En Novembre 1917 se sont tenues les premières élections pour l'assemblée constituante en Russie, et c'était évidemment une date importante pour les Bolcheviks, principale force de la Révolution d'Octobre... Comment Starewitch, qui n'allait pas tarder à émigrer à la faveur d'un tournage, a-t-il été amené à participer à la propagande socialiste en vue de cette élection, et par là-même à réaliser l'un des premiers films Soviétiques militants, c'est pour l'heure un mystère, mais ni la situation chaotique de la future URSS, ni la position paradoxale des artistes du cinéma Russe des années 10, ne sont finalement claires... Notons par exemple que si Starewitch, qui a réalisé ce film pro-socialiste, finira par émigrer et s'installer en France, Protazanov de son côté émigrera sans demander son reste dès la révolution aux côtés de Mosjoukine, participera à l'établissement d'une compagnie de cinéma en France qui allait devenir l'Albatros... et rentrera au pays pour tourner avec Aelita le fantasme Soviétique ultime!
Toute cette confusion n'empêche de toute façon absolument pas ce film, réduit à une vingtaine de minutes dans la version que j'ai vue (mais on parle parfois d'une version en 6 bobines... prudence!), d'être totalement inintéressant et prévisible: on annonce des élections, et un délégué syndical très populaire qui selon toute vraisemblance sera élu par toute sa communauté, est écarté par un patronat vendu... Et par-dessus le marché, le principal actionnaire souhaite se débarrasser du camarade pour faire main basse sur sa fiancée... Bon, Starewitch ne s'en est pas trop vanté, de celui-ci...
Ce film est incomplet; il s'agissait à l'origine d'un long métrage de cinq bobines, entièrement en prises de vues réelles, et il subsiste une trentaine de minutes, sans intertitres, ce qui est très fâcheux... Le métrage subsistant est tiré des trois premières bobines, et on n'a donc pour se faire une idée de ce film, que les deux premiers actes...
Un jeune homme est engagé comme chauffeur, et va devenir parce qu'il a plu à sa maitresse (plusieurs sens donc à donner à ce terme) un jockey pour l'écurie de ses patrons... Mais ses attaches près de la communauté bohémienne et en particulier ses liens avec une jeune musicienne, provoquent la jalousie de la riche bourgeoise...
C'est un sombre drame, difficile à expliciter aujourd'hui, dont les scènes se partagent entre des plans de compétition sportive, des séquences au restaurant, et beaucoup de scènes d'intérieur, éclairées avec soin... Pas de quoi se relever la nuit hélas, et n'oublions pas que Sarewitch lui-même, qui considérait son travail comme celui d'un animateur, n'avait aucune indulgence pour les films qu'il a été amené à accepter pour nourrir sa famille.
Il semble que l'information qui circule autour de ce film de moyen métrage (on annonce 44 minutes pour la version originale, soit trois bobines) soit très incomplète... et le film aussi. Par contre la durée généralement admise, autour de 8 minutes, est à amender: sur l'anthologie des films Russes de Starewitch éditée chez Doriane, le film totalise près de 24 minutes... Mais il y a des sautes de continuité en particulier dans la première partie...
Le personnage principal du prologue est un usurier, et si à aucun moment on n'aura de référence explicite, un nom qui aurait pu nous mettre la puce nauséabonde à l'oreille, ou un élément culturel ou de mobilier qui puisse nous donner des indices, le maquillage du personnage renvoie aux traditions antisémites du roman, et du théâtre: Fagin (Oliver Twist de Charles Dickens) et Shylock (The merchant of Venice de William Shakespeare) ne sont pas très loin... Voilà, c'est dit, on reviendra hélas sur ce chapitre dans un autre film hélas...
Un usurier, donc, voit sa fin proche et décide, n'ayant pas de descendance, de commanditer un portrait parce qu'il souhaite "vivre après sa mort"... Des années après sa disparition, un peintre talentueux mais sans le sou donne des derniers kopecks pour acquérir la toile, sans bien comprendre ce qui en motive l'achat. Il va en résulter des cauchemars, puis une malédiction: le tableau s'anime dans ses rêves, et lui laisse dans la réalité de l'argent: il va devenir riche, et perdre son talent dans la vie mondaine...
L'allégorie ici est bien sûr consacrée à la valeur d'un art, partagé entre la facilité et le goût d'un public futile (l'écueil dans lequel, sous l'influence du tableau, le peintre va perdre son âme), et un art de la souffrance, du drame, dans lequel un peintre perdra la vie et le confort plutôt que la dignité. Cette morale austère se trouve dans le conte initial de Nicolas Gogol, et donne lieu à des scènes d'angoisse et de hantise, dont le cinéma Russe avait le secret à cette époque lointaine!
Si on cherche la trace de l'animateur Starewitch, on la trouvera dans deux idées de mie en scène... L'une est simple et très efficace: pour signifier la mort du personnage de l'usurier et installer dans l'esprit du spectateur l'incertitude de sa fin et de son destin, un fondu enchaîné le voit littéralement se fondre dans le tableau effrayant qu'il a commandité. Puis une fois le tableau acheté et installé chez le peintre, celui-ci donne un petit coup de chiffon à l'austère toile, couvrant ainsi de sa stature la surface visible du tableau: Starewitch en profite pour utiliser le vieux truc de Méliès de l'arrêt de caméra, et effectuer une transition en douceur entre le tableau et la vision de l'acteur jouant l'usurier dans un cadre vide... C'est très réussi!
Dans ce conte, la fille du père des neiges et de la fée printemps, prend une décision; le monde des mortels l'intéresse tellement qu'elle va les rejoindre... Mais elle va surtout flanquer une pagaille monumentale dans les coeurs, car en plus d'être un être féérique, elle est aussi fort jolie...
C'est un film en trois bobines, un format entre le court et le long métrage assez usité en Russie à l'époque: Bauer y recourait fréquemment pour des films qui ne dépassaient pas les 40 minutes... Mai on est loin des tragédies et drames sombres de la bourgeoisie Moscovite! Dans un décor hivernal, tourné en plein air, Starewitch tente une nouvelle incursion à l'écart de l'animation, n'ayant ici recours qu'à quelques transparences et surimpressions. Le résultat est charmant, sans plus: la guerre menaçait et la Russie s'y est engagée de plein fouet...
La nuit de Noël, la sorcière Solokha fait les 400 coups avec un démon, et ils volent la lune... Dans le chaos qui s'ensuit, des cosaques qui se sont perdus dans la nuit noire viennent se réfugier chez la sorcière et pendant ce temps, le fils de cette dernière, Vakula, forgeron de son état, se met en quête de bottes pour offrir à sa fiancée exigeante... Une aide précieuse viendra du démon...
Le film est un moyen métrage de trois bobines adapté d'une nouvelle de Nicolas Gogol, dominée par l'ironie, et une certaine caricature acide. Le film est situé en Ukraine, et Starewitch a fait des efforts pour en restituer les aspects folkloriques. On peut s'étonner de le voir aux commandes d'un film uniquement peuplé d'acteurs, mais il y a fort à parier qu'il ait été engagé justement pour son savoir-faire d'animateur et sa science des effets spéciaux.
A ce titre, les séquences de vol, en balai d'abord, puis Vakula en démon-stop, sont assez peu réussies, il faut un petit temps au spectateur pour comprendre ce qu'on lui montre... Plus intéressante est la scène qui voit le démon se rapetisser, jusqu'à ne plus faire que quelques centimètres: Starewitch a utilisé une marionnette image par image pour remplacer son acteur.
On peut noter que le caricaturiste acerbe et profondément adulte chez Starewitch ressort particulièrement en contrebande dans ce film, notamment lorsque des hommes toquent à la porte de Solokha, ce qu'un intertitre nous explique ainsi: Solokha étant sans mari, il était de coutume pour les hommes d'aller chez elle... Tiens donc!
Un dernier mot sur ce petit film assez peu glorieux: le démon est méconnaissable. C'est Ivan Mosjoukine.
Reprenant les formules qui avaient fait son succès aussi bien pour le Voyage dans la lune (1902) que pour Le voyage à travers l'impossible (1904): une destination improbable, un voyage loufoque, et des péripéties plus délirantes que tout ce qu'on pourrait imaginer... Sauf que cette fois il se laisse aller à réaliser, pour Pathé, un film nettement plus long: deux bobines. C'est ambitieux, et c'est la preuve que Méliès, au moins, est à l'écoute: le format des films, en Europe, s'allonge... L'Italie, le Danemark et la France réalisent des films de long métrage, déjà... Méliès, qui se refuse à quitter le studio, est tributaire de ses habitudes techniques: il a besoin de créer l'illusion dans le plan, et le montage ne lui sert qu'à deux fonctions; premièrement, il crée l'illusion en faisant disparaître, transformer, apparaître et exploser les hommes, les femmes et les objets dans le plan; deuxièmement, une coupe permet de passer à la suite..;
Ce qui explique que dès le départ, le film ne ressemble à rien de contemporain. C'est probablement ce qui l'a coulé, mais Méliès ne peut pas et ne veut pas faire du cinéma comme tout le monde, et désire continuer à faire du cinéma selon ses propres règles. Mais en allongeant, il prenait le risque de faire trop long, et c'est ce qui va être un sérieux problème pour ce film...
Certes, ça commence bien et même très bien avec un contexte qui se complexifie à loisir, avec pour une fois une sous-intrigue (pendant qu'une coalition internationale menée par l'ingénieur Maboul se rend en direction du Pôle Nord dans une machine volante, les Suffragettes désignent l'une des leurs et elle est interprétée par Fernande Albany, préposée à l'humour poids lourd, mais elle disparaîtra dans une scène d'une grande indélicatesse, et ce avant la fin de la première bobine)... Mais si Méliès arrive à garder son style tout en s'ouvrant au monde du cinéma, puisqu'il travaille pour Pathé, il est fatigué, et ses "vues merveilleuses" des cieux, avec ses pin-ups 1910 déguisées en étoiles, font long feu. On remarque ça et là quelques avancées, comme un plan (un seul) tourné "en extérieurs", en fait à l'extérieur du studio de Montreuil.
Il reste le combat contre le "géant des neiges" situé vers la fin: mais si esthétiquement il date le film pour le spectateur d'aujourd'hui, je crains qu'il n'ait aussi sérieusement daté le film à sa sortie, pour le spectateur nourri aux films de Capellani, Feuillade, et qui se pressait aux aventures de Nick Carter de Victorin Jasset... Et comme la plupart des séquences, lui aussi tire sérieusement en longueur.
Deux histoires, apparemment sans lie: d'un côté, un détective, patron d'une prestigieuse et ultra-moderne agence, reçoit la mission de démanteler un réseau de malfrats, sous la coupe du mystérieux chef, Terry. De l'autre, un faux couple (les deux amoureux le sont en effet, mais chacun d'entre eux avec un ou une autre) qui a gagné le prix de plus beau couple du Danemark, doit se rendre en croisière pour profiter de leur distinction... Ce qui va lier les deux? Lors d'une de ses missions, le détective se cache dans le kiosque à journaux roulant de Schenstrom et Madsen, soit Doublepatte et Patachon comme on les appelait alors. Frappé par sa ressemblance avec le plus grand, il les engage pour détourner l'attention des bandits qui surveillent son agence en permanence. Et pendant qu'ils tiennent la maison, pour ainsi dire, les deux compères sont contactés par les deux conjoints secrets du faux couple, afin de les accompagner dans leur périple: l'objectif est bien sûr de les empêcher de fauter! Pas de danger, semble-t-il, ils se détestent...
Entretemps, Madsen s'occupe en découvrant tout un tas de gadgets plus idiots les uns que les autres dans le bureau de l'agence, les deux amis reçoivent à l'agence la visite d'un étrange personnage, qu'ils réussissent à neutraliser, les deux fiancés secrets suivent le trajet du couple gagnant et tombent amoureux l'un de l'autre, une attachée de presse, chargée de couvrir le voyage des deux gagnants, tombe pour sa part sous l'étrange charme du petit Madsen, et ce dernier, pendant que ses clients font la route du Rhin, fait la route du vin, puisqu'il est fin saoul du début à la fin du film!
Sur un scénario de Valdemar Andersen, qui commençait lui aussi à diriger les deux acteurs fétiches de la Palladium, Lau Lauritzen s'amuse à compliquer les choses avec une certaine verve. Le film a deux solides atouts (en plus de l'excellente dynamique de ses deux vedettes, qui de toute façon n'est jamais mise en doute): d'une part le réalisateur évite les clichés qu'il a lui même établis, et qui ont fini par lasser: les jolies filles en duo, les intrigues sentimentales à la noix, et les attraits clichés du bord de mer, qui devait quand même être un peu frisquet, vu qu'on est au Danemark! Et d'autre part, le film situé pour une large part à Copenhague participe de la poésie urbaine si particulière et si ancrée dans la deuxième moitié des années 20...
Si tous les films consacrés au duo Madsen et Schenstrom ne sont pas de la même qualité, celui-ci, qui en prime accumule les loufoqueries avec un bel entrain, est une vraie réussite...
Une fois l’affaire Greed consommée, Stroheim qui avait commis ce film invendable restait sur les bras de la MGM. On peut imaginer plusieurs raisons pour lui confier un nouveau film comme celui qui lui fut attribué. La première raison, c’était peut-être de l’amadouer, de lui faire comprendre qu’il n’était pas indigne de la famille Metro-Goldwyn-Mayer, et qu’on l’estimait toujours, la preuve, on lui demandait de faire un gros film. Il n’avait à ce stade qu’un seul véritable échec commercial à son actif, et les dirigeants estimaient que le matériau, avec ses gros sabots Austro-Hongrois, lui convenait à merveille. Une deuxième raison réside dans le fait que les gens de la firme, qui prétendront apprendre à Buster Keaton comment on fait une comédie (En 1928) se sont efforcés de choisir pour Stroheim le véhicule qui leur semblait le plus proche de son cinéma, tout en recherchant une type de film qui ne fâche pas trop les familles: un ersatz, donc. La troisième, c’est que Mae Murray, grande vedette bientôt lessivée de la MGM, s’était entichée de l’opérette et voulait la faire par tous les moyens, et Thalberg imaginait qu’avec Stroheim face à elle, le réalisateur tempèrerait de son autorité les caprices de la star, et que l’actrice remettrait le démiurge en place. Mauvais calcul, doublement… mais passons.
Si c’était un geste de bonne volonté de la firme, cela ne serait pas pris comme tel par le metteur en scène, mais celui-ci allait s’acquitter malgré tout de la tache, dans un tournage émaillé de problèmes en tous genres, en particulier entre les deux principaux protagonistes déjà cités, mais aussi entre Stroheim et l’autre star, John Gilbert, ou encore entre Stroheim et Thalberg. Celui-ci a en effet licencié Stroheim une deuxième fois (rappelons que la première fois, c'était à la Universal), pour le remplacer par Monta Bell qui ne put tourner un mètre de pellicule suite à une grève des techniciens, et de John Gilbert en soutien à leur réalisateur...
Pour cette fois-ci, c’est Stroheim qui a fini le film, puis il a quitté la MGM, désormais cinéaste maudit pour l’éternité, avec un nouveau énorme succès à son actif… Bref, la routine.
Notre héros n’aimait pas ce film, qui lui avait été imposé. Je pense que si on lui avait imposé de faire le film de son choix, d'en écrire le scénario, de faire un remake de Greed avec le final cut spécifié sur son contrat, la tête de Thalberg en prime, il n’aurait pas aimé: Stroheim devait vouloir faire quelque chose à 100% pour le respecter: son art était à ce prix. De plus, on lui imposait de tourner avec des vedettes, et même une star. Il ne l’avait jamais fait et ne souhaitait pas le faire, c’était donc pour lui une nouvelle compromission inacceptable… Les historiens sont généralement critiques sur ce film, Sadoul en tête: s’il reconnaît que le film est meilleur que l’opérette, il l’accuse d’avoir été bâclé. Denis Marion le considère comme « le moins bon » des films de Stroheim. Qu’en est-il ?
Le scénario de l’adaptation par Stroheim a tout fait pour désopérettiser l’œuvre, en lui donnant de la substance mélodramatique. Du reste, souhaitant au départ interpréter le Prince Danilo de Monteblanco, Stroheim devait en faire moins un sympathique fripon qu’un Steuben ou un Karamzin auquel on offre une sorte de rédemption, mais Thalberg en décidera autrement : sachant qu’il lui serait difficile de licencier le metteur en scène et la star, dans un tournage qui s’annonçait orageux, il a imposé à Stroheim d’utiliser John Gilbert, le jeune premier qui n’en finit pas de monter, ce qui obligera l’auteur à réécrire le rôle, le scindant en deux: Danilo (Gilbert) est le sympathique neveu du roi, coureur mais foncièrement gentil, alors que Mirko (Roy D’Arcy) est l’ignoble prince héritier, coucheur, hypocrite, sadique et portant monocle. Mae Murray joue Sally O’Hara, la jeune danseuse devenue à son arrivée à Monteblanco la femme convoitée par les deux princes et le baron Sadoja (Tully Marshall), un vieil infirme libidineux, fétichiste du pied, dont les millions sont le principal soutien de la couronne. C’est à ce dernier que Sally O’Hara se marie lorsque une machination de la famille Royale empêche Danilo de convoler en justes noces avec elle, et la nuit de noce tourne au drame, lorsque Sadoja s’écroule, tué sur le coup par un arrêt du cœur au vu des petits petons fripons de sa jeune épousée. devenue la « veuve joyeuse », elle est l’objet de toutes les attentions, et quelqu’un doit l’épouser afin que les millions ne s’envolent pas pour l’étranger. La partie tourne à l’affrontement entre Mirko et Danilo…
Servi par les moyens de la MGM, Stroheim donne à son film une allure et un style particulièrement luxueux, et son sens du détail fait ici merveille, notamment dans les scènes d’ouverture, qui sont d’autant plus intéressantes qu’elles y ont été maintenues en intégralité: Stroheim savait exposer un film, et son art classique en ce sens est profondément délectable ici: les premières images nous montrent une sortie de messe à Monteblanco, le couple royal d’abord (George Fawcett et Josephine Crowell, absolument pas glamour !), puis le Baron sur ses béquilles. Ensuite, il nous emmène voir l’arrivée de l’armée, en manœuvres, dans une auberge typique en pleine montagne, où la voiture de Mirko s’arrête, puis Mirko en descend, pestant contre l’auberge qu’il déteste au premier coup d’œil, et s’insurgeant de voir des cochons s’ébrouer dans la fange. Il manque de marcher dans une flaque de boue, l’évite avec force manières, puis on passe à l’arrivée de Danilo, dans sa voiture en plein examen de cartes postales cochonnes, qui s’arrête, rit en voyant et l’auberge et les cochons, puis marche sans que cela le dérange vraiment dans la boue, en devisant gaiement avec ses lieutenants… La boue resservira, lorsque vers la fin lors d’un enterrement Mirko évite de marcher dans une flaque, mais un accident l’y précipitera malgré tout. Les "petits cailloux" chers au réalisateurs (des balises de sens disséminées dans l'histoire et qui en rafermissent la continuité), laissés sur place malgré la prise en main du montage final par la MGM, offrent une (petite) revanche à Stroheim, qui est ici, qu’il l’ait admis ou non, dans son élément. D'ailleurs, le résultat n’est pas du tout un film familial, dans lequel on couche, on ment, boit, trahit, brutalise et flingue sans vergogne; on y jure presque, lorsque le roi dit à Danilo: "Si tu crois que l'on se marie avec toutes les filles que l'on...". Ca n’a pas non plus grand-chose à voir avec Lubitsch, mais c’est un film souvent défoulant par son décalage et ses excès, tout comme pour sa mise en scène qui donne à voir de nouvelles tendances en matière de perversion : lorsque Danilo tente de séduire Sally dans une chambre privée, seul (Si ce n’est cet étrange couple de musiciens nus et aveuglés par des foulards qui restent sur le lit durant les (d)ébats), Mirko se trouve dans la même maison, avec une foule de gens qui s’adonnent à une superbe orgie stroheimienne: on y déverse du Champagne sur des dames, on y lance des oreillers crevés, on y tape sur des infirmes, etc… Le baron Sadoja, (Marshall est un nouveau venu qui n’a pas dit son dernier mot, on le reverra dans Queen Kelly) permet le recours au fétichisme, qui apparaît dans la scène du théâtre: chacun avec des jumelles, dans la même loge, Mirko regarde les seins de Sally, Danilo son visage et Sadoja ses pieds. Une scène vaudra à Stroheim la colère de Thalberg: voyant des pieds (Feet, mais on dit aussi footage) de pellicule imprimés avec des dizaines de pires de chaussures différentes, Thalberg demande une explication à Stroheim. Celui-ci lui explique que cette collection appartient au baron, qui a un "foot fetish". Mais Thalberg lui aurait rétorqué : « You have a footage fetish! » ; une anecdote qui montre bien la méfiance de Thalberg, qui surveillait le tournage de très près, mais aussi les rapports de défiance entre les deux hommes. La scène incriminée a disparu du montage final.
Le film, visuellement, est caractéristique de Stroheim: la création de Monteblanco en fait un pays purement imaginaire, mais dont les détails (Alphabet cyrillique, uniformes, etc…) en font un pays plausible même si il est caricatural. De plus, le réalisateur a pour la deuxième fois, après Greed, eu recours au Technicolor (La scène finale) mais les copies en circulation n’en disposent hélas pas. Encore une des obsessions de Stroheim, la couleur était toujours pour lui l’occasion de souligner l’exceptionnel, pas un motif réaliste: dans Greed, le seul moment en couleur naturelles était quasiment l’unique moment de félicité du film, et la couleur était utilisée (dans les montages de Stroheim, en tout cas) pour mettre les objets jaunes et dorés en valeur. On retrouve le Technicolor avec The Wedding march, dont les scènes en couleur ont été préservées. Ici, la scène du mariage a été rehaussée par ce moyen, mais les négatifs couleurs ont sans doute été décomposés…
Une version "fausse", la fin du film colorisée à la façon du technicolor deux bandes, circule sur internet. C'est très beau, mais c'est un faux... Voir la photo tout en bas de cet article.
Ni franchement génial, ni mauvais, parfaitement distrayant, il faut voir ce film, étrange rencontre d’un studio tout-puissant, d’un producteur souhaitant tout contrôler, et d’un réalisateur démiurge. Il faut supporter l’insupportable Mae Murray, il faut une grande dose de second degré pour apprécier Roy D’Arcy, mais John Gilbert est plaisant et Stroheim ne s’y est pas trompé, lui qui après avoir essayé d’asseoir son autorité sur le jeune acteur par des vexations et des humiliations diverses, s’est retrouvé sommé de s’expliquer par un Gilbert pas décontenancé. les deux hommes sont devenus amis, et quoi d’étonnant, quand on sait leur parcours à la MGM et la façon dont leur trajectoire s’est brisée?
Un jeune étudiant (Walter Slezak) arrivé à Turin va rencontrer dans son immeuble une jeune couturière (Carmen Boni), dont il tombe amoureux. Mais Elena (Elena Sangro) une cliente de la maison de couture située dans l'immeuble, l'a vu et l'ajouterait volontiers à son tableau de chasse...
C'est la deuxième version de cette adaptation par Genina d'une pièce de Nino Oxilia, et celle de 1918, qui l'avait consacré, a sans doute gardé une grande importance pour lui. A l'instar de Sandberg qui refait en 1926 son film Le clown de 1917, le metteur en scène Italien a donc décidé d'y revenir, en tenant compte d'un certain nombre d'évolutions...
D'une part, en 1927, le cinéma Italien ne peut plus rivaliser avec les autres cinématographies, notamment Française, Allemande et surtout Américaine, et la production de cette deuxième version est donc internationale, avec Walter Slezak, acteur Germanophone (déjà vu dans Michael, de Dreyer, et promis à un bel avenir) dans le rôle principal.
D'autre part, si le premier film était une comédie sentimentale nostalgique d'une grande douceur, notamment à travers la délicatesse du jeu de Maria Jacobini, celui-ci prend en compte l'existence d'une comédie "moderne" aux Etats-Unis: on verra donc, l'espace d'un instant, les étudiants en pleine action: pas en train d'étudier, non, mais de se livrer à l'athlétisme, comme dans les comédies estudiantines Américaines... Et là où Maria Jacobini remplaçait la sophistication par son bon coeur et son sourire, Carmen Boni est grimée en flapper de la fin des années 20: chapeau cloche, cheveux courts, costumes stricts et cravates... elle contraste bien sûr avec sa rivale qui elle est une pure gravure de mode 1926.
Et puis, on est en 1927, donc le fascisme est là. En lieu et place des vues aérées de Turin, dans le premier film, ce deuxième effort nous montre les corps athlétiques des hommes en plein effort, et se permet dans une scène de train un gag raciste bien de son époque. C'est le dernier film Italien muet de son auteur, qui s'apprêtait à s'installer pour un temps à Paris... Pour le meilleur.
Lors d'une petite fête à laquelle se retrouvent plusieurs amis, dans une propriété cossue sur les bords du lac de Côme, un adultère se termine mal: Savina (Italia Almirante), l'épouse du propriétaire des lieux Paolo (Vittorio Rossi Pianelli) a fauté avec un des invités, mais le mari, contrairement à nous, n'a pas vu que c'était un jeune avocat (Ettore Piergiovanni). Répudiant son épouse, il lui intime l'ordre de disparaître et prétend à son ami avocat qu'il l'a tuée. Il lui demande, sans réaliser qu'il s'adresse à son rival, de le défendre dans un procès retentissant, d'autant plus qu'il n'y a pas de cadavre... L'avocat s'exécute, et salissant toujours plus la mémoire de celle qu'il a séduite, en rajoute pour obtenir l'acquittement de son client. Pendant ce temps, Savina peine à rester à l'écart...
Ca commence comme un mélodrame délirant, mais la façon dont les intertitres, assez nombreux, nous présentent la situation, trahit déjà une profonde ironie. Et c'est à la décadence de cette bourgeoisie, qui acquitte un homme qui prétend avoir tué sa femme dans une affaire d'honneur, mais le condamnerait pour avoir inventé ce meurtre de toute pièce, que Genina s'attaque dans un jeu de massacre d'autant mieux orchestré qu'il se pare de toute la sophistication qu'il lui a été possible de produire...
La presse de l'époque a beaucoup eu de mal à s'y retrouver, et de fait, c'est, à travers le décalage entre l'action, les moyens mis en oeuvre, le jeu des acteurs et les notions liées au point de vue, un film qui se situe à la fois dans la lignée des oeuvres d'un Evgueni Bauer (dont je doute qu'il ait été distribué en Italie à cette époque, donc il s'agirait d'une coïncidence), des films Danois des années 10 (ceux-là ont été vus partout), et à l'opposé du cinéma lyrique des divas du muet, des films contre lesquels Genina et d'autres metteurs en scène semblaient réagir...