Un chercheur qui vient de perdre son fils, engagé sur le front, s'efforce de trouver une formule de gaz qui puisse apporter une réponse musclée aux armes chimiques employées par l'ennemi. Pendant ce temps, des membres de sa famille intriguent pour le priver de son dernier héritier, son petit-fils...
Hautement mélodramatique, avec un recours constant aux retournements de situation et autres péripéties improbables, ce film de long métrage, l'un des premiers de son auteur, nous montre Gance faisant ses gammes. Il l'a souvent rappelé, les films de cinq bobines qu'il tournait à l'époque étaient généralement tournés par grappes de deux ou trois!
On sent bien, dans ce film, la volonté d'offrir au public des péripéties qui permettent de rapprocher le film du cinéma populaire, tout en étant aussi original que possible, d'où une intrigue à tiroirs qui fait intervenir une étrange ferme aux serpents au Mexique, une mystérieuse orpheline maintenue en esclavage avec de l'alcool, et autres rebondissements plus baroques les uns que les autres. Mais deux aspects du film annoncent le Gance "adulte": un recours au montage à la Griffith pour une dernière bobine marquée par le suspense, et montrant une catastrophe plus grande que nature, qui symbolise un très grand danger pour l'humanité. Et sinon, le metteur en scène, déjà, campe un génie à part, marqué par un amour trop grand pour ses proches... Une tendance qui ne le quittera jamais.
Un chimiste (Werner Krauss) vit le parfait amour avec son épouse (Ruth Weyher) en pleine harmonie, lorsque il remarque les traces d'un trouble dans sa vie: il ne supporte plus d'utiliser des couteaux, et s'isole de sa femme. Lequel des deux événements contemporains au début de son problème a bien pu jouer dans l'apparition de sa névrose? L'arrivée de leur cousin (Jack Trevor) dont il est secrètement jaloux? Le meurtre de la voisine par son mari, qui lui a tranché la gorge avec un rasoir? Ou le professeur manifeste-t-il tout simplement une sorte de frustration quant à l'absence d'enfants dans le couple? C'est à la psychanalyse de répondre...
Pabst était un touche-à-tout dès l'époque du muet, et ce film, situé comme une parenthèse dans son oeuvre entre deux oeuvres de longue haleine toutes deux marquées par une forte inspiration sociale (Die freudlose Gasse, Die Liebe der Jeanne Ney), le voit s'intéresser à un drame bourgeois finalement assez banal. Il n'y aurait sans doute pas grand chose à retirer d'un tel cas, si Pabst n'avait fait des choix formidables: d'une part il a demandé à ses acteurs de jouer dans le plus grand naturel dans la partie qui conte l'histoire domestique. Et Werner Krauss, grand acteur expressionniste devant l'éternel, est ici plus que subtil...
Par contre, Pabst obtient des passages plus délirants dans ses séquences de rêve, qui sont souvent répétées dans le film (nous assistons au rêve dans on intégralité, puis il sera découpé en tranches pour être analysé plus tard): mais ces séquences doivent leur ton baroque plus aux choix visuels qu'au jeu des acteurs, encore. Enfin, l'analyse se solde par des recours à des scènes durant lesquelles Pabst fait rejouer les moments-clés du drame par ses acteurs, sur des fonds blanc, et dans un style de jeu neutre. Il en ressort l'impression d'une complexité de la psychologie humaine, rendue ainsi palpable pour le spectateur du film muet.
Le film était une commande ambitieuse du département Kulturfilm de la UFA, qui se spécialisait dans les documentaires, plus que dans les films narratifs. Ce qui n'empêche pas Pabst de s'amuser un peu; par exemple, il réussit parfois à teinter son intrigue d'une touche de comédie légère; surtout, il contourne une exigence de la censure: dans ce film qui a recours à Freud, pas une trace de sexualité. Pas une trace, du moins, dans le script... Dans le film, c'est autre chose. Ainsi, si la jalousie et l'absence d'enfants sont deux moteurs de la névrose, on constatera que le professeur manifeste à deux ou trois reprises, symboliquement, des traces d'impuissance, certes motivées par la jalousie. Et l'effort quasi impossible de se rendre en haut d'un phare qui grandit au fur et à mesure, est un symbole phallique qui manque de subtilité!
C'est donc à une authentique halte psychanalytique dans l'oeuvre de Pabst que nous sommes conviés, une halte faite avec goût, et qui n'est pas un film si mineur dans l'oeuvre de celui qui a dressé, de film en film, un portrait social et moral de l'Allemagne des années 20, et l'a fait en débouchant souvent sur une thématique d'une richesse impressionnante.
Tourné en 1918, alors que l'Allemagne s'apprête à perdre la guerre, Opium est un cas extrême, un cas d'école: à l'instar de son personnage principal, il semble nous indiquer que le cinéma Allemand n'a plus rien à perdre. Privé de la moindre censure, Robert Reinert a produit, essentiellement, un brûlot destiné à faire venir tout le monde dans les salles obscures pour un oubli immédiat. Mais un film qu'on n'est pas près d'oublier...
Le professeur Gesellius (Eduard Von Winterstein) est en Chine pour y effectuer une recherche scientifique sur les effets de l'opium en tant que médicament contre la dépression, la douleur et plus encore. Et bien sûr il est amené à fréquenter les établissements spécialisés, dont celui de l'infâme Nung-Tchang (Werner Krauss). Celui-ci a auprès de lui une mystérieuse jeune Eurasienne, Sin (Sybill Morell), qui cherche la protection du professeur... Nung-Tchang explique à ce dernier que la jeune femme est la fille de son épouse et d'un Européen de passage, et que ce dernier est parti après la mort de la mère en laissant l'enfant derrière lui. Comprenant qu'il risque de payer de sa vie le désir de vengeance de son hôte, le professeur rentre au pays en emportant Sin avec lui.
Une fois chez lui (en Angleterre, peut-être), il retrouve son monde: son épouse, Maria (Hannah Ralph), sa petite fille, et son principal collaborateur, Richard Armstrong Jr (Conrad Veidt). Maria est désolée de voir son mari revenir avec une jeune femme, et de son côté elle souhaite que le professeur ignore tout de son aventure avec le jeune Richard. Celui-ci, fils d'un autre scientifique qui a passé des années en Chine (hum) ignore donc que Sin, aussitôt rebaptisée Magdalena, est sa soeur, et enfin le Dr Richard Armstrong Sr (Friedrich Kühne), scientifique génial disparu dans les vapeurs de l'opium, refait inexplicablement surface!
Tout ça dans un montage qui ne perd pas une occasion de nous montrer les expériences avec l'opium du professeur Gesellius: immanquablement il s'agit de visions de diables lutinant des femmes à demi-nues... Environ toutes les dix minutes à l'écran. Et sinon, Nung-Tchang n'a pas dit son dernier mot, bien sûr, et va tout faire pour assumer son horrible vengeance...
Le film n'aborde ni ne rejette aucune interprétation quant à l'utilisation de l'opium: on a bien vaguement l'idée que ça flingue sérieusement les neurones, et qu'au cours du film au moins un protagoniste meurt de l'usage répété et addictif de la chose. Mais Reinert est trop occupé à réaliser son film proto-psychédélique pour essayer de faire ne serait-ce que semblant de donner des leçons... Donc il semble nous indiquer que la meilleure façon de se guérir de l'opium est d'en prendre. Et pourquoi pas s'injecter du désinfectant, tant qu'à faire?
On peut désormais voir Opium, dans une restauration éblouissante, qui met sérieusement en lumière son incroyable mauvais goût, son côté extra-terrestre, et pour finir sa glorieuse inutilité, comme un Mystery of the leaping fish qui ne serait drôle qu'involontairement... Robert Reinert avait mieux à faire, beaucoup mieux et il l'a prouvé plus tard cette même année avec Nerven.
Après la guerre, un groupe d'hommes et de femmes se déchire dans de complexes conflits privés, qui sont autant d'échos à la soif se se sortir du chaos de la guerre. Alarmé par la propagation des idéaux socialistes, un homme très religieux, Johannes, essaie de convaincre ses concitoyens de se retrousser les manches, pendant qu'un industriel qui croyait avoir tout gagné en préservant ses usines durant la guerre, fait face à la ruine quand un incendie criminel se déclare... De son côté, sa fille qui a mal interprété les idéaux du "prophète" Johannes, se met à prêcher la révolte armée...
1919, c'est bien sûr le grand retour du cinéma Allemand qui va subir une intense mutation, celle-ci étant généralement considérée comme commençant par le film Caligari. Sauf que c'est aussi le retour de l'Allemagne, passant par le chaos total après la débâcle qui a suivi l'abdication de Guillaume II, et bien sûr la reddition et l'armistice. Le chaos ressenti par tous s'incarnait politiquement, à gauche (la révolte Spartakiste à Berlin, une tentative d'installer une République Soviétique à Munich, qui a tourné court après quelques semaines, et des manifestations quotidiennes dans tout le pays) et à droite (les réactions musclées de l'extrême droite aux événements populaires, la création de nombreux mouvements qui se posaient an remparts contre la social-démocratie). Le cinéma s'est fait le reflet de ces événements, souvent sous un jour symbolique, à travers quelques films qui reviendront sur la période. Pabst, Lang, s'en sont inspirés... Mais Robert Reinert n'a pas attendu.
C'est, je pense, à Caligari qu'on d'oit d'emblée comparer cet étrange film, l'un des deux plus notables d'un cinéaste qui avait bien compris qu'en l'absence d'une idéologie gouvernementale bien définie, tout était permis. Et Nerven, comme l'autre film connu de Reinert Opium, mais de façon moins flagrante, s'inscrit volontiers dans une période de disparition de la censure, avec ses nombreux recours à la nudité symbolique. Mais il s'inscrit aussi dans la recherche d'une façon d'inclure le cinéma dans le champ d'action expressionniste.
Caligari venait à un moment où la cinématographie nationale avait besoin d'un coup, et c'est vrai que l'utilisation des décors, le jeu outré de Veidt et Krauss, ont beaucoup fait pour installer la mode d'un cinéma Allemand, dont le socle était la scène: au sens théâtral comme au sens cinématographique du mot. Mais en 1919, le cinéma Allemand se confrontait aussi, comme toutes les nations à l'issue de la guerre, au choc avec le cinéma Américain qui depuis le début des années 20 avait choisi comme principale technique narrative le montage. Et si Caligari se distingue de multiples façons, ce n'est certes pas par le montage... Nerven, si.
Le film est étonnant, qui réussit à partir d'images totalement délirantes qui parlent de la guerre sans vraiment la représenter, à montrer aussi bien le bazar ambiant (des manifestations qui furent prises sur le vif, il n'y avait semble-t-il qu'à sortir dans la rue si on en croit le film), en essayant de rester aussi respectueux que possible (les causes de l'agitation sont présentées comme légitime, mais le prophète Johannes supplie ses concitoyens de s'accomplir dans le travail), et situe l'essentiel du débat dans l'inconscient, grâce à l'intervention d'un psychanalyste et un protagoniste qui fait une vraie névrose. Et par dessus le marché, le film trouve son apothéose dans une représentation Nietszchéenne de l'homme!
Le titre est donc largement du à une interprétation volontiers simpliste de la révolte en cours au moment où le film a été tourné: si les hommes veulent tant changer les choses, c'est parce qu'ils laissent parler leur nerfs... Le mot va devenir un leitmotiv, d'où le titre... Une démarche étonnante, qui cache surtout une envie de traiter le sujet de l'Allemagne contemporaine, d'une façon aussi frontale que possible, tout en laissant place à la distorsion poétique de l'expressionnisme.
Et ne nous laissons pas attraper par le résumé plus haut, qui nous donne l'impression d'assister à une préfiguration du pire du pire de l'oeuvre Gancienne (quelque chose comme La fin du monde rencontre Lucrèce Borgia): si l'intrigue est compliquée, symbolique et bordélique à souhait, le film, qui choisit un rythme très rapide et l'accumulation de possibilités au sein de chaque scène, est d'un style qu'on n'attend pas dans un film Allemand de 1919, et qui sera rare dans le reste de a décennie suivante... Qu'il prêche des idées ouvertement conservatrices est un fait, mais il le fait avec style! Ca ne portera pas spécialement chance à son metteur en scène dont la vision gentiment réactionnaire assurait paradoxalement le succès de ses deux oeuvres les plus révolutionnaires: il est mort en 1928, à 56 ans, totalement oublié d'une histoire du cinéma qui avait pourtant les yeux rivés sur l'Allemagne... Caligari avait gagné.
Aujourd'hui, on eut retrouver ce film hautement unique et glorieusement expérimental, dans une copie sévèrement privée d'un tiers de son métrage, mais remis en ordre d'état de marche par les magiciens de la Cinémathèque de Munich...
1792: la Révolution Française s'installe dans la longueur, et la réaction ne se fait pas attendre. En Bretagne, l'abbé Cimourdain (Henry Krauss) s'est fait l'apôtre d'une politique d'avenir qui peine à trouver des fidèles: on commence à entendre parler de choses arrivées à Paris, qui ne plaisent pas dans l'Ouest... Mais Cimourdain réussit au moins à convaincre Gauvain de Lantenac (Paul Capellani), jeune vicomte un tant soit peu idéaliste, et les deux hommes vont se retrouver à Paris, engagés au plus près du coeur de la Révolution. De son côté, le Comte de Lantenac (Philippe Garnier) est parti en Angleterre, près de l'aristocratie exilée, et reçoit bientôt la mission de retourner en Bretagne pour fédérer la chouannerie derrière lui. Il trouvera face à lui deux hommes bien décidés à contrer ses plans, mais aux idées bien différentes: Cimourdain, aussi fanatique pour son camp que Lantenac pour le sien, et le neveu Gauvain, un héros de Valmy qui mène ses troupes avec coeur et ouverture d'esprit...
C'est un film qui devrait avoir tout de l'oeuvre maudite: tourné en 1914 et interrompu pendant le conflit, une période durant laquelle Capellani lui-même part aux Etats-Unis... Mais le film a été fini, sorti, et a survécu, même si on peut quand même s'interroger sur la façon dont il nous est souvent présenté: j'y reviendrai. Pour Capellani, qui a déjà réalisé un Notre-Dame de Paris (de petite taille, et assez oubliable, en 1911), et une adaptation ambitieuse des Misérables (en 1912), le retour à Hugo semble naturel, et il fait de Quatre-Vingt-Treize une adaptation modèle, linéaire, et idéologiquement personnelle: tout tourne ici autour de trois consciences, et l'ensemble des scènes du film nous montre la France de 1793 à l'heure du choix, mais ce n'est pas, seulement, un choix entre Révolution et Ancien Régime. Sous la plume de Victor Hugo, qui traque les justes et les salauds dans tous les camps, certes la balance penche fermement du côté de la révolution, mais il oppose le fanatique Cimourdain (qui devient avant longtemps un obsédé de la guillotine) aussi bien à Lantenac (qui se pare dans une cape pour fusiller tout ceux qui passent à sa portée et qui ne sont pas assez royalistes à son goût) qu'à Gauvain: ce dernier est le héros véritable du film, un homme qui tente d'avancer en respectant aussi bien l'ami que l'ennemi, et qui va se sacrifier pour sauver la peau d'un ennemi, justement...
Outre cet aspect, le film reste une production française d'avant 1915, un film qui ne subit que pu l'influence des Américains et d'autres. Capellani privilégie souvent des scènes en tableaux, comme on disait à l'époque, et une caméra à distance... Ce qui ne l'empêche pas, parcimonieusement, de s'approcher, comme dans une scène nocturne de rencontre entre deux hommes, deux amis: l'un a condamné l'autre à mort, et leur débat est le coeur du film. Alors la caméra, lentement, s'approche du fond de la scène pour recadrer les deux hommes. Là où Capellani a fait définitivement le bon choix, c'est dans le choix de ses deux interprètes principaux, Krauss, et sinon Paul, le petite frère du réalisateur; ils donnent à voir des personnages qui s'élèvent au -dessus des archétypes qu'ils auraient pu être. Certes, l'un comme l'autre tend à abuser des gestes grandiloquents, ces mains levées brusquement au ciel, et qui seront aussi souvent utilisées par les acteurs de Napoléon d'Abel Gance, soyons juste! Mais toute proportion gardées, les acteurs du film nous font vite comprendre que le véritable enjeu est dans la tête / l'âme / le coeur (choisissez votre version) de chacun...
Si occasionnellement, le réalisateur choisit de tourner en décors reconstruits (c'est le cas lors des séquences situées à Dol, où les décors trahissent assez volontiers le carton-pâte), il privilégie néanmoins des décors naturels et authentiques, et c'est d'autant plus visibles lors de l'arrivée de Lantenac sur les côtes Normandes: c'est bien le Mont-Saint-Michel à l'horizon. Le prologue situé entièrement en Bretagne est d'une grande véracité, et les scènes nombreuses dans les sous-bois font respirer le film: il est vrai que celui-ci dure plus de deux heures et quarante minutes! par contre, peu de scènes sont situées à Paris, ce qui n'est peut-être pas qu'un parti-pris: rappelez vous, le film n'a pas été achevé... Une scène relevée par Christine Leteux dans un article qu'elle a consacré au film, me paraît notable, elle concerne les trois grands noms de la révolution: Danton, Robespierre, Marat. La scène sera reprise et développée par Gance dans Napoléon...
Reste la question: qui a fini Quatre-Vingt-Treize? Le nom le plus souvent retenu est celui d'André Antoine, grand homme de théâtre, et metteur en scène proéminent en cette fin des années 10 à la S.C.A.G.L., la compagnie productrice du film, que Capellani avait quittée en 1914. C'est la version officielle, d'ailleurs, entretenue par des années de paperasserie, et une restauration définitive en 1985, qui entérinait qu'il s'agissait d'un "film d'Albert Capellani et André Antoine". Pourtant, et comme on n'est jamais si bien servi que par les spécialistes, je reviens à Christine Leteux, qui a fait plus que se pencher sur le cas de Capellani, elle lui a consacré un ouvrage (que je vous conseille*, au passage), dans lequel elle s'interroge ouvertement sur ce point: d'une part, Antoine n'était pas homme à partager un crédit. Et Antoine n'a jamais parlé d'une quelconque participation au film. D'autre part, si le film a été complété des années plus tard, quelles scènes sont concernées? Et à la vision du film, on peut en effet s'interroger: la cohérence entre toutes les scènes, le style cinématographique global, l'aspect physique des acteurs, il n'y a rien qui puissent trahir ce type d'intervention; comme par enchantement, la scène qui était en tournage au moment de la déclaration de guerre, qui a mis fin au tournage, était symboliquement la dernière du film.
On peut même imaginer que le film n'était pas fini, mais que la S.C.A.G.L. avait surtout besoin de trouver quelqu'un qui puisse prendre la responsabilité du montage final, et éventuellement d'ajouter du matériel neutre pour lier le tout: ainsi peut-on avancer sans aucun problème que la séquence qui ouvre et termine le film (deux mains qui ouvrent puis ferment le livre d'Hugo) est envisageable sous cette hypothèse. Et la restauration de 1985 fait apparaître des gravures et autre dessins qui servent d'intertitres, donnant à voir la politique Parisienne de l'époque: le grand manque du film. Ces éléments ne sont pas attribuables à Capellani... Mais sinon, le film ressemble à s'y méprendre à... un film de Capellani de 1914!
Et pas un petit film de rien du tout, ça non!
*Albert Capellani, cinéaste du romanesque, par Christine Leteux, éditions La Tour Verte, 2013. Préface de Kevin Brownlow
"Les chemins de la force et de la beauté", un titre hallucinant pour un film muet Allemand, à l'époque deFaustet deMetropolis? Disons que le propos de Wilhelm Prager, associé à Nicholas Kaufmann, n'est bien sur pas le même que ceux de Murnau et Lang... Son film est un documentaire, comparable àHäxan(Christensen, 1922) dans la mesure ou il utilise ici des recréations fantasmées de scènes racontées, et aussi parce qu'il s'agit de faire passer une idée. LaKörper Kultur, ou culture du corps, est en plein essor, et elle n'est pas encore entachée par la compromission avec le Nazisme. L'idée du film est de montrer quelle devrait être la place du corps dans les sociétés modernes (de 1925, bien entendu), où l'homme et la femme ne se préoccupent pas suffisamment de leur santé et de leur... beauté. Le film cite abondamment les Grecs, se repaît à satiété de visions d'athlètes nus, généralement blancs, et cite à la fin l'exemple d'une Romaine qui se baigne dans la tradition antique, pour prendre soin de son corps dans les moindres détails, avec une dizaine d'esclaves aussi nues qu'elle pour la servir.
Un ange passe.
Le succès de ce film a-t-il été vraiment motivé par le message de santé corporelle, ou la présence récurrente d'athlètes, danseurs, modèles et figurant(e)s nus a-t-il contribué? On y fait finalement beaucoup l'apologie du naturisme, plus que de la santé sportive. Néanmoins, une curiosité qui montre l'étendue du pouvoir philosophique du cinéma: ce film, après tout, est un essai...
Je faisais allusion quelques lignes plus haut, à la compromission avec le nazisme. Ce film ne parle que du corps, mais il n'en reste pas moins précurseur sur un certain nombre de points, notamment dans le recours constant et admiratif à l'antiquité, et puis... ces grands rassemblements de gymnastique, à la fin. Ils me font froid dans le dos...
On ne va pas attendre d'avoir écrit des lignes et des lignes avant de le dire: tourné en 1922, assemblé et colorié à partir de 1923, ce film franco-italien n'a qu'un seul intérêt: ses couleurs. Apposées au pochoir, selon une technique rodée depuis Méliès mais qui demandait énormément de soin, de personnel et de temps, elles sont aujourd'hui particulièrement impressionnantes, et aussi proches que possible de l'expérience fournie par le film à sa sortie tardive ne 1925.
J'imagine qu'avec sa distribution transalpine, menée par Pierre Magnier qui était depuis 1900 l'interprète phare du rôle de Cyrano au théâtre, ce machin était sans nul doute une opération de prestige, destinée à faire reluire le cinéma Européen au firmament, et à ce titre la chose a été présentée aux Américains... qui ont du bien rigoler, s'ils se sont déplacés.
Car entendons-nous, les couleurs sont certes impressionnantes, mais un film ça se met en scène, et quand la source est une pièce de théâtre, aussi connue soit-elle, il y a des choix à faire. Prenez Tartuffe de Murnau: certes, le film trahit la pièce. Mais c'est un film, un vrai. Truffé d'images, de moments de cinéma, donc... Ici le film est surtout truffé d'intertitres, les acteurs jouent comme au théâtre, et le film ne prend vie qu'à deux ou trois instants; quand on sait qu'on doit le subir sur près de deux heures, on frémit... Mais non: vous n'êtes, après tout, pas obligés...
Alors peut-être que c'est un reflet fidèle de la pièce, soit. Mais qu'importe? en tant qu'argument cinématographique, je continue à penser que la fidélité au théâtre ne vaudra jamais rien.
Une femme trompée (Kitty Hott) se plaint auprès de sa sœur (Suzanne Delvé), qui imagine un stratagème pour faire revenir le mari (André Roanne) dans le droit chemin, et ce malgré l’attraction particulièrement forte de la princesse Orazzi (Georgette Faraboni)…
Ce film de trois bobines est d’une ambition rare, et sans doute annonciateur d’une volonté de faire évoluer le cinéma hors des sentiers battus, et hors des canons de la Gaumont, la compagnie qui l’a produit. Feyder a tourné le film d’après un scénario de comédie boulevardière assez classique signé de Gaston Ravel, mais qu’il a filmé délibérément en plans rapprochés et en gros plans. Il en résulte une comédie qui s’attache aux personnages, les découvrant incidemment dans leur environnement.
Ravel, avec l'assistance de Feyder, avait déjà mis en chantier le court métrage Des pieds et des mains, qui cadrait uniquement les jambes des protagonistes d'une comédie boulevardière sophistiquée... Le titre de ce nouveau film est une allusion au fait que les personnages ne sont jamais vus en pied, justement, contrairement à l’usage de plans généraux utilisés en priorité à des fins d’exposition. Le recours à des miroirs, à des caches (Un paravent derrière lequel Roanne, futur acteur de Renoir et Pabst au destin tragique, subit une consultation médicale, seule sa tête dépassant), à la vue subjective d’une loge de théâtre vue à travers les jumelles de l’héroïne, tout concourt à isoler les têtes des protagonistes dans le champ afin d’offrir une série de variations sur le titre. Mais surtout, les acteurs ainsi approchés, enserrés dans un cadre qui limite leur action, trouvent une subtilité qui est très rafraîchissante. Il est dommage qu’on n’ait pas laissé Feyder réaliser beaucoup d’autres films dans ce genre à La Gaumont…
Pour finir ce tour d'horizon d'un film essentiel, on reconnaîtra dans le film une apparition de luxe, d'une très grande dame à la carrière prestigieuse... Ci-dessous, Françoise Rosay.
On ne parle pas beaucoup de ce film, qui a pourtant tout pour être une cause célèbre... Une star en fin de course qui profite de sa dernière occasion de briller dans un premier rôle, une production internationale (scénario, distribution et studio français, réalisateur Italien, star Américaine, techniciens Allemands et extérieurs Espagnols...), et par dessus le marché un problème de timing particulièrement important: commencé en plein muet, sorti synchronisé et doublé puisque sa star ne parle pas un mot de français... ce qui se voit, et se lit sur les lèvres.
Le film devait être une réalisation de René Clair, mais ça ne s'est pas fait; il signe par contre l'argument, aussi simple que peut l'être Sous les toits de Paris: Lucienne (Louis Brooks) est en couple avec André (George Charlia), et il est jaloux, mais jaloux... La jeune femme, qui est dactylo, rêve de participer à un concours de beauté, et s'inscrit malgré les réticences de son fiancé... Et évidemment elle gagne: le couple va se déchirer à la suite de l'affaire...
Le miroir aux alouettes et l'illusion des paillettes, la difficulté à opérer une véritable ascension sociale, la jalousie, les moteurs mélodramatiques ne manquent pas pour une héroïne qui a autant envie de rêver que de s'en sortir: rêver, c'est justement, probablement, le point qui a motivé René Clair, mais le film me paraît peu en phase avec son oeuvre. D'une part parce que Gennina en a gommé toute fantaisie au profit d'une étonnante et souvent efficace peinture des milieux, des contrastes entre les deux vies possibles de Lucienne la dactylo. Avec son André si terriblement jaloux , elle aurait un peu d'affection et très peu de glamour. Avec les hommes qui guettent les miss, et qui tentent de les séduire et les exploiter elle bénéficie d'un rêve glauque et probablement de courte durée: le film nous conte le choc de ces deux mondes en même temps que le choc entre le prolétariat des années 20 et 30 et une certaine vision de la bourgeoisie.
Louise Brooks est excellente, à condition bien sûr de regarder la version muette exhumée ces dernières années, qui font de Prix de beauté un bien meilleur film que le bricolage dégoûtant sorti en août 1930. Le film est plus long, plus fluide aussi... La tentation du son y est bien présente (nombreux plans de "machines parlantes", radios, phonographes, etc), et aurait pu être l'affaire d'une ou deux chansons, le reste tient la route presque sans intertitres. C'est souvent du grand cinéma muet, avec cette attention toute particulière du détail, de l'environnement, ces mouvements de caméra et cette place donnée au suspense. A ce titre, la dernière bobine est tout simplement remarquable...
L'officier Hermann (Ivan Mosjoukine) passe des soirées entières au milieu des autres officiers, à regarder sans y prendre part aux parties endiablées de cartes. Entendant une anecdote racontée par un de ses collègues, dont la grand-mère, une vieille comtesse, a un jour joué trois cartes particulières qui lui ont donné la fortune, il décide de questionner la vieille aristocrate sur son secret. Il cherche à l'approcher en séduisant sa dame de compagnie, et bientôt il réussit à pouvoir lui parler...
Ce sera un désastre.
Ce film est l'un des plus célèbres parmi les films de l'époque pré-révolutionnaire en Russie. Protozanov y développe un style de narration qui joue sur l'extrême lenteur, d'une part: lenteur de jeu et lenteur de rythme. Et il y filme dans des décors et des éclairages particulièrement soignés... Donc soyons clair: le rythme est si particulièrement lent, qu'on risque assez souvent de s'y perdre, paradoxalement... Mosjoukine, pour l'un de ses rôles les plus notables avant son arrivée à Paris, y est l'ombrageux, tourmenté officier abstinent qui ne veut jouer qu'à coup sûr... Et qui pourrait bien être une métaphore narquoise d'autre chose, d'autant que le bellâtre est bien prompt à sortir son arme de poing pour faire peur aux vieilles dames!
Sinon la technique du film fait la part belle aux truquages (eh oui, brave gens, on n'a pas attendu Netflix pour voir des films avec des effets spéciaux), notamment la surimpression, tant utilisée dans les films de Bauer pour véhiculer les pensées, souvenirs, regrets et tourments des protagonistes... Et une séquence finale montre Mosjoukine pris au piège d'une gigantesque toile d'araignée...