L'Espagne était à la mode dans les films Albatros de la fin du muet...Mais contrairement à Carmen, ce film co-produit entre Paris et Madrid reste majoritairement Espagnol, témoin d'une époque de grands bouleversements, durant lesquels la compagnie de Montreuil cherchait à rebondir en multipliant es co-productions Européennes...
Bon, Cette Comtesse Marie n'est pas, hélas, le Thérèse Raquin de Feyder, collaboration notoire entre la France et l'Allemagne, et film perdu et recherché sans succès depuis bien longtemps. Mais c'est un témoin de son temps, et un mélodrame très intéressant dont la mise en scène n'ennuie jamais.
L'intrigue est d'un grand classicisme: à Madrid, Rosario, une jeune couturière (Sandra Milowanoff), aime un beau militaire (Jose NIeto) sans savoir que celui-ci est le fils de l'illustre Comtesse locale! Cette dernière (Rosario Pio) ignore tout de l'idylle. Mais quand le bel officier est envoyé au Maroc, Rosario tombe malade. Elle est enceinte, et le jeune homme ne revient pas parce qu'il a été fait prisonnier. Rosario n'a pas d'autre solution que d'aller demander asile à la Comtesse, non sans lui faire croire que son fils l'a épousée avant.
Mais l'arrivée de la mère et de l'enfant, accueillis à bras ouverts par la brave femme, ne se passe pas sans heurts: Manolo (Valentin Parera) et Clotilde (Renée Standart), les neveux et nièces de la comtesse, sentent l'arrivée de Rosario comme une réelle menace à leur bien-être oisif...
C'est sans grande rétention, mais Perojo s'amuse beaucoup à lier les scènes par des associations visuelles souvent brillantes qui donnent au film un côté presque ludique parfois... Et le ton, résolument à mi-chemin entre le drame et la comédie, fait beaucoup pour le charme du film.
E.A. Dupont, bien sur, a réalisé Variétés, le genre de film définitif tellement emblématique qu'il vous plombe le reste d'une carrière! Mais il lui a aussi ouvert des portes, et Dupont, profondément Européen, a choisi de rester sur le vieux continent... Mais en Grande-Bretagne, où il a été choisi par British International Pictures pour faire exister le cinéma Britannique à l'international... Exactement le boulot pour lequel son premier film Britannique a été fait, et ironiquement,le sujet et le lieu de l'action sont éminemment Parisiens, et la distribution de ce film Anglais réalisé par un Allemand est dominée par les Français, à l'exception notable de la star Olga Tchekova et de l'actrice Anglaise Eve Gray... Le film a été tourné, en revanche, dans les studios d'Elstree à Londres, et pour les scènes de music-hall, au Casino de Paris. Pas au Moulin-Rouge? Non, mais j'ai une théorie là-dessus! J'y reviendrai.
On assiste à une grande soirée au Moulin-Rouge. La grande vedette du moment est la danseuse et chanteuse Parysia (Olga Tchekova), et sa fille Margaret (Eve Gray), qui a grandi loin d'elle mais l'idolâtre, est venue non seulement pour assister au spectacle, mais surtout pour lui présenter son amoureux, le jeune André de Rochambaud (Jean Bradin). Celui-ci aime Margaret, mais il est tout de suite subjugué par la beauté et l'énergie juvénile de Parysia. La mère de Margaret rend service à sa fille, en obtenant du très difficile père d'André (George Tréville) son consentement pour le mariage de son fils avec une fille d'actrice, mais André semble plus troublé qu'heureux: il avoue à Parysia qu'il lui est difficile de se résoudre à épouser Margaret, car il aime désormais sa mère plus que tout...
Bref, du mélodrame, du qui tâche, quoi! On retrouve, si on a déjà vu Variétés et Piccadilly, le goût de Dupont pour le mélange entre mélodrame et monde du spectacle... Dans Moulin Rouge, ce qui frappe d'abord, c'est une entrée en matière étonnante, faite d'un quart d'heure de déambulations nocturnes et autres images de revues, dans un kaléidoscope inédit, avant que n'entrent en scène les trois protagonistes. Dupont cherche à nous faire partager son amour du milieu du spectacle, et souhaite aussi situer son intrigue dans un milieu éminemment visuel. Il en ressort l'impression, qui était exactement la même sur les deux autres films que j'ai vus (Dont je rappelle que l'un était antérieur, et l'autre postérieur à celui-ci) que pour le metteur en scène seule l'émotion compte. C'est ce que confirme d'ailleurs l'ensemble de ce long métrage de dimension respectable (il dépasse les deux heures). L'exposition du drame, située dans le cadre de la soirée au music-hall, dure quarante-cinq minutes, et est surtout constituée d'une enivrante série de scènes tournées de part et d'autre des numéros présentés au public... Le metteur en scène se plaît à montrer le public (ce qu'il ne faisait pas dans Variétés, mais il le refera dans Piccadilly, anticipant sur le style des films Anglais de Hitchcock à l'époque des 39 marches. Le drame, bien sur, n'a rien de révolutionnaire, mais il permet au réalisateur de se lancer dans une description moderne du chaos des sentiments qui passe par la vitesse (les voitures, utilisées pour une tentative de suicide ratée, des plus originales), l'ivresse (Eve Gray a droit à une belle scène d'ivrognerie touchante, dont le comique est contrebalancé avec efficacité par le montage parallèle d'une scène pathétique avec Jean Bradin), le jazz et la danse. La peinture du petit monde des coulisses complète un tableau de l'époque, que Dupont a souhaité prolonger avec Piccadilly... Mais Moulin Rouge est bien meilleur.
Mais venons-en à l'inévitable question: pourquoi donc le film n'a-t-il pas été tourné au Moulin-rouge? A mon avis, connaissant le contexte particulier des lois de censure cinématographique en Grande-Bretagne, ça aurait été difficile de tourner des scènes au Moulin-rouge, haut-lieu de la nudité scénique dès les années 20. Ce qui n'a pas pour autant empêché un scandale lors de la sortie (limitée) du film aux Etats-unis, en raison des tenues (très) légères des figurantes. Mais je ne cherche pas ici à en faire un argument de vente d'un film qui se débrouille bien tout seul!
On notera que Moulin Rouge a fait l'objet d'une reconstitution par le BFI et le DFI (l'équivalent Danois) puisque c'est à Copenhague que la copie la plus complète a été retrouvée. Une excellente idée des restaurateurs a été de restaurer également la bande-son de la deuxième sortie du film en 1929, qui respecte totalement le film et ses ambiances, au point de présenter un moment étonnant: le metteur en scène utilise énormément la force contrapuntique du montage parallèle, et une scène de danse endiablée accompagnée de jazz à un tempo infernal, est montée conjointement à une opération dans laquelle une femme joue sa vie. Chaque plan de la salle d'opération est muet, coupant la musique de façon brutale. L'effet est impressionnant...
Au début du siècle à Vienne, Le capitaine Karl Von Raden (Conrad Nagel) se rend à l'opéra, et doit se contenter de partager sa loge avec une mystérieuse jeune femme (Greta Garbo) pendant toute la représentation de La Tosca... dont il ne verra rien, subjugué par la présence de la dame à ses côtés. Il la ramène chez elle après la représentation, il accepte son invitation "d'un café, ou d'un Cognac", et... il rentrera chez lui le lendemain. Mais quand il rencontre le jour suivant son oncle, le chef des services secrets (Edward Connelly), il a la désagréable surprise d'apprendre ce dont nous nous doutions déjà: Tania Fedorovna n'est pas n'importe qui... C'est une espionne du tsar en même temps que la maîtresse d'un des hommes les plus dangereux qui soient, le général Boris Alexandroff (Gustav Von Seyffertitz). Dégradé, emprisonné, Karl obtient de son oncle de sortir de prison et d'être envoyé en Russie pour sa revanche...
Trois actes, dans ce film à la foi impeccable et complètement idiot: une première partie développe le début d'une idylle, qui s'avère authentique, entre les deux personnages principaux. puis l'intrigue devient celle d'un film d'espionnage, avec ses coups fourrés, ses coups de théâtre... avant de revenir au bon vieux style des films de la "formule" Garbo: romantique et dangereux, mais avec en prime une denrée rare: un authentique happy-end!
Je le disais plus haut: idiot, car on est vraiment dans le grand n'importe quoi, dans ce genre d'histoire improbable qui permet à Garbo de porter des robes qui sont autant d'invitations à les enlever, et à ses amants de lutter à mort pour elle! on assiste ici, en pleine prohibition, à des dégustations de litres de champagnes, dans Vienne et Moscou reconstruits à Culver City, et... on en redemande. Parce que Fred NIblo, qui n'a pas bonne presse (mais pourquoi??), est généralement considéré comme un tâcheron, et franchement si ce film ne convainc pas la terre entière du contraire, alors je ne comprends pas: il soigne chaque scène, ne lâche jamais so rythme, et sait donner de l'intérêt à n'importe quelle action avec un montage parallèle parfaitement assumé dans la partie moscovite. Et il permet à Garbo d'effectuer une scène d'anthologie, avec une sacralisation de la nuit d'amour à venir, au moyen de bougies... Le genre de scène dont Garbo avait le secret, et Mamoulian s'en souviendra en 1933 pour Queen Christina. Non, définitivement, des deux films d'espionnage de Garbo, ce n'est pas Mata-Hari mon préféré!
En 1928, c’est un Griffith rentré dans le rang qui met en scène ce film: désormais au service de Joseph Schenck, en partenariat avec … mary Pickford pour la United Artists, le conglomérat d’artistes indépendants que Griffith a contribué à créer. S’ils l’ont laissé choisir un sujet à sa convenance (Déjà tourné lors d’une période incertaine pour faire bouillir la marmite en 1914, le film étant perdu), s’ils l’ont laissé travailler avec ce vieux Bitzer, l’ajout de Karl Struss à la cinématographie est très symbolique : il s’agit de rajeunir coûte que coûte le vieux Griffith ; de même, l’intrigue de la pièce adaptée est ramenée en plein jazz age, et les toilettes des actrices rappellent à tout moment la date de création du film.
Jean Hersholt, le Marcus de Greed, joue William Judson, un homme aux finances confortables et à la famille idéale : une épouse élégante (Belle Bennett), un fils quasi inexistant (William Bakewell), une fille volontaire et futée, Ruth (Sally o’Neill). Il croise la route d’une jeune femme (Phyllis Haver) qui en a après son argent, et va laisser le démon de (L’après-) midi détruire peu à peu sa famille… Mais heureusement, l’appât du gain chez la jeune femme est tel, et la fille Judson est si futée, que tout finira par rentrer dans l’ordre.
Avec un tel synopsis, on peine à croire qu’on est chez Griffith, et c’est d’ailleurs souvent confirmé en visionnant le film. Le problème, c’est qu’on n’est pas non plus chez Lubitsch, voire Clarence Badger ou Mal St Clair, voire Charley chase ou Harold Lloyd : le cinéma Américain des années 20, que ce soit sur son versant burlesque ou du coté sophistiqué de la comédie, savait très bien faire pétiller ce genre de film. Mais ici, en dépit de quelques scènes fort distrayantes, et malgré l’attachement réel qu’on porte aux personnages, ce bon Judson en tête (C’est un Hersholt en mode Nounours !), on ne peut pas dire que ça pétille! De plus, Griffith choisit la rupture de ton afin de pouvoir rattraper le film avec son forte, le suspense émotionnel, mais les scènes (un égarement de Mrs Judson, qui va peut-être se jeter dans le vide, puis le désir de Ruth de tuer la maitresse de son père), mais ces scènes ne s’intègrent pas dans l’ensemble. Aussi sympathique soit-il, Hersholt ne peut pas non plus empêcher l’ennui de s’installer devant ces scènes de comédie poussive qui le voient longuement se battre avec des techniques pour maigrir, sur plusieurs longues minutes de pellicule : Griffith, on le sait depuis Way down East, ne comprenait pas grand chose à la comédie. Avec tous ces défauts, le film reste quand même franchement regardable, mais on regrette que le metteur en scène se soit contenté, tant qu’à explorer le versant dramatique de cette situation vaudevillesque, de traiter le sujet en mode binaire : vaudeville d’un coté (La tromperie de Phyllis Haver avec un escroc, les efforts de dissimulation et les mensonges de Judson, et même le coté « Sauvons Maman ! » de la jeune Ruth) , tragédie de l’autre : pour Mrs Judson, il n’y a plus rien à faire. Mais cette figure tragique, passive et inerte, laisse à désirer. On se réjouit de voir que le metteur en scène évite au moins de retomber dans son moralisme facile, mais tant qu’à jouer la carte tragique, il aurait pu aller plus loin dans la peinture de la désagrégation du couple, dans la mise en perspective des scrupules du père (il hésite durant deux secondes !) . Mais de toutes façons, pourquoi tant en demander ? Le but de ce film, était de remettre en course le vieux Griffith, le réactualiser. C’est un film agréable, peu ambitieux, et qui a sans doute redonné confiance à la fois au metteur en scène et à ses producteurs. Griffith allait encore tourner trois films pour la United Artists, et bientôt passer au parlant.
Curtiz était-il un auteur? C'est le genre de question dont on se demande encore qui elle peut passionner à l'heure de Netflix, le truc qui est train de tuer le cinéma à grandes enjambées, en commençant par gommer le rôle du metteur en scène dans sa logistique! Mais Curtiz a en effet la réputation, pas vraiment usurpée, d'avoir durant son passage à la Warner été indifférent à la globalité de ses films, se concentrant sur une scène, voire un plan à la fois... Et obtenant des résultats parfois miraculeux.
C'est vrai qu'il y a tellement de stupidités révoltantes dans la Bible, qu'on a l'impression qu'il suffit parfois de se pencher pour en ramasser... C'est à peu près ce qu'a fait Darryl F. Zanuck, qui ne présidait pas encore aux destinées de la Fox, mais était une étoile montante du scénario en cette fin du muet. La mission que lui avait confiée la Warner était de faire du Cecil B. DeMille, ni plus ni moins, en se gardant toutefois de faire un démarquage des Dix Commandements de 1923, ce qui avait déjà été fait en Europe, lorsque Mihaly Kertesz et Sascha Kolowrat s'étaient lancés dans la production de L'esclave Reine, une superproduction Autrichienne qui piquait à DeMille ses meilleurs effets... En toute logique, la warner, qui préparait ce film depuis longtemps, a fait appel à Kertesz, l'a rebaptisé Curtiz, et lui a confié les clés. Et si on ne refaisait pas The ten commandments, rien n'empêchait de le singer à chaque fois que c'était possible!
On raconte dans ce film une anecdote hautement improbable, celle de deux Américains, dont l'un (George O'Brien) a rencontré dans des circonstances dramatiques la femme de sa vie, la danseuse Marie (Dolores Costello), une jeune Allemande. Mariés, il leur a fallu faire face à un dilemme en 1917... Mais le sens du devoir, n'est-ce pas... Donc O'Brien parti sur le front Français, Costello a du reprendre son métier en Europe. Mais une connaissance commune (Noah Beery) qui a une dent contre eux l'a reconnue, et l'a dénoncée comme espionne; Devinez qui sera dans le peloton... Comme dans tant de films de DeMille, une digression de luxe fait bifurquer les personnages vers l'époque biblique, tentant par tous les moyens de dresser un parallèle avec l'épisode de l'Arche de Noë. Je dis bien "tentant par tous les moyens", tant la ficelle est grosse...
Le "DeMille Autrichien" (Qui était comme chacun sait Hongrois) a fait ses gammes de 1926 à 1928, le temps que se monte cette production. Sorti trop tard, à l'époque du parlant, ce film est de toute façon un ratage, une histoire symbolique, d'un genre auquel DeMille lui-même ne touchait plus en 1928. dans cet ahurissant mélange (Scènes parlées dans un film muet, histoire contemporaine appuyée par des séquences bibliques) on voit bien ce qui fait l'essence du cinéma du jeune Curtiz: il tourne ce qu'on lui donne à tourner, y trouvant ou non son intérêt, mais fait de l'image à tout prix. Un cinéma donc de l'émotion, de la séquence, dans lequel l'élément humain est ballotté, maltraité. Des "attractions" selon l'expression de Mauritz Stiller: train qui déraille, explosions et batailles sur le front, un obus qui déclenche un glissement de terrain, et autres déluges. Le film s'appelant L'arche de Noë, ça va sans dire. Bien sur, on le sait, la légende honteuse de ce film fait de Curtiz un fou dangereux, responsable d'un nombre mal défini mais hélas réaliste de morts de figurants. Une étrange façon de prendre congé du cinéma muet, que ce film qui est mal fichu, mais considéré comme un classique...
La religion dans ce film n'a aucun sens, c'est un toilettage passe-partout, une série de clichés lénifiants, auxquels la cinéaste n'a apporté aucun crédit. Il est même probable, occupé qu'il était à tenir une cravache dans une main, une méthode Assimil dans l'autre pendant qu'il tentait d'établir une communication avec les figurants qu'il s'apprêtait à noyer, que Curtiz n'a même pas réalisé qu'il y avait quoi que ce soit de religieux dans son film!
On peut se rassurer en imaginant que la version intégrale (environ 135 minutes selon les filmographies) sans doute perdue était plus cohérente, mais j'en doute fort. Du reste, autant le film est raté, autant il en devient distrayant, par les moyens engagés, par l'ahurissante puissance de feu d'un réalisateur capable de tant de choses, y compris pour le pire... Baroque, ça oui, le film est quand même bien plus intéressant que, disons, Mammy, The woman from Monte Carlo, God's gift to women, ou The soldier's plaything, tous ces films réalisés par Curtiz en 1930 - 1931! Et puis, ce film raté qui fut un échec reste symboliquement un bon moyen de clore une période de la vie d'un cinéaste marquée par le baroque, l'énorme, la grandiloquence, au moment-clé ou un nouveau type de cinéma, moins ambitieux, allant à l'essentiel, plus proche des gens va commencer à exister, dont paradoxalement le hautain Michael Curtiz sera l'un des plus intéressants artistes durant le début des années 30.
1897: On découvre de l'or en Alaska, dans la région du Klondike. La nouvelle se répand par la presse dans tous les Etats-Unis, et nous faisons la connaissance des protagonistes de l'épopée, des plus rompus à l'aventure, jusqu'aux obscurs baroudeurs novices. Une fois arrivés en Alaska, les ennuis vont commencer, certains vont abandonner, les uns seront déçus, et les autres... seront bien peu nombreux. En particulier, on s'intéresse à Jack Locasto (Harry Carey), l'un des premiers pionniers à avoir répandu la nouvelle, qui a une fâcheuse manie de s'approprier les exploitations, mais aussi les femmes des autres; et parmi les victimes du bandit, Berna (Dolores Del Rio, venue avec son grand père qui n'a pas survécu au voyage, a rencontré Larry (Ralph Forbes) mais celui-ci associé avec Jim (Tully Marshall, toujours dans les gros coups!!) et Lars (Karl Dane), semble plus préoccupé par l'or que par sa relation avec la jeune femme. Et d'autres, plein d'autres...
Ca peut paraître étonnant, de prime abord, de voir l'élégant metteur en scène de The flesh and the devil (1927) et Anna Karenina (1935) aux commandes d'un grand film d'aventures épique, tourné dans des conditions de danger telles qu'il y aurait eu, selon la légende, des morts parmi l'équipe technique... Ce serait oublier le parcours surprenant d'un homme qui s'intéressait à tous les aspects du cinéma, et dont le style policé et visuellement inventif savait occasionnellement s'adapter à toutes les conditions, qu'il soit en studio, ou plus rarement en extérieurs: parmi ses premières armes, Brown avait en particulier pris les commandes du Dernier des Mohicans (1920) de Maurice Tourneur, lorsque ce dernier était tombé malade, et ce n'est en aucun cas un tournage fait en studio! Mais Brown n'était pas Van Dyke, et un certain nombre des passages les plus spectaculaires ont été l'occasion pour la MGM de tester des effets spéciaux... Encore rudimentaires, les séquences de descente des rapides par exemple, sont un peu limite. Par contre les effets expérimentés lors du tournage de Ben Hur (La destruction de bâtiments) sont mis à contribution avec efficacité pour figurer cette fois des avalanches...
Le film est divisé en deux, d'une façon inédite: la première partie, comme on dit aujourd'hui, serait un film "choral", dans lequel on fait connaissance avec tous les protagonistes les uns après les autres, et elle fournit beaucoup d'humour tout en nous habituant à chacun des personnages. la deuxième, recentrée faute de combattants autour de Ralph, Berna, Lars, Jim et Locasto, ressort du mélodrame classique. Mais du début à la fin, ce qui frappe, c'est le réalisme des séquences... le fait, comme le souligne Leonard Maltin, qu'on puisse presque sentir l'effet du blizzard. Et pour cause: une partie du tournage s'est déroulée en Alaska, et Brown a du se résoudre à faire ce que Chaplin s'était refusé à faire: contrairement à l'acteur-metteur en scène de The Gold Rush, qui avait tourné le passage de Chilkoot au nord de la Californie, Brown a reçu de la MGM la mission de le tourner sur les lieux même... Ce qui est hallucinant à voir. Le cinéma montre ici finalement les limites de la recréation: on VOIT que lorsque certains personnages se plaignent (Un gamin, en particulier, forcé de prendre un bain réfrigéré de pieds pour le passage d'une rivière) des conditions, c'est parfaitement authentique! Le film est formidable, mais il ne fait sans doute pas trop creuser ce type d'informations. Quoi qu'il en soit, en dépit de l'indéniable réussite du film, Brown détestait en parler.
Le dernier long métrage muet du metteur en scène d'Un chapeau de paille d'Italie naît clairement du succès de ce dernier film, et la compagnie Albatros et le metteur en scène ont tout naturellement choisi de rééditer l'expérience en retournant à la même source: le théâtre de boulevard d'Eugène Labiche, mais cette fois il met moins l'accent sur l'époque comme il l'avait fait pour son film précédent, pour se concentrer sur la situation et les personnages.
Ceux-ci, les deux timides du titre, sont respectivement un jeune avocat débutant et maladroit, Frémissin (Pierre Batcheff), éperdument amoureux de Cécile (Véra Flory), une femme à laquelle il lui est fort difficile d'adresser la parole, et Thibaudier (Maurice de Féraudy), le père de la jeune dame en question. Lui aussi a des soucis de communication, et il est fort embarrassé de choisir entre un jeune homme qui ne lui inspire pas grand chose, mais que sa fille aime, et un coureur de dot sans scrupules, Garadoux (Jim Gérald), mais qui l'intimide sérieusement voire lui fait peur. Et pour compliquer le tout, Garadoux a reconnu Frémission comme l'avocat minable qui l'a envoyé en prison suite à une regrettable erreur de jeunesse: il a battu sa femme. Pour Garadoux, tous les moyens sont bons pour éloigner Frémissin avant qu'il ne le reconnaisse et ne fasse capoter tous ses plans d'avenir...
Le film commence pr une mémorable scène, dans laquelle se joue l'avenir de Garadoux: il rentre chez lui et attaque son épouse de façon fort brutale... C'est en fait un flash-back, l'histoire est racontée par l'avocat général dans son réquisitoire contre le prévenu. Frémissin va bénéficier de la même attention du metteur en scène, et son flash-back à lui va bien sur partir dans une direction totalement différente... avant de dégénérer suite à l'intervention d'un animal inattendu: une souris qui sème la panique dans le tribunal. Ce début réjouissant est rendu encore plus drôle par les interprétations contrastées de Jim Gerald (Un excellent acteur... du muet.dommage que sa voix n'ait jamais reflété le talent versatile mais visuel de ce comédien!) et de Pierre Batcheff. Clair qui commence son fil sur les chapeaux de roue, va rééditer l'exploit à la fin en utilisant cette fois pour ses plaidoiries contradictoires des photos, et un split-screen qui là aussi va partir dans tous les sens. C'est cette inventivité fabuleuse qui fait tant défaut au cinéma Français muet (On se méfiait des "effets", n'est-ce-pas, ce n'est pas "artistique"... Les guillemets sont d'époque), et qui détache les films de René Clair, mais aussi les films de l'Albatros, du reste de la production... Mais pas que.
Car si j'admire aussi bien Un chapeau de paille d'Italie que La proie du vent, les deux autres productions Albatros (Je mets de côté La tour, qui est un très court métrage) du metteur en scène, force est de constater que ce film possède un atout de taille dans la personne de Pierre Batcheff, inspiré à dose égale de deux comédiens dont il y a fort à parier que Clair les vénérait, car il avait bon goût: Lloyd et Keaton. Et c'est largement sous le parrainage de ces deux acteurs-cinéastes que se place le metteur en scène ici, pour un film qui se moque gentiment mais avec finesse des avocats, et des moeurs corsetées d'une époque révolue durant laquelle il fallait passer par les adultes pour pouvoir s'aimer. Les scènes bucoliques entre Pierre Batcheff et Véra Flory, la façon aussi dont les enfants, observateurs innocents et extérieurs à l'action, se mêlent pourtant de la partie, le sens rigoureux de la composition, allié à un découpage strict, achèvent de mener le film vers la réussite. Et bien sur, pas le succès...
Marcel L'herbier n'avait peur de rien et encore moins du ridicule. C'est simple: il suffit de se pencher sur n'importe lequel de ses films muets pour s'en rendre compte. Seulement à tort ou à raison, il habitait ses oeuvres, il se mettait tout entier derrière chaque scène, chaque plan, et se donnait corps et âme. C'est déjà un signe de forte respectabilité, qui fait de lui l'égal d'un Stroheim, d'un Vidor ou d'un Gance... quand ses films sont réussis. Et outre le splendide Feu Mathias Pascal où L'Herbier fait sienne l'ironie de Pirandello en y ajoutant son sens hallucinant du visuel, et laisse Ivan Mosjoukine faire montre de son talent exceptionnel, L'argent est 'un de ces films dans lequel un metteur en scène qui ose tout oser obtient des résultats uniques, brillants et inoubliables...
C'est irracontable: il y est tellement question de spéculation, que le fonds exact des malversations, transactions, coups fourrés et trahisons me semble, après plusieurs visionnage, tout bonnement incompréhensible. Peu importe d'ailleurs: dans ce film adapté plus ou moins de Zola mais transposé dans le Paris boursier de 1928, le metteur en scène nous montre un arroseur arrosé, un de ces hommes qui croit être au-dessus de tout, et posséder tout le monde. Il va jouer, beaucoup gagner, spécule, tenter de s'approprier les êtres, et finalement perdre... mais pas pour longtemps. L'Herbier lui impose surtout ses semblables, et à Saccard (PIerre Alcover), le banquier sans scrupules, il ajoute Gunderman, (Alfred Abel) un homme qui prend ses distances et qui se réfugie lui derrière un style moins carnassier... avec d'excellents résultats. On verra aussi la Sandorf (Brigitte Helm), une dame qui règle les élans de son coeur sur les comptes en banque des prétendants, et bien d'autres. Contrairement au Saccard de Zola qui montrait quelques penchants antisémites chez celui qui n'avait pas encore écrit J'accuse, celui de L'Herbier est surtout un enfant de son siècle, un homme qui a choisi une voie dictée par les dieux de la bourse. Sandorf et Gunderman, chacun avec sa manière (Froide et efféminée chez Gunderman, féline et calculatrice chez Sandorf) lui ressemblent beaucoup.
Mais le petit peuple de la bourse est une faune dans laquelle on trouve de tout, et on y trouve aussi des gens qui se sont perdus en route: ainsi les Hamelin donnent ils un angle d'approche intéressant, qui renvoie qui plus est à l'actualité: Jacques Hamelin (Henry Victor) est un aviateur doublé d'un home d'affaires, qui cherche un financement. Saccard va spéculer sur le héros et mettre tout ce petit monde en danger, et surtout il va essayer de s'approprier Madame Hamelin (Marie Glory) en l'absence de son mari. Une séquence, filmée au plus près des corps, nous montre une tentative de viol d'une violence rare...
Outre le jeu des acteurs, totalement irréprochable (Et à la liste ci-dessus il faudrait ajouter Alexandre MIhalesco, Yvette Guibert, Antonin Artaud et Jules Berry, excusez du peu) c'est bien sur la mise en scène enfiévrée, faite de plans mouvants, L'Herbier ayant tout fait pour bouger ses caméras dans tous les sens; on pense souvent au Dernier des hommes, pour situer, mais le metteur en scène ajoute un angle inattendu: à Murnau, démiurge de l'image, il répond par une sorte de détournement du style documentaire. Il construit des décors intrigants, habités par ses acteurs et sa figuration, et place sa caméra au milieu, en captant le plus souvent l'action centrale à travers le reste: il en ressort un fourmillement, une vie intérieure rare dans un film Français de l'époque. Et comment ne pas penser en voyant ces cercles boursiers vus d'en haut, avec ce grouillement des personnes, à une fécondation bizarre, ou pour le moins à une expérience délirante? L'argent est un joyau vénéneux, un film qui se mérite, le couronnement de la carrière muette de son auteur.
A en croire les historiens du cinéma, c'est en voyant ce film que Georg Wilhelm Pabst eut la révélation de sa vie, et décidé d'engager sur-le-champ Louise Brooks; peut-être fut-il étonné de sa réponse positive mais le fait est que les studios (Et bien sûr la Paramount, maison-mère de l'actrice), ne savaient pas quoi faire d'elle, et c'est beaucoup plus d'un statut de starlette qu'elle disposait, d'autant qu'elle est ici détachée de son studio, et prêtée à la Fox, pour interpréter, eh bien, pas grand chose de plus qu'une plante verte... Tout ceci étant rappelé, non pour être désagréable, mais bien pour tenter de remettre les pendules à l'heure: Brooks, aujourd'hui adulée à juste titre par une poignée de dingos de par le monde, n'était absolument pas une star interplanétaire à l'heure de ses plus grandes contributions au cinéma, un art dans lequel elle n'a presque jamais vraiment percé...
Cela étant dit, les vraies vedettes de A girl in every port, ce sont bien sur les deux acteurs qui en interprètent les héros: Victor McLaglen est 'interprète de "Spike" Madden, un marin qui se satisfait d'une situation intéressante: il a, selon l'expression consacrée, "une fille dans chaque port", à Amsterdam, Rio, Mexico... Sauf que d'une part, le temps passe, et certaines se sont mariées et ont eu des enfants, ce qui n'arrange pas ses affaires. Et d'autre part, partout où il va, il se rend compte qu'il partage ses conquêtes avec un mystérieux marin, un serial dragueur, le nommé Salami (Robert Armstrong). Lors d'une bagarre, les deux fraternisent, sympathisent, et deviennent les meilleurs amis du monde. Entre alors en scène Marie (Louise Brooks), une Américaine exilée à Marseille. Spike tombe fou amoureux, et envisage de s'installer avec elle une bonne fois pour toutes, mais Salami qui connaît déjà la jeune femme sait qu'elle en a après son argent. Comment le lui dire?
C'est une comédie, qui naît de l'immense popularité de McLaglen et de ses personnages d'aventurier bourru, suite à l'immense succès de What price glory? (1926) de Raoul Walsh. D'une certaine façon, le jeune Howard Hawks, qui avait tourné une poignée de films pour la Fox, avait pour mission de faire bouillir la marmite, ce qui permettait à William Fox de financer ses projets dispendieux et artistiques: pour un Fazil, un Paid to love, combien de mètres de pellicule de Sunrise, ou de Street angel? Le pari de Fox, c'était de faire cohabiter un cinéma d'auteur exigeant et prestigieux dont il pensait qu'il finirait par payer, et un cinéma populaire et distinctif, soit différent de celui de la MGM, de la Paramount ou de la Warner... Il a perdu, et c'est dommage, mais il n'en reste pas moins que face à ce film, on est plutôt mitigé... Du reste, son (Désormais) principal argument de vente n'arrive qu'en deuxième moitié, et on reste bien fermement ancré dans la convention. C'est un flm d'hommes, qui fait passer la camaraderie entre marins avant tout, comme Hawks le fera pour les aviateurs, les gangsters, les cow-boys... On s'y saoule, on y bourre les pifs. Ca détend!
En 1918, sur le front Français, une auberge sert de QG et de dortoir à une escadrille de la RAF. Jeannie, la patronne (Colleen Moore), est comme une vraie mère pour les jeunes pilotes, et souffre de devoir aussi souvent en voir revenir moins nombreux de chaque patrouille. Un jour, le capitaine Blythe, beau comme Gary Cooper, vient s'installer, et bien sur, ils tombent amoureux. Le matin d'un départ de la patrouille, Jeannie a un affreux pressentiment, mais le sens du devoir l'emporte...
Bien construit, ce film a tout du mélodrame classique, et on se doute que le succès de Seventh Heaven, de Borzage, n'a pu qu'influencer la First National à se lancer à son tour dans le mélo sublimé, avec final quasi fantastique. mais George Fitzmaurice n'est pas Frank Borzage. Donc, si on apprécie de voir une première partie essentiellement composée de comédie, un passage qui rend bien l'évolution de ce qui devient vite une histoire d'amour, il manque la conviction, voire l'abandon de ses acteurs, et le film reste attachant certes, mais pas aussi absolu que pouvaient l'être les films Fox de Borzage. Colleen Moore et Gary Cooper, cela dit, sont deux raisons suffisantes de voir et d'apprécier le film. Cooper était un jeune qui montait à l'époque, mais sa (délicieuse) partenaire était l'une des stars du moment...