Lorsque la nuit vient et le gardien a le dos tourné, les jouets d'un grand magasin s'animent et font la fête au son de la chanson qui ouvre le film Gold diggers of 1933 de Mervyn Le Roy. C'est charmant, mignon tout plein, et assez proche de Disney, comme toujours avec ce duo fort raisonnable de réalisateurs de dessin animé à la longue carrière jalonnée de films souvent assez pâles quand on les compare à la folie furieuse de certains animateurs que nous n'avons pas besoin de nommer...
Mais ici, ce court métrage totalement musical est l'une des premières contributions, à la Warner, du futur réalisateur Isadore "Friz" Freleng, qui commence ici un flirt de plusieurs décennies avec l'illustration musicale, un exercice pas facile auquel il allait vite exceller...
A vrai dire, je ne sais pas trop qui est Bernard Brown, obscur contributeur au cinéma des années glorieuses, et dont aucune filmographie ne mentionne sa "supervision" de ce film, comme on disait alors. Il est certainement plus sage de le créditer aux animateurs Jack King et Bob Clampett. Le deuxième était tout jeunot à cette époque, mais on retrouve son absence totale d'inhibition et sa tendance au grand n'importe quoi sans limite. Le premier était déjà un vétéran de l'animation qui avait travaillé avec Ub Iwerks chez Disney...
Quant à la chanson, elle est le prétexte: les Merrie Melodies reprenaient toujours des chansons des films WB, cette fois c'est un classique tiré de Gold Diggers of 1933 (La chanson des ombres chinoises, si vous connaissez le film vous saurez de quoi je parle...) qui sert de base. Le cartoon fait quelques efforts pour faire allusion au film avant que le grand n'importe quoi ne s'installe...
Quelques années avant l'arrivée de Tex Avery, la Warner possédait déjà dans son studio de dessin animé, dirigé vaguement par Leon Schlesinger, quelques individualités singulières... Parmi eux, jack King, qui a été le principal animateur de ce court métrage dont la tâche est simple: offrir autant de variations que possible autour de la chanson I've got to sing a torch song, tirée du grand succès du studio, Gold diggers of 1933.
Tom Palmer se lâche donc dans un film indescriptible, qui passe allègrement d'une idée à l'autre, en alternant Big Crosby dans son bain avec un couplet chanté ensemble par... Mae West, Greta Garbo et Zasu Pitts. L'une d'entre elles a même l'incroyable privilège de dire à la fin "That's all, folks"... A un autre endroit, des caricatures de James Cagney et Joan Blondell inversent les rôles de Public Enemy.
On retrouve ici l'esprit des Merrie Melodies, qui sont définitivement une version adulte de la série Disney Silly Symphonies... Et le talent de King (transfuge de chez Disney) lui rapportera de devenir le principal pourvoyeur de courts métrages de chez Mickey Mouse à partir de 1937 en revenant au bercail...
Quand le chat n'est pas là... Les souris de la maison d'un vieillard acariâtre ont bien remarqué que le chat du foyer n'est pas tellement dans les bonnes grâces du propriétaire des lieux. Elles organisent une pillage-party dans les réserves, jusqu'à l'arrivée de l'animal. Mais le maître qui voit ce dernier au milieu d'un parterre de denrées, se trompe et expulse son chat: les souris sont désormais libres de se servir, et ne s'en privent pas...
Aucun nom de réalisateur n'est mentionné sur les copies du film actuellement en circulation, mais il est impossible de se tromper. Quand il a commencé à réaliser, en concurrence avec Friz Freleng, des courts métrages de la série des Merrie Melodies, Avery a très vite pris le parti de tout faire pour échapper à la mièvrerie, et cette tendance passait par un recours systématique au détail qui tue, et une formidable dynamique de ses personnages. Ici, c'est bien simple, dès que les souris entrent en piste, c'est la fête!
Par bien des côtés, ce court métrage prolonge et complète le fameux Snow white des Frères Fleischer, avec Betty Boop, sans pour autant pouvoir rivaliser avec lui: Betty Boop y est presque une invitée, comme dans l'autre film, et son allure lui vaut d'être repérée et courtisée (pour rester poli, mais on entre dans un territoire toujours aussi libidineux) par le "vieil homme de la montagne" du titre, et bien sûr, il y a de la musique...
Mais justement: la musique, comme pour l'autre film, est confiée à Cab Calloway et ses hommes, grâce au fructueux contrat qui lie la Paramount et Irving Mills, le manager du musicien (et de Duke Ellington, qui apparaîtra à cette époque dans un film délirant de Mitchell Leisen): et cette fois, le film commence par nous montrer l'orchestre et le leader, pas un hommage léger quand on considère la condition raciale encore compliquée à l'époque! Sinon, le vieil homme de la montagne succède au personnage de Koko le clown blanc pour recevoir la voix du chanteur, qui se lance avec Betty Boop dans un hi-de-ho d'anthologie...
Alors que la méchante Reine se contemple dans le miroir (et on se demande bien pourquoi), et réclame constamment l'assurance de sa beauté, sa belle fille arrive, et le miroir change d'avis: c'est Betty Boop. La marâtre décide donc de se débarrasser d'elle...
C'est peut-être le chef d'oeuvre des productions Fleischer, toutes tendances et toutes séries confondues, et en pleine période pré-code, c'est un film furieusement en avance sur tous les autres studios d'animation! Le principal maître d'oeuvre n'est pas le metteur en scène Dave Fleischer, mais l'animateur Roland Crandall qui a quasiment assumé l'animation du film en solo.
On ne peut pas dire que l'intrigue soit autre chose qu'un prétexte, préfigurant les dérapages incontrôlables de Bob Clampett de quatre bonnes années. C'est extravagant en diable, et le contrat qui unissait la Paramount, les Flesicher et Cab Calloway nous gratifie d'une hallucinante version de St James Infirmary, durant laquelle Cab double Koko le clown, devenu par la grâce du miroir magique un fantomatique pantin... une vue susceptible de nous hanter longtemps.
Tout commence par une idée simple, qu'on peut considérer comme une uchronie: la comète qui est supposée avoir tué les dinosaures (à moins que ce ne soit un événement météorologique) serait passée à côté de la terre, et donc notre planète a un visage bien différent de celui que nous connaissons: les dinosaures ont continué à vivre et prospérer...
Des dinosaures doués de paroles et même civilisés, on craint immédiatement le retour au film Dinosaur des ateliers de confection Disney (moi gentil iguanodon, toi méchant carnataure) et heureusement il n'en est rien: le bon goût de Pixar reste intact dans ce qui reste pourtant l'un de leurs plus grands flops.
Pourquoi un flop? Certains accusent un script qui ne serait pas à la hauteur, et c'est vrai que l'équilibre habituellement facilement atteint entre leçons de vie à la Disney (tu seras un dinosaure courageux, mon fils), pathos (le papa qui disparaît, en d'autre temps c'est la maman de Bambi qui symbolisait le passage à la vie adulte), humour gentiment idiot (les fruits hallucinogènes) et merveille visuelle (ces décors!!) est ici largement handicapé par le premier de ces ingrédients, qui admettons-le est toujours le pire...
Peut-être le fait qu'il y ait eu des problèmes durant le travail sur le long métrage, avec changement de réalisateur et de direction, est-il une indication d'un projet mal parti dès le départ. C'est, à l'arrivée, définitivement un poids léger dans l'histoire du studio.
Mais cette histoire d'un petit apatosaure inadapté qui réussit à affronter la vie grâce à un petit humain (les humains sont des bestioles qui vivent dans l'ombre des dinos, et donc ils ne parlent pas) est un charmant film... pour les petits, et sans doute un peu moins pour les grands. Reste un étonnant et finalement assez logique arrière-plan de western, une rencontre avec un stégosaure névrosé, et une chevauchée de T-Rex (et d'un apatosaure) au milieu de vaches-bisons: ne boudons pas trop notre plaisir...
Le dernier film de Tex Avery pour la MGM nous raconte l'épopée lamentable d'un prisonnier (le chien Spike, doté une fois de plus d'un accent Irlandais) qi s'évade... Ou du moins essaie. Passons sur le graphisme infect, et concentrons-nous sur la situation: une fois établie la situation, une fois le chien coincé dans un appareil de télévision qui échoue chez le directeur de la prison, nous avons droit à quelques gags enlevés lorsque Spike rejoue toutes les émissions que souhaite voir le spectateur qui n'a pas remarqué qu'il est en fait prisonnier à l'intérieur du poste!
...Mais justement, c'est paradoxal, pour Avery, de finir son contrat de forçat du dessin animé par cette histoire de télévision. D'une certaine manière, c'est ce nouveau média, qu'il ne rate jamais une occasion de torpiller, qui va lui donner une nouvelle chance face à la postérité...
Cette entrée tardive à la saga de l'étrange chien sans émotion est sans doute l'un des derniers grands films d'un héros qui finissait par ne plus avoir suffisamment de substance... Torador, Droopy "de Guadalupe" est opposé à un loup flamboyant pour combattre un taureau dans l'arène, avec comme enjeu la compagnie d'une starlette...
C'est un excellent cru, à l'ancienne, et comme dans certains films la puissance impressionnante de Droopy ne se révèle que tardivement, quand on le provoque: en attendant, nous assistons à un ballet loufoque entre un loup un peu trop sûr de lui et un taureau qui a de la ressource, et c'est décidément très drôle...
Un couple d'avions va avoir un petit, ce qui tempère sérieusement la déprime du père, un bombardier B-29 qui ne trouve pas à se caser puisque tout le monde ne jure que par les jets... mais quand le petit Johnny naît, c'est un jet, pour le plus grand désespoir du père: celui-ci prend une décision drastique, celle de participer à une course pour montrer de quel bois il se chauffe... Le petit participe à son insu, en tant que passager...
C'est désarmant, en fait: je n'aime pas, mais alors pas du tout les films d'animation qui montrent des véhicules humanisés (Cars, de Pixar, par exemple, pour lequel j'ai une totale aversion), mais ce film m'a surpris: pour commencer, l'animation en est assez traditionnelle, assez ronde, et c'est esthétiquement réussi. Et si l'histoire n'est qu'une reprise du principe de One cab's family avec des avions, il y a un pur moment de grâce, qui dure une minute et quelques: la course autour du monde du B-29 propulsé par... son Jet de fils! Un moment durant lequel Avery nous ravit en exposant, l'une après l'autre, des idées simplissimes basées sur des sites célèbres, que visite les deux avions, et avec lesquels ils vont interagir.
...Ces quelques secondes de bonheur suffisent au mien.