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25 mars 2016 5 25 /03 /mars /2016 19:17

Après le triangle, le rectangle: Shooting stars racontait une intrigue amoureuse qui tournait mal, sans doute essentiellement à cause de la nature capricieuse d'une actrice trop gâtée... Et située dans le milieu du cinéma, l'histoire racontait des événements situés sur les lieux de travail des protagonistes: cette dimension est non seulement présente à nouveau dans Underground, elle est essentielle au film (Et on la retrouvera aussi dans A cottage on Dartmoor, le dernier film muet d'Asquith): les quatre personnages principaux de ce film très Londonien sont, en effet, identifiés dans le générique non seulement par leur nom, mais aussi leur métier. Kate et Nell sont respectivement couturière et vendeuse, Bill est contrôleur dans le métro, et Bert travaille à la fameuse centrale de Battersea.

Le film repose sur deux rencontres dans le métro: une jeune femme, Nell (Elissa Landi) se fait successivement importuner par un sale type, Bert (Cyril McLaglen) puis rencontre un employé du métro, BIll (Brian Aherne) qui va la séduire par sa gentillesse. Le problème, c'est que le premier a décidé qu'elle lui appartiendrait coûte que coûte, et va mêler à son corps défendant sa maîtresse, Kate (Norah Baring) à laquelle il a promis la lune...

Le Londres de la fin des années 20 compose un théâtre parfait pour le mélo: moderne, industriel et terriblement urbain. Mais ce n'est pas que du mélo, et il y a un sens de la comédie chez Asquith (C'était déjà la cas dans Shooting stars qui dans le genre peut largement rivaliser avec des Keaton et des Lloyd, tout en étant une tragédie!): le metteur en scène sait à la fois user de son don d'observation, et profiter des ses décors pour installer une ambiance d'un réalisme saisissant. Et il aime les gens, ça se voit tout de suite: la scène d'ouverture dans le métro fait beaucoup penser à Lloyd (Speedy, bien sur), mais il y a peu de méchanceté dans l'étalage de ces vies volées, qu'on jurerait toutes vraies.

Asquith, un socialiste déclaré à l'époque, s'efforce de nous montrer ce que le cinéma a rarement montré alors: des gens qui travaillent, qui vivent et qui tentent de faire attention à leurs fins de mois, comme dans les meilleurs Hitchcock Anglais... Lorsqu'on aperçoit un chapeau haut de forme, c'est presque un accident, tant les protagonistes portent plutôt la casquette! Si Underground est moins démonstratif que Shooting stars, c'est sans doute parce qu'il a fallu tourner dans des lieux authentiques, dont le métro Londonien. N'empêche, c'est là encore un tour de force! Et puis le film prend son temps avant d'asséner un suspense fantastique dans une série de scènes qui n'ont que peu d'équivalent... Mais l'ombre de Metropolis plane avec insistance sur Underground: ce qui rappelle à toutes fins utiles que François Truffaut qui a un jour dit qu'il était absurde de parler de cinéma Anglais tant ça lui semblait antinomique d'associer ce nom et cet adjectif, se fourrait le doigt dans l'oeil...

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Published by François Massarelli - dans Anthony Asquith Muet 1928 **
4 mars 2016 5 04 /03 /mars /2016 18:50

Dernier des films muets disponibles de Sternberg, Docks of New York fait partie de ces nombreux films passés inaperçus, justement parce qu'ils étaient muets, à l'époque ou on allait voir n'importe quoi du moment qu'on y parle. Et comme beaucoup de films de cette miraculeuse année, il est devenu un classique. A voir pour la poésie crapuleuse, peuplée et fêtarde, de ces bouges portuaires, pour l'éclosion d'une incroyable histoire d'amour entre un gros baraqué et une fragile petite dame suicidaire, et bien sur pour la science de l'image qui transforme, comme dans les autres muets de Sternberg, absolument tous les plans en des photographies sublimes.

George Bancroft y incarne Bill Roberts, un soutier, bien décidé à prendre du bon temps pour son seul jour à terre. En route pour un bar à marins qu'il connait, il sauve une jeune femme de la noyade, qui s'était délibérément jetée à l'eau: c'est Betty Compson, qui incarne Mae. Son prénom n'est connu que pour un intertitre qui est situé vers la fin du film, mais la jeune femme va promener son spleen du début à la fin de l'intrigue, partagée entre trois sentiments difficilement compatibles: une véritable reconnaissance pour Bill, non parce qu'il l'a sauvée, mais bien parce qu'il lui témoignera de l'intérêt; ensuite, elle manifeste une méfiance à l'égard de tout et tous, en particulier Bill! Celui-ci prétend vouloir se marier avec elle sur le champ, ça ressemble surtout à un rituel sexuel plus qu'autre chose et elle n'est pas dupe... Le pasteur qui fait l'office (Gustav Von Seyffertitz) non plus, du reste. Le troisième de ces sentiments, c'est une certaine envie de croire en une chance, ce qui lui fait tenter de voir au-delà des apparences, un futur possible avec Bill. Aussi, quand celui-ci part le lendemain matin, elle manifeste une certaine tendresse... avant de le jeter dehors sans ménagements!

Le film est construit sur deux journées, et peu d'ellipses s'y retrouvent. La principale est la nuit d'amour, qu'on devine torride: Quand Bill se lève, la jeune femme reste à dormir au lit, et il cherche dans sa poche de l'argent. il laisse un billet sur la table de nuit, puis se ravise... et, l'air admiratif, en ajoute un deuxième! Le film ne prend pas de gants avec le milieu qu'il nous dépeint... On est dans un film d'inspiration très européenne. Et au fait, c'est intéressant de constater qu'à l'approche du parlant, de nombreux films à vocation "artistique" se sont tournés vers New York: celui-ci est donc dans une catégorie qui inclut également Speedy d'Harold Lloyd, The Crowd de Vidor, et Lonesome de Fejos. Pourtant, hormis quelques plans quasi-documentaires d'entrée ou de sorties de bateaux dans le port, tout le film ou presque se passe sur les docks, dans les chambres situées dans les environs du bar fréquenté par tous ces gens. Le mariage qui y a lieu est une scène fabuleuse, dans laquelle la poésie la plus inattendue s'installe dans un lieu qui n'y est pourtant pas propice... Les matelots ivres y dansent avec les filles, et Bill y séduit, à sa façon, Mae, avant de rendre la décision (Sans vraiment la consulter) de l'épouser. Et la volonté tranquille du marin, certes éméché, finit par la persuader de ne pas trop s'y opposer... mais la conscience veille: Olga Baclanova incarne dans ce film un personnage extraordinaire de fille qui a du faire face à la faillite d'un mariage avec un homme de la mer, et elle prévient les deux amoureux d'un soir qu'ils font une bêtise.

Pourtant le film, qui commence presque par une scène dans laquelle une femme se jette à l'eau, est aussi et surtout la naissance d'un amour. Un amour qui passera par des gestes tendres, des actes simples mais clairs dans leur signification, et culminera dans une scène finale, celle d'un autre être humain, Bill cette fois, qui se jette à l'eau, aussi bien pour de vrai, que symboliquement (Naissance de l'amour, enfin pour lui, du moins prise de conscience de ses sentiments), qu'au figuré: il se "jette à l'eau", et va enfin assumer d'être marié. Supérieurement photographié par Arthur Rosson qui doit composer des images et régler des lumières pour le metteur en scène le plus doué en ces domaines, et s'en tire avec brio, The Docks of New York est une merveille un film qui ne vous propose rien d'autres que ce qu'il vous montre, et qui vous le montre avec une poésie à tomber par terre. Pourtant vous ne vous ferez pas mal.

 

The docks of New York (Josef Von Sternberg, 1928)
The docks of New York (Josef Von Sternberg, 1928)
The docks of New York (Josef Von Sternberg, 1928)
The docks of New York (Josef Von Sternberg, 1928)
The docks of New York (Josef Von Sternberg, 1928)
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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Josef Von Sternberg Criterion **
29 février 2016 1 29 /02 /février /2016 16:23

Jonas Sternberg, pas plus Von que moi, savait ce que le déguisement, ou son équivalent l'uniforme, peuvent faire à un homme. Jannings, vedette Allemande du film de Murnau Le dernier des hommes, qui traitait précisément des effets de la perte d'un uniforme sur un vieil homme, le savait aussi. Cette fable noire et souvent tragique est basée sur l'industrie de l'illusion à Hollywood; un réalisateur voit arriver un jour sur son film un figurant qui n'est autre que l'homme qui l'a arrêté en Russie, en pleine révolution. L'un et l'autre ont aimé la même femme, et le réalisateur va se repaître de l'inversion des rôles: il est désormais en position de force. L'un des premiers films majeurs basé sur un flash-back, The last command est aussi un chef d'oeuvre tout court, absolument envoûtant.

L'histoire commence à Hollywood en 1928, une première façon de brouiller les pistes. L'action principale est concentrée sur une journée... Un réalisateur d'origine Russe, Leo Andreyev (William Powell) prépare un film sur la Russie, et a besoin de figurants qui fassent aussi Slaves que possible. On est dans l'univers des Stroheim, des Sternberg aussi, ces réalisateurs démiurges qui poussaient en apparence le bouchon de l'ultra-réalisme ou de l'illusion aussi loin que possible pour arriver le plus souvent sur le baroque le plus absolu. Andreyev est un homme important, ses assistants sont des yes-men, et ça finit par l'ennuyer: l'expression qui se lit sur son visage devant l'armée de briquets tendus par ses subordonnées lorsqu'il sort une cigarette de son étui est sans équivoque... Parmi les photos de figurants et d'acteurs de second plan qu'il examine, Andreyev repère une tête connue, et demande à ce qu'on convoque l'acteur: c'est Serge Alexandre (Emil Jannings), un vieil homme un peu lent, dont le tremblement de tête est permanent, à la grande irritation des gens qui travaillent avec lui. Il vit chichement dans une de ces innombrables pensions d'artistes qui peuplent le vieux Los Angeles, et va se rendre à son rendez-vous. Imperceptiblement, le film est passé d'un de ses personnages principaux à l'autre...

C'est durant la phase de maquillage que le personnage de Serge Alexandre se révèle. Il est fort différent des autres acteurs et figurants, qui braillent, jurent, s'invectivent. Lui est posé, et presque absent, lent dans ses gestes, et... hanté. Il sort de sa veste un paquet qui contient une médaille, qu'il accroche ensuite à son uniforme. Mais les autres se moquent de lui et de son air hagard, et il explique que son bijou lui a été donné par le Tsar lui-même. Ce qui n'arrange rien, bien sur... On lui fait remarquer que son tremblement est irritant, il répond qu'il a subi un choc, et qu'il n'y peut rien.

Est-ce la médaille, ou le traumatisme d'être moqué et incompris, ou le décalage entre lui et les hommes qui l'entourent, tous issus d'un milieu populaire, ou tout simplement le fait d'avoir face à lui un miroir qui lui renvoie une image piteuse de lui-même? Quoi qu'il en soit, le flash-back qui représente le coeur du film est situé à cet instant précis, et va se dérouler sans interruption pour les quarante minutes suivantes. 1917: Serge Alexandre est un général important, il est l'un des cousins du Tsar, et il est en charge d'une troupe importante. Il doit aussi veiller à la contestation qui enfle, entre les remous des agitateurs communistes civils, et la grogne des soldats engagés dans une guerre dont ils ne veulent décidément pas... Et en prime, il en a assez de devoir jouer au petit soldat pour le plaisir des huiles qui viennent de la capitale, ainsi doit-il mettre ses soldats, par ailleurs engagés dans un conflit crucial, en rangs d'oignon pour le contentement de son cousin le Tsar qui vient les passer en revue. Or, le général sait qu'il n'y pas pas de temps à perdre, si la guerre est perdue, ce sera la révolution, et le chaos. Bref, pour un soldat de la vieille aristocratie blanche, Serge Alexandre est un homme évolué, fin et surprenant... Et en ce jour, il accueille un certain nombre d'agitateurs ou supposés tels, parmi lesquels Leo Andreyev, et sa maîtresse la belle Natalia Dabrova (Evelyn Brent). Acteurs, ils ont été appréhendés parce qu'ils sont surtout soupçonnés de prêcher ouvertement la révolution. Andreyev est jeté en cellule avant d'être déporté vers l'Est, et Serge Alexandre garde littéralement Natalia pour lui. Ce sera à la fois sa perte et son salut, car entre la belle révolutionnaire mystérieuse et le vieux général blanc, le coup de foudre sera spectaculaire...

On attendait de cet extraordinaire flash-back, qui nous amène par le cinéma d'une représentation des coulisses de l'usine à rêves, à une reconstitution magnifiquement plastique de la Russie confrontée à l'urgence dramatique de 1917, une confrontation entre le révolutionnaire ombrageux, et le général Russe blanc. Il n'en sera rien, pas plus que dans leur rencontre sur le plateau, l'un devenu metteur en scène, l'autre figurant et moins que rien, dans une inversion radicale des rôles. D'une certaine façon, Sternberg nous donne suffisamment d'indices pour nous indiquer qu'ils sont un seul et même homme, ou en tout cas similaires, mais à des moments différents., Si confrontation il y a, c'est essentiellement entre le général et la femme, qui vont s'aimer dans des fulgurances aussi délirantes que ne sont les circonstances. Et ce qui amènerait éventuellement les deux hommes de 1928, derniers survivants du drame qui s'est joué en Russie, à un conflit, c'est plus l'image de la femme et des circonstances dans lesquelles elle a été perdue, que la différence d'opinions. Et le vieux général, auquel son désormais supérieur donne une mission, celle de s'incarner lui-même dans une reconstitution du choc frontal qu'il a eu avec la révolution onze années auparavant, va s'acquitter de sa tâche avec une telle fougue, une telle énergie du désespoir, une telle passion, que... Non, il va falloir le voir, je ne peux vous le révéler. Disons que dans le Hollywood du film, plus vrai que le vrai, reconstitué avec ironie et rigueur par Sternberg (qui s'est représenté dans plusieurs personnages, ici, c'est évident), on s'en souviendra du passage de Serge Alexandre, l'obscur figurant qui tenait tant à mettre ses médailles au bon endroit... Un grand acteur, ça oui. Même plus: un grand homme, tout bonnement. Comme Jannings, dont ceci est l'unique film Américain survivant, et franchement, c'est dommage qu'on ne puisse désormais mettre la main sur aucun des autres, celui-ci est hallucinant.

 

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Published by François Massarelli - dans 1928 Josef Von Sternberg Muet Criterion **
8 août 2015 6 08 /08 /août /2015 16:24

Sorti sous le titre Sexes enchaînés en France, on connait ce film sous le titre alternatif de L'enlisement. Ce dernier traduit bien l'impression d'un couple qui s'enfonce dans la vase d'une loi inadaptée, puisque le film a un message: il entend dénoncer la situation dans laquelle les prisonnier de longue durée et leurs conjoints se trouvent, et notamment la frustration affective et sexuelle des uns et des autres. On sait la grande tolérance des écrans Allemands et Scandinaves à l'époque du muet en matière de sexualité, mais on ne s'attendait pas à une telle franchise dans la peinture du parcours d'un prisonnier qui est tellement en manque d'affection qu'il va développer une relation homosexuelle dans sa cellule, et du reste il faut croire que la censure non plus, puisque les Allemands n'ont semble-t-il jamais vu la version intégrale du film... Qui a survécu grâce à une copie d'exploitation Française (Le film est sorti en France en 1932, probablement dans les circuits de film d'art).

Le film conte les aventures d'un couple: Franz Sommer (Dieterle), ingénieur à la recherche d'une situation stable, désespère de voir son épouse Helene (Mary Johnson) commencer à travailler dans un restaurant; à servir des clients qui ne sont pas toujours respectueux avec elle. Lors d'une altercation, il blesse grièvement un homme, qui succombera vite à ses blessures. Sommer est donc condamné à trois ans de prison... Très vite, l'absence de l'autre va jouer des tours aussi bien à Franz qu'à Helene. Cette dernière va brièvement trouver refuge dans les bras de son bienfaiteur, l'industriel Steinau (Gunnar Tolnaes) qui lui est venu en aide au moment de l'incarcération de Franz, et ce dernier cède aux avances d'un prisonnier, Alfred (Heinz Heinrich Von Twardowski). La culpabilité qui s'ensuivra pour l'un comme pour l'autre va faire des ravages...

Avec son intrigue classique, ses audaces et sa mise en scène extraordinairement riche, le film a la réputation d'être le meilleur des muets de Dieterle. Celui-ci se joue de l'aspect "message" en confiant à certains personnages (Steinau, Helene) le soin de militer pour une plus grande souplesse dans l'application de la loi, et ne parasite jamais l'intrigue profondément humaine, ce qui donne encore plus de poids aux deux audaces fondamentales du film: d'une part, la façon dont on y aborde la sexualité, représentée comme un élément vitale de la complicité dans le couple ou dans l'équilibre d'un homme ou d'une femme; d'autre part, l'inévitable recherche d'une redéfinition personnelle de sa propre sexualité par Franz débouche sur un sentiment de culpabilité non parce qu'il a trahi la société en s'adonnant à des "caresses contre nature", le fameux euphémisme passe-partout, mais tout simplement parce qu'il a trahi son épouse. L'aventure avec Alfred est ici vécue comme un adultère pur et simple, et n'aurait rien changé si Alfred avait été une femme. Et justement, Twardowski joue ce dernier personnage avec une grande pudeur, et sans en exagérer le comportement, une gageure en cette époque! Paradoxalement, ce film gonflé est l'un des derniers films Allemands d'un metteur en scène surdoué, qui n'allait pas tarder à devenir l'un des magiciens des studios Warner, aux côté de Wellman et Curtiz. Comme quoi Max Reinhardt, Paul Leni et F.W. Murnau, avec lesquels il avait collaboré, pouvaient mener à tout.

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Published by François Massarelli - dans William Dieterle Muet 1928 Allemagne *
28 décembre 2014 7 28 /12 /décembre /2014 16:46

Léon Poirier était un homme de traditions, dirons-nous. Elevé dans le cadre d'une institution privée rigoriste, il est devenu régisseur de théâtre puis est passé à la demande de Léon Gaumont à la réalisation de films en 1913, lorsque Poirier vient d'avoir un grave accident qui l'éloigne de ses théâtres. Il tourne cinq films avant de s'engager (Il avait été exempté en raison de son accident) dans l'artillerie. A ce titre, il participera aux combats autour de Verdun... dans les années 20, il s'oriente vers un nouveau cinéma, proche du documentaire, et éloigné des studios. Il tourne notamment en décors naturels La brière, une fiction d'après un autre Léon, Daudet celui-là: pas vraiment un démocrate, mais n'anticipons pas... Après un autre film ambitieux, La croisière noire (Documentaire sur un périple mi-colonialiste, mi-publicitaire organisé par Citroën en Afrique), Poirier décide de fournir sa vision d'une commémoration de la Grande Guerre (Celle qu'on n'appelait pas encore Première guerre mondiale...) afin de coïncider avec le dixième anniversaire de l'armistice. Ne faisant rien comme tout le monde, il va réaliser un film impressionnant, ambitieux, et... profondément humaniste. Bien sur il va aussi laisser par endroit libre cours à sa vision patriotique des choses, mais il va aussi et surtout donner la parole à l'ennemi, et ne jamais céder à la tentation de représenter les forces Allemandes sous le visage d'ogres assoiffés de sang, comme c'était l'usage en France. Cela lui sera d'ailleurs reproché...

Verdun, visions d'histoire n'est pas un documentaire, ni une fiction classique. S'il fallait trouver à le comparer, le seul titre qui me vienne à l'esprit serait The longest day (1962), né comme Verdun de la vision d'un seul homme, Darryl F. Zanuck, et qui retraçait l'histoire du débarquement à travers ses petites histoires, en adoptant les points de vue de la population, de la Résistance, des forces alliées, qu'elles soient Américaines, Anglaises ou Française, et bien sur des Allemands. Poirier, qui a divisé son film en trois parties (Trois "visions", pour reprendre le terme utilisé par le cinéaste dans son découpage), a choisi des "types " de personnages, affublés le plus souvent d'étiquettes plus que de noms: on a donc le "soldat Français", le "fils", "l'intellectuel", la "fille", mais aussi "le soldat Allemand", ou le "Maréchal", un vieil officier Prussien qui tire les ficelles. Et le cinéaste ne se cantonne pas à des prises de vue du côté Français. Il situe son tournage sur les lieux même de l'action, entre Verdun et Douaumont, là ou entre février et décmebre 1916 les forces Allemandes ont centré leur avance, jouant leur va-tout pour trouver la voie vers Paris à travers la vallée de la Meuse.

La première partie, La force, est surtout consacrée à un état des lieux, des forces en présence, mais aussi du moral: moral de l'arrière (Une famille Parisienne attend la suite des évènements, en confiance; un de ses enfants est engagé sur le conflit, l'autre va s'y rendre), moral des troupes (Deux soldats discutent de ce que les civils savent ou ne savent pas), puis état des lieux à Verdun dont les habitants fuient par dizaines. Le choc est imminent, mais Poirier joue plus sur l'aspect solennel que sur le suspense. Le deuxième, L'enfer, retrace les batailles décisives: Douaumont, Vaux, puis l'avancée vers la ville de Verdun. Le cinéaste situe son action au plus près des combats, à hauteur de poilu, et il a fait revenir des protagonistes de laction pour leur fairerejouer les batailles sur les lieux même. Un pari gonflé, mais qui paie par son réalisme. La troisième partie enfin, Le Destin, conte la reprise en mains de la région par les troupes alliées, et la reddition des Allemands. La leçon d'histoire globale, bien menée pais un peu trop riche pour qui consulte le film près d'un siècle plus tard, est accompagnée de scènes qui font mouche: la bataille de Vaux, avec ses condictions hallucinantes pour les soldats Français, est vue par les deux côtés, y compris dans une scène formidable, ou une porte blindée, obstacle à l'avancée des Allemands, est l'objet d'un champ-contrechamp ultime: d'un côté les Français, de l'autre les Allemands...

Le film possède des défauts, hélas, à commencer par son abondance: passionné par son sujet, Poirier a voulu rendre les spectateurs plus proches encore de l'action, et utilise par moments des cartes qui ne font qu'assécher le propos. Il a su rendre les doutes et les passions humaines, mais se heurte aux écueils de son didactisme par endroits. Et, inévitable me dira-ton, à plus forte raison pour un homme de droite, il a une tendresse pour les généraux, y compris ce vieux salaud de Pétain. Il ose un intertitre infect dans sa troisième partie, dans lequel il clame que les soldats vainqueurs de Douaumont l'ont été grâce à l'âme de leur général... Mais il montre aussi un jeune soldat Allemand (Interprété par un certain Hans Braüsewetter) envahi par le doute comme ses confrères Français, et il nous montre également les Prussiens se comporter de façon respectueuse vis-à-vis des Français qui se rendent à l'issue de la bataille de Vaux. et si Poirier laisse parler son nationalisme, et son catholicisme, au moins ne le fait-il que dans sa troisième partie, une fois qu'il a pris le soin de tout mettre en place, puis de narrer le gros des combats. La deuxième "vision" se clôt d'ailleurs sur un sentiment de défaite des Français. La fin du film, après es couplets nationalistes, philosophe un brin sur le sens de l'armistice, et la reddition, puis l'abdication de Guillaume II, représentée comme la possible naissance de la liberté: notre brave soldat Hans Braüsewetter peut enfin briser ses chaines. Pourtant, selon moi, le plus notable aspect de ce film, situé en début de troisième partie, est une scène qui doit autant à The four horsemen of the Apocalypse, de Rex Ingram, qu'à The Big Parade, de Vidor: un soldat Français blessé mortellement s'écroule aux côtés d'un Allemand. Les deux, au moment de mourir, auront le même cri: Mama/maman. Symboliquement, les deux mères, en surimpression, viennent chacune ramasser le corps de son fils, et toutes deux les posent sur la même civière. Puis elles gravissent ensemble un chemin vers le ciel... Au moins les intentions sont-elles claires: Poirier est un pacifiste.

Cette vision à la fois touchante et profondément ridicule est complétée à la fin d'une messe, dans laquelle on sent bien que le vieux fond du metteur en scène reprend le dessus. Au terme de ses 151 minutes, Verdun visions d'histoire est exténuant, et frustrant pour le spectateur habitué aux films Américains contemporains. Mais on ne reprochera en tout cas pas à Léon Poirier d'avoir été ambitieux, et désireux de toucher à l'universalité avec son film: il est parfois naïf, souvent trop riche, mais il contient des dizaines de séquences qui sont impressionnantes par leur mise en scène est leurs parti-pris novateurs. Et le fait qu'on ait ensuite, charcuté le film en en prenant les séquences les plus réalistes, en pensant qu'il s'agissait d'images d'archives, rend paradoxalement justice au réalisateur... Qui s'est empressé de continuer sa carrière en se faisant le chantre du coonialisme, avant de chanter en 1943 les louanges de ce vieux salopard de Pétain. Bah!

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Published by François Massarelli - dans Muet Première guerre mondiale 1928 *
28 décembre 2014 7 28 /12 /décembre /2014 10:00

Voilà un film muet restauré à grands frais, qui tombe à pic pour qu'on y voit le traitement de la première guerre mondiale, non pas telle qu'on la voit en cette année centenaire, ni alors qu'elle se déroulait: Le film du poilu est une tentative de commémoration, réalisée en 1928, à l'occasion du dixième anniversaire de la fin du conflit. Le but clairement affiché est de donner à voir la guerre aux enfants, afin qu'ils n'oublient jamais. Et c'est raté, ils ont oublié, les enfants de 1928: je m'explique.

Dans la première partie, on assiste à la petite vie de tous les jours de trois personnes qui habitent le même immeuble Parisien: une veuve de guerre et son fils, d'une part; un ancien poilu, artiste qui vit dans son atelier de peinture d'autre part. Celui-ci prend l'initiative d'inviter un cinéaste qui vient de finir un montage de prises de vues de la Grande Guerre chez lui, afin de sensibiliser la jeunesse (et les spectateurs) à ce qu'était vraiment le conflit mondial... Nous assistons ensuite à une chronologie des évènements, résumés en à peu près une heure, compilée d'après les cinématographies mondiales, mais surtout les alliés. Le montage en est rehaussé ça et là d'inserts tournés par Desfontaines afin de rendre l'ensemble un peu plus dramatique.

Si le but était de sensibiliser la jeunesse afin qu'un tel conflit n'arrive plus jamais, c'est comme je le disais raté: durant l'heure passée à montrer la guerre, le point de vue unique est celui des alliés, et on y glorifie à tour de bras les généraux, tous isolés de la narration par leur petit intertitre personnalisé... A aucun moment l'ennemi n'y est montré comme autre chose qu'une menace, un mal. Les évènements n'y sont pas mis dans la moindre perspective: certes, l'archiduc François-Ferdinand a été assassiné à Sarajevo, mais pourquoi? et en quoi cela a-t-il précipité la guerre? Et si Verdun a bien été une boucherie, quelle responsabilité les officiers Français ont-ils pris dans les massacres? Et ces merveilleuses armées coloniales qui nous sont montrées, si colorées dans leurs défilés, pourquoi personne ne mentionne-t-il qu'ils ont souvent monté au combat en premier pour essuyer les premières salves? Enfin, on appréciera à sa juste mesure la séquence de 25 secondes qui nous indique que les Américains ont un peu pris part au conflit. Merci, au passage, les gars, et vous nous excuserez, mais on va quand même finir ce beau film par une vision de ce beau drapeau, ce torchon dégueulasse pour lequel le service des armées, qui a pris le soin de restaurer ce film sans qu'aucune réserve idéologique ne l'accompagne (Lisez les textes présents sur le DVD, c'est à vomir), est sans doute prête à nous dire qu'il conviendrait de nouveau d'aller se faire tuer.

Je sais ce qu'on va probablement me rétorquer: autres temps autres moeurs, et en 1928, on ne disposait pas de recul suffisant, mais en fait, historiquement c'est faux: dès 1917, des voix se sont élevées, depuis l'armée Française même, pour contester les façons de faire des officiers, et réfléchir sur la véritable finalité de ce conflit. Dès 1919, dans un film qui cède parfois au délire anti-Allemand ambiant (J'accuse), Gance a pris soin de faire le voeu d'un arrêt généralisé des conflits, au nom du respect du aux morts, TOUS LES MORTS. Dès 1925; trois ans avant ce film, King Vidor a débarrassé l'évocation de la guerre de tout nationalisme avec son somptueux The big parade, auquel Walsh (What price glory) puis Wellman (Wings) ont bien vite emboité le pas. Ils seront suivi en 1930 par deux cinéastes, l'un aux Etats-Unis (Milestone, avec All quiet on the Western Front) , et l'autre en Allemagne (Pabst, avec Westfront 1918). Et pour enfoncer le clou, cette même année 1928, le pourtant très droitier Léon Poirier a commis un autre film commémoratif, le souvent ennuyeux Verdun, vision d'histoire. Lui aussi sacrifie à la mode qui consiste à se mettre à plat devant les généraux, mais au moins rappelle-t-il à toutes fins utiles que dans un conflit comme celui dont il est question, les deux côtés ont souffert. Voilà. Le parti-pris affiché par Desfontaines de rester calé sur l'image d'Epinal est tout simplement impardonnable.

Alors rangez-moi ce torchon bleu-blanc-rouge, il est obscène.

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Published by François Massarelli - dans Muet Première guerre mondiale Navets 1928 *
7 décembre 2014 7 07 /12 /décembre /2014 18:05
Spione (Fritz Lang, 1928)

Entre 1924 et 1928, Lang a surtout cherché à s'éloigner du style qu'il avait adopté avec Dr Mabuse, der Spieler: en se lançant dans l'évocation successive d'un impossible passé mythologique (Die Nibelungen, 1924), puis en essayant de visualiser le futur urbain de la planète (Metropolis, 1926), il a développé un nouveau cinéma, fait de grandeur, qui tranche avec l'évocation neveuse et à peine voilée de la crise Allemande dans le Mabuse de 1922. Mais l'échec de Metropolis a sans doute joué un rôle dans le retour au cinéma de genre avec ces Espions de 1928, un thème bien sur déjà exploré avant Mabuse avec le diptyque Die Spinnen, Les araignées, si influencé par le cinéma de Feuillade. Puisque le mot "genre" est prononcé, autant aller tout de suite dans cette direction: si Lang lui-même a qualifié ce nouvel opus de modeste film d'espionnage, pour montrer à quel point il s'éloignait des préoccupations de Metropolis, le film qui fit un tel flop dans sa carrière internationale qu'il en devenait gênant pour tout le monde, il ne faut pas s'y tromper: tous les grands films de Lang, qu'ils soient ambitieux ou non, qu'ils soient des succès ou non, ont deux facettes: ils traitent à la fois du rêve et du cauchemar, parfois même ouvertement, comme dans ces merveilleuses scènes de Metropolis ou Freder part en vrille, cherchant l'amour de Maria et ne trouvant devant lui qu'une statue de la Faucheuse... Spione ne change en rien cette règle, puisque le film, qui traite d'histoires d'espions, d'aventures trépidantes, et de péripéties excitantes, cache lui aussi la mort en ses moindres recoins...

Mais bien sur, Spione le fait en accumulant les rebondissements, avec un rythme appuyé: dès le début, largement commenté ultérieurement par Lang lui-même, le metteur en scène s'amuse à nous placer au coeur d'un chaos de délits et de coups d'éclats, avec bandfits qui subtilisent des documents, tuent des espions rivaux, jusqu'à ce qu'un protagoniste de cette étonnante introduction ne pose une question fatidique: qui est responsable de cette situation? Un homme répond, face à la caméra: Ich. C'est le banquier Haghi, interprété par Rudolf Klein-Rogge, comme l'était déjà Mabuse... Lang a décidé de ne pas nous le cacher, et le film deviendra vite un jeu de chat et de souris, entre Haghi et les services secrets, représentés par l'agent 726 (Willy Fritsch). Les affaires se résovent en traitrises, infiltrations, séduction et autres tractations. Comme toujours chez Lang, le signe, qu'ils soit de communication (Les messages, télégrammes, et autres signes distinctifs) ou de symbole, est roi, et le rythme très rapide du film ne permet pas au spectateur de souffler.

Pour autant, le film ne se contente pas, contrairement à ce qui a souvent été dit, de reprendre une formule ou de sitiller de façon mécaniques des effets très bien orchestrés. Lang prlonge une réflexion entamée dès Mabuse, sur la loyauté, la morale aussi, à travers ces nombreux protagonistes de sbires souvent réduits à trahir, ou à commettre de simples meurtres pour le compte du chef. Et à travers Haghi, il montre les pouvoirs de l'argent (Le colonel Jellusic, un militaire qui aime un peu trop le confort, va trahir pour les beaux yeux d'une femme et surtout pour une liasse qu'elle exhibe négligemment), de l'amour et de la luxure (Le vertueux colonel Matsumoto va se laisser aller avec une très jeune femme qui va le pousser au suicide)... C'est aussi l'amour toutefois qui sera la source de rédemption de l'héroïne, heureusement, ce qui permet au film de remplir son contrat en faisant triompher le bien. En attendant, on aura vu à quel point la fin inévitable de tous ces gens, d'ailleurs liée à la notion de loyauté, que ce soit pour une cause ou un pays, c'est la mort, et on assistera à trois suicides... La part de cauchemar insistante, et qui reviendra de film en film chez lang, a ici fait un grand nombre de victimes...

Terriblement distrayant, moderne et souvent drôle, le film est en plus marqué par le jeu de six acteurs de chox, qui compsent des rôles inoubliables, à des années lumières des clichés expressionnistes: Gerda Maurus, une débutante découverte par Lang qui essaie avec elle de rééditer l'exploit de Brigitte Helm, Fritz rasp, Rudolf Klein-Rogge, la jeune Lien Deyers en garce impayable, Lupu-pick et surtout l'impeccable Wily Fritsch, superbe jeune premier qui a droit à un cadeau rare chez les acteurs masculins de Lang à cette époque: pas de maquillage. Et le film a sa dose de souterrains, trains en furie, cave emplies de gaz, coups de théâtre, scènes nocturnes... Contrairement à sa réputation, c'est bien un grand film de Lang.

Spione (Fritz Lang, 1928)
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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Muet 1928 **
12 octobre 2014 7 12 /10 /octobre /2014 17:17

Les enjeux de ce film, en 1928, étaient de taille: après son impressionnant King of kings, mais à une époque ou le parlant menaçait plus que jamais les producteurs-réalisateurs indépendants dont DeMille était le plus visible représentant, il s'agissait pour lui de revenir à la peinture de l'époque contemporaine, en quelque sorte de reprendre le flambeau qui semblait être le sien à l'époque de The Cheat. La production, entamée sitôt le vaste projet biblique accompli, n'a pas débuté sous les meilleurs auspices: le film, sous le titre provisoire The Atheist, attirait déjà les foudres des anti-religieux, qui s'attendaient à une surdose de prêche de la part d'un réalisateur qui avait beaucoup versé dans ce domaine. Si le changement de titre laissait malgré tout le champ libre à ce genre d'inquiétudes (La fille sans Dieu), DeMille lui-même a vite rassuré les uns et les autres en clamant qu'il ne comptait en aucun cas faire un film religieux, mais un portrait sans concessions du système des centres de redressement Américains.

Le scénario, signé par l'inamovible Jeanie Mc Pherson et inspiré d'une série d'anecdotes mettant en scène des étudiants athées, concerne un groupe de lycéens Américains arrêtés lors d'une bagarre qui oppose des militants athées et des fanatiques religieux, sur leur campus, et rendus responsables du décès d'une jeune fille. Ils sont ensuite (Deux garçons et une fille) placés en centre de redressement, et accumulent les expériences malheureuses: privations, vexations, traitements inhumains, et tentative d'évasion malheureuse.

Pour parvenir à ses fins, le metteur en scène se documentera beaucoup, allant jusqu'à envoyer des espions dans ces centres, et en rapporter du vécu. Le résultat est non seulement conforme à ses dires, évitant dans l'ensemble le militantisme religieux, mais renvoyant sainement les extrémismes de tous poils dos à dos, et en prime le réalisateur en fait également son meilleur film (Pour autant qu'il me soit possible d'en juger), en effet: délaissant le style ampoulé et statique de ses productions précédentes, il utilise ici à merveille les ressources du cinéma de 1928, et tout dans ce film force l'admiration, depuis le scénario qui ne faillit qu'une fois, dans une ridicule scène de batifolage dans les foins avec scène de nu en flou artistique (On ne se refait pas), jusqu'au jeu des acteurs, en passant par la photo splendide de J. Peverell Marley, qui cadre au plus près des visages, et accumule les tours de force. Pour le reste, Demille fait une oeuvre salutaire: en cette fin des années 20, l'Amérique prend le temps de s'interroger sur la vitesse de la modernité de la société, et en plusieurs états à cette époque, le système des institutions pénitentiaires pour les jeunes était encore bien inadapté. On comptait notamment dans le Nebraska des prisons de ce type, où les grilles électrifiées et les molosses faisaient la moitié du travail... Avec ce film, DeMille fait un travail de dénonciation qu'il faut saluer, et il laisse parler une authentique indignation.

On se rappelle aussi du grand DeMille des années 1915/1918 grace à l'incroyable brutalité du film, qui s'est clairement fixé comme but de dénoncer un système jugé injuste par un film coup de poing. Le film accumule les morceaux de bravoure, et le fait très vite: la bagarre sur le campus est un tour de force, tourné au plus près des corps des jeunes acteurs, et est l'occasion de la première rupture de ton d'une oeuvre qui en compte beaucoup; le montage, le cadrage (Impliquant un système à la Seventh Heaven, avec une caméra montée sur un axe vertical qui suit les progressions des élèves -Et bientot leur mélange dans une rixe incroyable- dans les escaliers de l'établissement scolaire.); les échanges mémorables entre les deux amoureux, de part et d'autre d'une grille électrifiée, l'évasion de Bob, écoeuré par le traitement réservé à son camarade (DeMille a choisi d'accentuer la brutalité du gardien chef en filmant ses exactions de façon très fragmentée, suivant le point de vue d'un personnage qui, enfermé, ne peut tout voir) et bien sur l'incendie final qui va permettre à tous de réveler leur valeur: ce film accumule avec bonheur les très grands moments de cinéma. Le final lui permet aussi de céder à la tentation répandue (Voir Metropolis, Scaramouche ou Orphans of the storm à ce sujet) de la dénonciation des foules et de leur folie, lorsque les jeunes femmes emprisonnées se déchaînent durant l'incendie pour saboter les efforts des sauveteurs.

Le film n'aura hélas pas de succès , y compris dans une version parlante bricolée à l'insistance de Pathé (Qui distribuait) et obligera DeMille à abandonner son indépendance, et le poussera à une petite période de travail pour la MGM pour quelques-uns de ses pires films, dont Madame Satan, et un troisième Squaw Man, avant de retrouver le douillet berceau de sa Paramount, firme pour laquelle il filmera sans grande imagination jusqu'à la fin de ses jours.

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille Muet 1928 *
11 octobre 2014 6 11 /10 /octobre /2014 09:41

La période muette de Jean Renoir, c'est un long moment expérimental, une sorte de prélude en forme bricoleuse à une carrière qui sera marquée souvent par l'impulsion et l'envie. A titre personnel, je trouve que certains des films du maître sont d'ailleurs bien pénibles à voir, en particulier son très lourd Nana (1926), ou son tout premier effort, La fille de l'eau (1924), qui sacrifie trop au genre (Le mélodrame onirique) et à la naïveté, avec une direction d'acteurs par trop erratique. Avant le film Tire-au-flanc (1928), qui en passant par la comédie franche va offrir au moins une oeuvre à sauver à la période, il y a aussi le cas de ce petit film, dont l'actuelle version disponible serait selon la légende tirée d'un long métrage bien plus long (Aux alentours d'une heure, ou un peu moins) alors qu'on ne dispose que de copies de 30 minutes. Celles-ci sont pourtant bien cohérentes, et le film apparaît complet...

Le conte d'Andersen est bien connu: une jeune fille obligée de rester dehors en plein hiver pour vendre des allumettes à des passants qui n'en veulent pas, finit par s'asseoir dans la neige et craquer des allumettes pour se réchauffer, avant de laisser le délire l'emmener vers la mort. Un sujet propice à explorer les possibilités de l'expression du contraste entre le monde réel et le rêve, ce qui intéressait Renoir ici (Il n'en était pas du reste à son coup d'essai, pour avoir mis en scène une séquence de rêve dans La fille de l'eau, le seul passage qui ait retenu l'attention). Tourné en studio, le film permet au metteur en scène de varier les moyens d'expression, et il explore les effets: surimpression, animation image-par-image, tout en expérimentant comme Dreyer au même moment avec la pellicule panchromatique (La passion de Jeanne D'Arc). Et les séquences de rêve sont ambitieuses, totalisant la moitié du métrage.

Là ou le bât blesse, c'est, comme d'habitude avec les premiers films du metteur en scène: Catherine Hessling. L'épouse (Plus pour très longtemps, du reste) de Renoir était la vedette de tous ses films, et elle n'était pas une actrice. Mécanique, excessive, trop vieille pour le rôle, elle ne convient pas, comme elle ne convenait à aucun des films qu'elle avait tournés avec son mari (A l'exception de Charleston, un court métrage dans la lignée d'Entr'acte) ou avec d'autres (Yvette, d'Alberto Cavalcanti, par exemple: cette manie de vouloir faire de Catherine Hessling une frêle héroïne de mélodrame, alors qu'elle était loin d'être Lillian Gish...). Donc si le film se laisse voir sans déplaisir, grâce à une délicate utilisation des effets, généralement bien rendus, et de bonnes idées pour le rêve dans lequel Karen est plongée dans le monde des jouets, on reste sur sa faim... Quant à la version intégrale de cinq bobines, non seulement on ne sait pas si elle a vraiment existé, mais surtout on se demande bien ce qu'il en manquerait, dans un film dont la narration est marquée par un sens de l'économie plutôt remarquable.

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Published by François Massarelli - dans Muet Jean Renoir 1928 **
31 août 2014 7 31 /08 /août /2014 16:50

Ce film est situé à un moment clé de la carrière de Vidor, et si sa réputation d'excellent film sur les effets inattendus de la magie et l'illusion d'Hollywood n'est plus à faire, je pense qu'il faut voir dans cette comédie en apparence anodine bien plus qu'une simple pochade. Rappelons que Show People, tourné durant la fin du muet pour la MGM, fait partie de la période dorée de l'activité de Vidor, et a été possible grâce à l'envie forte de Marion Davies de tourner de nouveau avec lui. Depuis peu de temps, l'actrice est enfin en position d'imposer ses choix à son amant-pygmalion, l'ombrageux William Randolph Hearst, qui voit pourtant d'un mauvais oeil sa dulcinée lui échapper en tournant autre chose que des drames... Et de son côté, Vidor qui a réalisé en 1925 The big parade tente d'imposer ses sujets, dont l'ambitieux mais peu commercial The crowd (Sorti au début de cette années 1928) n'est que le début. Il a du, afin de pouvoir mener ses projets à bien, accepter des commandes qui ne lui correspondent pas toujours (Proud Flesh, La Bohême, Bardelys the magnificent). De même le film The patsy qui le voit travailler pour la première fois avec Davies, est-il essentiellement une commande... Pourtant, Show people va arriver à point nommé pour permettre au cinéaste de montrer, grâce à ce jeu de miroirs qu'est le film (Tourné à la MGM, et truffé d'apparitions de sommités des studios de cinéma), de montrer quelle est sa place...

Peggy Pepper débarque dans un studio à Hollywood, avec son père qui comme il le dit lui-même, est prêt à "laisser les producteurs tourner des films" avec sa fille. Mais la réalité est moins facile, et c'est grâce à l'entremise de Billy Boone, un acteur de films burlesques, que Peggy est amenée à tourner un film... Comique. Elle fait ses classes dans les jes d'eau, les poursuites idiotes et les tartes à la crême, continuant à rêver de mieux en compagnie de Billy, jusqu'au jour ou elle est appelée, sans son complice, à tourner pour des productions ambitieuses. Elle va alors non seulement fréquenter une toute autre catégorie de personnes, mais aussi prendre lé grosse tête, jusqu'à laisser un gandin poudré, de vieille noblesse Européenne, la demander en mariage...

Le Hollywood dans lequel Vidor tourne son film est le vrai, ce qui lui permet de faire appel à un grand nombre de copains et de stars: certains ne font que passer (Douglas Fairbanks, George K. Arhur, Renée Adorée, John Gilbert), d'autres se prètent volontiers à la comédie. Les deux passages les plus impressionnants à ce niveau restent bien sur l'intevention de Chaplin au naturel, qui débouche sur une vraie scène complète, et bien sur l'apparition de... Marion Davies qui gare sa voiture un peu énergiquement devant Peggy Pepper. Le regard à la fois tendre et gentiment mordant de Vidor fait mouche du début à la fin de ce film, qui n'est certes pas le premier à promener ses caméras à l'intérieur des studios montrés tels qu'ils sont, mais le fait bien et avec esprit: beaucoup de gags sont basés sur le décalage entre l'image de glamour colportée par les films, et la vraie vie du studio. Les différences de ton, de méthode, de prétentions aussi entre les comiques (Dont les films ressemblent à une version cauchemardesque des moments les plus grotesques de l'écurie Sennett!) et les cinéastes plus "artistiques" sont là aussi l'occasion pour Vidor de s'amuser, parfois à ses dépens, comme lorsqu'il montre Billy faire la moue devant la projection de... Bardelys the magnificent! Mais c'est là aussi un message du metteur en scène à sa hiérarchie, lui qui souhaite consacrer son temps à des films selon son coeur. Il apparai lui-même à la fin, proposant à Peggy et à Billy de tourner un film ensemble, et c'est comme par hasard par le tournage d'une scène qui fait penser à the big parade que Show people se termine. Peggy, revenue de sa crise ridicule de prétention, a retenu la leçon et est désormais vraie. Et la surprise réelle de Billy découvrant en plein tournage l'identité de sa co-vedette permettra au metteur en scène de réussir sa scène au-delà de toute espérance.

En plus de cette thématique qui rapproche son film du naturalisme de The crowd, Vidor en profite aussi pouraffirmer l'égalité entre les êtres, dans un système qui est basée sur une hiérarchie assumée, calculée et entretenue. Si Billy rappelle que tous les acteurs ou presque ont commencé par la comédie, il est lui-même très désireux de s'élever au-dessus de sa propre condition. Mais quand Peggy le fait, elle en oublie toute humanité! Le film sert donc de piqure de rappel, en contrebande et en passant par la comédie, ce qui fait agréablement passer la pilule... Mais Vidor, éternel auteur, fait quand même oeuvre de subversion avec ce beau film, dans lequel ceux qui oublient d'où ils viennent et regardent les autres de haut se voient imposés une bonne cure de tartes à la crême.

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Published by François Massarelli - dans Muet King Vidor 1928 Marion Davies Comédie *