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24 novembre 2018 6 24 /11 /novembre /2018 09:39

Mahlee (Alla Nazimova) est la fille (illégitime) d'un Américain de passage à Pékin, et elle n'a jamais connu ni son père (parti peu de temps après sa naissance) ni sa mère (morte en la mettant au monde). Ni blanche, ni Chinoise, elle souffre en particulier des moqueries qui l'accompagnent partout: le père, avant de partir, a formellement interdit qu'on lui raccourcisse les pieds durant sa croissance, et toute la ville la rejette parce qu'elle a des "pieds diaboliques". Mais au-delà de cette situation de rejet, c'est la vraie place de Mahlee qui est l'enjeu du film, et du personnage. A la mort de sa grand-mère, elle est recueillie par une mission, et finit par se considérer comme une occidentale. Jusqu'au jour où des Américains en visite arrivent à Pékin, parmi eux, le père de Mahlee, et sa fille, qui ressemble de manière troublante à l'héroïne. Pour le malheur de celle-ci, sa vraie place va lui être révélée...

Mené tambour battant par l'interprétation (double, vous l'aurez compris) de Nazimova, le film fait partie des productions les plus remarquables, et remarquées (il a eu un énorme succès à sa sortie) de Capellani aux Etats-Unis. Le réalisateur, parti en 1915, tournait alors pour la compagnie Metro (dont nous reconnaissons d'ailleurs l'acteur vétéran Edward Connelly qui tournera ensuite pour Rex Ingram, Tod Browning et d'autres), et nous donne à voir un film plastiquement superbe, avec des décors impressionnants d'efficacité. Il réussit à détourner certains codes du mélodrame et évite le racisme, en renvoyant dos à dos les préjugés des uns et des autres. Noah Beery y interprète son rôle favori, celui d'un homme Eurasien qui va entraîner Mahlee avec lui dans la spirale de la violence, mais surtout menace de la violer à tout bout de champ! L'interprétation de Nazimova, subtil mélange de ballet et d'observation, est la meilleure création de l'actrice que l'on puisse voir, bien différente de son horrible Salomé.

Réalisé clairement en étroite collaboration entre le metteur en scène et sa star, ce film séduisant est non seulement une preuve supplémentaire de l'importance de Capellani, c'est aussi un film de femme, une production qui permet à une autre sensibilité de s'exprimer, avant même les années 20, et contemporain des oeuvres de Lois Weber ou Nell Shipman. Et pour couronner le tout il est foncièrement distrayant et superbement accompli.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Albert Capellani 1919 Alla Nazimova *
12 novembre 2018 1 12 /11 /novembre /2018 15:12

Deux hommes, l'un un noble, poète de profession (Georges Pomiès) et l'autre son valet (Michel Simon), sont appelés sous les drapeaux. Une soirée organisée par la maman de Jean Dubois D'ombelle, à laquelle était invité une huile de l'état-major, a eu l'effet contraire à ce qui était escompté, puisque les deux hommes font leur devoir dans la même chambrée. Et si le destin de leur pays est entre leurs mains, je pense que le pays est bien mal parti...

Ils se sont mis à plusieurs (Renoir, son assistant Claude Heymann et Alberto Cavalcanti, un complice fréquent à cette époque) pour adapter une pièce de André Mouézy-Eon et André Sylvane. Je n'ai aucun mal à imaginer la pièce, d'ailleurs, un simple support pour comique troupier... Mais si on peut se demander ce qu'allait chercher Renoir dans un tel sujet, lui qui avait tenté de lancer un naturalisme à la française avec Nana, le visionnage du film nous permet de voir ce que le metteur en scène a plutôt pu tirer de ce sujet ingrat: une pochade, certes, mais dans laquelle il a su insuffler de l'énergie.

Parfois peut-être un peu trop: le réalisateur a encore une fois fait confiance à sa bonne étoile, c'est-à-dire improvisé dans le n'importe quoi ambiant, en décidant en particulier de transcrire SA vision d'une caméra mobile. On est loin de Murnau, mais cette idée de faire jouer ses comédiens, et de lancer le caméraman un peu dans tous les sens, débouche parfois sur des effets burlesques assez réussis. Ca commence d'ailleurs par une scène efficace, et manifestement planifiée, qui oppose les valets (Michel Simon et Fridette Fatton), qui dressent la table en ayant les plus grandes difficultés à se lâcher l'un l'autre, puis dans le même lieu, Jean D'ombelle et sa fiancée sont sagement assis côte à côte sans même se regarder. Chaque partie de la scène commence par le même mouvement de caméra, qui part d'un tableau quelque peu coquin si on sait le regarder, et se termine par un travelling arrière vers le même tableau. Seulement notre opinion est faite: le coeur de Renoir, comme le notre, va à ces domestiques qui vivent leur amour au grand jour...

Sinon, le film est généralement trop long, trop brouillon, trop frénétique et trop loufoque (oui, c'est donc possible!). Mais il est aussi doté d'un antimilitarisme à l'ancienne, dans lequel on tape sur les officiers, et ça, c'est indispensable, surtout par les temps qui courent... une scène hilarante de classes désastreuses nous promène par ailleurs du côté de chez Hal Roach...

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Published by François Massarelli - dans Jean Renoir Comédie Muet 1928 *
16 septembre 2018 7 16 /09 /septembre /2018 14:55

Un meurtre particulièrement sanglant sert de prologue au film, montré à travers un montage ultra-rapide de plans violents, avec des gros plans très brutaux: un couple est tué, chez eux, par un fou homicide. Pendant ce temps, les deux filles du couple jouent. Quand elles reviennent à la maison, elles ont le choc de découvrir leurs parents morts, dans une mare de sang...

Après les funérailles, les deux jeunes filles quittent la campagne et vont toutes les deux s'installer à Ménilmontant, se soutenant l'une l'autre. Mais l'une d'entre elle (Nadia Sibirskaïa) rencontre un homme (Guy Belmont) qui sait se montrer très persuasif, et pendant que sa soeur (Yolande Beaulieu) l'attend, elle couche avec lui...

Puis l'inévitable arrive: elle est enceinte, à la rue, et elle a l"horreur de découvrir que son amant a mis sa soeur sur le pavé. Dans un nouveau déchaînement de violence, plusieurs femme s'allient pour tuer l'homme...

Kirsanoff, né en Russie mais qui a décidé de s'installer en France, fait partie de ces intellectuels qui sont destinés à créer, en quelque média que ce soit: il écrit plusieurs récits, et est décidé à s'attaquer au cinéma aussi, mais strictement selon ses propres termes. Clairement, il a trouvé dans l'atmosphère Française des années 20, propices à l'avant-garde sous toutes ses formes, un terrain de jeux tout à fait adéquat. 

Le film est célèbre pour un certain nombre de choses, notamment son absence totale d'intertitres, et son intrigue qui joue finalement plus sur la sensation que sur l'installation d'un flot narratif. Et Kirsanoff semble faire la synthèse entre tous les courants du cinéma de l'époque, du montage à la Russe, à l'impressionnisme de Louis Delluc, et le mélodrame bourgeois. Le film est violent et cru, mais aussi servi par des acteurs qui sont d'autant plus impressionnants qu'ils sont très souvent captés en gros plans. Nadia Sibirskaïa, visage étonnant, est sublime, tant par sa beauté que par son jeu, et Kirsanoff nous laisse la suivre dans une méditation poétique cruelle qui prend beaucoup aux codes en vigueur, tout en apportant infiniment plus au cinéma Français de cette époque pourtant héroïque. Bref, c'est un classique indispensable.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Avant-Garde *
12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 00:31

C'est le troisième film tourné en 1925 par Browning et le troisième aussi pour la MGM: le metteur en scène revient de loin, et The unholy three et son succès, plus les retrouvailles avec Lon Chaney, connu à la Universal en 1919, ont été décisifs: il allait sombrer dans l'alcoolisme, il ne travaillait plus que pour des petites compagnies. Irving Thalberg, en lui offrant un contrat, lui a remis le pied à l'étrier, et lui a redonné confiance: c'est bien.

Seulement... j'ai déjà dit ailleurs que je n'étais pas convaincu outre mesure par The unholy three, le premier d'une série de thrillers MGM bizarres avec Lon Chaney, qui vont souvent virer au grand n'importe quoi. Je le suis encore moins par The Mystic, le deuxième film MGM, sur lequel on ne va pas s'étendre, pou l'instant du moins, par charité élémentaire! The Blackbird en revanche a une bonne réputation...

Limehouse, à Londres, est un peu comme le Barbary Coast de San Francisco: un endroit où tout est criminel, et les seuls riches qui y viennent entendent justement s'encanailler... Ou bien y travaillent. C'est le cas de West End Bertie (Owen Moore). Dan Tate (Lon Chaney) ne le porte pas dans son coeur, et pour cause, les deux voyous en ont après la même femme, une jolie petite française du nom de Fifi Lorraine (Renée Adorée). Tate va tout faire pour la conquérir, mais c'est Bertie qui va gagner la partie.

Il faut dire que Dan Tate, c'est tout sauf un parti enviable: violent, profondément craint et soupçonné de se livrer à tous les crimes possibles et imaginables. Pas comme son frère jumeau, qu'on a surnommé "L'évèque". Il est le dirigeant d'une mission située en plein coeur de Limehouse; on vient chercher une protection rare chez lui, et il en a remis plus d'un sur le droit chemin... Tout le monde l'adore... Et on vient souvent se plaindre de son frère, justement.

Et ça tombe bien: car le bon, handicapé sérieux, homme bon et ouvert, qui trouve des solutions et prend sous son aile toute la misère du monde, et l'ordure criminelle, ne sont évidemment qu'un seul et même homme, qui a trouvé la planque de rêve: c'est pas moi, c'est mon frère jumeau! Et j'ai renoncé à essayer de comprendre en quoi ça fournit un alibi à Dan Tate, d'avoir un frère jumeau estropié, qui est aussi bon que lui est fourbe. L'intérêt, évidemment, est ailleurs: dans la complicité morbide qui s'installe entre le film, le personnage et les spectateurs qui savent dès la première bobine la vérité; dans la réflexion qui s'engage alors sur la bonté et la criminalité: Dan Tate n'est donc pas si pourri? Et "L'évèque" est donc, fondamentalement, un criminel? pourtant les crimes de l'un sont réels, et la bonté de l'autre a des effets bénéfiques sur la communauté... C'est troublant, et on comprend que Lon Chaney qui aimait pousser son public dans ses derniers retranchements, ait pu être attiré par l'idée.

Seulement, une fois brillamment établi le début, il faut attendre la dernière bobine pour que le film, largement situé dans les bouges sans véritable vie de Limehouse, reprenne enfin vie, avec cette scène hallucinante durant laquelle Dan Tate meurt en essayant une fois de trop de forcer ses membres à adopter la posture tordue de l'évèque. Il lui importe de continuer jusqu'au bout à tromper son monde, et devant son ex-épouse, qui vient avec horreur de comprendre la vérité Dan Tate meurt sous l'identité d'un homme qui n'existe pas, son propre frère: il est satisfait: "I'm foolin' em", dit-il, je les trompe... Mais autour de lui,, c'est la tristesse: le seul homme qui faisait le bien est parti...

Ironique, cynique et sérieusement inquiétant, donc, le film va au bout de son étrange logique, mais déçoit: a trop vouloir développer une intrigue sentimentale très convenue, Browning perd l'intérêt pour son film. Et nous aussi...

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Published by François Massarelli - dans Muet Tod Browning Lon Chaney 1925 *
10 août 2018 5 10 /08 /août /2018 09:42

Don Juan est à Rome, et c'est le pur produit d'une éducation prodiguée par un père trompé, et impétueux: Don José de Marana a en effet prodigué la leçon la plus décisive de toute sa vie à son fils Juan, le jour où il a répudié son épouse infidèle, et emmuré au passage son amant... Vingt ans plus tard, Juan (John Barrymore) consomme les femmes, sans jamais s'enivrer dans la moindre histoire d'amour. 

...Et il les lui faut toutes! Et comme il vit dans la Rome très corrompue de l'époque de Borgia, il est plutôt à son aise. Sa rédemption viendra de Donna Adriana (Mary Astor); la pureté angélique même. Dans un premier temps, il la convoitera comme les autres, et s'étonnera qu'elle lui résiste. Puis il cherchera sa présence afin de gagner son affection. Puis il la sauvera des griffes de l'abominable Giani Donato (Montague Love), homme de main de Lucrèce (Estelle Taylor) et César Borgia (Warner Oland)... 

Ce n'est pas par son intrigue que ce film se distingue. Celle-ci, signée par Bess Meredyth, qui n'allait pas tarder à devenir Michael Curtiz, est une excellente utilisation d'une formule raffinée de film en film, et qui allait souvent donner des splendides swashbucklers dans les années 30 ou 40: voilà où je voulais en venir avec mon allusion au ménage Meredyth-Curtiz! En voyant Don Juan, film luxueux dans un studio qui n'avait pas forcément les moyens en 1926 de se permettre de telles excentricités, on constate que le terrain est en voie de préparation pour les films de Curtiz Captain Blood ou The sea hawk...) Seulement en attendant, c'est Alan Crosland qui était préposé aux grosses machines de ce genre.

Et Don Juan est une splendide réussite dans le genre: le héros est à la fois suffisamment sympathique, et suffisamment fripon pour garantir le spectacle, les méchants (des Borgia qui ont été taillés sur mesure pour le public Américain de 1926: aucun lien avec la papauté, ils sont juste 'les maîtres de Rome': a-t-on besoin de plus? Si on est un historien, oui. Sinon...) sont parfaitement adéquats, les seconds rôles sont à foison: John George, silhouette inquiétante dans le prologue, symbolisant l'âme tortueuse du père de Don Juan; Warner Oland, au naturel, en César Borgia inquiétant, mais pas autant qu'Estelle Taylor qui est la véritable reine de la famille; Montague Love dans son rôle préféré: un homme de main libidineux qui se fait tuer à l'avant-dernière bobine... Myrna Loy dans un rôle inhabituellement développé de dame de compagnie-espionne, et le grand Nigel De Brulier, qui joue un mari trompé qui fait basculer l'histoire de Don Juan depuis la comédie vers la tragédie: au naturel, lui aussi, son rôle est crucial, et le personnage qui se lance dans un pétage de plombs intensif, nous change des bons pères et des Richelieu tout en manoeuvres feutrées, deux types de personnages qu'il avait l'habitude de jouer... Et puis il y a, dans le rôle d'un bourreau, Gustav Von Seyffertitz, l'inénarrable sadique dont Barrymore aimait tant copier les traits (voir son Mr Hyde, c'est troublant), et qu'il imite ici dans une scène située vers la fin...

On ne s'ennuie jamais, et on en prend plein les yeux: la photo de ce film, ses décors, le cadrage (avec un certain nombre de cascades jouées en plan large, et rendues plus spectaculaires encore) et les costumes, tout y contribue au plaisir. C'est que la Warner avait une idée derrière la tête: le Vitaphone. On lit souvent que Don Juan était le film par lequel la compagnie WB avait expérimenté ce système de synchronisation qui allait ensuite mener la compagnie à insérer 2 minutes parlantes dans The jazz singer. Sauf que pour une fois, c'est rigoureusement exact. Jack Warner jouait son va-tout avec Don Juan, dont le succès allait précipiter la révolution du cinéma sonore. D'où les précautions, et le soin apporté à la production. Et du même coup, ceci est le meilleur film de Crosland, et ce de très loin. Le principal atout du film, je pense, est son montage formidable, qui nous permet de toujours nous situer du bon côté de l'action (c'est à dire en prenant parti pour Don Juan, y compris avant qu'il n'entame une rédemption ô combien nécessaire!)... Mais franchement, il n'y a là-dedans que des motifs de satisfaction, et tant qu'à faire ce long métrage d'excellente facture est aussi à mes yeux le meilleur film de John Barrymore. 

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Alan Crosland *
6 août 2018 1 06 /08 /août /2018 18:30

Ce long métrage de 1925 est aujourd'hui éclipsé par le remake de King Vidor, mais ce serait trop facile de se contenter de le considérer comme un précurseur à mettre poliment de côté, ou une simple note en bas de page... Henry King, maître exigeant d'un cinéma profondément humaniste, attiré par les occasions de sortir le médium de la facilité, l'a réalisé pour la compagnie de Samuel Goldwyn, éternel indépendant qui encourageait ses metteurs en scène à dépasser les codes et les conventions...

Stephen Dallas (Ronald Colman) aime la jeune Helen, depuis leur enfance, mais... le sort a décidé que les deux amoureux seraient éloignés : le père de Stephen, au cœur d'un scandale financier, se suicide, et le jeune homme va devoir se recostruire par son travail d'avocat... Seul, car helen s'est mariée de son côté, probablement poussée par sa famille suite au scandale. Devenu l'avocat d'une petite entreprise, Stephen se prend d'amitié pour Stella (Belle Bennett), une jeune femme au francparler rafraîchissant, et dotée d'une famille brute de décoffrage, particulièrement encombrante.

Ils se marient, puis ont une fille, la petite Laurel. Celle-ci va surtout grandir auprès de sa mère, car quand Stephen obtient une situation avantageuse à New York, où elle ne connaît personne, elle décide de rester. Séparés de fait, le mari et la femme vont cesser de s'aimer ou de compter 'un pour l'autre, et Laurel va donc vivre avec une mère aimante, mais qui la handicape socialement...

C'est un mélodrame, plutôt cruel, dans lequel Henry King joue d'une certaine ambiguïté : il n'adhère pas aux codes sociaux qui gouvernent le drame qui se joue pour le personnage de Stella, qui sera bientôt amenée à sacrifier sa présence auprès de Laurel pour le bienfait de la jeune femme, mais il les rend indispensables au spectateur pour comprendre le drame qui se joue. Ce n'est pas tant une ambiguïté liée à la moindre volonté de ménager les sensibilités, qu'une façon d'amener le public, en contrebande, là où il souhaite l'amener.

Et pour bien faire, le metteur en scène se donne les moyens : du temps d'une part, car c'est un film assez long, dans lequel chaque scène pourtant n'est pas étirée inutilement : ce n'est sans doute pas un hasard si Jean Hersholt, qui joue le seul ami de Stella, semble ici reprendre le rôle de Marcus Schouler de Greed ! Car Henry King utilise la caractérisation, le vêtement, les codes sociaux, et impose dans chaque scsène une vie formidable par des petits riens, à l'instar d'un Stroheim ! Et la mise en scène, d'une précision incroyable, joue aussi sur la profondeur de champ d'une façon encore assez peu courante : par exemple, quand Stephen séduit Stella sous le balcon de sa toute petite maison, nous voyons derrière les amants les deux frères de la jeune femme en train de se moquer d'eux derrière la fenêtre. Plus tard, la première vision des deux mariés et parents, est d'une grande clarté : au fond du cadre, à gauche, le bureau de monsieur ; au fond du cadre à droite, le boudoir de madame qui se pomponne. Au centre, la petite Laurel est sous la garde d'une nourrice. Si jeunes mariés, à peine parents, et déjà séparés. A maintes reprises, King utilise le cadre non seulement pour séparer les parents de Laurel, mais surtout pour séparer Stella du reste de la société ; quand elle offre des vacances à sa fille, la mère doit garder le lit, c'est donc d'une fenêtre qu'elle assiste au bonheur de sa fille...

C'est un rôle formidable pour Belle Bennett, qui doit ici jouer un personnage de son adolescence à un âge plus mûri par les vicissitudes, que mûr tout court, car quand nous voyons pour la dernière fois Stella, quasiment une clocharde, elle n'a sans doute pas cinquante ans... Mais le bon goût et l'audace impressionnante d'un cinéaste qui sera plus tard l'un des plus ennuyeux de tous les réalisateurs académiques, se manifestent ici par un vrai sens du mélodrame, accompagné d'un impressionnant savoir faire : il sait comment ne pas aller trop loin, comment suggérer, et la direction d'acteurs est constamment splendide. Bref, je le répète : il n'y a aucune raison de considérer ce film de 1925 comme un simple satellite de celui de Vidor, quelles que soient les qualités de ce dernier...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1925 Henry King *
2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 18:58

Dans les années 20, l'occultisme est une forme de mode qui prend essentiellement les classes les plus aisées, et va aboutir à un chef d'oeuvre cinématographique absolu... Ce n'est pas ce film, qui s'inspire quand même du mouvement, ainsi que de la personnalié d'Alceister Crowley.

Rex Ingram, impétueusement fâché après la MGM qui lui a refusé la réalisation de Ben-Hur après le retrait de Charles Brabin, et profondément en colère contre Louis B. Mayer (au point de toujours demander à ce ses films sortent sous étiquette « Metro-Goldwyn » seulement, c'est dire l'étendue de la bouderie), a prétexté un film situé en Europe pour y partir, et maintenant il ne veut, tout simplement, plus revenir. Il est basé à Nice, et utilise les Studios de la Victorine, mais pas seulement, comme le prouvent de nombreux extérieurs situés à Paris... Son film, après l'ambitieuse vignette d'après-guerre Mare Nostrum, version opératique des années de conflit mondial vues sous l'angle de l'ivresse de l'amour fou, est un petit mélodrame occulte qui déçoit...

Alice Terry y interprète une sculptrice Américaine installée à Paris qui a un accident, nécessitant une intervention chirurgicale délicate. Celle-ci est confiée à un jeune prodige Américain, joué par Ivan Petrovitch : de l'opération, qui est un succès, naîtra une relation entre les deux jeunes gens. Mais un autre homme a des vues sur la jeune artiste, l'occultiste Oliver Haddo (Paul Wegener), qui très vite va lui montrer l'étendue de son pouvoir...

...De suggestion ? Le film contient une inconsistance majeure : d'un côté il semble qu'Haddo soit réellement doté de pouvoirs, ce qui évidemment ouvre la porte à une interprétation magique au premier degré. Sauf que vers la fin du film, un intertitre nous apprend qu'il est e réalité totalement dingo. Ce qui pose évidemment problème, puisque un (excellente) scène nous montre, en effet, Wegener emmener avec lui Alice Terry dans un monde inquiétant de faune, de diables et de sorcières... Et qu'à deux ou trois reprises, il l'hypnotise comme un rien.

Mais c'est sans doute la loi du genre, le mélodrame fantastique avec tours lugubres, laboratoires médiévaux, grimoires et assistants nains : tous ces ingrédients sont d'ailleurs bien présents, et si vous ajoutez un faune, vous voyez qu'on n'est pas volé... Mais le principal écueil du film, c'est que si on constate qu'il est à l'aise pour réaliser un film de genre, on aimerait qu'il aille un peu plus loin, car c'est quand même le metteur en scène de l'époustouflant Scaramouche et du baroque Mare Nostrum, alors cette petite entreprise occultiste, qui bénéficie de beaux décors et de l'équipe rodée de Rex Ingram, méritait mieux que ça, quand même ! Reste Wegener, le principal atout du film, qui est exactement comme on l'imagine, c'est-à-dire inquiétant, énorme et parfaitement à son aise dans ce fatras inspiré à la fois de Haxan, de Nosferatu (LE chef d'oeuvre ouvertement occultiste dont je parlais plus haut) et de Gustave Doré...

Rappelons en guise de post-scriptum que Michael Powell, qui a commencé travailler en qualité d'homme-à-tout-faire pour Rex Ingram avec le film précédent, est ici acteur, entre autres choses. Vous le reconnaitrez facilement, il interprète un touriste Britannique...

 

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Published by François Massarelli - dans 1926 Muet Rex Ingram *
2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 18:27

Les quelques années passées, à Hollywood, à honorer un contrat avec la MGM ont été pour Benjamin Christensen une période de frustration, dont aucun des films qui en ont résulté ne semble pouvoir atténuer l'effet : c'est bien médiocre, tout ça... Mockery, pourtant, promettait : un script original de Christensen, une histoire romantique et noire située dans le chaos des coulisses de la révolution Russe, et Lon Chaney dans un rôle qui tranchait considérablement sur ce qui commençait sérieusement à devenir la routine de ses interprétations pour le studio.

Ca commence de manière intéressante : dans des bois jonchés de cadavres, un homme, le paysan Sergei, erre sans but. Il croise la route d'une jeune femme, habillée en paysanne. Ils vont faire équipe mais elle prend tout de suite la direction des opérations, en lui faisant promettre de l'obéir en tout point... Les premières séquences réussissent à capter notre intérêt, et après tout nous sommes come ce paysan dépassé par les événements : nous ne savons pas ce qui se passe, et n'avons as la moindre idée de l'identité de la jeune femme, qui prétend s'appeler Tatiana (Barbara Bedford). Et une complicité va s'établir entre les deux, jusqu'à ce qu'ils se réfugient dans une cabane au fond des bois : là, Sergei va offrir de son temps, et de sa tendresse, en lavant les pieds de la jeune femme, dans une scène d'adoration quasi religieuse. ...Mais quelques instants après, une troupe de révolutionnaires viennent, et menacent la jeune femme, qu'ils soupçonnent d'appartenir à la noblesse. Ils décident de torturer Sergei, qui selon le vœu de Tatiana prétend être son mari, mais il n'en dira pas plus.

Quand les troupes blanches arrivent, Tatiana est sauvée et se présente sous le nom de la Grande-Duchesse Alexandra. Elle promet à Sergei d'être son amie, et ils partent avec les troupes vers une ville, où ils vont se réfugier chez un riche profiteur de guerre, joué par Mack Swain : un rôle important, dans lequel il ne jouera pas trop de son expérience de comédien chez Sennett : étonnant. Une fois en ville, Alexandra ne se préoccupe plus de Sergei, mais file le parfait amour avec le jeune Capitaine Dimitri, interprété par Ricardo Cortez. Sergei, de son côté, se sent abandonné et sans rien comprendre commence à écouter les sirènes révolutionnaires qui le manipulent...

On aurait attendu de Benjamin Christensen qu'il se rende maître de l'image, comme il l'avait fait au Danemark. En lieu et place, on a un film mis en scène d'une façon plate et purement fonctionnelle : c'est que le réalisateur d'Haxan a besoin d'être chez lui, dans SON studio, et a probablement du mal à gérer les horaires de la MGM, de 9 à 17 heures tous les jours sauf le week-end, et sans doute à accepter de n'être qu'un des rouages du mécanisme. Son film, s'il part d'une bonne idée, manque de tout : des images qui aillent un peu plus loin que le simple enregistrement de scènes, de décors qui changent un peu (une fois en ville, on ne quitte quasiment plus la maison de Mack Swain), et même d'un héros : car le fait est que Sergei ne comprend rien de ce qui l'entoure, et de fait aucun des « nobles » ne donne envie de les apprécier. Pas plus que les révolutionnaires, qui sont traités à la truelle par le metteur en scène. Et par moments, le malaise qui s'installe est plus dû à l'indécision du spectateur devant la confusion qui règne : ceci est-il une comédie, ou un drame? Plus grave, on a l'impression que personne ne le sait vraiment !

Chaney réussit par sa présence seule à sauver quelques moments (le début, je le disais plus haut), mais c'est peu, bien peu...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Lon Chaney Benjamin Christensen *
28 juillet 2018 6 28 /07 /juillet /2018 09:37

Une jeune femme, Bessie (Hope Hampton) qui vient d'avoir le coeur brisé, vient trouver refuge dans une petite pension de famille un peu miteuse. Son voisin, Tony Pantelli (Lon Chaney) est un petit malfrat; ça ne l'empêche as d'avoir un coeur d'or: il va veiller sur la jeune femme, ui en a bien besoin...

Pendant ce temps, l'homme qui a causé le malheur de Bessie, Ashe Warburton (E. K. Lincoln), est en villégiature en Grande-Bretagne: il trouve une coupe médiévale aux étranges propriétés: elle brille dans la nuit... Pour certains, il pourrait s'agir du Saint Graal. Désireux de soigner Bessie, décidé à jouer un tour de cochon à Warburton, Tony qui vient d'apprendre le retour de ce dernier, décide de voler l'objet: on dit qu'il a des vertus curatives.

C'est un mélodrame comme il en a existé tant à l'époque du muet. Si l'intrigue est assez conventionnelle, elle est rehaussée d'une mise en scène particulièrement soignée. Brown, qui a été à très bonne école en tant qu'assistant de Maurice Tourneur, se fait plaisir dans des compositions très recherchées, et avec la lumière et l'ombre. L'un des passages les plus connus du film, quand Tony va se faire arrêter, est traité d'une manière formidable, en un seul plan : Tony ouvre une porte et sur celle-ci, l'ombre d'un policier armé se dessine...

The light in the dark est un film perdu, dont il nous reste une abréviation, ressortie dans le circuit religieux sous le titre The light of faith. C'est une trahison du film, hélas, qui ne prend ni gants ni la moindre subtilité pour nous asséner le fait que la mystérieuse coupe (couverte de radium par un escroc dans le film original) EST le Graal, sans le moindre doute... Mais le film a pu ainsi, au moins partiellement, être préservé. Et Lon Chaney, au milieu de tout ça, est royal...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1922 Clarence Brown Lon Chaney Film perdu *
26 juillet 2018 4 26 /07 /juillet /2018 16:37

S'il est un film qui est une halte bienfaisante dans l'univers de Lon Chaney, c'est bien celui-ci, réalisé par un metteur en scène méconnu mais qui se met clairement au service de son histoire et de ses stars. Chaney, pour la première fois depuis Outside the law, y est un oriental, et l'intrigue est étonnante:

En Nouvelle-Angleterre, dans une ville de pêcheurs, très rigoriste, on apprend qu'il y a eu un naufrage, qui a emporté la vie d'un certain nombre d'hommes du coin. Parmi eux, le violent Daniel Gibbs (Walter Long), marié à Sympathy (Marguerite de la Motte), et qui lui mène la vie dure... Un des rares survivants du naufrage est un Chinois, Yen Sin (Lon Chaney), qui n'est pas du village, mais comme il a tout perdu, et en dépit des réticences des locaux ("on n'est pas des païens") il va s'installer dans une péniche, faire son travail de blanchisseur et s'intégrer du bout des lèvres...

Arrive un nouveau pasteur, John Madden (Harrison Ford): il est jeune, il est beau, et il séduit la belle Sympathy; quelques temps plus tard, ils se marient, et ont une fille. Ce qui ne fait pas les affaires de Nate Snow (John Sainpolis), un homme du village amoureux de la jeune femme depuis toujours. Madden s'est attelé à évangéliser Yen Sin, ce qui n'est pas une mince affaire, mais il gagne au moins son amitié... 

Un jour, un drame secret arrive pour Madden: il reçoit une lettre de Dan Gibbs qui le fait chanter... Ne pouvant s'en ouvrir auprès de la population, il commence à souffrir le martyre et est obligé de se séparer discrètement de sa femme et de sa fille... 

C'est un petit film, produit par l compagnie Preferred Pictures (De B. P. Schulberg, futur cadre à la Paramount), mais ça ne l'empêche pas d'être de grande qualité: d'abord, par son refus du spectaculaire dans la peinture de petites gens; ensuite par l'ouverture d'esprit incroyable qui est ici manifestée (les protestants de Nouvelle-Angleterre y sont montrés dans leur intransigeance religieuse, et c'est yen Sin qui va les conquérir, voire les sauver, et non le contraire); enfin par la façon dont la mise en scène laisse vivre et respirer les acteurs: sans nul doute, l'influence de Chaney sur la production a du être énorme... Quant à lui, si parfois il en rajoute un peu trop dans la courbette, son maquillage est impressionnant, et la création du personnage de Yen Sin, joué avec une incroyable tendresse, fait quand même partie de ses très grands moments: c'est dire...

 

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Published by François Massarelli - dans Lon Chaney Muet 1922 *