
Le roman de Dumas était dans l'air, en 1921: d'une part parce que Douglas Fairbanks, dont l'amitié avec le réalisateur Allan Dwan, lui aussi mordu des histoires de mousquetaires, avait sans soute soufflé sur les braises de son attirance pour ces aventures, souhaitait désormais en faire son prochain grand projet après la réussite de son Zorro. Ensuite parce qu'en France, où on accueillait justement l'acteur, on se voyait bien lui fournir des décors irréprochables... C'est ainsi que, si l'on en croit du moins les écrits d'Henri Diamant-Berger, l'acteur s'était un temps laissé aller à imaginer une collaboration entre sa structure abritée par United Artists, et une compagnie Française qui serait dirigée par Diamant-Berger. Celui-ci se rêvait producteur, et voyait comme un trophée le fait de travailler avec Doug Fairbanks.
La rupture entre Diamant-Berger et l'acteur est venue de l'impossibilité pour l'un comme l'autre de voir les avantages proposés par l'autre camp: un raccourci pratique, et un support logistique pour Fairbanks qui se voyait interpréter D'Artagnan sur un film de deux heures, tourné à Hollywood, et une sorte de soumission au roman pour Diamant-Berger qui souhaitait que le film se tourne en France, et qu'il contienne absolument toutes les péripéties imaginées par Dumas. Surtout, Diamant-Berger considérait comme une trahison que le film voulu par Fairbanks s'arrête sur le bal des Echevins, et la restitution des ferrets à la Reine par D'Artagnan. La séparation, c'est un fait peu banal, nous aura permis d'avoir justement la même année deux films, et quoi qu'on pense de l'un ou de l'autre, deux films majeurs... A juger sur pièces, donc...
Juger sur pièces? C'est là que le bât blesse. Si le film finalement réalisé par Fred Niblo aux Etats-Unis est aujourd'hui parfaitement disponible, et en fort bon état, il n'en est pas de même hélas de la version de Henri Diamant-Berger. Celui-ci, qui après avoir cherché en vain un metteur en scène, avait fini par se persuader qu'il aurait le métier, l'énergie et l'enthousiasme de faire le travail lui-même. Il a donc lancé sa production avec tout le dynamisme de ses 27 ans, et a assemblé un casting, une équipe technique, et lancé des recherches pour trouver les lieux parfaits pour tourner. Parmi les gens consultés, on compte quand même (là encore, s'il faut croire les souvenirs de Diamant-Berger) Edouard Herriot... Le format choisi était celui qui avait encore un vif succès depuis les années 10: le film à épisodes. Pour rendre justice à Dumas, Diamant-Berger voyait donc douze épisodes. Le film en son entier totalisait selon le metteur en scène douze heures, mais j'ai des doutes en raison de la version qui est aujourd'hui disponible: présentée comme intégrale, mais privée de ses intertitres, elle compte six heures.
Donc, si le metteur en scène, pas avare de vanter ses propres mérites, considérait le film comme un chef d'oeuvre, le fait est qu'on en est loin (à moins qu'il s'agisse de son chef d'oeuvre, auquel cas c'est tout à fait envisageable, hum...): Diamant-Berger, de son propre aveu, n'était pas aguerri à un tel tournage, et le choix déterminant de tout prendre ou presque du roman, conditionnait le film à posséder de nombreux moments de redondance, assez insupportables. Pire: une tendance de privilégier l'action au loin, fait qu'aujourd'hui on est parfois au courant de ce qui se passe sur l'écran grâce à la voix off, on imagine que les intertitres devaient auparavant faire tout le travail! Des choix sont pénibles: on a droit à des scènes d'intérieur, détaillées jusqu'à l'extrême, quand le siège de La Rochelle est traité à travers une ou deux escarmouches!
Des beautés malgré tout sont à trouver dans le film: le choix des décors, confiés par Diamant-Berger à Mallet-Stevens, l'excellence des costumes, et la noirceur de plus en plus affichée de la deuxième partie du film (celle qui se recentre sur les méfaits de Milady), avec des scènes d'une véritable grandeur: la mort de Constance, avec un suspense rare dans le film, est un beau moment; tout comme la capture de Milady, et je pense que le sommet du film est justement le jugement et l'accomplissement du destin de cette dernière. Ajoutons que s'il était un metteur en scène pas convaincant, au moins Diamant-Berger avait-il un certain flair pour son interprétation: s'il n'est pas Douglas Fairbanks, au moins Aimé Simon-Girard a la jeunesse, l'impétuosité et le dynamisme de D'Artagnan, et il fait ses cascades lui même. Le reste des mousquetaires est dominé par Henri Rollan en Athos; le plus amer des Mousquetaires ne sera, à mon avis, mieux joué que par Van Heflin dans le film de George Sidney en 1948. Edouard De Max, tragédien de luxe, prête une prestance qui sied à Richelieu, accompagné d'un Charles Dullin parfait en père Joseph. Si Pierrette Madd est un peu fade en Constance, au moins sa rivale Milady bénéficie de la présence incontournable de Claude Merelle...
Impossible aujourd'hui de voir le film autrement que de la façon dont la famille Diamant-Berger l'a voulu: dans une série de décisions que j'ai le regret de considérer comme malencontreuses, ils l'ont adapté pour un format télévisuel: redécoupé en 14 épisodes de 26 minutes (générique et résumé compris), tous les intertitres supprimés, et remplacés pour les dialogues par des sous-titres, et pour les explications narratives par la voix envahissante et pleine de second degré de Patrick Préjean. Je désapprouve, mais si on veut voir le film, il faut en passer par cette version...
Le film a eu un énorme succès, tant mieux. Il est suffisamment différent de celui de Niblo pour justifier de les voir tous les deux, mais si vous me demandez ma préférence, je n'ai aucun mal à vous dire qu'elle va au film Américain! Diamant-Berger pour sa part ne s'en tiendra pas là puisqu'il réalisera dans la foulée une adaptation de Vingt ans après, la suite, au même format à épisodes... Dont aucun, hélas, n'a survécu. Puis il allait récidiver en donnant un remake de son film initial, en 1932, en deux épisodes, dont les extraits parfois vus ça et là m'ont donné furieusement envie... de ne pas le voir.






















