible, versant Sudiste. Donc adultère, jeu et alcool sont proscrits... C'est en partie pour éviter de trop exciter ces lyncheurs invétérés que Les a préféré se trouver une épouse, et aussi parce que le petit jeu de Rose a attiré l'attention de ces Klansmen de pacotille. 

Voilà donc un cahier des charges particulièrement important: comédie conjugale, vie rurale, description d'une société régie par le KKK, Ellis Island et l'exploitation de fait des immigrants devenus presque des esclaves, sexualité exacerbée, adultère, tricheries diverses, sensualité exposée... Commençons par la peu banale présence des gens de l'"ordre". Bien sûr, ce n'est pas la première fois que le KKK est représenté à l'écran, voir à ce sujet le film controversé Birth of a nation de David Wark Griffith. Mais dans les années 20, évoquer le KKK, c'est parler d'un sujet compliqué, une organisation considérée comme un simple groupe de pensée par les uns, comme un groupe terroriste par les autres, dont les activités criminelles (Lynchage, intimidation, meurtre, incendies...) sont vécues au quotidien et niées par une importante partie de la population Américaine, et le tout revient à mettre sur le tapis un sujet de fâcherie qu'il n'était pas souhaitable d'aborder (Tout comme la référence au lynchage d'un blanc en 1936 dans Fury de Lang renvoie dans l'inconscient collectif à la notion de lynchage, et donc forcément aux meurtres racistes aussi). Bien sûr, on pourra objecter qu'il n'est absolument pas question de la population noire ici (Contrairement à Birth of a nation, bien sur, mais aussi à Stars in my crown, de Jacques Tourneur, 1945), mais la simple présence dans le film d'un groupe assimilable au Ku-Klux-Klan reste particulièrement notable... D'autre part, un aspect du film tend à minimiser cette représentation en la plaçant sur le plan folklorique: Les, soupçonné de meurtre va être "jugé" par le groupe, mais une fois qu'il est innocenté, les hommes masqués lui rendent sa liberté, et s'excuseraient presque... On est loin de la terreur fasciste effectivement érigée en système de gouvernement dans le sud profond par le vrai KKK. On le voit, l'audace du film a donc des limites.

En situant un épisode du film à Ellis Island, Hughes et Cruze abordent un aspect quasi-documentaire de l'époque, assez rare en ces termes: bien sur, il y a des immigrés dans le cinéma muet, quelques fois, certains films dénoncent certains aspects. Mais dans un film "commercial" de cet acabit, il est rare d'évoquer quelque aspect que ce soit d'Ellis Island, la station principale d'immigration de l'époque, surnommée The isle of tears (L'île des larmes) en raison de la tension particulière qui y régnait pour des immigrants fatigués d'un voyage pénible, et dont la vie pouvait basculer dans un sens ou dans l'autre (Même si à l'époque, la plupart des immigrants étaient acceptés). On ressent ce dernier aspect dans le "quitte ou double" joué par Renée Adorée lorsque Thomas Meighan vient chercher une femme à la station d'immigration, et la remarque cruelle de Evelyn Brent, certes motivée par la jalousie, atteint bien son but: elle rencontre Catharina, lui fait nettoyer ses chaussures, et dit à Les qu'elle aimerait bien rencontrer son épouse, après avoir fait connaissance de la domestique. Immigrant, une position on le voit pas facile, une fois arrivé au pays de la liberté. 

Enfin, en terme de sexualité, le film fait peu dans la dentelle si j'ose dire, et James Cruze et Howard Hughes ont poussé le bouchon assez loin: il est pour commencer beaucoup question d'adultère, grâce à deux personnages: Lon et Rose, d'ailleurs mariés - au début du film du moins. Lon a donc une relation extra-conjugale (qui se finira tragiquement) avec une fille du village, Jessie, et on le sait par un intertitre, ce n'est pas la première. Derrière la finalité affichée de redresser les bonnes moeurs de l'"ordre", dont fait justement partie Lon, combien d'époux adultères? Mais une fois n'est pas coutume, il y a aussi Rose, dont les velléités adultères sont affichées, et qui est dans le film au pire une garce. Elle a du en baver avec Lon, et peut-être aime-t-elle Les, à sa façon, d'un amour sincère? Peu importe: j'ai déjà parlé de la scène de séduction de Les par Rose, remarquable par la tension imposée par Cruze qui utilise des gros plans des mains d'Evelyn Brent, qui invitent les caresses de Thomas Meighan, de son visage alors qu'elle lui embrasse sensuellement le dos, etc... mais il y a une autre scène. Leur première rencontre après que Les ait appris au début du film l'amère vérité est une tentative remarquable pour Rose de coucher avec lui, sans aucune ambiguïté. Elle est séduisante, élégante, et de noir vêtue. Elle l'enlace et le met au défi, si elle l'embrasse, dit-elle, il ne voudra plus la lâcher. Mais Les la prend dans ses bras... pour la jeter dans sa voiture et lui enjoindre de repartir d'où elle vient. Pourtant, l'arrivée du vétéran à son village, située peu avant, laisse peu d'ambiguïté: persuadé de revoir enfin son épouse après trois ans, il a trois ans de frustration après n'avoir pas même pu consommer le mariage ne serait-ce qu'une fois, à rattraper, et ce fait est rappelé via un intertitre par un personnage secondaire. C'est donc un Leslie gonflé à bloc et au bord de l'implosion que Rose qui sait parfaitement ce qu'elle fait tente de séduire sans prendre de gants, et qui a le courage  admirable de refuser ses avances: un type bien, donc... Mais ce type bien finira quand même par revenir à des sentiments plus tendres, vis-à-vis de Catharina, au terme d'une nuit agitée: l'Ordre cherche à emporter Les pour le juger, et Catharina de son côté, qui commence à attendrir son mari, est partie se baigner à la rivière; Alors qu'il la cherche pour la mettre en sécurité, il la surprend en plein bain, nue comme au premier jour (Et on ne peut pas dire que Renée Adorée ait fait la timide dans cette scène, loin de là); elle proteste (you are a pig!!) mais c'est pour la forme, et lui lui explique qu'il craint pour sa vie. Après cet épisode, une fois qu'il a enfin identifié Catharina qui n'a pas attendu trop longtemps pour aimer son mari, et une fois celui-ci rendu à sa vie tranquille après l'épisode du "jugement", ils vont enfin pouvoir s'aimer comme mari et femme. Et dans ce film de 1928, on sait enfin  ce que ça veut vraiment dire...

Voilà donc, je pense avoir fait le tour de ce qu'on peut voir dans ce film peu banal, qui expose la sexualité sous un jour plus franc que bien des films, en particulier dans le portrait d'une femme qui fait de façon claire et nettes des avances peu banales. Il convient d'ajouter que ce que j'ai vu, une restauration de l'unique version connue du film, est certainement une version destinée à l'Europe nettement moins prude que les Etats-Unis en matière de sexualité et de nudité, mais le film reste certainement un sommet de sensualité rendu possible par l'indépendance de son producteur, et celle de son metteur en scène pionnier: Freelance à l'époque, Cruze mettait généralement toute sa personnalité dans des projets qu'il menait le plus souvent à sa guise. il est d'ailleurs remarquable qu'il ait pu travailler avec un producteur aussi égocentrique qu'il pouvait l'être lui-même... The mating call n'était pour finir sans doute pas un film aussi important pour Hughes qu'allait l'être Hell's angels, son épopée sur les aviateurs de la première guerre mondiale. Sa brièveté qui prive certains personnages de plus de complexité (la première sacrifiée est Renée Adorée), son mélange sans vergogne de comédie, de mélodrame et de drame, tendent à faire penser qu'il s'agissait d'abord et avant tout d'un film vite fait destiné à balancer un bon coup de pied dans la fourmilière. Mais c'est un film joliment remarquable par ses audaces et sa franchise, à ajouter à la liste des films notables de cette glorieuse année 1928, dernière année du cinéma muet.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928
6 juin 2012 3 06 /06 /juin /2012 17:20

Je tiens Jacques Feyder pour le meilleur cinéaste Français des années 20, tout bonnement... Mais il faudrait le faire revenir au premier plan, ce qui n'a rien d'aisé. de temps en temps, un film se rappelle à notre bon souvenir, et la chaine Arte a beaucoup fait pour redonner l'occasion au grand public (Du moins celui qui accepte de se laisser tenter...) de voir notamment Crainquebille, Visages d'Enfants, GribicheCarmen, et même The Kiss, film Américain dont la vedette est Greta Garbo. Au sein d'une oeuvre protéiforme, plombée par la légende d'un film disparu, le Thérèse Raquin de 1927 dont tous les historiens nous disent qu'il fut sans doute son chef d'oeuvre, ce film brille d'un éclat particulier. Rare comédie politique, doublée d'une allégorie subtilement symbolique, le film est aussi un brin sentimental, cousin en cela des oeuvres du gentil mais talentueux René Clair à la même époque. Je pense en particulier aux Deux timides, mais aussi et surtout au Chapeau de paille d'italie dans lequel Clair abandonnait sa tendance à l'onirique un peu bouffon pour tenter soudain une certaine vision burlesque mais réaliste de notre société. Les nouveaux messieurs emprunte d'ailleurs à ce film son acteur principal, Albert Préjean, et se garde de pousser la satire politique jusqu'au grotesque, sauf dans une scène de rêve, qui est restée la séquence la plus célèbre du film (Durant laquelle les députés sont en fait des ballerines rêvées par un vieux politicien assoupi)...

 

Sous la troisième république, Suzanne (Gaby Morlay) est une danseuse médiocre, entretenue par le comte de Montoire-Grandpré (Henry Roussel), député installé d'une majorité de droite. Celui-ci lui promet bien sur monts et merveilles, à commencer par un peu de piston. Elle rencontre un électricien de l'opéra, Jacques Gaillac (Albert Préjean). Celui-ci est amoureux d'elle, et syndicaliste. iIs flirtent, puis elle trompe Montoire avec lui. Mais lors des élections, le populaire Gaillac est élu député, puis devient ministre... Suzanne va jouer sur les deux tableaux, mais de son coté, le comte n'a pas dit son dernier mot.

 

Pièce gentiment populaire, le film n'aurait pas du faire de vagues, proposant après tout une satire de bon aloi: le propos de Feyder n'est que d'observer la vie politique de l'intérieur, en substituant à lamour de la république l'amour d'une seule et même femme, qui va devenir la motivation principale, pour Gaillac, de devenir député, et pour Montoire, de renverser le gouvernement dont fait partie son rival. Hésitant sans cesse, la jeune femme symbolise une Troisième République instable, qui tend toutefois à se réfugier dans le giron de la droite par sécurité... et puis les petits travers et petites combines sont évoqués avec prudence, depuis l'entrevue entre adversaires qui cherchent des passe-droits et du favoritisme, à la tentation d'écarter un rival dangereux en l'exilant dans une quelconque ambassade. Pourquoi le film a-t-il été censuré? la raison officielle est toute simple: "atteinte à la dighnité du parlement"... La faute à un gouvernement (Des gouvernements, tant ils passaient vite) englué dans le conservatisme, qui souhaitait sans doute cantonner le cinéma à un rôle d'amusement public. Pour la même raison, L'Age d'or aura à subir la censure lui aussi... Mais si Feyder est loin ici de la chronique sublime de l'enfance (Visages d'enfants) ou de la peinture d'une obsession meurtrière (L'Atlantide, Carmen), il n'en reste pas moins que son film, impeccable dans son interprétation comme dans on montage, est la preuve que le cinéma Français avait à l'époque de la compagnie Albatros, un savoir-faire impressionnant, et des metteurs en scène capables non seulement de vouloir faire des films différents et ambitieux dans un cadre commercial à l'instar du cinéma Américain. ...Que Feyder dégouté par l'accueil réservé à son film allait alors rejoindre.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Jacques Feyder *
22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 19:19

Un petit village, en Allemagne, qui vit au rythme de ses habitants. on voit le postier, un monsieur d'un certain age, tout fier de son nouvel uniforme. on voit l'instituteur, un homme bien et tout simple qui a le respect des livres et l'affection de la population. Et puis il y a des gens, des braves gens, des petites gens, des gens normaux, dont la petite Frau Bernle, et ses quatre fils. Le plus vieux, Joseph, rêve d'aller aux Etats-Unis, le plus jeune est encore étudiant... Un beau jour, Frau Bernle offre à son fils la possibilité d'acomplir son rêve et de partir s'installer à New York. Durant ces tranquilles journées de bonheur, c'est à peine si on remarque la garnison locale qui s'installe... C'est que le temps de la guerre est venu, et aucun des quatre frères n'y échappera... Seulement l'un d'entre eux ne combattra pas du même coté, c'est tout.

Le très beau film de John Ford est l'une des preuves les plus tangibles de l'influence de Murnau non seulement sur Ford, mais d'une manière générale sur la Fox, en cette superbe année 1928. Ford réutilise le décor du marais de Sunrise, pour obtenir une superbe scène de soldats qui marchent dans la brume, et une macabre découverte qui se transforme en tragédie familiale... La guerre, filmée du point de vue d'une famille dont les membres meurent les uns après les autres, est un mal symbolique qui sépare les gens, et dont mine de rien, l'un des rescapés est Américain... Mais il n'y a pas de message cocardier pour Ford ici, juste un récit poignant et tendre, sur une famille d'êtres humains. Si on n'est pas toujours loin de la caricature (Mais sous influence Allemande, puisque la vision du postier avec son bel uniforme tout penaud à l'idée de propager des mauvaises nouvelles avec ses lettres officielles  bordées de noir, renvoie directement au Dernier des hommes de Murnau...), c'est parce que le film bénéficie d'une tendance visuelle à l'allégorie, et se situe dans un décor (Européen) réinventé, une sorte de paradis perdu, un village reconstitué en studio, qui permet à la caméra étrangement mobile de Ford (par opposition à Three bad men, par exemple) de s'approprier l'espace d'une manière très efficace, sous l'influence décisive de son collègue Allemand. Mais s'il ne choisit pas délibérément de privilégier les USA  (Plus réalistes) sur l'Allemagne, il montre quand même des circonstances différentes: on voit les trains de l'extérieur, en Allemagne, mais on a droit à visiter un wagon de métro aux Etats-unis... L'Amérique reste le pays de l'avenir ou Joseph tente sa chance, et aura des enfants, alors que l'Europe est un peu l'endroit du passé. Ailleurs, Ford se permet une petite blague discrète à l'attention de ceux qui ont vu Die Nibelungen de Lang: lors de l'introduction de Johann (Charles Morton), le forgeron, il cite la scène d'ouverture du grand film très germanique...

Et puis dans ce film qui s'intitule Four sons, comment faire l'impasse sur la mère? Après Mother Machree, avant Pilgrimage, avant The grapes of wrath, cette mère Fordienne jouée par Margaret Mann est un personnage qui a toute la tendresse de Ford, et qui lui donne le rôle central, dans le film, mais aussi dans deux scènes composées autour d'elle: elle fête son anniversaire en compagnie de ses quatre fils, tous autour de la table. c'est un moment sacré. Au début du dernier acte, elle est seule, et les imagine tous autour d'elle, par la magie de la surimpression... Le dernier acte du film nous conte comment Joseph la fait enfin venir chez lui, et ce qui n'aurait du être qu'un simple happy ending devient une anecdote riche, celle d'une vieille dame accidentée par la vie qui est perdue dans une grande ville, ne parlant pas la même langue que les habitants...

Film essentiel, de Ford bien sur, mais aussi de la Fox (Au même titre que Sunrise, Seventh Heaven, Street Angel et A Girl in every port), Four sons est aussi l'un des grands films Américains de 1928, une année exceptionnelle... La perfection du muet!

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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet 1928 Première guerre mondiale *
3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 18:33

Après un Kid brother aussi gentiment vieillot que délectable, Lloyd fait un demi-tour brutal, et accomplit une intéresante synthèse de ses films citadins, avec Speedy, un film dont le titre renvoie, déja, à The freshman, dont le héros s'était auto-proclamé "Speedy", en déférence à un personnage de son film favori. Le coté rural et le récit d'initiation mis de coté, Harold Swift est un homme établi, dans la mesure ou il est heureux de vivre et confiant: en effet, il change de boulot comme de chemise, une occasion pour le comédien de nous montrer un homme des années 20, tour à tour "soda jerk" ou chauffeur de taxi; les seuls aspects permanents de sa vie son son amour du base-ball, et sa petite amie, dont le grand-père "Pop" Dillon est propriétaire d'une roulotte qui parcourt la ville avec un cheval. Un grand groupe de transports en commun voudrait s'approprier toute la ville, et ne vont reculer devant rien, mais 'Speedy' va aider Dillon...

New York, vu par cet indécrottable Californien qu'était Harold Lloyd, c'est beaucoup de mouvement, et un hommage à la vie citadine en ces optimistes années 20. Comme Keaton la même année qui tourne The cameraman en contrebande, Lloyd installe ses caméras en des endroits emblématiques, et obtient des images superbes, en appelant en prime à la rescousse le héros du baseball Babe Ruth. Son Speedy renvoie à l'optimisme entreprenant de ses personnages, mais n'est pas encore établi, contrairement par example à son héros de Hot water; il rêve, en compagnie de sa fiancée, jouée par la nouvelle venue Ann Christy (Qu'on ne reverra pas chez Lloyd, du reste), d'un foyer dans une très jolie scène, mais son personnage semble avoir mis de côté toute naïveté; il est immature, mais de façon militante, et ce film de 85 minutes passe très vite. Pour son dernier film muet, Lloyd n'a pas démérité, et on appréciera la bataille de david (Le père Dillon et sa charrette) contre Goliath (Le conglomérat prèt à tout), dans lequel Speedy va bien sur jouer un rôle crucial... La poursuite furieuse renvoie à Girl shy et son final délirant. Par ailleurs, il se paie le luxe d'une virée à Coney Island, comme les héros de ce chef d'oeuvre qu'est Lonesome, de Paul Fejos, la même année.

 

Incidemment, ce ne devait pas être le dernier muet de Lloyd. C'est en 1929, après avoir quasiment fini son film suivant, Welcome danger que Lloyd dit avoir entendu les rires du public qui provenait d'un cinéma ou était projeté un film parlant. Sitôt rentré au studio, sa décision était prise: Welcome danger serait un film parlant, et... il a donc été refait dans cette optique. La fin d'un monde...

Speedy (Ted Wilde, 1928)
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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1928 Criterion **
17 juillet 2011 7 17 /07 /juillet /2011 18:26

http://4.bp.blogspot.com/-8w2fq_NVBpo/TY6dE9EMV6I/AAAAAAAACXc/TVrtsW8ZQlE/s1600/56553.jpgRéalisé à nouveau par Harry Langdon, et pensé sans doute en réaction au flop monumental de Three's a crowd, The chaser n'a fait qu'envenimer les choses. Il n'aura pas plus de succès, et ne sera jamais vraiment apprécié, bien qu'il présente une comédie noire et typique du style de Langdon, à nouveau épaulé par un script du à son complice Arthur Ripley. Le film commence par deux cartons introductifs: Dieu a fait l'homme à son image, et un peu plus tard, il a créé la femme. Les mêmes cartons reviennent en conclusion, après une heure durant laquelle les auteurs auront usé de toute leur sauvagerie et d'un certains sens de l'absurde pour explorer une certaine forme de mysoginie, mais aussi l'ineptitude de Harry en tant qu'homme...

 

Harry est doté d'une gentille épouse, mais celle-ci a une mère, qui veille au grain, et empêche le mari de faire ce qu'il voudrait, c'est à dire participer à des fiestas imbibées (A distance, Harry Langdon étant ce qu'il est, il ne participe que de loin). Elle pousse sa fille à demander le divorce, mais un juge décide de proposer une solution alternative: il impose à Harry de prendre la place de son épouse: tâches ménagères, robe, le héros se voit contraint de tomber très bas... Si bas que lui-même va se révolter, et un peu malgré lui séduire des innocentes dans un épisode quasi-surréaliste.

 

Disons pour faire court que les auteurs ont été plus inspirés dans le film précédent; ici, le mot d'ordre est clairement dans un premier temps de charger la barque sur la mysoginie, de façon tellement insistante qu'il est impossible de prendre tout cela au sérieux, et dans un deuxième temps de revenir à un comique Sennettien; mais dans les deux cas, Langdon le fait selon ses propres termes, avec sa gestuelle et sa logique. Cela fonctionne parfois extrêmement bien, et de temps en temps, le film est très étrange, comme dans cette scène qui voit l'épouse (Gladys McConnell) rentrer et trouver des indices qui tendent à prouver que Harry s'est suicidé. elle pleure, et s'essuie avec un mouchoir, faisant couler son maquillage qui la rend hideuse, voire effrayante... Langdon s'est essayé à un dispositif spécial, en construisant la maison des protagonistes en coupe, avec trois pièces enchaînées. il utilise ce décor plusieurs fois, pour obtenir d'excellents effets. D'une manière générale, en dépit de ses défauts, le film est très bien mis en scène, il faut juste pour l'accepter être prèt à adopter la logique lente et à demi-endormie de Harry Langdon...

 

Heart trouble, le long métrage suivant, n'a pas survécu. Selon les historiens, il n'aurait été sorti qu'en douce par la First National qui souhaitait se débarrasser de Langdon. Cela fait de cet étrange film la dernière trace de l'auteur Harry Langdon, en même temps que son dernier film muet...

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Published by François Massarelli - dans harry langdon Muet 1928 Comédie *
20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 17:18

Réalisé sur une longue période, alors que Chaplin, comme indifférent au temps et aux problèmes personnels qui s'accumulaient, s'enfermait plus avant dans son studio ou il travaillait comme seul, à un projet plus austère que les précédents, The circus est une fois de plus un miracle de comédie, une épure d'un genre alors en pleine mutation, comme l'était le cinéma Américain du reste, sous l'influence alors des grands cinéastes étrangers, et en particulier Allemand. D'une part, en effet, Keaton avait évolué dans ses films, et en 1927-1928, tournait College et Steamboat Bill Junior: un film bien de son temps, et une prouesse technique. Lloyd faisait suivre son évocation rurale sur le caractère d'un homme timide et effacé (The Kid Brother) d'un film qui situait le combat entre l'ancien et le nouveau en pleine ville, avec Speedy, au film mené à 100 à l'heure. D'autre part, le film est sorti (Janvier 1928) peu après le beau doublé de la Fox (Sunrise, Seventh Heaven), après The Jazz singer et The Student prince, quelques mois avant The wedding march et The wind... Bref, le cinéma de Chaplin risquait plus que jamais d'apparaître anachronique en cette période de remise des compteurs à zéro.

Et puis, le metteur en scène ne va pas bien; si en surface, sa vie mondaine continue plus que jamais, il sait, pour avoir vu le mal qu'on avait fait à Arbuckle, qu'il était dangereux d'être un homme à femmes... Son deuxième mariage était une catastrophe, dont entendait semble-t-il bien profiter son épouse Lita Grey, et qui commençait à lui coûter cher: il lui avait fallu ranger dans ses boîtes un film sur décision de justice (The seagull ou Woman of the sea, de Josef Von Sternberg, qu'il avait produit). De même que The gold rush avait pris une solide année de travail, The circus était pour Chaplin un exutoire qui prendrait le temps qu'il faudrait, indifféremment aux évolutions des autres studios...

Un cercle, marqué en son centre d'une étoile: voilà le premier plan du film. Belle image du cirque tel que le verra le vagabond, arrivé au cirque par hasard, et une fois de plus amoureux d'une jeune femme impossible à atteindre... A la fin du film, dans une séquence célèbre, c'est au milieu d'un cercle, marqué sur le sol par la tente éphémère du cirque qu'il a choisi de laisser partir sans lui, que le vagabond se retrouve seul avant de repartir vers d'autres aventures... Comme si rien ne s'était passé, à l'extérieur comme à l'intérieur du cercle. Entre temps, pourtant, des péripéties qui vont opposer Chaplin à un irascible patron de cirque (Allan Garcia), dont la fille (Merna Kennedy) sera un temps la raison de vivre du héros, avant qu'il ne laisse un autre que lui (Harry Crocker), plus talentueux, plus beau, plus tout, la courtiser et finalement l'épouser. Chaplin, dans ce film, est à la fois partie intégrante du show (Il est clown malgré lui) et dans les coulisses, et on ne quitte que très rarement les allées du cirque pour aller voir ce qui se passe dans le spectacle...

Métaphore aussi bien de la vie que du spectacle, dans lequel on doit laisser faire ceux qui savent, le film n'est pas tant une métaphore de Chaplin lui-même; il savait ce qu'il faisait, contrairement à ce petit homme qui n'est jamais si drôle que quand il ne sait pas qu'il est employé pour faire rire. Mais ce qu'il sait, lui qui a goûté au bide avec son projet le plus ambitieux, c'est que le public est versatile... Et qu'on ne peut pas forcer sa nature, d'où cette séquence superbe dans laquelle le clown malgré lui s'essaie à la corde raide pour notre plus grand bonheur; d'où aussi un film qui ne cherche pas à suivre les tendances virtuoses du cinéma de l'époque... S'il n'est pas le meilleur des Chaplin, et à ce niveau on ne mesure plus, en fait, The circus est un film qui passe tout seul, un concentré Chaplinien qui tient sacrément la route, une fois de plus.

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1928 Criterion **
20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 17:51

Réalisé peu après Street angel, ce film de Frank Borzage va dans une direction différente des deux précédents films avec Charles Farrell: d'une part, pas de Janet Gaynor ici, l'actrice qui incarne le premier rôle féminin est Mary Duncan, d'un tout autre genre... Sinon, le symbolisme et la stylisation du décor et du travail de caméra disparaissent au profit d'un travail plus réaliste, qui a trompé certains historiens, Kevin Brownlow en tête, sur le lieu de tournage: ces cabanes dans les montagnes, cette rivière, tout ça provient bien des studios de la Fox... Le chef-opérateur Ernest Palmer, collaborateur déja sur les deux classiques précédents du metteur en scène, est malgré tout toujours de la partie. Le film n'a pas eu, à sa sortie, le succès des précédents, il faut dire qu'il est resté dans les placards assez longtemps, dans le but d'y ajouter des séquences parlantes (avec le consentement et la participation de Borzage, contrairement à ce qui s'est passé avec Murnau pour Four devils et City girl, dont les ajouts sonores ont été faits par des tiers); malgré ces additions, le film était sans doute encore trop muet pour un public qui avait oublié un peu vite les frissons de Street angel. Et puis, le film est sorti en France sous le titre de La femme au corbeau, où il a été (dans sa version muette), un gros succès. Les surréalistes s'en sont emparés, le film est ensuite entré dans l'histoire alors que toutes ses copies disparaissaient. Toute? Non, une copie 16 mm contenant 5 des 8 bobines, deux bobines 35 mm, et une séquence 35 mm d'environ 5 mn (des chutes coupées par la censure suédoise) ont survécu, ainsi que des éléments de la bande-son (de la version intermédiaire: sonore, mais pas parlante). La reconstruction a eu lieu en plusieurs temps, dirigée par Hervé Dumont: avant la découverte en Suède d'éléments coupés un peu partout, le film totalisait environ 48 minutes, dont de nombreux intertitres qui résument les séquences manquantes; il en fait maintenant 54.

Allen John Pender (Charles Farrell), un jeune voyageur, s'est arrêté sur une ville minière du nord de la Californie. Il se lie d'amitié avec un sourd-muet, Sam (Ivan Linow). un ami de celui-ci est tué par le contremaître Marsdon (Alfred Sabato), qui l'avait vu tourner autour de sa petite amie Rosalee (Mary Duncan). au moment de partir en prison, il confie à celle-ci son corbeau, qui va veiller sur la jeune femme... ici, le film tel qu'on le voit aujourd'hui commence.

Rosalee et Allen John se rencontrent à la faveur d'une baignade. Le jeune homme se prépare à abandonner sa péniche, et prendre un train pour aller passer l'hiver ailleurs, mais il en est empêché, pris dans sa conversation avec Rosalee. celle-ci s'amuse beaucoup de refaire le coup au jeune homme dont elle cherche bien vite la compagnie. La séduction devient de plus en plus brûlante entre les deux, surtout de la part de Rosalee...

Oui, Il s'appelle Allen John. Aucun rapport, bien sûr...

C'est hallucinant, et probablement unique dans l'histoire du cinéma, qu'un film évidemment tronqué ait pris autant d'importance. Ce qu'on a ici, ce sont les cinq huitièmes d'un film, dont on n'a ni l'exposition, ni l'ensemble de l'évolution des personnages, ni le dénouement (l'amour des deux héros, le retour de Marsdon, et le meurtre de celui-ci par Sam, puis une scène de sauvetage de Rosalee par Allen John largement annoncée par des séquences antérieures, dont la fameuse baignade). Autant dire qu'on devrait être devant un puzzle impossible à regarder, mais non: le film se voit et se revoit sans problème, et fascine. On peut multiplier les exemples de films incomplets, et constater que c'est irrémédiable: avec Confessions of a queen, de Sjöström, réduit dans des proportions à peu près similaires, le fait est que c'est juste le fantôme d'un film. Pire, les 10 minutes qui nous restent de The divine woman, du même Sjöström, nous laissent perplexes. Ici, on a presque l'impression de la perfection: tout le film tel qu'il existe est centré sur la séduction, lyrique, frontale et érotique, d'Allen John par Rosalee. Non que le jeune homme ne fasse rien, mais ses tentatives sont marquées par une certaine gaucherie, il est entendu que des deux, il est celui qui est vierge. Aucune impression salace, pourtant, c'est un rapprochement qui apparaît nécessaire, et même si Rosalee au début veut sans doute s'amuser un peu avec celui qu'elle a vu nu (dans une séquence qui joue avec la promiscuité, de façon troublante, comme souvent chez Borzage), elle finira par l'aimer, tout autant que lui l'aime. Les minutes retrouvées en Suède sont fascinantes par leur franchise, et tout ce qui était allusion dans le film tel qu'on le connaissait auparavant devient maintenant d'une sublime impudeur: Rosalee manipule Allen John afin qu'il la touche, et leur embrasement est d'une sensualité fabuleuse. Leur rencontre amène les deux êtres à se chercher, même à se battre, surveillés par l'omniprésence d'un corbeau dont l'ombre finit par prendre tellement de place que Rosalee tente de le tuer... Marsdon, le prisonnier qui emprisonne sa petite amie dans une cage virtuelle, n'est jamais très loin.

Cette rencontre, qui commence lors d'une baignade, culmine dans des scènes ou Allen John, désireux de s'imposer à Rosalee, fait montre de sa force physique en coupant du bois par un froid extrême, et va trop loin: frigorifié, il s'évanouit, et est retrouvé le lendemain à l'article de la mort par Sam. Celui-ci ramène le jeune homme à Rosalee, et le reste est dans les histoires du cinéma: le jeune femme le déshabille sans hésitation, et s'allonge sur lui pour le faire revenir à la vie. Et ça marche... La puissance des deux acteurs est évidemment une source de réussite ici, Farrell face à Mary Duncan, dont l'érotisme franc est pour le moins bien éloigné du style de Janet Gaynor, joue à merveille la fragilité, ce mélange de déraison et de force mal contrôlée qui manque de perdre son personnage. 

Il n'empêche, l'une des grandes originalités de ce film hors-normes, c'est de reposer sur une situation érotique inversée: les baignades prétextes à nudité d'actrices sont légion dans l'histoire du cinéma, de Dolores Del Rio (Bird of Paradise, Vidor) à Catherine Rouvel (Le déjeuner sur l'herbe, Renoir), en passant par Jennifer Jones (Duel in the sun , Vidor ...encore lui). Mais ici, la première séquence complète du film permet de montrer de quelle façon Borzage évite les pièges de la concupiscence traditionnelle, en commençant par exposer l'acteur et non la jeune femme.

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Dans un premier temps, Rosalee est interloquée par la vision.

 

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Elle ne détourne pourtant pas son regard, attend de voir le moment ou le jeune homme va découvrir qu'il n'est pas seul.

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Finalement, devant le calme de la jeune femme, Allen John au départ effarouché va se laisser aller, et parler avec elle. Une scène touchante (la naïveté du jeune homme), troublante (la jeune femme ne le lâchera plus), et pour tout dire comique (le jeu de Farrell, tout en gaucherie, en particulier lorsqu'il se cache, laissant juste voir ses yeux).

 

Ainsi réduit, le film nous apparaît malgré tout glorieux et inépuisable. Ce n'est pourtant pas la Vénus de Milo: si on peut un jour le compléter avec ce qui manque, on se jettera sur le résultat avec gourmandise, et si c'est un film dont les séquences ajoutées sont moindres, on se réjouira de retrouver la cohésion des intentions de Borzage. De fait, le soin apporté au décor, ici visible dans un court fragment de séquence au début, la relation entre les scènes du début, avec sa rivière pleine de tourbillons, et la séquence de sauvetage à la fin, le meurtre froidement assumé de Marsdon par Sam, et l'amour pleinement assumé de Rosalee et Allen John, tout ça on voudrait le voir un jour. Que la transformation, la sublimation d'Allen John par Rosalee et son contraire soient enfin révélés à leur juste mesure, et qu'on puisse remplacer ces séquences bouillonnantes de vie dans un écrin restauré. C'est tout ce que je demande, en tant qu'admirateur inconditionnel de ces 5/8e de film.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage 1928 Muet Film perdu **