
Léon Poirier était un homme de traditions, dirons-nous. Elevé dans le cadre d'une institution privée rigoriste, il est devenu régisseur de théâtre puis est passé à la demande de Léon Gaumont à la réalisation de films en 1913, lorsque Poirier vient d'avoir un grave accident qui l'éloigne de ses théâtres. Il tourne cinq films avant de s'engager (Il avait été exempté en raison de son accident) dans l'artillerie. A ce titre, il participera aux combats autour de Verdun... dans les années 20, il s'oriente vers un nouveau cinéma, proche du documentaire, et éloigné des studios. Il tourne notamment en décors naturels La brière, une fiction d'après un autre Léon, Daudet celui-là: pas vraiment un démocrate, mais n'anticipons pas... Après un autre film ambitieux, La croisière noire (Documentaire sur un périple mi-colonialiste, mi-publicitaire organisé par Citroën en Afrique), Poirier décide de fournir sa vision d'une commémoration de la Grande Guerre (Celle qu'on n'appelait pas encore Première guerre mondiale...) afin de coïncider avec le dixième anniversaire de l'armistice. Ne faisant rien comme tout le monde, il va réaliser un film impressionnant, ambitieux, et... profondément humaniste. Bien sur il va aussi laisser par endroit libre cours à sa vision patriotique des choses, mais il va aussi et surtout donner la parole à l'ennemi, et ne jamais céder à la tentation de représenter les forces Allemandes sous le visage d'ogres assoiffés de sang, comme c'était l'usage en France. Cela lui sera d'ailleurs reproché...
Verdun, visions d'histoire n'est pas un documentaire, ni une fiction classique. S'il fallait trouver à le comparer, le seul titre qui me vienne à l'esprit serait The longest day (1962), né comme Verdun de la vision d'un seul homme, Darryl F. Zanuck, et qui retraçait l'histoire du débarquement à travers ses petites histoires, en adoptant les points de vue de la population, de la Résistance, des forces alliées, qu'elles soient Américaines, Anglaises ou Française, et bien sur des Allemands. Poirier, qui a divisé son film en trois parties (Trois "visions", pour reprendre le terme utilisé par le cinéaste dans son découpage), a choisi des "types " de personnages, affublés le plus souvent d'étiquettes plus que de noms: on a donc le "soldat Français", le "fils", "l'intellectuel", la "fille", mais aussi "le soldat Allemand", ou le "Maréchal", un vieil officier Prussien qui tire les ficelles. Et le cinéaste ne se cantonne pas à des prises de vue du côté Français. Il situe son tournage sur les lieux même de l'action, entre Verdun et Douaumont, là ou entre février et décmebre 1916 les forces Allemandes ont centré leur avance, jouant leur va-tout pour trouver la voie vers Paris à travers la vallée de la Meuse.
La première partie, La force, est surtout consacrée à un état des lieux, des forces en présence, mais aussi du moral: moral de l'arrière (Une famille Parisienne attend la suite des évènements, en confiance; un de ses enfants est engagé sur le conflit, l'autre va s'y rendre), moral des troupes (Deux soldats discutent de ce que les civils savent ou ne savent pas), puis état des lieux à Verdun dont les habitants fuient par dizaines. Le choc est imminent, mais Poirier joue plus sur l'aspect solennel que sur le suspense. Le deuxième, L'enfer, retrace les batailles décisives: Douaumont, Vaux, puis l'avancée vers la ville de Verdun. Le cinéaste situe son action au plus près des combats, à hauteur de poilu, et il a fait revenir des protagonistes de laction pour leur fairerejouer les batailles sur les lieux même. Un pari gonflé, mais qui paie par son réalisme. La troisième partie enfin, Le Destin, conte la reprise en mains de la région par les troupes alliées, et la reddition des Allemands. La leçon d'histoire globale, bien menée pais un peu trop riche pour qui consulte le film près d'un siècle plus tard, est accompagnée de scènes qui font mouche: la bataille de Vaux, avec ses condictions hallucinantes pour les soldats Français, est vue par les deux côtés, y compris dans une scène formidable, ou une porte blindée, obstacle à l'avancée des Allemands, est l'objet d'un champ-contrechamp ultime: d'un côté les Français, de l'autre les Allemands...
Le film possède des défauts, hélas, à commencer par son abondance: passionné par son sujet, Poirier a voulu rendre les spectateurs plus proches encore de l'action, et utilise par moments des cartes qui ne font qu'assécher le propos. Il a su rendre les doutes et les passions humaines, mais se heurte aux écueils de son didactisme par endroits. Et, inévitable me dira-ton, à plus forte raison pour un homme de droite, il a une tendresse pour les généraux, y compris ce vieux salaud de Pétain. Il ose un intertitre infect dans sa troisième partie, dans lequel il clame que les soldats vainqueurs de Douaumont l'ont été grâce à l'âme de leur général... Mais il montre aussi un jeune soldat Allemand (Interprété par un certain Hans Braüsewetter) envahi par le doute comme ses confrères Français, et il nous montre également les Prussiens se comporter de façon respectueuse vis-à-vis des Français qui se rendent à l'issue de la bataille de Vaux. et si Poirier laisse parler son nationalisme, et son catholicisme, au moins ne le fait-il que dans sa troisième partie, une fois qu'il a pris le soin de tout mettre en place, puis de narrer le gros des combats. La deuxième "vision" se clôt d'ailleurs sur un sentiment de défaite des Français. La fin du film, après es couplets nationalistes, philosophe un brin sur le sens de l'armistice, et la reddition, puis l'abdication de Guillaume II, représentée comme la possible naissance de la liberté: notre brave soldat Hans Braüsewetter peut enfin briser ses chaines. Pourtant, selon moi, le plus notable aspect de ce film, situé en début de troisième partie, est une scène qui doit autant à The four horsemen of the Apocalypse, de Rex Ingram, qu'à The Big Parade, de Vidor: un soldat Français blessé mortellement s'écroule aux côtés d'un Allemand. Les deux, au moment de mourir, auront le même cri: Mama/maman. Symboliquement, les deux mères, en surimpression, viennent chacune ramasser le corps de son fils, et toutes deux les posent sur la même civière. Puis elles gravissent ensemble un chemin vers le ciel... Au moins les intentions sont-elles claires: Poirier est un pacifiste.
Cette vision à la fois touchante et profondément ridicule est complétée à la fin d'une messe, dans laquelle on sent bien que le vieux fond du metteur en scène reprend le dessus. Au terme de ses 151 minutes, Verdun visions d'histoire est exténuant, et frustrant pour le spectateur habitué aux films Américains contemporains. Mais on ne reprochera en tout cas pas à Léon Poirier d'avoir été ambitieux, et désireux de toucher à l'universalité avec son film: il est parfois naïf, souvent trop riche, mais il contient des dizaines de séquences qui sont impressionnantes par leur mise en scène est leurs parti-pris novateurs. Et le fait qu'on ait ensuite, charcuté le film en en prenant les séquences les plus réalistes, en pensant qu'il s'agissait d'images d'archives, rend paradoxalement justice au réalisateur... Qui s'est empressé de continuer sa carrière en se faisant le chantre du coonialisme, avant de chanter en 1943 les louanges de ce vieux salopard de Pétain. Bah!