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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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8 mai 2013 3 08 /05 /mai /2013 09:43

Bien qu'il n'y soit pas crédité en tant que metteur en scène (C'est tout de même une 'John Ford Production'), Ford est bien le principal artisan de cette petite comédie, qui se trouve au confluent d'un certain nombre d'aspects de sn oeuvre en cette fin 1928: cinquième et dernier de ses films à sortir en cette année, il vient donc après Mother Machree (Janvier 1928), Four sons (Février), Hangman's house (Mai), et Napoleon's barber (Sorti officiellement la veille de la sortie de Riley, en novembre!). Ce dernier était aussi, en quatre bobines seulement, le mythique (Car aujourd'hui perdu) premier film parlant de Ford, ainsi que le premier film sonore en extérieurs de la Fox! Après Riley, seul un film de Ford allait être muet, le suivant: Strong boy, sorti en mars 1929. Il est aujourd'hui perdu... Donc en ce qui nous concerne, et si on excepte la seule version sauvegardée de Men without women (Janvier 1930), Riley the cop constitue en quelque sorte les adieux de Ford au cinéma muet, et après quelques films aventureux (Upstream, Mother Machree, Four sons et Hangman's house), un retour au style simple, linéaire et fortement teinté de comédie qu'il pratiquait avant l'arrivée de Murnau à la Fox... Le film est aussi notable pour la présence de J. Farrell McDonald, éternel second rôle, qui tient cette fois le haut de l'affiche, une preuve de l'affection du metteur en scène, mais aussi de l'image chaleureuse que le vieil acteur avait auprès du public.

 

Aloysius Riley (McDonald) est un policier New Yorkais, un vrai: Irlandais, plus oncle bourru que véritable bras de la loi, il est aimé de tous, même s'il a un certain ressentiment à l'égard de son collègue Krausmeyer, un immigré Allemand comme son nom l'indique (Harry Schultz). Il estime qu'on mesure l'efficacité d'un policier "aux arrestations qu'il ne fait pas", une devise mise en exergue dans le film et qu'il applique tous les jours. Quand il y a un problème, il se débrouille pour que ce soit sur le territoire de Krausmeyer... Pas grand chose ne se passe, Riley y pourvoie, jusqu'à ce qu'on fasse la connaissance d'un jeune couple d'amoureux, Mary (Nancy Drexel) et Davy (David Rollins). ils s'aiment, mais ne vont pas pouvoir se marier de suite, var Mary doit partir en Allemagne. Le bouillonnant Davy part pour la rejoindre, mais il est entretemps accusé d'avoir volé dans la caisse de la patisserie ou il travaille. On décide d'envoyer Riley en Allemagne, afin de récupérer le jeune; là, il va non seulement procéder à sa première arrestation, celle de Davy qu'il a vu grandir; mais Riley va surtout rencontrer l'amour, en la personne de Lena (Louise Fazenda)...

 

C'est parfois improvisé, tourné entièrement aux studios Fox, et mis en scène à l'économie... Mais une économie qui s'avère efficace. Avec McDonald, on est en territoire Fordien, et le timing de l'acteur est superbe, disons que si ce film ne révolutionnne pas grand chose, il est plus que plaisant! Et la chaleur humaine représentée par ce bon vieux policier autour duquel les gens se sentent si bien qu'ils ne parviennent pas à enfreindre la loi est communicative, faisant de Riley un cousin des personnages incarnés par Will Rogers dans les films de 1933 à 1935. Bien sur, il y est question de consommation gargantuesque d'alcool (Ici, la bière, une motivation pour Riley, qui va pouvoir aller en Allemagne et se pinter légalement en absorbant des quantités dangereuses de ce liquide, alors qu'on est en pleine prohibition!), les gags sur les pieds de Riley chaussés de croquenots de bonne taille abondent (Sur un bateau, un stewart qui cherche un policier nommé Riley le reconnait à ses pieds!), les gags ethniques (Policier Allemands rigides et militarisés) et autres clichés surranés sont légion... Mais ce qui frappe aussi, dans la première partie, c'est l'humanité du personnage, et le fait qu'on nous présente une société multi-communautaire, ou pluri-ethnique, dans laquelle l'harmonie existe, à part peut-être entre Riley et Krausmeyer; et encore, à la fin du film, on réalise que ces deux-là vont probablement être obligés de cohabiter, car... Mais chut!

 

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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet 1928
21 avril 2013 7 21 /04 /avril /2013 10:03

Le troisième film de John Ford en cette année 1928 est sans doute le plus noir de toute sa production muette, en même temps qu'un nouveau retour en Irlande, après The Shamrock Handicap et Mother Machree. Mais si l'Irlande de ses rêves, fantasmée et sublimée par la distance était aussi présente dans ses autres films par la présence de personnages-clichés de braves Irlandais cabochards et bagarreurs (George O'Brien dans Three Bad Men, The blue eagle), de vieux consommateurs de Whisky au coeur d'or (J. Farrell Mc Donald dans The Iron Horse), ici Ford plonge ses personnages au coeur du drame de l'Irlande, la lutte entre les oppresseurs et les opprimés... Lutte jamais identifiée par une date, c'est essentiellement une question d'atmosphère, un mot qui convient parfaitement à ce film hérité du style de photographie, de décoration et de composition que Ford a retiré des leçons de Murnau.

 

Victor McLaglen y incarne 'Citizen' Hogan, un soldat exilé qui revient en Irlande ou il est hors-la-loi (Pour son engagement politique contre la couronne, sans aucun doute) afin d'y tuer un homme, après avoir reçu un message dont la teneur restera longtemps énigmatique. On assiste donc à son arrivée, déguisé en moine, dans un conté dont l'ancien juge, le très sévère Baron O'Brien (Hobart Bosworth) apprend qu'il n'a plus qu'un mois à vivre. Hanté par les nombreuses morts qu'il a causées (On l'appelle "le Bourreau", the Hangman), il est obsédé par l'idée de 'placer' sa fille Connaught (June Collyer). Il ignore l'amour simple et pur que celle ci éprouve pour le jockey Dermot McDermot (Larry Kent), et veut la marier à John D'Arcy (Earle Foxe), identifié dès le départ comme un traître (il ne passe presque jamais de temps en Irlande, préférant voyager en Europe, et il vise une place à Londres...). Le soir du mariage, assailli par ses "victimes", le vieux juge décède, et D'Arcy veut comme de juste passer la nuit avec Connaught, mais celle-ci, aidée par les domestiques de la maison, se refuse. C'est dans ces circonstances que Hogan fait son apparition, et commence à tourmenter D'Arcy; on apprendra ensuite que celui-ci s'est marié en France avec sa soeur, et qu'elle est ensuite morte lorsque il l'a abandonnée...

Ford installe donc une intrigue assez compliquée, mais dont on constate qu'elle ne joue pas uniquement sur l'idée d'un "camp à choisir": Hogan et beaucoup de ses amis, les gens du village, sont tous des Républicains, et le héros n'a aucun mal à échapper jusqu'à un certain point à la police. Mais lorsque dénoncé par D'Arcy, il se fait arrêter, il n'oppose pas vraiment de résistance; d'une part il doit savoir qu'il s'évadera, et d'autre part les policiers sont des ennemis politiques certes, mais il sait qu'on peut parler avec eux: appréhendé durant une course de chevaux, il demande l'autorisation à l'officier d'assister à la fin de la course, faisant appel à ses sentiments avec un grand sourire comme seul McLaglen savait les faire... C'est d'ailleurs durant cette course qu'on apprend à quel point D'Arcy est infréquentable: il a parié contre son cheval, Le Barde. Lorsqu'il voit Dermot monter le cheval, ce qui n'était pas prévu, il sinsurge, puisqu'il ne peut pas perdre! il fait donc une scène à son épouse, et après la course, abat le cheval à bout portant, ce qui lui vaut l'inimitié de tous, Républicains comme Loyalistes!

 

D'un coté, un héros insaisissable, un homme perpétuellement en partance pour des ailleurs exotiques, qui incarne l'Irlandais exilé et romantique dont l'attachement au pays ne peut naître que d'une distance amenée par les péripéties, et de l'autre Dermot, un jeune homme du pays, aimé et soutenu de tous, qui de plus triomphe symboliquement de toutes les oppressions en gagnant une course avec l'appui de toute la population... au milieu, un homme menteur, manipulateur, buveur même, qui est symboliquement considéré comme le prolongement de l'âme noir et torturée du vieux juge: le visage du compromis, en quelque sorte! Le Juge était Irlandais, sa fille en témoigne, mais détesté par la population: D'Arcy ira plus loin encore, allant jusqu'à nier son appartenance à l'Irlande d'une part, et à se comporter d'une façon systématiquement méprisable d'autre part... Il périra dans les flammes du château du vieux juge, la fameuse Maison du Bourreau du titre, la séquence étonne par sa violence fascinée: Ford nous y montre l'homme aux abois qui tente de trouver une sortie par le balcon de la maison en flammes, avant de plonger dans le vide pour éviter les flammes; un suicide par défaut, aussi pragmatique et lâche finalement que pouvait l'être sa vie entière. De l'autre côté de l'étang, son épouse regarde sans broncher, et sait qu'au bout de la route elle sera libre de se marier avec Dermot.

Pour mettre en images cette complexe intrigue qui  joue beaucoup sur les contrastes entre sentiments et la dignité, Ford peut compter sur George Schneiderman, son complice depuis Just pals (1920), un maître en la matière qui a su accompagner l'évolution stylistique du metteur en scène. cette évolution est plutôt une adaptation qu'une réappropriation du style de Murnau, comme il est souvent dit: les intérieurs situés pour la plupart dans le château du vieux juge jouent plus sur l'impression d'isolement des personnages au milieu des vieilles pierres, que sur des dispositifs visuels complexes. C'est toutefois dans la vieille demeure que le premier acte de la confrontation entre Hogan et D'Arcy va se jouer: D'Arcy aperçoit par une fenêtre la figure fantômatique du 'moine', et prend peur: il vient de comprendre que Hogan est revenu en Irlande. Voilà qui va précipiter son alcoolisme!

Par ailleurs, le recours à des surimpressions pour mettre en images les tourments du jge peuvent étonner: on n'a pas l'habitude de voir Ford s'adonner à ce type d'expérience, tout comme sa visualisation de la mort du juge: le vieil homme vient de voir dans la cheminée les images des hommes qu'il a envoyé à la mort, et s'écroule sur son fauteuil: le plan devient flou...

Les deux complices se sont ingéniés à recréer dans les décors de la Fox (Là même ou les marais de Sunrise et de Four Sons, et sans doute le village de Mother Machree avaient été fabriqués!) une Irlande sublimée, à la brume omniprésente, un paysage rural dans lequel la vieille pierre se mélange à des collines qu'on imagine vertes... Peu de vrais extérieurs dans le film, la Fox laissait à cette évoque les cinéastes réinventer le monde à leur guise. Le résultat est proprement superbe! Les nuances de gris ainsi obtenues, mélangées au talent de Ford pour la composition permettent d'obtenir de beaux effets de chiaroscuro...

Le plus noir donc, des films "Irlandais" de Ford tournés su temps du muet, Hangman's house est du concentré de romantisme, qui nous éclaire sur le vrai lien de Ford à son vrai-faux pays (Il est né dans le Maine, après tout!): ce n'est pas tant dans la haine des Anglais et des protestants qu'il souhaite s'installer. La lutte politique existe, bien sûr, mais elle est considérée dans le film comme une lutte de bon aloi, une sorte de climat inévitable qui n'empêche pas le fair-play (McLaglen faisant appel aux sentiments de l'officier, et celui-ci acceptant de bonne grâce) voire les coïncidences de vue entre ennemis (Les Anglais sont aussi méprisants vis-à-vis de D'Arcy après son idée folle de tuer un cheval devant tout le monde, et tous refusent de lui serrer la main!). Ford oppose donc les hommes qui trichent, mentent et trahissent, et les idéaux romantique de Hogan, mais il ne manque pas l'occasion de nous dire que ni l'un ni l'autre ne trouveront jamais la possibilité de rester au pays: ils n'y ont pas leur place, l'un est exilé de fait et l'autre est persona non grata... L'Irlande, c'est le pays rêvé qui ne sera jamais atteint. Le chemin vers la plénitude de The Quiet Man est long, mais ce film est finalement aussi peu réaliste. Et Ford reviendra vers l'Irlande par son versant politique a deux reprises, pour deux films également noirs, mais très différents l'un de l'autre: The informer en 1935, et The plough and the stars en 1936.

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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet 1928 *
17 avril 2013 3 17 /04 /avril /2013 15:25

Mother Machree est perdu, mais trois bobines et un fragment d'une quatrième ont été préservés. Elles constituent essentiellement l'exposition du film, et le fragment est probablement tiré du dernier acte. Au-delà du fait que la perte de tout film est scandaleuse, on le regrette d'autant qu'il s'agit d'une période charnière de la carrière de Ford: Ce film, situé entre Upstream (1927, retrouvé récemment) et Four sons (1928), nous montre comment le réalisateur, qui s'est essayé avec un certain bonheur à intégrer un nouveau style inspiré de Murnau avec Upstream, continue à intégrer dans sa mise en scène des éléments inspirés du cinéma Européen, jeux de lumière, décors en trompe l'oeil, et angles de caméra très étudiés, tout en poursuivant une oeuvre personnelle: le prologue de Mother Machree, situé en Irlande, est du pur Ford, tendance Irlandaise. Belle bennett y joue Ellen McHugh, une jeune femme dont le mari est retrouvé mort un soir; les copies actuellement disponibles ne font que le suggérer, mais il a probablement été tué lors d'un affrontement avec les forces de l'ordre Anglaises... elle part donc avec son fils Brian (Le jeune Philippe de Lacy) pour les Etats-Unis. Lors de ce prologue, Ford utilise les studios Fox ou il reconstitue un village; on soupçonne le décor d'être en partie un recyclage des décors de Sunrise (Ce qui se fera encore pour le film suivant, Four sons). Le metteur en scène nous montre dans une très belle séquence un orage qui va souligner le drame familial, à travers un beau plan: au fond du champ, le fils regarde au dehors, la fenêtre devenant une source de lumière intermittente; à gauche, l'héroïne se tient près de la cheminée. Mais à cette quiétude familiale, l'orage substitue bien vite l'angoisse: Brian dit à sa mère que les gouttes d'eau sur la vitre sont comme des larmes, appuyé en cela par un plan qui visualise la métaphore, et elle pressent alors le drame...

La deuxième et la troisième bobines contiennent essentiellement trois épisodes qui nous montrent la décision de partir aux etats-unis, suivis d'un passage au cours desquels ils rencontrent trois artistes de cirque, dont le "géant" Terence O'Dowd (Victor McLaglen) qui tombe amoureux d'elle. Ils l'escortent jusqu'à Queenstown ou elle prend la bateau avec le jeune Brian. On retrouve Ellen et Brian aux Etats-Unis: un intertitre nous prévient: la déconfiture est au rendez-vous pour nos héros. Une séquence simple mais effective visuellement nous trahit le désespoir des deux immigrants dont la mère ne trouve pas de travail: ils sont vus en plongée, du haut d'un escalier; à gauche dans le champ, le reflet d'une fenêtre. Ils montent lentement, et une fois arrivés à ce qui est sans doute un bureau de placement, ils apprennent qu'il n'y a rien. ils redescendent par la même escalier, aussi lentement, suggestion de la résignation et de la routine... Mais une fois arrivés chez eux, ils reçoivent la visite de leurs amis du cirque, qui viennent de faire la traversée à leur tour, et vont leur offrir une position: Ellen devient "half-lady", ou fausse cul-de-jatte, et va faire partie de la galerie des monstres du cirque (Dans une séquence ou la composition renvoie aux séquences de fête foraine de Sunrise dont il y a fort à parier que là encore le décor a été réutilisé...

 

La séquence est suivie, en ce qui nous concerne, d'une longue ellipse, au cours de laquelle Ellen mise en confiance va rassembler suffisamment d'argent pour inscrire son fils dans une école huppée, mais les dirigeants de l'école vont l'exclure lorsqu'ils apprennent que sa mère est une artiste de cirque. Désespérée, elle laisse le directeur de l'école adopter son fils, qui sera désormais connu sous le nom de Brian van Studdiford: il va grandir loin d'elle, et elle va devenir gouvernante loin de son fils. Jusqu'au jour ou la jeune fille de la famille qui l'emploie revient à la maison avec un beau grand jeune homme, Brian Van Studifford... La séquence des retrouvailles (Seule la mère reconnait son fils) est l'unique scène sauvée du reste du film, et possède l'un des arguments chocs de la publicité de la Fox: le jeune Neil Hamilton y chante une chanson, Mother Machree, en son synchrone. C'est de loin aussi la séquence la plus faible visuellement qui reste dans ces fragments...

 

On sent bien que Ford expérimente ici, mais il le fait moins apparemment qu'avec son film précédent; il est à la recherche d'un compromis, et après tout l'adoption d'un style visuel savant et sophistiqué, qui apparaît en particulier dans les scènes Irlandaises, va de pair avec une narration linéaire dépendante de l'univers propre à Ford, déjà mis en valeur par The Iron horse, Three bad Men, The Shamrock handicap... Le film est aussi pour lui l'occasion de peindre le folklore Irlandais décalé qu'il avait déjà montré dans The shamrock handicap, de façon bien sur plus dramatique, mais avec un certain humour, quand même: il fait se succéder dans une scène de veille funèbre, des plans d'une cohorte de vieillards à longue barbe blanche qui se tiennent près du défunt, et les plans d'un vieillard qui tire sur sa pipe, avec un oeil malicieux, et dit (Trois intertitres): Quand je serai mort... Si je meurs un jour... je voudrai qu'à ma veillée funèbre ce soit la grande hilarité! L'irlande, ses larmes, sa mort, son humour, ses petits vieux qui semblent échapper au temps... et ses lutins: quand Brian tombe nez à nez avec un nain de cirque, celui-ci se comporte comme un lutin. Les intertitres reprennent un Anglais malmené par les personnages (la mise en avant des adjectifs par Terence, par exemple: "It's Grand you look")... Le film est un jalon essentiel de la relation de Ford au pays d'origine de ses parents, aussi peu crédible en soit la peinture. Deux films plus tard, avec Hangman's house, il y reviendra, et son style aura enfin parfaitement intégré ces recherches. Pour l'instant, les extraits disponibles de ce film sont bien frustrants, mais ils nous montrent un jeune metteur en scène qui fait avec un certain bonheur ses gammes.

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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet 1928 Film perdu
3 mars 2013 7 03 /03 /mars /2013 15:43

Commencé dans l'ombre envahissante de Robert Flaherty, engagé par la Metro-Goldwyn-Mayer pour répéter ses succès de Nanook et Moana, et devenu trop encombrant par ses méthodes qui n'acceptaient ni collaborateur, ni ingérence de quelque studio que ce soit, ce film a heureusement été tourné par Woody Van Dyke: heureusement, parce que "One-take" Woody était l'un des plus économiques ET efficaces des metteurs en scène, mais aussi parce que le résultat final est l'un des films les plus intelligents de son genre... Contrairement à la légende (La même qui l'attribue encore aujourd'hui à Flaherty, d'ailleurs) le film n'a rien d'un documentaire, ce que tendrait à démentir certains mots du générique: alors, oui, il a bien été tourné sur des îles des Mers du sud, mais l'expression "recorded for camera" qui nous fait imaginer que le metteur en scène s'est contenté de poser son matériel par terre et d'attendre que l'action vienne est on ne peut plus trompeuse. Van Dyke a bien mis en scène une histoire, qui implique un homme, joué par Monte Blue (L'acteur de The marriage circle et So this is paris de Lubitsch), qui est éloigné d'une île par des hommes blancs qu'il gêne, passant son temps à dénoncer leur manie d'exploiter les îles et leurs habitants. Laissé à l'abandon sur un bateau, il survit à un typhon, et s'installe sur une île paradisiaque, à l'abri de l'homme blanc; après avoir été un temps saisi de la folie des perles, il finit par se laisser aller à l'amour (Avec la jeune Raquel Torres) et l'indolence du lieu, lorsque d'autres hommes blancs arrivent...

 

La redoutable rapidité de Van Dyke ne l'a pas empêché de trouver des images définitives, et si le propos du "paradis perdu" (Qu'on retrouve dans Tabu de Murnau, et dans tant d'autres films du même genre) est daté, pour ne pas dire embarrassant, la dénonciation de l'exploitation de la Polynésie par les blancs possède de fait un fond de vérité. Mais peu importe: on se laisse aller à une histoire superbe, à cette poésie des lagons et d'images sous-marines (évidemment dues à Clyde De vinna, déjà le spécialiste du genre) et à cette construction rigoureuse du film, joué d'une façon impériale par Monte Blue, sale, mal rasé, mal habillé, mais totalement convaincant dans un rôle d'homme qui est dégouté de ses semblables. Son énergie emporte l'adhésion, et de fait notre indignation est réelle... D'autres films de ce genre suivront, dont certains seront beaucoup plus mélodramatiques et conventionnels (Van Dyke lui-même y a sacrifié, avec The Pagan) mais celui-ci est sans doute le meilleur de tous, aux côtés de l'indétrônable Tabu...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Woody Van Dyke *
3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 16:46

Qu'il n'y ait pas d'équivoque, ce texte est écrit après un nouveau visionnage du documentaire de Janet Bergstrom consacré à ce film de Murnau qui se situait entre Sunrise (1927) et City girl (1929): Murnau's Four devils, Trace of a lost film. Tourné dans la foulée de l'enthousiasme créé à la Fox par l'arrivée du maître Allemand, et alors que Sunrise n'avait pas encore été sanctionné par un relatif flop. Le metteur en scène avait, là encore, carte blanche, et le sujet, inspiré par un sujet Danois déjà filmé en 1911. Contrairement à ce qui a parfois été avancé, le studio n'avait absolument pas puni le metteur en scène pour son échec en lui refilant un vieux truc, d'autant que le mélodrame représenté par le sujet était probablement à l'opposé des désirs de la Fox, attentive aux nouveaux développements de la dramaturgie dans le cinéma contemporain. La production a été marquée par un certain nombre de problèmes: d'une part, la difficulté à trouver une fin appropriée: dans le scénario, il y en avait quatre possibles... d'autre part, le film a été montré au public dès l'automne 1928, à travers des previews qui ont généralement été positives, mais le studio tenait à ajouter une version parlante, qui n'allait pas être prête avant l'été 1929. Les retouches de celle-ci ont du être confiées à un autre metteur en scène, pour trois raisons: d'une part, Murnau souhaitait se consacrer à son nouveau film City girl. Puis, il allait quitter le studio sur un désaccord au sujet de ce dernier. Enfin il refusait de participer à l'établissement de ces versions parlantes (ce fut le même scénario sur City Girl, justement). Le film est donc sorti à la fin 1928, muet, puis de nouveau à l'été 1929, parlant... Et comme beaucoup de ces productions hybrides d'une époque de grands changements à Hollywood, on n'en entendra plus parler, avant qu'une copie ne soit localisée, et entreposée à la Cinémathèque française... Ou elle brûlera comme d'autres films (Dont l'unique copie recensée de The honeymoon, la deuxième partie de The Wedding March, de Stroheim.)... Fin: Janet Bergstrom, historienne Américaine spécialiste de Murnau, a donc rassemblé des documents afin de dresser un portrait aussi complet possible de ce film fantôme...

 

Le film suit donc l'histoire des "quatre diables", un quatuor d'acrobates élevés par un vieux clown, interprété par J. Farrell McDonald, un vieil ami à nous: ancien metteur en scène dans les années 10, complice de Ford à la Fox, et "character actor" du studio, il apparaît entre autres dans Sunrise dans le rôle d'un photographe farceur... Les quatre diables devenus adultes sont interprétés par Nancy Drexel, Barry Norton, Charles Morton, et... Janet Gaynor. Cette dernière est la star en titre du film, dont la distribution est  complétée d'une vamp, en la personne de Mary Duncan, une jeune actrice qui monte à la Fox, qu'on reverra en compagnie de Charles Farrell dans The River (Borzage, 1929) et bien sur City Girl... Ele joue le rôle de la femme qui jette son dévolu sur Charles (Morton), provoquant la jalousie de Marion (Gaynor), et le drame final, c'est à dire dans la version présentée en 1928, la mort des deux héros, provoquée par Marion qui a décidé de garder son amour pour elle par-delà la mort. Une deuxième version de cette fin sera légèrement différente pour la version parlante: le jeune homme survit...

 

Le film semble assez fidèle à l'esprit du drame Danois de base, forcément noir. Du reste, on a l'impression devant cette intrigue d'assister un peu à la vengeance de la citadine de Sunrise, Murnau retournant à son péché mignon qui consiste à casser les couples trop gentils... Du reste, d'après ce que laisse imaginer la continuité de Berthold Viertel ré-assemblée par Bergstrom, la femme fatale interprétée par Duncan prend plus de place dans ce film que celle de Margaret Robinson dans le film précédent. de plus, tout en jouant un rôle de prédatrice, elle a un véritable rôle de premier plan, rejoignant à sa façon Nosferatu, dont elle assume quasiment la position sur le gentil couple, le détruisant malgré elle à la fin du film... On retrouvera ce type de rôle avec le vieux prêtre de Tabu... Mais si le film fait appel aux vieux principes du mélo (Et on se souvient que Sunrise faisait lui aussi partie, à l'instar de Lonesome ou Street Angel d'une sorte de revival des intrigues simples dans un cinéma Américain de plus en plus attiré par les expérimentations formelles), il y a fort à parier qu'il tirait sa spécificité et son intérêt d'un festival d'images sublimes et d'effets visuels, le cirque ayant été choisi par Murnau pour y montrer une explosion d'émotions, de l'angoisse à l'émerveillement en passant par le rire, grâce à une caméra plus déchaînée que jamais... C'est ce que confirment les dessins préparatoires préparés à la demande de Murnau par son vieux complice  Robert Herlth.

 

Mais on ne saura jamais. Si vraiment une copie de ce film dormait quelque part dans le monde, je pense que la personne qui la dissimulait l'aurait sortie de ses cartons il y a dix ans, au début du boom du DVD, à une époque où, brièvement, il devenait possible à un studio comme la Fox de sortir un coffret aussi luxueux que Ford at Fox, ou, justement, Murnau and Borzage at Fox... On n'a rien vu, à part quelques plaisantins qui ont tenté de se faire mousser en prétendant posséder une copie, comme il y en a du reste souvent qui prétendent avoir en leur collection une version de London after Midnight, ou une copie intégrale de Greed. On a retrouvé une bobine de Marizza, mais on ne retrouvera sans doute jamais Four Devils, le chaînon manquant entre Sunrise et City girl.

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1928 Film perdu
30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 10:18

La "tempête", c'est la révolution Russe... Tempest est un film d'aventures romanesque dans lequel on assiste aux changements de la Russie entre 1914 et 1917; un genre à part entière en somme, en même temps qu'un moyen de ne pas vraiment prendre parti dans le Hollywood de 1928... Le film, un véhicule pour John Barrymore et l'un de ses meilleurs films, a semble-t-il une histoire encore plus tumultueuse que son intrigue. Si le film porte la signature de Sam Taylor, l'ancien collaborateur de Harold Lloyd, deux autres metteurs en scène ont participé à la confection, et c'est tout un symbole, puisque aussi bien Victor Tourjansky, un émigré qui avait tourné en France (Michel Strogoff, 1926, avec Ivan Mosjoukine!) que Lewis Milestone (Un protégé de Howard Hughes) étaient Russes... Pourtant aucun des deux ne restera sur le film... Joseph Schenck, qui à la United Artists tentait semble-t-il de diversifier sa production avant de lâcher son poulain Buster Keaton à la MGM, avait mis les petits plats dans les grands pour ce film, dont le scénario avait là aussi traversé plusieurs états. On sait que parmi les scénaristes qui se sont succédés, il y avait un certain Erich Von Stroheim... Il y aurait travaillé à la demande de Schenck suite à sa mise à l'écart du montage de The wedding march, et le script aurait du être une collaboration entre Stroheim et Milestone, destinée à être mise en scène par ce dernier; donc, dès le départ le film est un projet de Schenck, dans le cadre du contrat de trois films avec John Barrymore. Le fait est que dans la version finale du film, on retrouve quelques touches de l'oeuvre de Stroheim, mais diluées, et le résultat est un film d'aventures, sans prétentions, qui se joue des conventions avec insouciance... Pas de leçon d'histoire, donc.

 

Russie, avant la guerre; le sergent Ivan Markov (Barrymore) travaille d'arrache-pied pour obtenir un grade d'officier, ce qui n'est pas acquis, puisqu'il est d'extraction paysanne; lorsqu'il l'obtient grâce à un général bienveillant (George Fawcett), les autres officiers parmi lesquels un capitaine (Ulrich Haupt) qui le méprise ouvertement, lui font sentir qu'ils ne l'accepteront jamais comme un égal. Fin saoul, Markov se retrouve par erreur dans la chambre de la princesse Tamara (Camilla Horn), fille du général, dont il est amoureux. Elle donne l'alerte, il est arrêté, dégradé, et finalement mis en prison. Pendant ce temps, la guerre intervient, puis la révolution. Un personnage que Ivan a souvent croisé, un agitateur (Boris de Fast) socialiste, le fait libérer pour faire de lui un leader du peuple... De son côté, Tamara qui a toujours aimé Ivan 'depuis la première minute' tente de survivre à la "tempête"...

 

Idéologiquement, le film se situe dans un no man's land parfaitement inoffensif: les officiers Tsaristes, et avec eux Tamara, élevée dans le principe d'une aristocratie souveraine, pratiquent un ostracisme de classe particulièrement virulent; seul le général semble avoir été épargné dans ces circonstances, qui tente d'intégrer un paysan dans son état-major. Mais les révolutionnaires, menés par un agitateur et manipulateur qui ressemble encore plus à Raspoutine qu'à Lénine ou Trostki, sont bien sur sales,vulgaires et prompts à massacrer tout ce qui bouge. La seule solution dans ces circonstances est bien sur la fuite pour Ivan (une fois qu'il se sera sorti du sac de noeuds de péripéties dans lesquelles il se trouve, cela va sans dire...). On est loin d'un film comme The last command (Dont le propos n'était pas non plus politique, mais dont la thématique était bien plus complexe, en effet), ici, et c'est le romanesque qui prévaut. Mais le film est un splendide effort esthétique, du à un afflux de techniciens, parmi lesquels William Cameron Menzies et Charles Rosher (Les prises de vues en prison sont superbes, notamment); l'apport des deux réalisateurs Russes a pu jouer un rôle important, la première séquence étant un brillant travelling qui pourrait sans trop de problème être une idée de Milestone... Mais le film final est enlevé, probablement un brin gratuit aussi, sans qu'on songe à s'en plaindre. Barrymore est égal à lui-même, Camilla Horn joue la noblesse pincée avec une certaine conviction sans risquer sa peau à chaque plan comme c'était le cas durant le tournage de Faust, et on a la chance de voir aussi le grand Louis Wolheim (un complice de Milestone) dans le rôle du copain d'Ivan, qui lâche tout pour le suivre...

 

L'apport principal de Stroheim dans ce film, c'est son sens du détail, la façon dont l'action progresse à travers des objets symboliques de passage: médailles, tampons qui signifient un arrêt de mort, ou épaulettes de grade. L'importance accordée dans le film à ce genre de broutilles trahit une implication du metteur en scène qui a toujours aimé faire jouer les différences sociales en utilisant le détail des bijoux, vêtements, et signes d'appartenance aussi bien sociale qu'à l'armée. Le film ne manque donc pas de ces éléments. Mais si on voit ici le même mouvement que dans The merry-go-round, c'est-à-dire d'une société de classes antagonistes vers une société bouleversée par la guerre et la destruction, ces conflits de classe annihilés par la noblesse de coeur (Notamment bien sur celle d'Ivan ou de Bulba, le brave compagnon interprété par Wolheim) sont surtout un élément décoratif, une convention de mélodrame.

 

...Cela ne doit pas pour autant nous gâcher le plaisir, non?

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Sam Taylor *
24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 21:12

C’est au-delà de la personnalité et de l’histoire, voire de l’anecdote de Jeanne d’Arc, qu’il faut considérer le film de Dreyer : avec à la base une commande d’une  société de production Française (Qui avait suggéré au  cinéaste plusieurs possibilités d’héroïne, dont Jeanne d’Arc n’était qu’un exemple), le film a été pour Dreyer l’occasion de tester des conditions de tournage uniques, et inspirées de ses propres expériences : Le maître du logis (1925), qui avait été un succès au Danemark et un film noté à l’étranger, allait en particulier pousser le metteur en scène à rééditer les exigences de concentration des acteurs (Tenus notamment de dire un texte très précis afin d’incarner totalement un personnage), et l’excès de maquillage noté sur le tournage de ce film Danois allait pousser Dreyer à tenter de tourner avec des visages aussi nus que possible. Mais le plus spectaculaire, c’est bien sur le choix de privilégier des plans de visages. J’utilise volontiers ce terme au lieu de « gros plans », parce qu’il y a dans cet usage établi du plan très rapproché (En particulier le « gros plan » de star, disons, à la Griffith) un petit aspect de décrochage, alors que Dreyer rapproche sa caméra afin de se rapprocher du lieu de l’action, les visages ayant ici la fonction de fenêtre de l’âme… Le scénario condensera les minutes du procès de manière à donner l’impression d’une journée, et les quelques 100 minutes de projection sont donc entièrement suspendues à l’issue de ce procès, qu’on sait perdu d’avance : « Jehanne la bonne lorraine, qu’Anglois brulèrent à Rouen », disait François Villon; le propos n’est pas ici de savoir comment, plutôt de montrer ce qui s’st passé dans la tête des protagonistes durant ces moments historiques. Et, c’est ce qui différencie ce film de celui, plus volontiers hagiographique de Marco de Gastyne (Le par ailleurs très intéressant La vie merveilleuse de Jeanne d’Arc), à aucun moment on ne nous dira que Jeanne d’arc est une sainte. Et ça c’est très important…

 Jeanne d’Arc, devant ses juges, afin de répondre de son statut d’hérétique, de confirmer ou de désavouer ses prétentions d’être l’envoyée de Dieu, et les juges se fixant pour tâche de satisfaire leurs alliés anglais, tout en évitant de sacrifier la jeune femme: voilà les camps en présence, pour une version condensée du procès, qui réussit à reprendre tous les chefs d’accusation, et l’ensemble du débat. Renée Falconetti compose avec un génie habité une petite Jeanne apeurée devant ses accusateurs, à la recherche d’un soutien qu’elle trouvera chez deux de ses juges, mais qui ne sera sincère que chez l’un. Face à elle, parmi les nombreux ecclésiastiques, on remarque en particulier Cauchon (Eugène Silvain), qui préside la cour et semble être attaché à triompher de la jeune femme tout en la sauvant; contrairement à l’habituelle image de l’évêque dans la croyance populaire, Cauchon dans ce film est soucieux de lui éviter le bûcher… un rôle tout en nuance, mélange de dogme et d’une certaine roublardise, mais pas de diabolisation à l’excès. Par contre, le grand Maurice Schutz compose un personnage tortueux, qui n’hésite pas à se faire passer pour un envoyé de Charles VII afin de tromper, manipuler et déstabiliser Jeanne. C’est lui qu’elle cherchera du regard dans une scène clé afin d’obtenir son approbation. Enfin, Massieu (Antonin Artaud), lui a charge d’assister Jeanne au plus près durant son procès, est un ami, un vrai. Un homme qui montre à la jeune accusée bien plus que de l’empathie, une vraie compassion.

 

Le déroulement du procès est donc limité à un jour, et on n’a pas le temps de souffler, la tension est dès le début très vive. Seront abordées sans relâche, la question de la persuasion de Jeanne d’être bien l’envoyée choisie par Dieu (un échange savoureux, dans lequel les prêtres essaient de la coincer en montrant l’incohérence de ses propos, mais elle triomphe sans aucun effort), le cas plus épineux du choix de la jeune femme de porter ses habits d’homme (Il y a plusieurs théories à ce sujet, Dreyer les évite, afin de ne pas embrouiller le débat: certains estiment que ce serait une manipulation des Anglais, qui auraient caché ses vêtements féminins afin de l’a faire condamner),  la question de son âme et celle de son jeune âge. La mise en scène qui scrute les visages, les expressions, et la nudité du décor font mouche durant ces questions réponses. Mais ce qui frappe, ce n’est pas tant le côté « parlant » du film, je pense que c’est un faux problème: non, c’est la véracité de l’ensemble, renforcée par l’utilisation d’une pellicule sensible aux nuances (C’est d’autant plus vrai dans les copies dérivées du négatif original, bien sur), et ça prend tout son sens en HD…

 

On a reproché à Dreyer l’édification d’un décor, que selon la légende on ne voit jamais dans le film; c’est non seulement faux, mais en plus injuste: on voit suffisamment ce décor nu et blanc, pour constater qu’il s’agit d’un monde cohérent, lié à la recherche (même faussée) de la justice et de la vérité dans le cadre d’un procès religieux. Et surtout, aucun obstacle ne vient se mettre entre nous et les protagonistes du procès… Les juges qui ont manifestement collectivement tort, mais qui essaient surtout de trouver une faille dans la foi inébranlable de la jeune femme afin éventuellement de provoquer son salut, et la jeune femme qui n’a pas fait d’études, n’est pas sure de tout, mais a la foi, et ne doute que d’elle-même, pas de son Dieu. Ce que fait Dreyer, ce n’est ni de nous dire qu’elle a raison, ni qu’elle a tort. C’est de nous montrer le cheminement de la foi, que Falconetti irradie, et l’éventuelle irruption du doute. C’est de mettre en perspective la recherche de la vérité d’un coté, et une femme qui sait confusément qu’elle joue ses derniers instants, mais qu’elle ne peut se dérober à ce qui a donné un sens exceptionnel à ses dernières années. Les tentatives dégoutantes de la droite Française d’enrober ce film d’une grande délicatesse d’un soupçon de nationalisme répugnant ont toutes échoué: Jeanne d’Arc pour Dreyer, n’est pas une sainte, ce n’est pas une héroïne Française, c’est une femme qui souffre, et qui a décidé d’assumer sa foi. Elle est incarnée par une actrice géniale qui s’est jetée à corps perdu dans le drame, et dont les larmes ne sont jamais feintes…
 

Fallait-il incorporer le supplice de Jeanne ? Oui, bien sur… Chez Cecil B. DeMille, dans son Joan the Woman (1916), le moment du bûcher était un supplice bien sublimé par le flou artistique d’une intervention divine. Ici, le bûcher, ça brûle et ça fait manifestement très mal. Cette souffrance renvoie bien sur à l’origine de la Chrétienté, à ce sacrifice primal supposé justifier toute la religion qui a suivi. Mais Jeanne, si elle souffre, si elle rend ensuite selon l’expression consacrée « son âme à Dieu », meurt de façon privée. Les gens qui assistent à sa mort se font leur propre opinion, on voit d’ailleurs que les Anglais présents sentent venir le souffle de la révolte, et se préparent à un coup dur. Mais à aucun moment, une obligation de croire -ou de ne pas croire, du reste- ne se met en travers de notre chemin. Ce traitement choisi par Dreyer (Qui ne nous assènera pas le mot « Fin ») est admirable, respectueux, tant de la jeune femme suppliciée, que du spectateur. C’est un chef d’œuvre.

 

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Published by François Massarelli - dans Carl Theodor Dreyer Muet 1928 Criterion **
16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 16:40

Il aurait fallu pouvoir compter sur Paul Leni. mais la mort du metteur en scène en 1929 a été un point final tragique à une carrière prometteuse, que le fait d'avoir été cantonnée au muet a aussi précipitée dans l'oubli pendant très longtemps. Décorateur génial à Berlin, il a aussi très vite mis en scène des films sans jamais abandonner, du moins en Europe, sa première activité... On lui doit un film expressioniste tardif, Le cabinet des figures de cire (1924), film à sketches avec Emil Jannings, Wilhelm Dieterle, Conrad Veidt et Werner Krauss, soit le gratin du cinéma Allemand; appelé à Hollywood par Carl Laemmle qui souhaitait lui aussi avoir sous contrat un génie Européen (Il en aura d'ailleurs plusieurs, puisque outre Leni, Karl Freund et Paul Fejos réaliseront aussi des films pour la Universal durant les dernières années du muet ou les débuts du parlant), il dirige des films esthétiquement très différents de ce qui se pratique alors à Hollywood, et va beaucoup faire pour définir un style fantastique dont la firme fera le socle d'un genre à venir: en d'autres termes, sans l'arrivée de Leni et son Cat and the canary (1927), pas de Dracula (1931) ni de Frankenstein (1931). Leni était d'ailleurs le réalisateur pressenti pour Dracula lors des premiers préparatifs de l'adaptation de la pièce inspirée du roman de Bram Stoker.

Avant The man who laughs, il y a The hunchback of Notre-Dame (Worsley, 1923), puis The phantom of the opera (Julian, 1925), bien sur: tout en restant une usine à films (La fameuse "usine à saucisses", comme l'appelait sans grande affection Erich Von Stroheim), la firme de Carl Laemmle cherchait le prestige, en s'inspirant de romans fantastiques ou gothiques Français, après avoir cherché la classe du coté de Stroheim et de ses poisons Viennois... Le succès de Lon Chaney dans les deux premiers films ne pouvaient qu'appeler une suite, et le fait d'avoir de nouveau recours à Hugo s'explique de multiples façons: l'adaptation de Notre-Dame de Paris avait été une tâche difficile, mais pas aussi complexe que The phantom of the opera, qui avait du être retourné puis remonté durant un an avant que des compromis acceptables voient le jour, et les romans de Hugo reposaient moins sur le sensationnel que ceux de Leroux. Et L'homme qui rit, roman mineur de Victor Hugo, permettait de toucher paradoxalement un plus grand nombre par son sujet étonnant, tout en permettant un creuset de genres. Il est probable que le film était déja dans les cartons au moment ou se terminait le montage du Fantôme, mais le fait que Chaney ait définitivement dit adieu à la Universal en partant pour la MGM a du freiner les ambitions du studio... Par contre, dès son arrivée, Leni est l'homme idéal pour le film, étant probablement le plus prestigieux des réalisateurs de la firme. Il est vrai que la Universal est un studio que l'on quitte (Stroheim, bien sur; Ford, Ingram, Wyler...) mais auquel on revient peu (Sauf Browning!)... les metteurs en scène sont plus à l'aise dans les prestigieuses Fox, MGM et Paramount...

 

Arrive alors Conrad Veidt: venu à Hollywood sur l'insistance de John Barrymore qui voulait travailler avec le prestigieux acteur Allemand (The beloved rogue, Crosland, 1927), il est aussitôt pressenti par Leni autant que par Laemmle pour jouer le rôle de Gwynplaine. Il est remarquable de constater que Laemmle, considéré comme un abominable inculte (une blague célèbre lui prête un mémo envoyé à un assistant, après que le patron de la Universal ait vu une pièce de Shakespeare: Carl Laemmle demandait à rencontrer l'auteur pour lui faire signer un contrat...), avait en ce qui concerne le cinéma de son pays d'origine un instinct redoutable: il avait fait venir Leni, Veidt, à la Universal, et s'était chargé de signer le contrat de distribution du Dernier des hommes, ce qui eut pour effet de faire venir Murnau à Hollywood... Veidt, encore marqué dans les esprits par sa participation de premier plan au cinéma expressionniste, n'était pas Lon Chaney, mais il était juste lui aussi un immense acteur, dont le jeu énorme garantissait les grands frissons pour un tel rôle; de plus, son physique particulier le rendait là aussi idéal... Pour compléter la distribution, Leni a pioché d'une part dans le vivier d'acteurs de la Universal, avec le méchant Brandon Hurst (The hunchback of Notre-Dame), et l'actrice Mary Philbin (The phantom of the opera); il a aussi sur compter sur les grands "character actors", notamment Josephine Crowell, plus une faune de gens souvent aperçus dans les petits rôles durant les années 20: John George, Cesare Gravina, Lon Poff... enfin, Leni et Veidt se sont tous les deux impliqués dans le débauchage d'une actrice Russe de passage, Olga Baclanova, dont Sternberg alait vite repérer l'insolente plastique (probablement dans The man who laughs, justement) et l'engager pour deux films.

 

Gwynplaine, un enfant héritier du domaine d'un ennemi politique du roi James II, est vendu à des gitans qui vont le défigurer afin de faire de lui un monstre de foire. Désormais paré d'un éternel sourire grimaçant, il échappe à la mort lorsque ses nouveaux maîtres sont sommés de partir d'Angleterre; il est recueilli en même temps qu'une petite fille aveugle, Déa, par Ursus, un forain. Les trois vont rester ensemble et monter un spectacle basé sur le physique particulier de Gwynplaine. Mais les intrigues de cour vont les rattraper, puisque les biens et les terres qui doivent revenir à Gwynplaine sont sous le contrôle de la duchesse Josiana, une cousine de la reine à la beauté (et la libido) sans limites...

 

Le mal dont souffre Gwynplaine est qu'il aime Déa, sans retenue, mais qu'il se demande si elle serait toujours amoureuse si elle pouvait le voir. De son coté, la jeune femme aime sans aucune condition celui auprès duquel elle a grandi, et leur idylle est surveillée de près, avec tendresse, par Ursus... Par comparaison, le reste du monde régi par la politique du royaume d'Angleterre est sans pitié, et bien sur l'éminence grise de la Reine Anne, qui jouait déjà ce rôle sous le roi James, est également de mèche avec la duchesse Josiana. Celle-ci, interprétée par Olga Baclanova, est d'une importance capitale pour l'intrigue, dans la mesure ou elle va servir à Gwynplaine de révélateur durant un épisode du film: venue voir la pièce L'homme qui rit, avec en vedette un Gwynplaine au succès phénoménal, elle a décidé de le séduire... une scène fougueuse de séduction durant laquelle Baclanova fait fondre la pellicule s'ensuit. De son coté, Gwynplaine est motivé par son propre amour, ce qui peut paraître paradoxal: il se dit que si une femme peut le désirer tel qu'il est, alors il n'y a plus d'obstacle à son amour avec Déa. Ne nous le cachons pas, cette dernière, jouée par Mary Philbin, est l'un des moindres intérêts du film... Baclanova a d'ailleurs droit à une autre scène érotique, durant laquelle elle est vue prenant un bain, à travers de nombreux dispositifs pour (à peine) cacher son corps.

Veidt, assisté par Jack Pierce dont le studio utilisera bientôt la science du maquillage pour ses films fantastiques (le fameux monstre de Frankenstein par Boris Karloff!!), a composé un personnage laid, dont le sourire permanent et grimaçant est encore aujourd'hui inconfortable. L'acteur joue de ses yeux extraordinairement expressifs, et de son corps long et élancé. Le maquillage de Veidt était si contraignant qu'il garantissait que le film ne pouvait qu'être muet tant il était malaisé pour l'acteur de parler durant le tournage...

Les moyens dont Leni a bénéficié sont très impressionnants, et on sent la confiance que lui témoignait Laemmle; les décors certainement largement récupérés de productions antérieures, dont The hunchback of Notre-dame bien sur, sont utilisés avec un sens plastique extraordinaire, la photo joue de toutes les nuances de gris, les costumes sont superbes... il commande sans difficultés aux foules qui peuplent son Londres post-expressionniste. Et Leni n'a pas son pareil pour truffer son film de détails macabres, comme ces gibets dans la brume durant les scènes hivernales. Du coup, le film quant il est vu dans sa version intégrale restaurée est l'un des plus beaux et vénéneux à voir de toute la période muette Américaine...

 

Je le disais: la maîtrise dont Leni a fait preuve sur ce film lui garantissait de mener la révolution des films d'horreur Américains, un genre dans lequel le cinéma Américain a toujours été mal à l'aise... Avant que la firme ne produise coup sur coup Dracula et Frankenstein en 1931. Mais le sort en a décidé autrement, puisque Leni ne fera, après cet Homme qui rit, qu'un seul film, The last Warning, petite comédie à frissons située dans le monde du théâtre qui n'a rien d'indispensable... Mais avec The man who laughs, il a signé le meilleur des trois films gothiques fleuves que la Universal a produit durant le muet, un des plus beaux films de l'année, et un film qui aurait été un immense succès et un grand classique... si le parlant n'avait pas été tant à la mode en dépit de ses imperfections techniques durant cette fatidique année 1928.

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Published by François Massarelli - dans Muet Paul Leni 1928 **
15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 17:40

Faut-il le préciser? la sortie en DVD et Blu-Ray, dans la somptueuse collection Criterion, du film Lonesome de Paul Fejos, est un événement inespéré. Et non seulement ce film, témoin de la très curieuse période durant laquelle le cinéma parlant va naître du cinéma muet, nous est présenté dans une version restaurée qui rend justice à son incroyable richesse formelle, mais il est en guise de bonus accompagné de deux autres longs métrages, le dernier muet de Fejos The last performance et son premier film parlant, Broadway, dans des versions miraculées...

Lonesome fait partie de ces oeuvres, en 1928, qui montraient un visage différent du cinéma, proche des gens, et qui sont contenues entre The crowd, à la narration fleuve encore classique qui suit un homme simple de son enfance à sa peu glorieuse vie d'adulte, et Sunrise, dont l"intrigue est limitée à une journée et une nuit. Mais Lonesome va encore plus loin, puisqu'il conte un samedi dans la vie de deux personnes, qu'on voit partir au travail le matin, puis dans leur activité, enfin partir en week-end pour affronter la solitude avant de partir tous deux sur un coup de tête pour Coney Island, où ils se rencontreront enfin... pour mieux se perdre et comprendre l'amertume de la solitude...

Avec cette intrigue qui n'en est pas vraiment une, Fejos fait de l'or. rappelons que le metteur en scène était arrivé à la Universal après avoir réalisé en amateur un film aujourd'hui perdu, The last moment, dont Chaplin lui-même avait asuré la diffusion par United Artists comme il l'avait fait pour Salvation Hunters de Sternberg. C'est donc en quasi-amateur, ne se refusant rien, qu'il aborde son film, en se laissant guider par son instinct, et en confiant les rôles principaux à deux comédiens issus du burlesque, qui ont tous deux travaillé chez Roach, et ne sont pas à proprement parler des gravures de mode, Barbara Kent et Glenn Tryon. Le film commence par une incursion dans New York qui renvoie au documentaire européen façon Ruttmann, et Fejos conte son film en ayant recours à des surimpressions, en utilisant le son: trois séquences dialoguées, mais aussi beaucoup d'effets sonores synchrones, et des passages ou l'image ne fonctionne pas sans la bande sonore, comme ce moment ou les deux héros, chacun à son tour, entendent une fanfare qui va ensuite leur donner l'envie d'aller effectivement à Coney Island. Fejos utilise pourtant plus l'image que le verbe, et le langage corporel de Tryon est souvent mis à contribution... Lors des séquences d'attractions à Coney Island, on a aussi une utilisation de la couleur, teintes et couleurs appliquées à la main: Bref, le film est une envie permanente de cinéma, déguisé en un petit film mélodramatique tendre, qui en plus finit bien!

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Paul Fejos Criterion **
19 août 2012 7 19 /08 /août /2012 09:22

Ne soyons pas timides: The wind est le couronnement de la carrière de Lillian Gish, actrice de premier plan dont la longévité force presque autant le respect que son génie. C'est aussi une grande date pour le réalisateur Victor Sjöström, tout en étant hélas son chant du cygne, et tant qu'à faire, rangeons-le par la même occasion dans la catégorie des meilleurs films de 1928, oui, oui, l'année de The circus, Steamboat Bill Junior, Street Angel ou The last Command: ça en impose...

Et comme de bien entendu, cet admirable film n'a pas eu le succès escompté, sorti en novembre 1928 à l'issue d'un montage qui n'a pas été de tout repos, le film a du subir les interférences de distributeurs qui espéraient ne pas avoir de nouveau un film de Lillian Gish qui se termine en tragédie, et surtout en cette fin d'année on aurait été voir n'importe quel film à condition qu'on y parle un peu... The wind était glorieusement muet, se contentant d'utiliser la bande-son pour fournir un accompagnement musical sans aucun relief.

Le carton de titre, qui clame "A Victor Seastrom production" (Seastrom était l'américanisation de Sjöström), ne doit pas nous tromper: à la base du film, on trouve Lillian Gish, actrice de renom, dont l'aventure en indépendante entre 1922 et 1924 n'avait produit que deux films, The white sister et Romola, tous deux de Henry King; cela l'avait amenée en 1925 à accepter une proposition de Irving Thalberg de venir s'installer à la toute nouvelle MGM, afin de grossir les rangs des acteurs sous contrat du studio. Le prestige de l'actrice était son principal atout, et l'un des objectifs de l'actrice était d'aller de l'avant, et de ne plus être associée systématiquement à son ancien mentor David Wark Griffith... Ce n'était pas faute d'avoir tout fait pour se dégager de son influence, jusqu'à avoir réalisé un film, aujourd'hui perdu, Remodeling her husband (1920), avec sa soeur Dorothy dans le rôle principal, et quand même sous la supervision de Griffith. A la MGM, Lillian Gish a la plupart du temps choisi ses scripts, ses partenaires, ses réalisateurs... et a relativement peu tourné: The wind n'est que son cinquième film pour le studio, après La bohême (King Vidor, 1926), The scarlet letter (Victor Sjöström, 1926), Annie Laurie (John S. Robertson, 1927) et The enemy (Fred Niblo, 1927). les deux premiers étaient des oeuvres artistiquement ambitieuses, menées par l'actrice, mais les deux suivants représentaient un compromis entre elle et le studio. Pas The wind: du moins, pour le film, Lillian Gish, Victor Sjöström et Irving Thalberg parlaient semble-t-il d'une seule voix, et le choix du metteur en scène incombait à Lillian Gish seule.

 

Non que le tournage ait été facile... comment en aurait-il été autrement avec un tel sujet? Un film, quasiment un western, mais privé des morceaux de bravoure qu'après Stagecoach on assimilerait systématiquement au genre, tourné en plein désert avec un vent à décorner les boeufs, qui souffle en permanence de la poussière... L'actrice, en perte de vitesse au box-office, a par ailleurs besoin d'un matériau adulte, et de ne pas trop se reposer sur son image éthérée de vierge éternelle... Elle a donc sélectionné elle-même le roman de Dorothy Scarborough, dont l'adaptation a été confiée à la scénariste Frances Marion: le film, en 75 minutes, nous détaille de façon hallucinante la transformation d'une femme déçue, une Bovary sudiste (Elle vient de Virginie!) qui doit affronter la crudité du monde, symbolisée par la tourmente incessante d'un vent et de tempêtes de sable, et s'éveiller aux sens, à son corps défendant d'ailleurs. Letty Mason arrive au Texas pour vivre chez son cousin, persuadée qu'elle va trouver un endroit plaisant à vivre, mais se retrouve chez des paysans qui vivent dans des cabanes délabrées, en plein désert, en plein vent... Et la femme de son cousin ne voit pas arriver une rivale potentielle avec la plus grande bienveillance. Au bout de quelques jours, Letty se voit contrainte de choisir un mari pour quitter les lieux. Trois choix possibles: Wirt Roddy, un séduisant voyageur de commerce, Lige Hightower et Sourdough, deux cow-boys amis de la famille...


Qui peut nous émouvoir aussi bien que Lillian Gish lorsque, sommée de choisir un mari pour survivre elle trouve comme par hasard rapidement la perle rare dans la personne de l'élégant voyageur de commerce (Montagu Love) qui la fréquente avec une certaine assiduité depuis le début du film? Elle réussit à maintenir la naïveté de son personnage sans pour autant se priver de lui faire exprimer ses désirs (en écho au personnage d'Hester Prynne dans Scarlet Letter, qui conduit effectivement le pasteur vers des rapports charnels, sans hésitation aucune, et sans apparaître pour autant une femme de mauvaise vie...). Mais l'homme est déjà marié, et Letty devra faire un autre choix. Et la scène de séduction finale, lorsque l'homme s'introduit dans la cabane de Letty Mason, toujours virginale, n'en prend que plus de poids: on peut dire que c'est un viol, mais le fait est que le personnage de Letty Mason consent et accepte son destin: elle choisit, entre la fuite et l'errance dans le vent ou le quasi-viol par un homme qui par ailleurs la séduit, le moins pire des deux, et scellera son choix en tuant l'homme. Elle le tuera dans un geste ô combien ironique, puisque le révolver est l'objet que Sjöström choisit de cadrer, dépassant de son holster, pour suggérer le rapport sexuel (on hésite à parler de nuit d'amour...) qui vient de se produire: après l'inévitable ellipse, on revient dans la cabane. L'homme se rhabille, ses armes sont sur la table. Letty les regarde, puis regarde l'homme au moment ou celui-ci se rhabille. Le regard qu'elle lui porte au moment ou il la presse de partir avec lui est sans ambiguïté: la nuit n'a pas été pour elle la révélation d'un amour... Elle est prête à le tuer pour l'empêcher de la prendre avec lui.


On est loin des bluettes Griffithiennes... Le forte de Sjöström, l'utilisation des éléments du décor et des éléments tout courts, dans le but d'exprimer les passions humaines, trouve un écho formidable dans une Lillian Gish magnifiée par l'approche de la quarantaine(Il faut voir la scène, célèbre du reste, dans laquelle la jeune oie blanche se transforme d'un coup en créature plus charnelle, mais sans en avoir conscience, en se coiffant, révélant de façon troublante sa chevelure jusqu'ici contenue, qu'elle coiffe avec énergie... La répression des pulsions est au coeur de cette scène et de ce film...) et sa collaboration fantastique avec Lars Hanson, qui donne une impressionnante consistance à son personnage de bouseux frustré: Lui qui croit que Letty le choisit par amour, il découvre à la faveur d'une scène magistrale de lune de miel maladroite (Sjöström ne cadre que les pieds des acteurs, exprimant leur désir, leur hésitation, leurs impulsions et leurs déplacements; une idée qui pourrait être attribuée à Lillian Gish, qui aimait les scènes d'amour les moins explicites possibles) qu'elle ne l'épouse que pour avoir un toit. Le personnage, jusqu'ici bouffon, va acquérir une véritable dimension tragique par le sacrifice auquel il consent: il va permettre à sa femme de partir et économise dans ce but. Du reste, Sjöström a beaucoup utilisé la fragmentation des corps dans son film, de multiples façons: les pieds qui jouent à la place des visages dans la scène évoquée plus haut; les mains des personnages, soit cadrées en gros plans, soit seuls "accessoires" utilisés par le metteur en scène et les acteurs (La scène ou Cora, l'épouse, regarde Letty sans bouger, sauf sa main qui tient un énorme couteau de boucher et en essuie le sang sur son tablier...); les yeux de Wirt Roddy (Montagu love) quand il regarde successivement la photo de Letty telle qu'elle était à son arrivée, puis la jeune femme aussi délabrée que la cabane dans laquelle elle vit, rendue folle par le vent... De même qu'il sait mettre en valeur n'importe quelle partie du corps pour pour lui faire exprimer des émotions, Sjöström a de toute façon un grand sens du détail, comme on l'a vu avec le fameux holster dont dépasse une arme qui va symboliser autant le viol que le meurtre qui suit.

 

Oui, car si on a beaucoup reproché au système Hollywoodien d'avoir imposé un happy-end à Sjöström et Lillian Gish pour ce film par ailleurs structuré en cinq actes en dépit de sa brièveté, il n'en reste pas moins que Lillian Gish se rend coupable d'un meurtre, même si comme le dit son mari, il a été commis de bon droit. Et ces deux amants poussés l'un contre l'autre par le vent et le sort plus que par l'amour, doivent désormais vivre dans la prudence, car ils ont un lourd secret à dissimuler.. On peut rêver plus heureux, non?

Quoi qu'il en soit, The wind est un admirable chef d'oeuvre, un film dont le visionnage s'impose... si on peut le voir, puisque Warner qui détient les droits du film, se refuse pour l'instant à l'éditer, ni dans un DVD ou Blu-ray digne de ce nom, ni dans la collection de VOD Warner archives. Le film est juste régulièrement programmé sur TCM. Un jour, peut-être...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Victor Sjöström Lillian Gish *