Deux hommes, l'un un noble, poète de profession (Georges Pomiès) et l'autre son valet (Michel Simon), sont appelés sous les drapeaux. Une soirée organisée par la maman de Jean Dubois D'ombelle, à laquelle était invité une huile de l'état-major, a eu l'effet contraire à ce qui était escompté, puisque les deux hommes font leur devoir dans la même chambrée. Et si le destin de leur pays est entre leurs mains, je pense que le pays est bien mal parti...
Ils se sont mis à plusieurs (Renoir, son assistant Claude Heymann et Alberto Cavalcanti, un complice fréquent à cette époque) pour adapter une pièce de André Mouézy-Eon et André Sylvane. Je n'ai aucun mal à imaginer la pièce, d'ailleurs, un simple support pour comique troupier... Mais si on peut se demander ce qu'allait chercher Renoir dans un tel sujet, lui qui avait tenté de lancer un naturalisme à la française avec Nana, le visionnage du film nous permet de voir ce que le metteur en scène a plutôt pu tirer de ce sujet ingrat: une pochade, certes, mais dans laquelle il a su insuffler de l'énergie.
Parfois peut-être un peu trop: le réalisateur a encore une fois fait confiance à sa bonne étoile, c'est-à-dire improvisé dans le n'importe quoi ambiant, en décidant en particulier de transcrire SA vision d'une caméra mobile. On est loin de Murnau, mais cette idée de faire jouer ses comédiens, et de lancer le caméraman un peu dans tous les sens, débouche parfois sur des effets burlesques assez réussis. Ca commence d'ailleurs par une scène efficace, et manifestement planifiée, qui oppose les valets (Michel Simon et Fridette Fatton), qui dressent la table en ayant les plus grandes difficultés à se lâcher l'un l'autre, puis dans le même lieu, Jean D'ombelle et sa fiancée sont sagement assis côte à côte sans même se regarder. Chaque partie de la scène commence par le même mouvement de caméra, qui part d'un tableau quelque peu coquin si on sait le regarder, et se termine par un travelling arrière vers le même tableau. Seulement notre opinion est faite: le coeur de Renoir, comme le notre, va à ces domestiques qui vivent leur amour au grand jour...
Sinon, le film est généralement trop long, trop brouillon, trop frénétique et trop loufoque (oui, c'est donc possible!). Mais il est aussi doté d'un antimilitarisme à l'ancienne, dans lequel on tape sur les officiers, et ça, c'est indispensable, surtout par les temps qui courent... une scène hilarante de classes désastreuses nous promène par ailleurs du côté de chez Hal Roach...
Barbara Manning (Bebe Daniels) est une jeune héritière d'une famille riche, et particulièrement excentrique d'hypocondriaques. Au moment de sa majorité, elle doit passer sous la tutelle d'un nouvel oncle, après avoir été sous la responsabilité d'un autre: ce dernier, obsédé par la santé, l'empêche de tout faire depuis sa plus tendre enfance, de peur que son père ne s'emballe. L'autre souhaite que sa filleule s'émancipe de cette obsession sanitaire et vive un peu... Quand la jeune femme décide de se rendre au sanatorium qui appartient à la famille, l'oncle en question va être servi: l'établissement est tombé dans les mains de l'étrange docteur Todd (William Powell): celui-ci n'est pas un vrai docteur, mais un bandit, et le sanatorium est devenu une plaque tournante du trafic d'alcool frelaté... Mais bien sûr, elle ne s'en rend pas compte, et va bénéficier du soutien inattendu d'un trafiquant qui est en réalité un journaliste en plein reportage sensationnel (Richard Arlen)...
La plupart des films Paramount de Bebe Daniels ont disparu, et au vu de ceux qui nous restent, c'est dommage! Venue du slapstick avec Harold Lloyd, elle combine un talent de comédienne romantique, avec une absence de scrupule pour participer occasionnellement à de la comédie un peu plus physique. Et ici, elle mène le jeu avec humour et une grande dose de charme. Elle y joue comme du temps de Harold Lloyd une ravissante farfelue, qui ne se rend absolument pas compte du fait que l'établissement qui l'accueille est tout sauf un hôpital, justement: totalement imbue d'elle-même, absolument pas ouverte au monde, la jeune femme est précisément un pendant féminin de l'hypocondriaque Harold Lloyd de Why Worry? qui ne se rend absolument pas compte que l'île Sud-Américaine sur laquelle il vient de débarquer est en proie à une révolution sanglante...
Le film est l'oeuvre de Gregory La Cava, dont la vaste œuvre reste pour moi un grand chantier de découverte... Il a le don pour faire coexister, justement, la comédie et la romance, notamment en glissant dans le sanatorium le journaliste infiltré, joué par Richard Arlen, qui va être à la fois élément perturbateur et objet de l'affection de l'héroïne... Et bien sûr, la confrontation avec William Powell est féconde. Celui-ci, clairement, s'amuse à jouer les terreurs... Son style partagé entre un jeu clair et direct, naturel mais souvent inquiétant (il a fallu attendre le parlant pour qu'il lui soit proposé des rôles positifs), et un abandon comique qui éclate lors d'une scène au ralenti, quand le "docteur Todd" est victime de l'évaporation du chloroforme, et participe à un superbe ballet surréaliste. Et Bebe Daniels, certes la star du film, n'a pas non plus peur d'affronter la comédie, et se livre ici à quelques plaisanteries, pour lesquelles elle n'a pas eu besoin de doublure. On appréciera notamment son numéro de surf sur planche improvisé, et une scène de beuverie loufoque...
On n'en revient pas: ce film a été un flop monumental, suite à des critiques unanimement négatives à l'époque de sa sortie. Dans ce cas, sa survie est un miracle, une fois de plus...
Corinne Griffith est une actrice qui a eu sa petite heure de gloire dans les années 20, en particulier grâce à son mari, Walter Morosco : il produisait ses films un peu à la façon de William Randolph Hearst produisant Marion Davies. Miss Griffith n'avait certes pas le talent de cette dernière, mais entre des mains expertes, elle pouvait se révéler une actrice intéressante. En particulier dans ce film...
Toni Lebrun, orpheline Autrichienne recueillie par son oncle et sa tante pâtissiers, ne se voit pas faire des bretzels toute sa vie, et ambitionne de chanter à l'opéra. Elle a même un diplôme authentique, qui lui a ouvert les portes d'un théâtre Viennois... Auquel elle se rend, sans savoir que c'est un établissement un peu plus leste que ses désirs lui font miroiter. Tenu par la solide entremetteuse Mme Bauer (Maude George), on y vient pour voir, plutôt que pour écouter, et Toni ne tarde pas à s'en apercevoir. Tombée dans le piège de M. D'avril (Lowell Sherman), un vil séducteur à la recherche de chair fraîche, elle fuit en compagnie de l'habilleuse Rosa (Louise Dresser), sans savoir que celle-ci est une authentique baronne, qui va l'amener avec elle à Monte-Carlo...
On retrouve dans cette comédie, le canevas d'un conte de fées légèrement détourné, et passé au travers du filtre de la comédie légère, plutôt du genre de celles dans lesquelles évoluait Colleen Moore, que Marion Davies : un certain glamour, plutôt que du slapstick, affleure volontiers dans le film. Il faut dire que les acteurs n'y sont pas pour rien, surtout Lowell Sherman, qui y reprend à peu près son rôle de Way Down East avec une justesse confondante. Mais Lewis Milestone, qui a sans doute conscience de tourner une bluette, laisse poindre assez souvent une certaine ironie, et dirige constamment Corinne Griffith en appuyant sur le côté naïf du personnage. Du coup, le film en bénéficie souvent. Et surtout, le metteur en scène se place en maître du cadre et du champ, en utilisant toutes les ressources de décors mobiles et particulièrement bien rendus.
On est bien sûr bien loin des autres films contemporains du metteur en scène et je pense qu'il fait considérer ce Garden of eden comme une halte bienvenue das la carrière du prodige qu'était Milestone au temps de sa splendeur, entre Two Arabian Knights et The Racket, dont ce film ne possède ni les audaces, ni la verdeur... Au moins il ne manque ni de verve, ni d'énergie, ni de charme.
Tito (Lon Chaney) et Simon (Bernard Siegel) sont deux frères, deux clowns itinérants, qui un jour recueillent une enfant perdue, Simonetta. Ils sont jeunes, et Tito, particulièrement sentimental, insiste auprès de son ami bourru... Les années passent, et le duo a de plus en plus de succès. Simonetta devenue une belle jeune femme (Loretta Young), Tito se rend compte que ses sentiments ont changé... Il ne voit donc pas d'un très bon oeil l'idylle naissante entre la jeune femme et le comte Luigi (Nils Ashter), qu'il soupçonne d'être un incorrigible séducteur...
Herbert Brenon était un choix inattendu pour diriger Lon Chaney en 1928; à cette époque, la MGM avait l'habitude de confier les "véhicules" de l'acteur aux metteurs en scène maison, des techniciens compétents qui ne faisaient pas trop d'ombre à la star (William Nigh, George Hill, Jack Conway) ou à Tod Browning, son ami et complice. Le dernier film avec Victor Sjöström était The tower of lies, d'après Selma Lagerlöf, et ça avait été un échec, tout comme l'étrange Mockery tourné par Benjamin Christensen... L'Irlandais, artiste établi et meneur irascible, était un réalisateur fin et ambitieux, et il est à noter que ce long métrage de huit bobines joue dans une catégorie bien différente des films de Chaney de l'époque: c'est un mélodrame, pur et dur, et la résolution en est notable dans la mesure où Chaney échappe à toute tentation du mal...
Les clowns ont inspiré à Chaney un personnage inoubliable, celui de He who gets slapped. Ici, il incarne un vieil artiste, bien sûr amoureux de la jeune femme qu'il a élevé. Pour Lon Chaney, c'est un rôle en or, qui lui permet de montrer toute la gamme de ses talents, dans les registres les plus sentimentaux: le père, l'amoureux transi, l'artiste frustré, et surtout, l'homme vieillissant: à cette époque (en témoignent des films comme Mr Wu, Tell it to the marines, ou les fragments de Thunder, voire le médiocre Where east is east), Chaney s'intéressait particulièrement au vieillissement de l'homme. C'est poignant, quand on pense qu'il n'avait que 45 ans durant le tournage de ce film, et qu'il n'avait plus que deux années au compteur... Et comme de juste, il va aller au bout de son interprétation, en utilisant le costume d'artiste qui pour lui fonctionnait le mieux pour installer son univers de contrastes intimes...
Loretta Young est merveilleuse, et on a du mal à croire, non seulement qu'elle n'avait que 14 ans, mais aussi qu'il s'agit de son premier film... L'histoire a retenu que l'actrice a beaucoup souffert de la direction de Brenon, qui était je le répète un excellent metteur en scène (Ce film en fait foi, tout comme son Peter Pan de 1924), mais aussi un salopard qui aimait se choisir une victime désignée... Jusqu'à ce que Lon Chaney s'en mêle, protégeant Young comme il l'avait fait pour Mary Philbin contre les injonctions délirantes de Rupert Julian en 1925.
Tout ceci, bien sûr, ne se voit pas dans le film, mais ce qui se voit, c'est la délicatesse avec laquelle Chaney, Young et Brenon ont réussi à rendre cette histoire triste de clown amoureux qui se sacrifie en sachant que son âge le condamne aussi bien pour ses sentiments que pour son métier, et la grandeur de Chaney est doublé d'une mise en scène impressionnante pour son sacrifice, qui est, comme souvent dans l'univers de Lon Chaney, particulièrement ouvragé...
Retrouvant le scénariste Hans Kräly, son complice des années Allemandes, et bien sûr l'immense acteur Emil Jannings avec lequel il a tourné maintes fois avant de venir en Californie, Ernst Lubitsch a signé avec The Patriot un film que beaucoup parmi ceux qui ont eu la chance de le voir estiment être un chef d'oeuvre. Dans un premier temps, c'est Dmitri Buchowetski qui devait réaliser le film, mais Lubitsch, qui entamait une collaboration plus que fructueuse avec la Paramount, a finalement été appelé à la rescousse...
L'intrigue concernait le Tsar Paul (Jannings), un monarque en bout de course, qui n'accordait sa confiance qu'à un seul homme, son ami le Comte Pahlen (Lewis Stone). Mais celui-ci, pris entre son affection pour son ami et la raison d'état, jugeant le roi fou et criminel, entreprend de le trahir dans les règles...
On a particulièrement dit du bien de la mise en scène de Lubitsch, qui avait été éloigné des grosses productions depuis Rosita, et s'est plu à jouer avec les ombres avec talent, et à adopter un jeu de caméra mobile. En témoignent aujourd'hui les seules trois minutes de la bande-annonce, seule trace du film avec les photos de plateau, qui nous promet un spectacle fabuleux, que nous ne verrons sans doute jamais plus... Pas plus qu'une copie intégrale de Die Flamme ou quoi que ce soit de Kiss me again...
On date généralement l'apparition du film de gangsters des débuts du parlant, et en particulier avec la sortie de Little Caesar, de Mervyn Le Roy, Scarface de Hawks, et The public enemy de William Wellman. On sait aussi que les premières représentations de la criminalité sont à chercher chez Griffith avec le superbe mais didactique The musketeers of Pig Alley, sorti en 1912, et chez Walsh dont Regeneration (1915) représente un peu la frange la plus naturaliste de ce type d'évocation. Mais à la fin des années 20, quelques film ont constitué un peu le chaînon manquant de cette évolution, en particulier deux films de Josef Von Sternberg dont un seul a survécu (Underworld, 1927, le film perdu étant The dragnet, 1928), et The racket de Lewis MIlestone...
Ce dernier est dû à deux compagnies, et deux hommes essentiellement: d'une part, c'est une production Caddo de Howard Hughes, dont les films étaient distribués par Paramount; ce n'est pas qu'un deal de distribution, puisque le film utilise une star du studio (dont, il est vrai, la compagnie ne savait plus quoi faire...), Thomas Meighan; d'autre part, on sait que la Paramount, justement, était le studio dans lequel Sternberg s'est senti si bien qu'il y a réalisé ses chefs d'oeuvre cités plus haut... Et si The racket est signé de Lewis Milestone, comment ignorer le fait que Hughes l'a produit, quand on sait à quel point l'ombrageux producteur s'impliquait?
Adapté d'une pièce à succès de Bartlett Cormack, The racket est non seulement une plongée dans l'univers nocturne du gangstérisme de 1928, c'est aussi une réflexion dure et narquoise sur les limites de la loi et sur le système qui a permis l'éclosion d'une criminalité hors normes aux Etats-Unis. Dès le début, le ton est donné par une séquence dans laquelle un homme, d'abord anonyme, manque de mourir dans un traquenard: alors qu'il marche dans la rue, la nuit, d'un côté à l'autre, depuis les fenêtres d'appartements, des hommes se font signe... Puis on lui tire dessus, mais on le rate. A ce moment, l'homme (Thomas Meighan) voit l'un de ses assaillants (Louis Wolheim) sortir de son immeuble, l'air satisfait. Ils parlent, comme si c'était de tout et de rien, de ce qui vient de se passer, et le deuxième homme conseille au premier de changer de "racket", un terme ambigu qui peut aussi bien vouloir dire activité, qu'activité criminelle. Les deux hommes se séparent, mais on ne sait pas qui est qui. Ces deux hommes sont-ils des gangsters, ou des policiers? Et si les deux tâches sont partagées, on est bien incapable de déterminer lequel des deux est du bon côté de la loi.
C'est tout l'univers de ce film exceptionnel, dans lequel le même homme, le capitaine McQuigg (Meighan) qui combat inlassablement le système politico-mafieux dont Nick Scarsi (Wolheim) est le maillon le plus voyant, s'attablera parfois avec les bandits à leur invitation. Et lors d'une scène magistrale, non seulement quand le policier s'assied aux côtés du bandit, il boit comme lui, sans sourciller alors qu'on est en pleine prohibition, mais en plus il suffit qu'il se rende aux toilettes pour qu'un crime ait lieu dans la salle de restaurant! Et Nick Scarsi est un habitué du poste de police, non seulement pour raisons professionnelles, mais aussi par savoir-vivre: il vient rendre visite à ses amis, en quelque sorte. Dans ce jeu du chat et de la souris, pourtant, les flambées de violence sont fréquentes, et toujours impressionnantes: Milestone était au sommet de son art, et Hughes savait qu'il pouvait lui demander ce qu'il voulait, le metteur en scène le lui donnerait sans faille.
On comprend a posteriori pourquoi le film a été censuré (en particulier à Chicago): il dépeint un monde dans lequel le crime et la loi semble pouvoir facilement se mélanger, et met le nez dans des affaires gênantes pour l'époque, sans se priver de dire que la politique participe au partage du gâteau. Mais derrière cet aspect fumant de reportage un peu crapuleux, c'est une merveilleuse confrontation qui nous est proposée, doublée du portrait de deux hommes surtout. L'un d'entre eux a su s'accommoder sans états d'âme de la situation qui lui permet une quasi impunité, et l'autre ronge son frein, en attendant le jour ou lui aussi tordra le cou à ses principes, et ce jour-là, clairement, Nick Scarsi passera un mauvais quart d'heure. La preuve dans le film.
Les deux acteurs Carl Schenström et Harald Madsen, respectivement un grand longiligne et un très petit râblé, étaient des stars au Danemark, de 1921 à 1942, soit jusqu'à la mort de Schenström. Mais cette célébrité ne s'arrêtait pas aux frontières, comme le prouve la liste de leurs surnoms: Fy en By en Scandinavie, Pat und Patachon en Allemagne, Long and short en Grande-Bretagne, et Doublepatte et Patachon en France; si le format de la plupart de leurs films, le plus souvent réalisés par Lau Lauritzen, reste le long métrage, ils ont souvent été considéré comme l'inspiration pour Laurel et Hardy, ce qui ne tient pas complètement debout, pour un certain nombre de raisons: leurs films n'ont jamais réellement percé aux etats-unis, même si certains y ont été projetés; Laurel et Hardy ont été "couplés" dans des films avant d'être un duo, et leur dynamique s'est créée toute seule, poussant le studio à répéter l'expérience; et enfin Roach a toujours mis ses acteurs en équipe, dès 1915: Lonesome Luke était aussi une équipe, avec Snub Pollard et Bebe Daniels autour de Harold Lloyd. Mais la présence physique inversée des deux acteurs, leur complémentarité, et le fait que de film en film, bien qu'il ne s'agisse jamais vraiment des mêmes personnages, ils aient peu ou prou maintenu le même rapport, pousse évidemment à la comparaison. Par contre, autour de Schenstrom et Madsen, le film leur échappait; ils étaient constamment une sorte de cerise sur le gâteau, au milieu d'une intrigue qui ne les concernait que peu, et vagabondaient de boulot en boulot, le grand menant le petit... Ils assistaient aux amours malheureuses de jeunes bellâtres pour des filles de bourgeois. Quelque fois, ils les aidaient. Dans certains films, Lauritzen a été ambitieux: Son Don Quichotte (1926) en particulier dépassait le cadre de la comédie, et imposait un jeu bien différent aux deux acteurs; la durée de 180 minutes en faisait un film autrement plus important que les aimables comédies de 90 minutes qui composaient l'essentiel du duo. Parfois, enfin, ils s'exportaient, et sous la direction d'un autre (Monty Banks, Gustav molander, Urban Gad, ou Hans Steinhoff par exemple), jouaient pour d'autres filmographies: Suède, Norvège, Allemagne, Grande-Bretagne, comme Asta Nielsen avant eux, le Danemark étant décidément un petit pays.
Pour terminer ce tour d'horizon, il convient d'ajouter que leurs films possédaient un air de famille, parfois obéissant à une formule, et qu'il y avait des passages obligés: il devaient se situer dans un environnement qui permette des belles prises de vue de la nature Danoise, il y avait des jolies filles, baigneuses en maillot, voire sans en certaines occasions. La vie des gens était celle du Danemark des années 20, un pays en apparence tranquille, sous les influences Scandinaves au nord, germaniques au sud, et empreint de ces deux cultures...
Schenström, contorsionniste, et Madsen, artiste de cirque aux multiples talents, sont d'abord une présence physique, enfantine. Quoi qu'ils fassent, ils ne peuvent qu'être visuellement ridicules, une exagération qui n'est pas forcément soulignée par les autres protagonistes. Ils vont ensemble, ce qui n'exclut pas qu'un scénario les fasse se rencontrer dans un film. Madsen est le plus lunaire des deux, avec sa cambrure exagérée à la Chaplin, et sa petite taille, sans oublier son air volontiers ahuri. Mais c'est aussi le plus bouillonnant, souvent celui par lequel le malheur arrive... Schentröm a beau jouer plus facilement l'adulte, il a des éléments enfantins lui aussi, une immaturité notamment sexuelle, qui passe par une timidité manifestée physiquement. Et l'un comme l'autre est amené parfois à s'impliquer corporellement, comme dans l'un des films ou ils se baignent effectivement dans une eau gelée...
Filmens Helte est l'un des meilleurs longs métrages du duo, d'ailleurs le plus vu ou revu, qui a fait l'objet d'une reprise en salle sous forme d'une compilation en 1979, et dix ans plus tard en France. Le film est amusant, montrant comment les deux héros sont amenés en catastrophe (le mot est très bien choisi) à remplacer au pied levé les deux jeunes premiers d'un film, tourné par un artiste autoritaire à la Stroheim. On assiste par ailleurs aux tribulations des jeunes premiers, qui ont quitté le plateau en raison d'un conflit avec le producteur, père de leurs fiancées. Tout finira bien: le film désastreux sera un succès, les jeunes acteurs seront réintégrés, et le producteur consentira aux mariages.
Voilà, c'est tout... sauf que tout ceci serait excellent, s'il n'y avait un détail embarrassant: les films conservés du duo ont été achetés par la chaîne Allemande ZDF, et remontés en épisodes de 25 minutes, narrés en Allemand. Y compris les films parlants, dont on a tout simplement fait sauter la bande-son originale. dans une opération digne de la boucherie effectuée par Chaplin sur The gold rush, certains des films sont à peu près cohérents et possèdent encore l'essentiel de leur métrage. Mais que penser du Don Quichotte réduit à deux épisodes de 25 minutes, à la place de 180 minutes? Ce film est heureusement disponible en streaming sur le site du Danske Film Institut, sans sous-titre toutefois:
Patsy? C'est d'une part un diminutif plausible pour le prénom Patricia, mais c'est aussi un terme qui désigne un bouc émissaire... Ca va donc doublement à Patricia, interprétée par Marion Davies. Elle est la petite dernière d'une famille de quatre personnes, à peine sortie de l'adolescence, où sa mère (Marie Dressler) et sa soeur Grace (Jane Winton) aimeraient la cantonner. Pas son père (Dell Henderson) toutefois: comme il le fait remarquer, il en a marre que sa fille cadette soit le souffre-douleur. Il n'est pas très bien loti non plus, car s'il a réussi à installer son cabinet de médecin et offrir une vie tranquille à son ménage, son épouse lui reproche avec insistance son manque de sophistication...
La mère et la fille aînée sont unies dans un but précis: faire en sorte que le chevalier servant de Grace, Tony (Orville Caldwell) devienne un jour son mari, quand il aura réussi à s'installer en tant qu'architecte. Mais il y a deux soucis: premièrement, si Grace a effectivement jeté son dévolu sur Tony, ça ne l'empêche pas de flirter et plus si affinités, notamment avec le très douteux fils à papa Bobby Caldwell (Lawrence Gray); deuxièmement, Tony met du temps à s'en rendre compte, mais Patricia est folle de lui, et ne rate aucune occasion de tenter sa chance... Les circonstances (Et son père, aussi) vont l'aider...
C'est un film de commande pour Vidor. Que Marion Davies souhaite travailler avec lui est peu étonnant compte tenu de la réputation du metteur en scène, mais ça veut dire que ce nouveau film est un peu loin des préoccupations du metteur en scène qui souhaitait poursuivre ses portraits de l'Amérique entamés avec le splendide The big parade en 1925, et poursuivi en 1927 avec The crowd... Cela étant dit, il adopte une façon de faire qui est la seule possible: Marion Davies étant la star incontournable du film, il met sa caméra dans ses pas, et permet à l'actrice de laisser libre cours à son talent comique corporel, et à sa fantaisie souvent excentrique, toujours singulière.
Et c'est justement ce qui fait le prix de ce film, basé sur une pièce qu'on devine bavarde, et dont les intertitres et le jeu des acteurs et actrices, reprennent parfois les répliques: pour un film muet, on sait que ce n'est jamais bon signe... Mais Vidor et Davies se sont prémunis, et c'est toujours le slapstick qui prime, en particulier dans la scène d'anthologie la plus célèbre: dans une machination compliquée (et qui n'aboutira d'ailleurs pas du tout au résultat escompté), Patricia s'est introduite chez le playboy Bobby afin de provoquer la jalousie de Tony. Elle souhaite qu'il tente des choses hardies avec elle mais il est saoul, et amorphe. Pour le réveiller, elle tente un pas de charleston, avec un visage impassible, puis va imiter trois actrices dont les portraits sont accrochés aux murs: une scène, à n'en pas douter, qui n'était pas dans la pièce! Et c'est ainsi que Marion Davies imite d'abord Mae Murray (Elle-même une star MGM), dans un portrait pas très gentil, puis Lillian Gish dont elle donne en 2 minutes un florilège, brassant les rôles de l'immense actrice: La bohême, Broken Blossoms, The White sister et The scarlet letter, tout y passe... Enfin, c'est au tour de Pola Negri, la plus limitée des trois caricatures... On pourrait aussi citer les scènes durant laquelle Patricia se fait passer pour folle, qui d'ailleurs nous renvoient à plusieurs films Roach avec Charley Chase.
C'est là qu'on voit ce que William Randolph Hearst n'aimait pas qu'on rappelle: Davies était une actrice physique, qui n'avait aucun tabou sur son visage (pas d'angle de prise de vues prioritaire chez elle contrairement à tant de cabotins), ni sur la façon, toujours énergique, dont elle jouait ses rôles. De plus, elle est ici secondée et complétée par deux immenses acteurs de slapstick, parfaitement géniaux l'un et l'autre: Marie Dressler et surtout Dell Henderson. Avant Show people, Vidor savait bien en tout cas comment diriger sa star, et si on admet que le film n'est le meilleur ni de l'un, ni de l'autre, il reste un plaisir constant, et un rappel de l'importance d'une grande actrice, une vraie.
Dans les années 20 comme dans le reste de sa carrière, Pabst est un cinéaste particulièrement versatile, qui a tourné un film sombre sur les décombres de l'expressionnisme (Der Schatz, 1923), une oeuvre sociale de toute première importance qui dresse un état des lieux effrayant de l'Allemagne au début des années 20 (Die freudlose Gasse, 1925), une étude de moeurs étrange autour de la psychanalyse (Geheimnisse einer Seele, 1926), un drame bourgeois de la plus haute ironie (Abwege, 1928)... L'un de ses plus étonnants faits d'armes est probablement son film Die Liebe der Jeanne Ney de 1927: il y mêle une intrigue qui fait intervenir le sentiment révolutionnaire, et un style qui doit beaucoup au cinéma Soviétique. Homme de gauche, mais modéré, il professe volontiers dans son cinéma une sympathie pour la transgression et l'acte révolutionnaire. C'est à ce titre qu'il va réaliser avec ce film-somme une oeuvre complexe, en s'inspirant du théâtre de Franz Wedekind... qu'il va trahir très rapidement: la Lulu de Pabst est SA Lulu, du moins la sienne telle qu'elle a été façonnée par le metteur en scène en collaboration - à son corps défendant - avec Louise Brooks...
Sorti en janvier 1929, ce film possède un statut paradoxal: l'impression est celle d'un immense classique, dont on imagine qu'il peut résumer à lui seul tout le cinéma Européen de cette fin du muet; et beaucoup doivent imaginer que son actrice principale Louise Brooks était une superstar. La vérité est bien différente... Le succès, d'abord: Loulou (Le titre du film en France) n'a pas fait tant de vagues, ni en Allemagne ni en France: déjà, tous les yeux étaient tournés ailleurs, vers le parlant, dont les premiers films Américains commençaient à s'exporter. Et pour cette raison, justement, les Etats-Unis n'ont pas succombé non plus... Ce qui est ironique, sachant que Pabst et la Nero-Films avaient fait le calcul qu'en engageant une actrice Américaine, ils provoqueraient nécessairement un intérêt pour la sortie du film! Mais voilà, Louise Brooks, clairement, n'a jamais été une star aux Etats-Unis, pas plus qu'elle n'a vraiment eu le temps de s'imposer comme une actrice d'importance. C'est d'ailleurs ce film et le film suivant de Pabst avec Louise Brooks, repris, défendus avec passion par Henri Langlois et les futurs cinéphiles, qui créeront le mythe de l'actrice.
Lulu (Louise Brooks) vit à Berlin, dans un appartement qu'elle doit à un généreux bienfaiteur, le Dr Schon (Fritz Kortner), éminent rédacteur en chef d'une publication en vogue. Elle attire autour d'elle une faune assez bigarrée: un vieil homme, Schigolch (Carl Goetz), autour duquel le mystère plane (Et ne sera d'ailleurs jamais résolu), la comtesse Geschwitz (Alice Roberts), une femme totalement acquise à son amie Lulu, Alwa Schon (Franz Lederer), le fils, qui rêve éveillé toute la journée en effectuant des designs de costumes pour les revues que le Dr Schon finance sans compter autour de sa protégée, ou encore Rodrigo Quast (Krafft-Rashig), un athlète de foire qui souhaite faire un numéro en compagnie de la jeune femme... Le Dr Schon, pourtant, s'apprête à prendre du champ: il est sur le point de faire un mariage de prestige avec la belle Charlotte Marie Adelaide von Zarnikow (Daisy d'Ora). Mais pendant une représentation de la revue de Lulu, il est surpris par sa fiancée dans les bras de sa maîtresse. Il va donc se marier, oui, mais avec Lulu. Mais Schon, qui supporte de moins en moins la présence de la "cour" de sa femme, comprend le jour des noces qu'il ne parviendra jamais à la garder pour lui et pour lui seul. En essayant de la tuer, il se tire dessus, et le procès qui s'ensuit n'est pour Lulu que le début d'une série particulièrement longue d'ennuis, tous toujours plus grave que le précédent... Qui l'emmèneront rencontrer son destin (Gustav Diessl) à Londres, dans le quartier de Whitechapel.
Lulu est une femme insaisissable, et pour qu'on en soit convaincu, le metteur en scène et sa star ont pris le parti de ne pas lui donner un point de vue dans le film. On a toujours, brièvement, le point de vue d'un autre; le plus souvent ce seront les hommes, tous avec leur manque (Aucun n'est satisfaisant, j'y reviendrai), mais parfois ce sera quelqu'un qui ne rate aucun des faits et gestes de l'héroïne, la comtesse Geschwitz: une femme, oui, mais amoureuse de Lulu, jusqu'au sacrifice. Totalement libérée, Lulu, de son côté, ne s'attache jamais à un homme. Si elle veut Schon pour elle, il lui semble absurde de lui demander à cet effet de cesser de s'entourer de ses amis. Avec des zones d'ombre: quel est donc le rapport de Lulu à Schigolch, l'un des deux hommes qui ira avec elle jusqu'au bout du voyage? Un Pygmalion? Mais dans ce cas, il est bien miteux... Un souteneur? Il en a les méthodes, en fait. Elle l'écoute beaucoup, mais en fait surtout à sa tête, et le traite comme un membre de sa famille. Elle l'appelle dans une scène son "père", mais c'est sans doute pour le protéger de la furie de Schon... Par ailleurs, Alwa Schon est souvent montré, en compagnie de Geschwitz, préparant des costumes, et semble avoir donné sa bénédiction au mariage de son père avec Lulu; il se l'est choisie comme mère, et le seul rapport physique qu'il ait avec elle dans le cadre du film est une sorte de recherche de consolation auprès de la jeune femme. A aucun moment il ne s'affirme comme un amant, et tout ce qu'il entreprend (Notamment la métaphore du jeu) est marqué par l'impuissance...
Je le disais, tous ces hommes (et cette femme) qui désirent Lulu ont un manque. Rodrigo est pour sa part obsédé par la puissance: il souhaite faire de Lulu une partenaire car elle mettra sa force en valeur. Et il est prêt au chantage contre elle, au pire moment. Geschwitz, la plus inconditionnellement amoureuse, manque de reconnaissance. Lulu ignore, ou feint d'ignorer son amour, et quand il faut fuir, tant pis pour la comtesse! Schigolch est trop vieux, Alwa marqué par l'impotence et le Dr Schon jaloux, et corrompu par ses rêves d'élévation sociale... Le seul homme avec lequel on verra le processus de séduction de Lulu, quant à lui, sera un serial killer...
Die Büchse der Pandora, c'est la boîte de Pandore, cet objet mythologique qu'il ne faut pas ouvrir, si on veut éviter d'ouvrir la voie au mal sous toutes ses formes. Mais Lulu n'est pas le mal: c'est pourtant ce que croit la société incarnée par tous ces hommes, ces juges, policiers et bourgeois, ou ces profiteurs, consommateurs de chair fraîche qui en veulent à celle qui les attire parce qu'elle représente la sexualité débridée, mais dont ils voudraient couper les ailes parce qu'ils veulent la garder sous contrôle... Le film se pose en réalité en une métaphore de la fin programmée de la république de Weimar, une période que décidément Pabst (Die freudlose Gasse, Geheimnisse einer Seele, Das Tagebuch einer Verlornen) aura beaucoup montré, avec ses petites révolutions, notamment autour de la sexualité, mais aussi ses grosses frustrations: montée des périls, réaction de la censure, retour aussi du refoulé typiquement Allemand...
Lulu, qui aime sans conditions, et dont on dit (C'est Geschwitz, mais peut-être en rajoute-t-elle...) qu'elle a un passé, semble au contraire ne pas avoir d'histoire. Des sentiments? Oui, elle en a, mais elle n'en fait pas tout un plat. Elle semble réduite à sa séduction, son insouciance (Notons qu'elle change physiquement dans le film lorsqu'elle perd cette insouciance, et ça correspond généralement aux moments où elle perd pied), et c'est ce qui explique à la fois le fait qu'elle soit irrésistible, et... les ennuis à rallonge qu'elle en retire. Car dans ce film, c'est toute une société d'hommes qui se dresse contre elle à peine défendue par sa bande de bras-cassés: symbolique, gorgé de symboles, le film est un conte du début à la fin!
Un conte absolument admirable par la sûreté de sa mise en scène. Pabst retrouve sa palette de La rue sans joie: des intérieurs pour la plupart des scènes, marquées par une omniprésence de la nuit. Le film, réalisé pour le compte de Nero-Films de Seymour Nebenzal, se distingue à la fois des grandes oeuvres réalisées en grande pompe de la UFA, mais aussi des films "sociaux" qui prennent de plus en plus de place, ceux de Gerhard Lamprechet, par exemple, et qui sont notables pour leur réalisme. Ici, Pabst montre son talent formidable de conteur et d'illusionniste... Il consacre une bobine virtuose à rester dans les coulisses du spectacle monté autour de Lulu, sans jamais montrer le point de vue du spectateur; il place une séquence de suspense dans le train, et une autre sur un bateau-casino clandestin, qui en remontreraient respectivement à Hitchcock et à Sternberg en matière d'atmosphère. On peut peut-être lui reprocher de trop ralentir sur le dernier acte situé à Londres, mais la façon dont nous disons adieu à Lulu est au moins assez délicate...
Quant à Louise Brooks, c'est peu de dire qu'elle a beau n'être qu'un accident de l'histoire (une actrice que personne n'a envie d'engager, et qui trouve soudain un rôle à l'autre bout du monde, pour un metteur en scène qui l'a repérée dans un film, plus pour ses promesses que pour son jeu), elle irradie l'écran. Comme Greta Garbo, il n'y a pas de mauvais angle pour capter son visage. mais plus que l'actrice suédoise, Brooks peut jouer avec son corps tout entier, sans nécessairement compter sur les accessoires. Et Pabst, qui n'est pas un ange, l'aide admirablement, en lui laissant dicter le tempo ici ou là, et en utilisant toutes les ressources possibles et imaginables pour extraire d'elle les émotions nécessaires. Brooks a souvent raconté les dommages terribles que le réalisateur a parfois fait subir à ses robes personnelles afin de manipuler ses émotions, on verra dans le film aussi combien Pabst a su compter sur les sentiments de détestation pure ressentis par Kortner à l'égard de la jeune femme, pour le pousser à la brutaliser! Par contre, Pabst a encouragé l'actrice a utiliser son attirance pour Gustav Diessl qui interprète son dernier amant. Ce n'est donc pas un tournage de tout repos, mais le résultat, pris dans sa globalité, fascine, en même temps qu'il tourmente. Car il est impossible, dans ce film qui ne nous en donne jamais l'occasion, de sélectionner vraiment un point de vue... Pas même celui de son héroïne.
Comme Wings avait été réalisé par un Wellman motivé, et seul maître à bord, en réaction contre tout ce qui lui avait été confié auparavant, Beggars of life prend par bien des côtés le contre-pied de son film de 1927 qui allait d'ailleurs obtenir l'Oscar du meilleur film... Mais tout en allant sur bien des points à l'opposé de sa superproduction épique, Beggars of life est du pur Wellman, un grand film dont le metteur en scène avouait plus tard qu'il le considérait comme son muet préféré... Sorti en 1928, il était partiellement parlant (Il devait sans doute présenter une ou deux scènes de dialogue), mais seules des copies muettes ont survécu.
Jim (Richard Arlen), un vagabond, marche dans la campagne, entre deux trains. Son but: rejoindre le Canada, pour entamer une nouvelle vie... Mais à court terme, son but serait plutôt de manger un petit déjeuner. Et en passant devant une modeste maison, il voit un homme immobile et attablé: su la table, un petit déjeuner encore fumant. Il frappe, mais l'homme ne répond pas. Il entre, toujours rien: l'homme est mort, et celle qui l'a tué fait soudain du bruit: c'est Nancy (Louise Brooks), une jeune femme qui a abattu son "père adoptif", en vérité un vieux cochon, et elle se prépare à s'enfuir, déguisée en homme. Les deux décident de faire un bout de chemin ensemble...
Les affiches du film mettaient clairement en vedette un troisième acteur, Wallace Beery, qui joue le rôle d' Oklahoma Red, un autre vagabond, influent et respecté. Il va disputer Nancy à Jim, avant de se rendre à l'évidence: ces deux-là s'aiment, autant les protéger... En attendant, la route est semée d'embûches: les trains sur lesquels on trouve parfois refuge, les autres "voyageurs" qui ne sont pas toujours commodes, et la police qui ne tarde pas à savoir que la jeune meurtrière qu'ils cherchent s'est déguisée en jeune homme...
Le film est une plongée sans trop de concessions (si on excepte le sentimentalisme pur jus de l'intrigue amoureuse, d'ailleurs soulignée par une autre complicité fascinante, entre un homme malade et un vagabond noir qui est à 100% à son service) dans le monde de "la route", celle d'avant la Crise de 1929, celle des miséreux et des aventuriers déchus qui tentent à leur façon de participer au rêve Américain; un monde dans lequel la police, les gens qui possèdent, les braves gens, sont des ennemis... Wellman, sans faire trop d'effets, nous trimbale à la suite de ses "hoboes", et son sens du rythme, son sens de la composition, son montage et une caméra austère mais sûre d'elle-même, nous donne à voir un film qui est certes austère, mais totalement prenant. Sa direction d'acteurs ne souffre d'aucune faille dans ce film: Arlen, tout en retenue, force juste ce qu'il fait sa fragilité sombre; Wallace Beery est sans doute à son meilleur, même si c'est sans doute à lui qu'incombe le rôle le plus galvaudé avec son vagabond au grand coeur.
Enfin Louise Brooks (Qui sera critiquée pour un rôle qui "ne met pas en valeur sa plastique", les gens sont parfois vraiment des goujats) est formidable en très jeune femme qui ne sait pas exactement ce qu'elle veut, mais qui sait bien ce qu'elle ne veut pas. Et cette féminité que des critiques stupides ont cherché en vain, est précisément l'un des enjeux du film, qui va offrir à son personnage une renaissance par la route... Ce film dans lequel les gens marchent du début à la fin, ou sautent sur les trains, est un compagnon (de route) d'autres errances, d'autres films de Wellman qui nous intéressent aux à-côtés de cette belle démocratie parfois ingrate: Safe in hell, Wild boys of the road, Heroes for sale, The star Witness, Call of the wild, ou encore Westward the women...