Ce film, situé dans la filmographie combinée de Lauritzen, Schenstrom et Madsen après Don Quichotte (exactement deux films après), semble partir du principe de tout compliquer: après avoir réalisé un gros film, adapté d'un classique de la littérature, et en Espagne par-dessus le marché, Lauritzen ne pouvait sans doute pas se permettre de se contenter d'une petite comédie domestique... Et c'est là que le bât blesse. Car trop de complication, ça vous flingue un film. Et celui-ci devient assez vite du grand n'importe quoi...
le premier tiers est du très classique: un jeune homme et une jeune femme s'aiment; elle est pensionnaire d'une institution pour jeunes filles comme il faut, et lui est riche: autant dire qu'il est prêt à tous les caprices pour être avec elle. Les premières séquences le voient s'introduire dans l'école, et la surveillante passe semble-t-il son temps à le repérer. Un moment, elle découvre Schenstrom et Madsen qui ont trouvé refuge dans le jardin. Pour les remercier de leur diversion, il les "engage" dans un stratagème qui va vite prendre l'eau: il se font passer tous les trois pour l'équipage d'un yacht qui appartient à la famille du jeune homme (quand je vous le disais) et proposent à l'institution scolaire un voyage pour les jeunes femmes, tous frais payés...
Ce qui aurait fait un sujet suffisant pour une comédie. Mais ce n'est que le prologue! Dans le reste, la jeune femme (au fait, nous la reconnaissons assez facilement, c'est Karin Nellemose, et elle a tourné chez Dreyer deux années auparavant dans Du skal aere din Hustru, Le maître du logis en français) est "invitée" chez des amis de sa famille pour participer à des expériences mystiques, au lieu même (une sorte d'usine ultra-secrète) où les deux "héros" sont séquestrés pour y mener des expériences étranges. Le titre, qui signifie "Pierres-Tonnerre", renvoie justement à de mystérieux explosifs qui sont expérimentés dans le film.
Si vous tenez jusque là... Voilà, pour résumer, un film de vacances qui a bien mal tourné, et qui tend à montrer les limites de la petite entreprise de comédie de Lau Lauritzen.
Adapter la pièce Rain, elle même dérivée d'une nouvelle de W. Somerset Maugham, était un défi à la censure: en 1926, Lillian Gish avait réussi à faire en sorte que la MGM, sous la houlette d'Irving Thalberg, se lance dans une version d'un roman pourtant classique, The scarlet letter, de Nathaniel Hawthorne. Il avait fallu batailler, et c'est avec toute la ténacité qui la caractérisait que l'actrice avait finalement obtenu gain de cause: The scarlet letter parlait d'un adultère, vécu et assumé comme un amour. Sadie Thompson de son coté allait irriter les ligues de décence en présentant le couple habituel de la jeune femme "perdue" et du réformateur religieux, mais en donnant un point de vue inédit.
Le film a pu se faire, sans doute d'une part parce que par rapport à la pièce initiale, des modifications ont été acceptées... ensuite parce que le système de censure des studios Américains, chapeauté par un fantoche, n'était peut-être pas si drastique. Sadie Thompson est une jeune femme qui vient de San Francisco pour travailler dans une île des mers du Sud; elle est assez clairement venue des bas-quartiers, porte des tenues vulgaires, et semble éprise de sa propre liberté. Elle débarque pour une escale sur une autre île en même temps que deux couples, les Horn, de paisibles touristes tolérants et compréhensifs, et les Davidson, un pasteur rigoureux et sa femme, tous deux obsédés par le péché au point d'en faire de salaces cauchemars. Bien sur, Sadie est empêchée de se rendre à sa destination, le bateau devant l'emporter étant mis en quarantaine. Elle doit donc attendre son départ en cohabitant avec le pasteur qui ne tarde pas à l'accabler de tous les maux du monde. Elle trouve un certain réconfort auprès des soldats de la base Américaine proche, en particulier le sergent O'Hara, en qui elle trouve vite l'âme soeur, au point que celui-ci lui propose vite le mariage, afin qu'elle puisse refaire sa vie. Mais c'est compter sans le pasteur Davidson, qui a décidé d'empoisonner la vie de la jeune femme...
Sadie Thompson est-elle une prostituée? Peu importe, mais pour Davidson, c'est une évidence: elle fume, boit, se complaît dans la promiscuité masculine... Gloria Swanson incarne avec génie un personnage défini à travers un cocktail de comportements aujourd'hui plus pittoresques que scandaleux, mais l'intérêt, c'est que pour Sadie comme pour O'Hara, il semble qu'il n'y ta là rien de foncièrement immoral. Sadie provient de quartiers de San Francisco ou elle a subi la tyrannie des hommes, qui l'ont prostituée, ou associée malgré elle à des manigances criminelles. Cela importe peu, donc, car ce qui est important, c'est que pour Davidson, incarné par un Lionel Barrymore génial, elle porte sur elle tous les stigmates de la "femme perdue". Le film est de fait une attaque en règle de ces hypocrites et réformateurs de tout poil, et se sert de cette image de femme transcendée par un père-la-pudeur en réalité obsédé par sa propre concupiscence...
Walsh, qui interprète le sergent O'Hara, nous donne ainsi plusieurs points de vue croisés, au lieu de se contenter du point de vue moraliste du mélodrame à la Griffith. Et de fait, entre O'Hara, qui comprend instinctivement que Sadie et lui viennent du même type d'environnement, et Horn qui apprécie peu l'aveuglement de Davidson, ou Sadie elle-même qui fait comprendre au public qu'elle a subi beaucoup de la part des hommes, c'est le procès des idées reçues qui est fait ici. Les "filles perdues" ne le sont pas de leur propre fait, et ce prédicateur aveugle qui voue Sadie à l'enfer fait fausse route. Plus grave, il rejoindra à la fin du film la liste des hommes qui ont fait du mal à Sadie, après avoir réussi à l'embrigader dans sa croisade... Barrymore joue le rôle tout entier, en prêtant son physique qui était encore modulable à cet inquiétant personnage. Walsh joue sur sa stature, en le présentant de dos, face à un O'Hara de face: le message est clair, le loup avance masqué... Et il prolonge ce type de plan qui joue sur l'anatomie en montrant Sadie aux pieds du prédicateur, peu de temps avant ce qui est bien un viol; elle est soumise, mais il va aller trop loin. Le titre de la pièce a donc changé, afin d'éviter les foudres de la censure, mais le territoire ou se situe l'action est balayé du début à la fin du film par une pluie battante, qui s'insinue en permanence dans les vêtements des personnages, qui dicte aussi les comportements, comme cette jolie scène ou O'Hara et Sadie se découvrent, elle juchée sur les épaules du gaillard pour éviter les flaques d'eau... La pluie devient une métaphore de l'inéluctabilité sensuelle des sentiments, ceux des deux amoureux, mais aussi hélas, ceux plus troubles de l'homme qui est censé incarner une certaine moralité.
Le film est l'un des chefs d'oeuvre de Walsh, au même titre que Regeneration, The roaring twenties ou White heat. Il est le portrait d'une femme mise en marge, qui demande la reconnaissance mais n'aime pas qu'on la contraigne à la mendier; elle est vue ici en être humain, par un réalisateur qui a non seulement décidé de ne pas la juger, mais qui va jusqu'à interpréter un homme qui tombe fou amoureux d'elle, sans aucune condition, et qui va l'assumer la tête haute. Un geste symbolique de la part d'un des réalisateurs les plus attachants et les plus humains d'Holywood, pour un film qui présente Gloria Swanson dans son plus beau rôle muet, c'est dire... Hélas, le film est partiellement perdu, la dernière bobine n'ayant pas été retrouvée. La reconstitution qui en est disponible permet au moins de se faire une idée pertinente du film, mais on enrage de ne pas en avoir l'intégralité.
Regeneration serait le plus ancien film de Walsh encore disponible. Le conditionnel s’impose : on en sait peu sur cette période et les films vraiment consultables… Quoi qu'il en soit, ce film tourné dans les quartiers de New York vient, trois ans après The musketeers of Pig Alley, de Griffith, donner la version de Walsh du film de gangsters. La comparaison des deux œuvres permet de constater que le point de vue, la méthode, le script, les efforts demandés aux acteurs, sont bien différents dans l’un et l’autre.
Walsh aborde son film en Irlandais, et en catholique : c’est une évidence, même s’il fait jouer à l’amour au sens sentimental du terme un rôle extrêmement important, il est clair que la rédemption comprise dans le titre naît d’un engagement personnel complet du personnage principal. Il peint une Amérique des bas-fonds dans laquelle certes les gens les moins aisés ont la solution de facilité du crime, mais ne les juge d’autant pas que son héros, Owen Conway (Rockliffe Fellowes), s’est fait tout seul après avoir fui le domicile de ses parents adoptifs, le père (James Marcus) étant une grosse brute avinée. Son caractère fondamentalement positif apparaît dans une anecdote, lorsque Owen sauve un jeune garçon handicapé des brimades d’un groupe de grosses brutes: il le suivra ensuite jusqu'au bout du monde par reconnaissance. Le déclic se fait lorsqu’ Owen rencontre Marie Deering (Anna Q. Nilsson), une jeune bourgeoise qui participe à une mission. Il l’aide, et bien vite va tomber amoureux, ce qui va le pousser à s’amender. Mais tous ses ex-copains ne l’entendent pas de cette oreille.
Le naturalisme du film est son meilleur atout : autant dans la reconstitution des bas-fonds, que dans la participation de vrais gangsters et de figurants authentiques, on retrouve la vision simple et directe d’un monde tangible. Les acteurs sont amenés à jouer d’une façon toujours juste; Walsh atteint ainsi une certaine vérité des sentiments qui permettent à la dimension sentimentale importante du film (On est Irlandais ou on ne l’est pas) de passer sans forcer. Et puis contrairement à Griffith, il se repose largement sur les images sans imposer une seule fois d’éditorial: c’est un film réalisé par un conteur qui a compris que les images sont son seul vecteur.
Et il me paraît, par rapport au style certes foisonnant du cinéma Américain des années 10, particulièrement en avance sur à peu près tout le monde: lui qui vient de participer à l'aventure de The birth of a nation pourrait même, avec son découpage dans lequel aucun plan n'est inutile, et chaque image frappe par sa beauté, son authenticité et les couches de sens qu'elle contient, en remontrer à Griffith soi-même: par exemple, à l'heure où son ancien patron tente avec plus ou moins de bonheur d'imposer des travellings lents, qu'il appelle ses "mouvements Cabiria" en référence au film de Pastrone, Walsh lui non seulement les utilise de façon formidable, mais il leur donne constamment du sens...
Et cerise sur le gâteau, non seulement Raoul Walsh sait recréer le monde naturel et complexe dans lequel il a largement vécu (la dimension personnelle de ce film si Irlando-Américain ne doit pas nous échapper), il sait aussi tirer parti de la vérité face à lui: j'ai fait allusion aux "acteurs" de fortune, vrais gangsters et vraies filles de joie, qu'on croise dans le film, mais il n'avait pas prévu qu'il y aurait un vrai incendie sur un vrai bateau, celui précisément sur lequel il était en train de tourner une fête organisée par la mission. Imperturbable, Walsh a demandé à son équipe de continuer à tourner: il a ainsi obtenu une vraie panique...
C’est donc un drame superbe dans lequel l’un des plus grands réalisateurs du siècle se révèle dans toute sa fraîcheur… La Fox avait en son sein un artiste sur lequel elle allait largement se reposer dans les années qui suivraient ; quel dommage que la plupart des films qui en résulteraient soient aujourd’hui perdus…
Le titre signifie "Afrique, droit devant!", et ça s'explique aisément: alors que Schenström-le-maigre et Madsen-le-petit-rablé travaillent dans une taverne à matelots, une émeute provoque un raid. Parmi les clients, il y a deux charmantes jeunes femmes qui ont fait le mur de leur somptueuse propriété pendant un bal costumé, et dont les soupirants les ont lâchement abandonnées. Les deux héros inattendus les déguisent en marins, pour traverser le port, mais se font attraper par l'équipage d'un cargo qui les embarque de force: direction l'Afrique, donc, où une partie du film a été tournée.
...Ou plus précisément les Canaries, mais une chose est sûre: ce n'est absolument pas au Danemark que ce film au budget probablement conséquent (une preuve de l'importance de l'équipe Lauritzen-Schenström-Madsen pour la Palladium) a été tourné... C'est l'un des meilleurs, et aussi sans aucun doute les plus politiquement incorrects avec sa tribu Africaine qui semble regarder avec une certaine envie l'embonpoint de Madsen.. Parmi les nombreuses péripéties du film, il y a une évasion, un enlèvement de masse par des indigènes, et diverses tentatives de fraterniser entre les Danois d'un côté, et une tribu Africaine où "Doublepatte et Patachon" sont tellement bien intégrés qu'ils se voient dotés d'épouses...
Mais ça ne les empêche pas de tout faire pour s'enfuir, en compagnie toujours de ces deux femmes dont ils sont responsables, et d'un cuisinier fort sympathique; par contre, dans ce film dont le titre Allemand était Kannibalen, nos héros n'hésitent pas à laisser la tribu agir comme bon lui semble avec deux malfrats qui sont à leurs trousses.
Quoi qu'il en soit, c'est une occasion fort plaisante de voir l'art naïf mais précis de ces pionniers du rire, dont l'humour bon enfant puise aussi bien chez Chaplin (ces sentiments si frontaux) que chez Roscoe Arbuckle (les gestes de précision dans la taverne), et dont les héros sont si faciles à suivre: leur gestuelle, leurs mouvements, leur jeu et les expressions de leurs visages dictent la mise en scène précise et efficace de Lau Lauritzen. et en plus, contrairement à tellement de cas similaires (Prenez Three's a crowd, de Langdon, par exemple), eux au moins ils ont une belle récompense à la fin.
Avant-dernier film muet de Tod Browning, ce film taillé pour choquer un maximum, montre à la fois les caractéristiques de l'univers tout entier de Tod Browning, et ses limites de plus en plus flagrantes. Marqué par un montage serré et très sec, il fait preuve d'une mise en scène réduite à l'essentiel, et tout y est question d'atmosphère: la photo bien sûr, le jeu des acteurs: en pleine jungle, ils sont sales, suants, malades et on est en plein réalisme brutal. Et toutes les péripéties vont délibérément vers le sordide...
Phroso (Lon Chaney), un prestidigitateur de foire, est fou amoureux de sa jeune épouse, mais se rend compte qu'elle souhaite partir avec l'aventurier Crane (Lionel Barrymore). Celui-ci le lui explique, et dans la bagarre qui s'ensuit, Phroso se blesse et restera paralysé en dessous de la ceinture. Ce qui ne l'empêche pas de se mouvoir: quand il apprend quelques mois après que son épouse a trouvé refuge dans une église, il s'y rend, et c'est en rampant qu'il vient constater qu'elle est morte... dans l'église, il y a une petite fille, et Phroso jure alors devant Dieu qu'il fera payer Crane et sa fille...
Près d'une vingtaine d'années plus tard, "à l'ouest de Zanzibar", en pleine jungle, Phroso dirige un petit trafic de vol d'ivoire. Il ourdit une machiavélique vengeance qui implique d'attirer Crane, et de méthodiquement transformer sa fille (Mary Nolan) en une épave alcoolique. Mais il souhaite aller plus loin, en prenant appui sur une loi indigène qui décrète que quand un homme meurt, ses épouses et filles doivent l'accompagner dans la mort...
Tod Browning, illusionniste jusqu'au bout, utilise tous les écrans de fumée possibles et imaginables pour nous faire passer la pilule de cette "loi ancestrale" susceptible de sérieusement dépeupler les villages, et d'ailleurs noie tout son film dans la fumée, la boue, la nuit. C'est l'un des films MGM les plus désespérément noirs de toute la décennie... C'est aussi, probablement, une épure du style,ou du non-style de Browning. On constate que trois années avant le tournage de son Dracula, il installe son atmosphère particulière en multipliant les images d'animaux qui grouillent, garde ses distances face à tout ce beau monde, et laisse faire ses acteurs qui tout adoptent un jeu fait de grimace et d'excès: on est loin de la machine à glamour, et on voit que le studio commençait à ne plus trop savoir quoi faire, ni de Chaney, ni de Browning.
L'acteur commençait d'ailleurs à opérer une transition vers une carrière à la Lewis Stone, et désormais n'était plus l'amant délaissé, mais bien le père frustré (même s'il avait joué un peu les deux dans Laugh clown laugh); et dans Thunder, son dernier film muet, il jouerait un vieil homme sur le point d'être mis de côté... Avec West of Zanzibar, c'est un peu à un baroud d'honneur que le comédien nous convie: il y interprète pour la dernière fois un infirme qu'il doit jouer aussi physiquement que possible et joue avec force de son visage extraordinaire...
Et le metteur en scène oscillait entre succès et films problématiques. Je pense que West of Zanzibar n'ajoute rien à sa légende, et se contente de faire semblant de renouveler une formule en poussant au plus loin le bouchon de la cruauté, du bizarre et du malaise. ...le tout dans l'illusion, bien entendu. Et encore, le film a la réputation d'avoir été sévèrement coupé par la MGM avant sa sortie (ce que prouvent des photos de scènes qui sont absentes du film, dont une troublante apparition de Chaney avec un costume d'homme-poule, quatre ans avant Olga Baclanova)! Cela étant dit, cet avant-dernier muet de Browning vaut bien mieux que son film suivant, Where east is east, un film absolument et résolument vide du moindre intérêt.
Le moins qu'on attende d'un film situé dans le milieu de la couture Parisienne, c'est qu'il soit élégant... Et heureusement, on est servi. Situé dans un monde cohérent, entre les salles de couture et les salons publics, entre restaurants et boîtes de nuits, le film e se noie jamais dans l'anecdotique et nous propose un mélodrame basé sur un triangle amoureux, caché derrière une comédie de moeurs enlevée et même parfois dynamique, le tout en 80 minutes...
Dans une maison de couture réputée, trois amis travaillent: Mady (Suzy Pierson) y est première couturière, Thérèse (Andrée Lafayette) modèle, la plus sollicitée de tous les mannequins, et Laurent (Malcolm Tod) est pour sa part dessinateur. Ils sont inséparables, d'ailleurs leurs appartements sont situés les uns à côté des autres, et leurs soirées sont communes. Mais Mady et Thérèse sont toutes les deux amoureuses de Laurent, qui lui n'a d'yeux que... pour l'une d'entre elles. A la faveur de l'arrivée à la maison de couture d'un riche collectionneur d'aventures (Léon Mathot), qui ne cache pas son envie de connaître mieux Thérèse, les choses vont se précipiter...
Un personnage en plus, on aurait presque pu dire en trop, mais il n'en est rien, vient se greffer sur cette intrigue: Bartlett, un Américain qui est l'homme de confiance d'un couturier de New York, est interprété par Armand Bernard, le grand acteur de théâtre que Diamant-Berger avait débauché pour interpréter Planchet dans sa version des Trois mousquetaires. Ici, il continue à jouer un rôle comique, mais il réussit une prouesse: tout en étant un faire-valoir, un imbécile de première, même, il réussit à être important... Et le timing impeccable de Bernard, qui cette fois n'a pas seulement à se prendre des coups de pied au derrière comme dans le feuilleton sus-mentionné, fait merveille. Et donne du même coup une dimension de comédie au film, qui oscille constamment entre mélodrame et bulles pétillantes.
Diamant-Berger fait ici deux choses particulièrement bien: d'une part, il filme dans Paris, pour de vrai, et offre une alternative intéressante à ses nombreuses scènes tournées en studio. Ensuite, il fait une grande confiance à ses acteurs, principalement les cinq premiers, qui font une grande partie du travail dans des gros plans très étudiés: le découpage et le montage de ce film sont particulièrement intéressants... Et Diamant-Berger est même très en verve, à sa façon: il installe très bien ses ambiances nocturnes, situe avec efficacité l'ambiance d'une boîte de nuit, et ne perd jamais ses personnages dans ses décors; il utilise à bon escient la profondeur de champ: son final est situé dans une pièce qui est une antichambre d'une maison de couture où une fête bat son plein, pendant qu'au premier plan le drame arrive à son paroxysme.
Bref, ce Rue de la Paix est le film qui prouve que le très estimable Henri Diamant-Berger, producteur heureux, affabulateur fripon (il affirme dans ses mémoires avoir inventé la bande-annonce, pourquoi pas? il ajoute avoir défini le rôle de la script-girl, et surtout il prétend avoir été le premier à faire des essais en Technicolor en 1925, ce qui trois ans après la sortie de The toll of the sea est un splendide mensonge, digne du reste de ceux que proféraient d'autres cinéastes: Ford, Hawks, Walsh ou Capra en étaient coutumiers) était aussi un cinéaste. Ben oui!
Le roman de Dumas était dans l'air, en 1921: d'une part parce que Douglas Fairbanks, dont l'amitié avec le réalisateur Allan Dwan, lui aussi mordu des histoires de mousquetaires, avait sans soute soufflé sur les braises de son attirance pour ces aventures, souhaitait désormais en faire son prochain grand projet après la réussite de son Zorro. Ensuite parce qu'en France, où on accueillait justement l'acteur, on se voyait bien lui fournir des décors irréprochables... C'est ainsi que, si l'on en croit du moins les écrits d'Henri Diamant-Berger, l'acteur s'était un temps laissé aller à imaginer une collaboration entre sa structure abritée par United Artists, et une compagnie Française qui serait dirigée par Diamant-Berger. Celui-ci se rêvait producteur, et voyait comme un trophée le fait de travailler avec Doug Fairbanks.
La rupture entre Diamant-Berger et l'acteur est venue de l'impossibilité pour l'un comme l'autre de voir les avantages proposés par l'autre camp: un raccourci pratique, et un support logistique pour Fairbanks qui se voyait interpréter D'Artagnan sur un film de deux heures, tourné à Hollywood, et une sorte de soumission au roman pour Diamant-Berger qui souhaitait que le film se tourne en France, et qu'il contienne absolument toutes les péripéties imaginées par Dumas. Surtout, Diamant-Berger considérait comme une trahison que le film voulu par Fairbanks s'arrête sur le bal des Echevins, et la restitution des ferrets à la Reine par D'Artagnan. La séparation, c'est un fait peu banal, nous aura permis d'avoir justement la même année deux films, et quoi qu'on pense de l'un ou de l'autre, deux films majeurs... A juger sur pièces, donc...
Juger sur pièces? C'est là que le bât blesse. Si le film finalement réalisé par Fred Niblo aux Etats-Unis est aujourd'hui parfaitement disponible, et en fort bon état, il n'en est pas de même hélas de la version de Henri Diamant-Berger. Celui-ci, qui après avoir cherché en vain un metteur en scène, avait fini par se persuader qu'il aurait le métier, l'énergie et l'enthousiasme de faire le travail lui-même. Il a donc lancé sa production avec tout le dynamisme de ses 27 ans, et a assemblé un casting, une équipe technique, et lancé des recherches pour trouver les lieux parfaits pour tourner. Parmi les gens consultés, on compte quand même (là encore, s'il faut croire les souvenirs de Diamant-Berger) Edouard Herriot... Le format choisi était celui qui avait encore un vif succès depuis les années 10: le film à épisodes. Pour rendre justice à Dumas, Diamant-Berger voyait donc douze épisodes. Le film en son entier totalisait selon le metteur en scène douze heures, mais j'ai des doutes en raison de la version qui est aujourd'hui disponible: présentée comme intégrale, mais privée de ses intertitres, elle compte six heures.
Donc, si le metteur en scène, pas avare de vanter ses propres mérites, considérait le film comme un chef d'oeuvre, le fait est qu'on en est loin (à moins qu'il s'agisse de son chef d'oeuvre, auquel cas c'est tout à fait envisageable, hum...): Diamant-Berger, de son propre aveu, n'était pas aguerri à un tel tournage, et le choix déterminant de tout prendre ou presque du roman, conditionnait le film à posséder de nombreux moments de redondance, assez insupportables. Pire: une tendance de privilégier l'action au loin, fait qu'aujourd'hui on est parfois au courant de ce qui se passe sur l'écran grâce à la voix off, on imagine que les intertitres devaient auparavant faire tout le travail! Des choix sont pénibles: on a droit à des scènes d'intérieur, détaillées jusqu'à l'extrême, quand le siège de La Rochelle est traité à travers une ou deux escarmouches!
Des beautés malgré tout sont à trouver dans le film: le choix des décors, confiés par Diamant-Berger à Mallet-Stevens, l'excellence des costumes, et la noirceur de plus en plus affichée de la deuxième partie du film (celle qui se recentre sur les méfaits de Milady), avec des scènes d'une véritable grandeur: la mort de Constance, avec un suspense rare dans le film, est un beau moment; tout comme la capture de Milady, et je pense que le sommet du film est justement le jugement et l'accomplissement du destin de cette dernière. Ajoutons que s'il était un metteur en scène pas convaincant, au moins Diamant-Berger avait-il un certain flair pour son interprétation: s'il n'est pas Douglas Fairbanks, au moins Aimé Simon-Girard a la jeunesse, l'impétuosité et le dynamisme de D'Artagnan, et il fait ses cascades lui même. Le reste des mousquetaires est dominé par Henri Rollan en Athos; le plus amer des Mousquetaires ne sera, à mon avis, mieux joué que par Van Heflin dans le film de George Sidney en 1948. Edouard De Max, tragédien de luxe, prête une prestance qui sied à Richelieu, accompagné d'un Charles Dullin parfait en père Joseph. Si Pierrette Madd est un peu fade en Constance, au moins sa rivale Milady bénéficie de la présence incontournable de Claude Merelle...
Impossible aujourd'hui de voir le film autrement que de la façon dont la famille Diamant-Berger l'a voulu: dans une série de décisions que j'ai le regret de considérer comme malencontreuses, ils l'ont adapté pour un format télévisuel: redécoupé en 14 épisodes de 26 minutes (générique et résumé compris), tous les intertitres supprimés, et remplacés pour les dialogues par des sous-titres, et pour les explications narratives par la voix envahissante et pleine de second degré de Patrick Préjean. Je désapprouve, mais si on veut voir le film, il faut en passer par cette version...
Le film a eu un énorme succès, tant mieux. Il est suffisamment différent de celui de Niblo pour justifier de les voir tous les deux, mais si vous me demandez ma préférence, je n'ai aucun mal à vous dire qu'elle va au film Américain! Diamant-Berger pour sa part ne s'en tiendra pas là puisqu'il réalisera dans la foulée une adaptation de Vingt ans après, la suite, au même format à épisodes... Dont aucun, hélas, n'a survécu. Puis il allait récidiver en donnant un remake de son film initial, en 1932, en deux épisodes, dont les extraits parfois vus ça et là m'ont donné furieusement envie... de ne pas le voir.
On ne présente plus Alan Crosland, un vétéran de chez Griffith qui a roulé sa bosse avant de finir par entrer de façon inattendue dans la cour des noms souvent mentionnés du cinéma muet, en devenant le metteur en scène de The Jazz Singer pour la Warner, en 1927... Un poste qu'il a eu en étant, avant l'intronisation de Michael Curtiz à ce poste, LE metteur en scène des grands projets de la firme: il avait, l'année précédente, réalisé le superbe Don Juan pour la WB. Mais si Crosland est un vétéran, c'est aussi et surtout un artisan, un home de métier qui ne s'embarrasse pas de passer pour un artiste.
Le film, une production Selznick de 1920, n'est donc pas une révélation ni une révolution, juste une excellente comédie dans laquelle Olive Thomas incarne une adolescente un peu pressée de sortir de sa minorité et de jouer dans la cour des grands. Il est vrai qu'il n'y a pas grand chose à faire à Orange Springs, la petite ville de Floride où elle vit avec ses (riches) parents. Alors quand elle va se retrouver en pension, elle va tout faire pour apprendre la vie, le plus vite possible...
C'est une comédie charmante, pétillante, menée par une actrice adorable et dynamique, qui est une préfiguration de Clara Bow, en bien moins prolétaire bien entendu. Et surtout, c'est presque un chaînon manquant: en 1920, les "flappers", ces jeunes femmes en quête d'indépendance qui se plongeaient avec délices dans ce que leurs parents considéraient comme une vide débauche, sont encore une curiosité, elles ne sont pas encore une mode... Et Olive Thomas, qui dans vraie vie n'avait sans doute pas attendu très longtemps avant de s'encanailler, a le second degré nécessaire pour le rôle. Elle est vraiment excellente, et sa mort cette année là, a vraiment été une grande perte... Sinon, au rayon des curiosités, on fait grand cas de la présence de la jeune Norma Shearer (voir photo en haut) dans les figurantes, mais on pourrait aussi signaler le fait que ce film nous présente dans le rôle sobre d'un malfrat, le grand Arthur Housman, avant qu'il ne devienne un ivrogne professionnel...
Nancy et Georgina Brent, deux jumelles, sont les filles d'une solide et prospère famille du Devon. Autant Nancy est volage, capricieuse, dynamique et incapable de rester en place, autant Georgina est calme, posée et pleine de retenue. Un jour qu'elle revient de Paris où on imagine qu'elle a été faire les quatre cent coups, Nancy rencontre sur le bateau Robin, un bel Américain. Mais ce serait trop simple u'elle laisse ce dernier faire sa cour comme il l'entend, alors Nancy décide de lui mettre sa soeur dans les pattes sans le prévenir. De quiproquo en quiproquo, le père qui se désespère et la fille qui s'ennuie vont tous deux partir pour changer de vie, laissant Georgina assumer l'identité de sa soeur auprès de Robin... Sauf que bien sûr, Nancy, qui a une vie dissolue à Paris, ne parviendra pas tout à fait à se faire oublier...
C'est un scénario de Hitchcock, le deuxième pour Cutts après Woman to woman, dont la particularité est d'avoir exactement la même équipe: même réalisateur bien sûr, même assistant/décorateur/scénariste (Hitchcock), mêmes stars (Betty Compson et Clive Brook)... Sauf que ce premier film, qui est hélas totalement perdu, a été un énorme succès aussi bien en Grande-Bretagne qu'aux Etats-Unis... L'idée de Cutts, qui allait ensuite la transmettre à son génial assistant, était de considérer que si la plupart des films Américains étaient meilleurs que les films Britanniques, alors il fallait voir et savoir comment ils étaient confectionnés. Et de fait ce deuxième film est dans la droite lignée d'un solide mélodrame Américain, et pas les pires: on pourrait aisément, dans cette histoire mélodramatique de deux jumelles dont l'une seulement est dotée d'une âme, voir un film de Rex Ingram, dont le style fait de touches esthétiques et de flamboyance visuelle, est assez proche de celui de Cutts. Mais le scénario, lui, est fermement ancré dans le mélo, et pas de la première fraîcheur!
Mais la mise en scène, sur les trois bobines qui nous restent (les deux premières et la quatrième, sur un total de six), nous montre une certaine assurance, un don pour les ambiances variées (avec un goût affirmé pour les scènes nocturnes bellement éclairées) et une envie de dynamisme, qui placent ce film largement au-dessus de la production Anglaise contemporaine.
Et maintenant, venons-en à la question qui fâche: on passe le plus souvent sous silence la contribution de Cutts, pour faire de ce film "le plus ancien film d'Hitchcock conservé"... Les sites les plus divers mentionnent Hitchcock comme co-réalisateur: de quel droit? J'ai vu deux films de Cutts: celui-ci, du moins les bobines qui restent, et The Rat. Ce dernier film, une comédie policière avec Ivor Novello, a été fait sans la moindre intervention d'Hitchcock. Et surprise: il est bon, voire très bon... Truffaut a fait beaucoup de mal à l'histoire du cinéma, au point de donner des oeillères à à peu près tout le monde et en particulier sur l'histoire du cinéma Britannique. Certes, la place d'Hitchcock est celle d'un géant, pas celle de Cutts. Mis de là à penser que le futur petit génie se soit fait engager par un metteur en scène aguerri auquel il aurait tout appris, c'est un peu fort de café...
Une dernière note en forme de clin d'oeil à un ami: il y a un jeune premier dans ce film, and he's one of us.
On finit quand même par perdre patience devant ces films réalisés la même année que disons, Safety last de Lloyd, ou Our hospitality de Keaton: certes, Diamant-Berger, producteur, avait eu la bonne idée de permettre la même année à René Clair de réaliser son premier film, et certes le metteur en scène des Trois mousquetaires avait effectivement tenu le public Français en haleine sur les douze épisodes d'une adaptation digne du roman de Dumas, en 1921-1922, et l'avait même fait suivre d'un Vingt ans après dont on murmure qu'il était fort réussi...
Mais ce n'est pas suffisant pour accepter tout et n'importe quoi, et si ce Jim Bougne commence par un excellent gag digne de Lloyd (une scène en trompe l'oeil du plus bel effet, dans laquelle on reconnait d'ailleurs Albert Préjean, silhouette fréquente dans les films de HDB), l'intérêt cesse immédiatement: un père soucieux de mélanger l'avenir de sa fille et son intérêt pour la boxe, désire ne la marier qu'à un pratiquant de ce noble art. La belle a donc l'idée de faire passer son amant Maurice (Chevalier, bien sûr) pour un boxeur...
...Et forcément, il devra le prouver sur le ring. Pendant 18 longues, très longues minutes, qui ne feront rire que ceux qui penseront à autre chose pendant le calvaire. La comédie valait mieux que ce pensum.