Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 17:34

Schenström et Madsen, le grand dépendu et le petit pas si malingre, vivent dans un petit appartement à Copenhague en face de deux jeunes femmes avec lesquelles ils ont une complicité de voisinage: pour rien au monde ils ne manqueraient ces conversations d'une fenêtre à l'autre, qui tournent parfois à un concours farfelu de mimes... Madsen, qui rend parfois des services à la voyante qui habite sur leur palier, apprend de cette dernière qu'il va probablement devenir riche, et trouver l'âme soeur, mais pas avant d'avoir triomphé d'un ennemi redoutable. Pour ce dernier, il est vitre trouvé, c'est un voisin irascible qui habite le même étage. Mais un avocat lui annonce qu'il va hériter la fortune considérable d'un Américain excentrique...

Sorti en décembre 1929, à l'heure où le cinéma du monde entier s'adonnait aux joies étranges du parlant, du balbutiant, du chantant, du bêlant, du bégayant, ce film a le bon goût d'être muet, une situation qui va durer pour Carl Schenström, Harald Madsen et Lau Lauritzen jusqu'à la sortie en mars 1932 de leur dernier long métrage silencieux, I kantonnement, réactualisation du burlesque troupier. Ce film qui nous occupe est assez typique, dans la mesure où l'intrigue, simple comme bonjour et traitée de façon linéaire avec suffisamment de quiproquos et de confusion pour maintenir l'intérêt, permet aux deux acteurs de faire exactement ce pour quoi ils sont devenus des superstars mondiales en leur époque: des numéros physiques, un authentique ballet de pantomime de haute voltige, dans les situations suivantes:

Ils sont vendeurs de bananes sur la côte, et attendent leurs clients sur un radeau et risquent en permanence de se retrouver à l'eau; comment piquer le petit déjeuner du voisin quand il pourrait sortir à n'importe quel moment et vous coller une baffe terminale? on les verra en hommes-sandwiches, déguisés en hommes de la bonne société pour vendre des vêtements, mais s'efforçant de ne jamais montrer leur dos à leurs fiancées, car on y lit la réclame du magasin, et elles ne sont pas au courant qu'ils sont fauchés... Puis on les retrouve aux prises avec des fantômes dans un souterrain! C'est vivace, bon enfant, assez typique de Lauritzen et de ses productions élégantes tournées sur la côte en plein été, avec des jolies filles, dont Nina Kalckar et Marguerite Viby (ici de droite à gauche), qui une fois n'est pas coutume, diront toutes les deux "Oui" à la fin...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Schenström & Madsen Lau Lauritzen Muet Comédie 1929 *
5 novembre 2021 5 05 /11 /novembre /2021 17:52

L'arpète, nous dit le Larousse, est un terme désuet qui désignait un apprenti, terme qui est resté un peu plus longtemps utilisé dans le monde de la couture: un(e) arpète, c'est donc le plus souvent une jeune couturière en bas de l'échelle... Et c'est exactement ce qu'est Lucienne Legrand, dans le rôle de Jacqueline: une apprentie qui rêve à égaler le patron, un jour... En attendant, elle ne rate pas une occasion de se distinguer: elle essaie les robes de la maison Pommier où elle travaille, robes qui lui vont d'ailleurs bien, et file en douce pour aller acheter un petit goûter pour tout l'atelier... Un jour qu'elle se fait pincer, Pommier l'oblige à jouer une cliente, pour appâter un Américain qui fait le difficile. Ca marche tant et si bien que le monsieur est fou de cette belle cliente qui prétend avoir ses entrées dans les ambassades...

Ce qui n'est pas du tout du goût de Jules (Raymond Guérin-Catelain), le peintre, avec lequel elle vit à Montmartre: il est noceur, mais il a de la morale, et ce qu'on propose à Jacqueline, ça ressemble quand même à une forme de prostitution, il y a donc de l'eau dans le gaz, non seulement entre Jacqueline et Pommier, mais aussi entre Jacqueline et Jules... Et comme pour ne rien arranger le riche Américain n'est autre que le père de ce dernier, vous comprendrez qu'il y a 1) du grabuge et 2) comme qui dirait une impossibilité de résumer ce film sainement!

Donatien, arrivé en cinéma presque sur un coup de tête, a réalisé une vingtaine de films, dont les deux tiers nous dit-on seraient perdus. Beaucoup d'entre eux sont l'occasion de présenter à son avantage son épouse et collaboratrice Lucienne Legrand, peintre, modèle, actrice, etc... Une actrice qu'on attend en Catherine Hessling et qui vaut bien mieux que ça. Parfois desservie par un script qui part volontiers dans tous les sens, elle donne de sa personne avec un bel entrain... Et Donatien, lui, n'est ni Renoir ni L'Herbier ni Gance: auteur de films aux titres aussi divers que Miss Edith, duchesse, L'île de la mort, Mon curé chez les pauvres et (mais vous l'aurez anticipé) Mon curé chez les riches, et Le château de la mort lente, il se rêvait sans doute un peu en Ernst Lubitsch Parisien, mais n'était pas aidé par le fait que la culture Parisienne ne pouvait pas s'exporter aussi facilement. Et si son film se passe dans le milieu de la mode, il multiplie de façon parfois étonnante les digressions (une bobine consacrée à une soirée des quat'zarts qui est un prétexte à déshabillages intensifs), et les non-sequiturs, passe d'une lecture fine et ironique du milieu de la mode à des remarques d'une désespérante franchouillardise ("c'est du vin français, il ne peut pas faire de mal", une remarque dont on aimerait dire qu'elle est antédiluvienne, hélas elle doit encore probablement encore s'entendre dans notre étrange pays)... On introduit Jules comme "le fils adoptif" de Jacqueline... avant de les voir se jeter l'un sur l'autre, ce qui est pour le moins gênant.

Plus étrange encore: Lucienne Legrand, que Donatien rêvait en star comme s'il était Hearst et elle Marion Davies, a été dirigée dans le rôle d'une jeune apprentie, mais elle fait son âge. Et elle garde intact un certain pouvoir de séduction, ainsi qu'une belle énergie, et le fait de ne pas, mais alors pas du tout, avoir froid aux yeux: elle est quasiment nue durant une bobine entière, uniquement habillée d'une hypothétique ceinture de chasteté et d'une perruque blonde... Et réussit à ne pas être (trop) ridicule.

Bref, de fait, c'est un film qui est probablement assez peu digne, mais qui ne  ressemble à rien de ce que j'aie vu auparavant, d'une part. Et d'autre part, dans la troupe de Donatien, il y avait l'immense Pauline Carton, et il me semble que ça c'est quand même un signe d'intelligence...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans 1929 Muet Comédie *
31 octobre 2021 7 31 /10 /octobre /2021 09:13

Dans l'Angleterre de 1790, un mariage va être célébré; un jeune officier essaie bien de l'empêcher, car il aime la jeune épousée, lady Margery (Mary Astor), mais on fait vite comprendre au capitaine Brummel (John Barrymore) que c'est peine perdue. Pire, la mariée elle-même participe au découragement. Revenu de tout, il décide de se rendre indispensable au Prince de Galles, puis devient le prince de la mode, des apparences et le séducteur des grandes dames de la cour...

La même année que Kean, de Volkoff, avec lequel il partage un certain nombre d'aspects, ce film a été une prestigieuse production de la Warner, qui cherchait désespérément à jouer dans la cour des grands... Avec John Barrymore, un réalisateur aguerri, une armée d'acteurs et de figurants, un script qui appelait la sophistication sur tous les fronts (interprétation, décors, costumes, éclairages...), ça donnait sans doute très bien sur le papier. Et de fait, c'est soigné, très soigné. Pas un détail qui vient perturber la représentation des moeurs de la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle, pas un accroc, et... pas un seul moment où l'ennui poli devant tant d'affectation ne sera perturbé. 

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans John Barrymore Muet 1924 *
19 septembre 2021 7 19 /09 /septembre /2021 09:13

Deux trajectoires inversées: les deux vedettes de ce film sont Ramon Novarro, qui peinait à confirmer les espoirs suscités par ses apparitions dans les films de Rex Ingram en 1922-1924, et par sa participation à Ben-Hur (son meilleur rôle avec Scaramouche), allait bientôt glisser vers la série B, avant de se fondre dans l'anonymat des anciens acteurs du muet... Pendant ce temps Joan Crawford, de plus en plus présente dans les films MGM, allait connaître un succès phénoménal avec Our dancing daughters et les autres films de la même formule. 

C'est une adaptation d'un livre, All the brothers were valiant de Ben Ames Williams, dont Irvin Willat avait déjà réalisé une version avec Lon Chaney en 1923 pour Metro, aujourd'hui perdue. Le rôle de Chaney est ici repris par Ernest Torrence, le grand acteur versatile au physique parfois étonnant. La première demi-heure est par certains côtés annonciatrice de Steamboat Bill Junior, dans lequel il tiendra la vedette aux côtés de Buster Keaton...

Des quatre frères Shore, trois sont marins: les plus grands, dont l'aîné Mark (Ernest Torrence) est d'ailleurs capitaine. Le petit frère, Joel (Ramon Novarro), attend son tour et pour l'instant passe le plus clair de son temps avec la jolie voisine Priscilla (Joan Crawford), dont la nature de la complicité qui l'unit à lui ne fait aucun doute. Un jour, alors que les trois marins sont rentrés au port, Joel leur force la main en utilisant un stratagème et se fait engager sur le bateau de son grand frère, en partance pour Singapour.

Mais juste avant, il apprend que son père et celui de Priscilla se sont mis d'accord pour marier Mark et la jeune femme, bien que celle-ci ne le souhaite pas. Coincé entre son amour pour elle, sa loyauté pour son frère et le désir de naviguer, Joel laisse faire. Mais une mutinerie larvée va précipiter les frères dans le chaos...

C'est un film d'aventures en trois parties, extrêmement bien construit et qui commence quasiment dans la comédie, où Novarro est très à l'aise en petit frère qui a de la ressource... Le tout début nous fait croire un instant que le film commence par une mutinerie (les deux adolescents Joel et Priscilla jouent!) est surprenant, et la suite confirme pendant 25 minutes cette atmosphère légère. Le mariage arrangé précipite le film dans le mélodrame...

Par la suite la mise en scène est d'une grande solidité, avec une mention spéciale pour les scènes de tempête, parfaitement convaincantes grâce à des effets spéciaux brillamment utilisés, et les scènes de conflit entre les mutins, Novarro d'un côté et Torrence de l'autre, qui multiplient les péripéties, tout en évitant de donner à Crawford le statut d'une simple potiche! C'est une belle réussite, dans laquelle on a même droit à une apparition d'Anna May Wong: même si elle n'est pas créditée, c'est un rôle important.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Muet 1928 *
28 août 2021 6 28 /08 /août /2021 17:06

Il y a du rififi au royaume de Pélicanie! Suffisamment pour motiver le retour de la Princesse Wajda, héritière du trône, pendant qu'un roi de pacotille règne mollement pour préparer le terrain à un félon héritier dont les dents rayent le parquet... Mais comme Wajda (Elisabeth Frederiksen) s'est reconvertie dans le music-hall, elle revient au pays flanquée d'un souffleur (Carl Schenström, le grand maigre) et d'un maquilleur (Harald Madsen, le petit rabougri) qui vont plus ou moins lui servir de gardes du corps... et se laisser berner par des espions! Mais peu de monde a repéré que le maquilleur est un sosie du roi, à moins que ce ne soit le contraire...

Ce dernier détail laisse vaguement entendre  que le film serait une parodie du Prisonnier de Zenda, mais ce n'est jamais vraiment le cas... C'est un film assez poussif, en tout cas, pour lequel les deux compères du duo comique le plus apprécié d'Europe sont dirigés, non par Lau Lauritzen, mais par l'obscur Valdemar Andersen, qui s'en débrouille sans jamais faire preuve du moindre trait de génie. Les meilleurs moments, d'ailleurs, sont à prendre dans la première partie située dans un music-hall: on sent les deux compères à leur aise, et le lieu leur inspire quantité de gags. Dans la partie "aventures en Pélicanie" du film, on a tendance à les séparer...

Moins dirigés que d'habitude, les deux acteurs restent aussi fascinants à regarder, par contre, et inventent des foules de petits détails loufoques, comme le fait de repasser un pantalon en se frottant vigoureusement le fessier dessus, les fauteuils vivants, voire la brosse à dents bien calée sur l'oreille droite au moment du coucher...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Muet Comédie 1928 Schenström & Madsen *
8 août 2021 7 08 /08 /août /2021 15:20

Un ami de Roderick Usher se rend dans la maison de ce dernier, pour vérifier si tout se passe bien chez lui: il a entendu des nouvelles alarmantes... Et c'est vrai que ça ne va pas fort: le maître de l'horrible maison, perdue au milieu des marécages, se perd dans une folie furieuse, s'acharnant à peindre le portrait de sa femme comme l'ont fait ses ancêtres... Mais plus il la peint et plus l'original s'étiole. A la fin elle s'écroule, morte... Mais le portrait a plus d'un tour dans son sac.

Soutenu par Gance, dont la compagne Marguerite interprète ici le rôle de Madeline Usher, Epstein s'est jeté à corps perdu dans toutes les expériences de cinéma possible, pour déboucher sur une prouesse embarrassante: avec des moyens cinématographiques et poétiques considérables, et un sujet pour une histoire de fantômes en or massif, il a en une heure, pas plus, commis l'un des films les plus ennuyeux que j'aie vus. Et s'il fallait le passer à une autre vitesse, pour commencer?

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Jean Epstein *
24 juin 2021 4 24 /06 /juin /2021 09:33

Stephanie Cleland (Marion Davies) a été adoptée au début de son adolescence par le riche John Cleland, qui avait aussi un fils du même âge. Devenus adultes, ils passent beaucoup de temps ensemble, mais Jim ne voit pas que "Steve", comme tout le monde l'appelle, est en fait amoureuse de lui. Quand John meurt, il envoie par testament son fils faire des études à l'étranger, et laisse Steve sous la responsabilité de son avocat. Le fils de ce dernier, Oswald, est un sculpteur qui vit dans une opulence bien louche, mais il est surtout amoureux de la jeune femme. Un jour, les circonstances font qu'ils sont obligés de se marier... Une nouvelle qui bouleverse Jim...

Bon, là il convient de rappeler les faits: nous sommes en 1920, et certains états sont encore à l'âge de pierre, c'est à dire très religieux: un homme et une femme dans la même chambre d'hôtel ne sortiront que mariés l'un à l'autre! Et une série d'enchaînements embarrassants font que non seulement ils sont dans la même chambre d'hôtel, mais en plus ils sont nus sous leurs couvertures! Et pourtant, rien n'est arrivé... Fin de la parenthèse crypto-ethnologique.

C'est un film mi-figue mi-raisin de Marion Davies: d'un côté un personnage et un tempo qui poussent vers la comédie, et l'actrice prête toute son impétuosité à cette "Steve" qui chamboule le coeur des hommes malgré elle; de l'autre, un mélodrame au parfum de scandale qui se réfugie parfois dans une fiesta crapuleuse telle qu'un DeMille l'aurait imaginée, pour sortir de l'ornière gênante de la question obsédante: bon elle est adoptée, alors... Inceste, ou pas inceste? Sinon, Hearst a poussé le film, qui aurait pu être un simple et élégant mélo vaguement baroque, vers des excès et un udget qui a certainement explosé en plein vol: voir les décors de certaiens scènes, dont la "party" "à la romaine!

Deux genres qui s'affrontent dans une arène, ce devait être le quotidien entre l'actrice et son mentor Hearst... Ce dernier partisan des mélos, et Davies attirée par la comédie. Comme chacun sait et pour notre plus grand bonheur, c'et Marion qui a gagné, et dans ce film aussi.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans 1920 Muet Marion Davies *
12 mai 2021 3 12 /05 /mai /2021 17:41

Dans une île du Pacifique, un métis, Henry Shoesmith (Ramon Novarro), fait de sa vie une sieste sans fin, encouragé dans l'indolence par un climat paradisiaque. Mais les colonisateurs ne voient pas les choses de la même façon, et quand l'Américain Henry Slater (Donald Crisp) débarque, il va essayer de raisonner Shoesmith. En vain, jusqu'à ce que le jeune homme réalise que la pupille de l'autre homme est cette merveilleuse créature (Dorothy Janis) qu'il a vue dans son bateau... Sous l'oeil désabusé de la prostituée Madge (Renée Adorée), qui en pince pour Henry, celui-ci s'essaie à faire des affaires à l'occidentale pour "séduire" celui qu'il aimerait transformer en son futur beau-père... Mais ce n'est pas ce que Slater a décidé pour sa pupille.

De prime abord, ce film tardif de l'époque muette ressemble d'une part à une exploitation pure et simple de quelques thèmes de White shadows in the south seas, du même réalisateur, qui avait eu u certain succès. Le script fait tout pour opposer l'indolence et la douceur de vivre polynésienne, à la rapacité des occidentaux, incarnés à travers la formidable performance de Donald Crisp. D'autre part, c'est aussi sans doute une forme de cadeau fait à Van Dyke qui n'aimait rien tant que de conduire des tournages le plus loin possible du studio, dans des conditions hasardeuses. Le film a été tourné en Polynésie et ça se voit! L'expédition MGM suivante allait le conduire en Afrique pour tourner Trader Horn et des kilomètres de pellicule qui seraient recyclés dans les Tarzan des années 30, dont il a réalisé le premier. Bref: une sorte de petit film pour pas grand chose, qui rendait tout le monde content...

Mais ça va plus loin. Certes, The Pagan n'est pas White Shadows, et les revendications du premier film sont de l'histoire ancienne. La Polynésie du film est sous un contrôle Sino-Occidental bien assumé, et le paradis n'existe plus que dans les têtes, notamment dans celle d'Henry. Novarro est intéressant, parce qu'il joue avec une relaxation évidente un personnage dont la force est précisément son calme et sa philosophie... mais aussi son humour, partagé avec Madge: le personnage de prostituée de René Adorée, qui est formidable dans le rôle, est une clé du film: il y est, en effet, question de sexualité, de sexe et de désir. Dès la première séquence, elle aborde Slater qui lui répond par l'indifférence: on n'a pas l'échange, mais un intertitre seul nous permet de recoller les morceaux de leur conversation hautement censurable: "c'est ça, garde ton argent"... Madge est pour Slater la pire combinaison possible: une blanche qui vend son corps... Car il est raciste. 

Le film aussi, vaguement, comme le sont tous ces films Américains situés dans des zones exotiques et qui prennent à témoins les spectateurs, du fait qu'un "blanc" et un polynésien, ce n'est pas la même chose. Pour Slater, Henry a beau être métis, il n'est pas et ne sera pas blanc. Mais dans sa logique, il préfère afin d'éviter que sa pupille ne se marie avec un métis, l'épouser lui-même... Et plus si affinités. Dans une scène très violente, Van Dyke se souvient de Crisp en Battling Burrows, qui assassinait littéralement sa fille (Lillian Gish) à coups de ceinture dans Broken Blossoms de Griffith... Et il joue de l'extraordinaire puissance de l'acteur, qui va lui permettre une superbe ellipse. Slater, c'est le mal, un mal qui se cache derrière un alibi très équivoque: à ceux qui lui demandent si la jeune femme est safille, il répond qu'elle est "son devoir de chrétien"... Mouais.. Elle est surtout une feme polynésienne qu'il a décidé de "blanchir" coûte que coûte! Mais dans ce film, le message du "maverick" Van Dyke est clair: si Henry et Tito, son amoureuse, ont décidé de s'aimer sans passer par l'église, sous le haut patronage d'une prostituée, alors pourquoi pas? 

Rien que pour cette largeur d'esprit, on veut bien se coltiner une bande-son qui use et abuse d'une chanson insipide chantée sans conviction par Novarro. Celui-ci, magnifiquement dirigé, est splendide. Dorothy Janis, qui disparaîtra avec le muet l'année suivante, est très bien. Quant à Adorée (elle a vu Sadie Thompson!!) et Crisp, que voulez-vous, ils sont d'une catégorie hors-concours... On apprécier aussi la photo lumineuse de Clyde de Vinna, le complice du cinéaste sur son film précédent.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Muet 1929 Woody Van Dyke *
30 avril 2021 5 30 /04 /avril /2021 08:52

Pour un premier film, BLIND HUSBANDS est sacrément réussi. Le titre (Maris aveugles) n’est pas de Stroheim lui-même. Selon sa propre version, le cinéaste a essayé d’imposer à la Universal le titre The Pinnacle, mais Carl Laemmle, le patron de la petite firme, a refusé, ayant peur de la confusion avec le jeu (Pinochle). Les crédits sur certaine copies signalent la provenance comme étant The Pinnacle, a play by Erich Stroheim : une pièce très probablement fictive, mais dont la mention permet juste au réalisateur d’apposer son titre de prédilection au film, même d’une manière détournée.


Qu’un producteur comme Laemmle ait accepté de donner sa chance à un réalisateur débutant sur un film d’un genre somme toute sophistiqué reste étonnant, 89 ans après. On se perd en conjectures, et ma théorie, partagée sans doute avec beaucoup, est que Stroheim, qui n’était pas trop gourmand pour avoir le droit de faire un premier film, représentait un pari pas si risqué, et l’opportunité d’une publicité basée sur un acteur d’emblée fascinant, un investissement rentable a priori. De plus, le menu de Blind husbands promettait du sexe et de la sophistication…


L’histoire est celle d’un couple Américain, Les Armstrong, interprétés par Francellia Billington et Sam de Grasse, en villégiature à Cortina d’Empezzo, en même temps qu’un officier Germanique, Erich Von Steuben. Celui-ci tente de séduire la jeune femme, qui résiste. Une autre partie de l’intrigue nous montre Sepp (Gibson Gowland), un guide autrefois sauvé par le Docteur Armstrong, qui va s’acquitter de sa dette en sauvant sa vie.


Le métier dont fait preuve Stroheim est impressionnante; il maîtrise le sens du découpage, et va traiter le drame et le mélodrame en vrai révolutionnaire: Non seulement il donne au triangle amoureux une nouvelle forme (un quasi rectangle amoureux, en fait) mais il utilise virtuellement TOUTES les facettes de ses personnages, les rend complexes, riches et de chair. Ceux-ci ne sont plus seulement cernés d'une phrase, mais atteignent une vérité inédite, sans qu’il y ait nécessairement besoin de tous expliquer par des sous-titres: le style de Stroheim, bien que déjà verbeux dans ses intertitres (Son défaut le plus gênant aujourd'hui, et une manie quasi littéraire) aime à valoriser le détail, en lui donnant du sens. Il se sert des rituels (Notamment militaires, dans l'habillage et le déshabillage et les petits détails de la toilette: fixe-chaussettes, résilles, caleçons...), traditions et manies des personnages, et bien sûr il va plus loin que de demander à ses petits rôles de faire de la figuration : un couple de second rôles en lune de miel va participer au drame à la fin du film en intégrant une équipe de secours, et les servantes sont campées de façon très différenciées (L’une d’entre elles inaugure le cycle Stroheimien des amours ancillaires, dont se souviendra toute sa carrière durant Renoir). Le triangle amoureux (Et, donc, rectangle) est complété par Sepp (Gibson Gowland), qui s’interpose de façon très efficace entre Steuben et la jeune femme. Sepp et le docteur font front commun, mais le plus intéressant est le coté rendez-vous manqué: éconduit par la jeune femme, le lieutenant, menacé de mort par le mari persuadé d’être trahi, va malgré tout prétendre l’avoir séduite: le mari, lui ayant promis la vie sauve si il mentait, ne le tuera pas. Cette logique sardonique colore tout le film d’un parfum assez capiteux : on peut bien sûr admirer la puissance du jeu de Stroheim, parfait en ignoble séducteur-matamore, qui prétend tout au long du film maîtriser l’alpinisme, mais finit l’ascension sur les genoux, essoufflé, et titubant. Sam de Grasse a été sciemment utilisé pour son manque de relief, et parce qu’aussi sympathique soit-il, on comprend la tentation potentielle d’aller voir ailleurs… Y compris vers un Steuben, une contrefaçon douteuse. le mensonge et la dissimulation, éternels thèmes Stroheimiens, à la scène comme à la ville.


En plus de sa tentative de complexifier le triangle, Stroheim impose à ses acteurs peu connus un jeu intériorisé, en faisant comme on l’a vu ressortir les rituels, détails vestimentaires, les décors vraisemblables (Bien que tournés en Californie, ce que trahissent les "Alpes" du film). Le réalisateur visionnaire impose à ses acteurs masculins de jouer sans maquillage, une constance de son œuvre… à une exception près. Il en ressort une vérité, un jeu digne qui situent Stroheim plus du coté de Lois Weber ou William de Mille que d'un style histrionique. Mais les actrices ne seront pas toujours aussi bien loties : Il les préfèrera débutantes, ou si possible habituées du burlesque(Maude George, Zasu Pitts, mae Busch, Dale Fuller, Josephine Crowell). Ici, la terne Francellia Billington appartient à la première catégorie.


La réputation de grand méchant cynique dont souffre Stroheim-réalisateur n’est pas compréhensible : certes, il est question ici de coucherie, de tromperie, de vieux couple qui a besoin de retrouver l’amour, mais l’auteur utilise le contrepoint pour démentir toute accusation de méchanceté : le jeune couple en lune de miel, par ailleurs parfaitement défini comme étant gentiment gnan-gnan, va sortir de son cocon à la fin lorsque une expédition de secours se forme, et la jeune femme va assister Mme Armstrong. Sepp, de son coté, consolide son amitié indéfectible mais conseille son ami de mieux aimer sa femme. A la fin, seul le méchant, par ailleurs bien pitoyable de film, meurt, mais il s’appelle Steuben, un terme qui le rapproche de Sterben, l’infinitif de mourir en Allemand. Les références de Stroheim aux Autrichiens, aux Allemands, et aux aristocrates ne sont jamais loin de la mort, de la fin, d’une évocation d’un monde disparu… Foolish wives couve sous Blind husbands.


A la fin du film, les deux gentils couples s’en vont, Sepp pleure de devoir quitter son ami… Cynique, Stroheim ? Un vrai moraliste, oui! On doit le dire, dans ses films, Stroheim n’aime peut-être pas tous ses personnages, mais ceux qu’il apprécie, il a décidé de nous le faire partager…


Le film a remporté un gros succès, qui bénéficiera à tout le monde : Laemmle aura prouvé que la Universal ne fait pas que des petits films de rien du tout, et Stroheim a prouvé qu’il était un metteur en scène. La firme n’était donc pas près de le lâcher…

 

Il existe pour finir deux versions du film, toutes deux disponibles en DVD: la version intégrale sortie en salles en 1920 a disparu de la circulation, et pendant un temps toutes les copies disponibles étaient des variations sur la version ressortie à la fin des années 20, et amputée d'une vingtaine de minutes. C'est l'édition Américaine, par exemple distribuée par Kino. Une autre version, tirée de la même source que la version Américaine d'origine (et donc du négatif original) a été retrouvée en Autriche en 1982: c'est une version plus longue que l'Américaine, mais son montage est différent, beaucoup de plans sont plus longs. A la base pourtant ce sont les mêmes séquences: aucun événement supplémentaire en vue. Les intertitres sont en Allemand et tempèrent la "couleur locale" Autrichienne voulue par Stroheim. Donc c'est une meilleure version en terme de montage strict, mais elle n'est pas "la version initiale" voulue par Stroheim et la Universal en 1919...

 

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1919 *
28 avril 2021 3 28 /04 /avril /2021 07:38

Tourné après Her sister from paris par la même équipe (Le scénariste Hans Kräly, le réalisateur Sidney franklin, et l'actrice Constance Talmadge), ce film est à nouveau une pétillante comédie dans laquelle la bonne humeur et l'exubérance triomphent, tout en surfant sur les non-dits d'une situation très boulevardière: Constance Talmadge est Marian Duncan, une danseuse Américaine de passage en Russie qui fait chavirer les coeurs de deux hommes: le Lieutenant Orloff (Tullio Carminati), et le Grand Duc Grégoire Alexandrovitch (Edward Martindel). Elle est elle aussi amoureuse du lieutenant, mais celui-ci est sous la coupe de son supérieur le grand duc qui entend bien profiter de la situation. Quant à la Grande-duchesse (Rose Dione), elle sait à quoi s'en tenir, et a décidé d'agir... Provoquant dans une petite auberge une série de quiproquos, de confusions et de portes qui claquent.

La situation est toute entière proche de l'opérette, et on imagine très bien le grand Lubitsch s'attaquer à un tel film, avec son collaborateur fréquent Hans Kräly... Mais une fois de plus, Franklin n'est pas Ernst, et son film, aussi bien fait soit-il, n'offre de grands moments que sporadiquement. C'est bien sûr une comédie hautement recommandable, dont le rythme ne faillit pas, mais on est loin de la mélancolie sous-jacente de Her sister from Paris, qui bénéficiait d'un numéro de dédoublement de personnalité de la star, et bien entendu de la présence de rien moins que Ronald Colman. Ici, au moins, on a quelques marivaudages réjouissants en particulier entre Marian Duncan et le Grand-Duc... Franklin se fait parfois plaisir avec sa science des personnages (il est toujours doué pour les huis-clos à variation dans des situations scabreuses, et le prouve avec sa maîtrise du point de vue dans la dernière bobine), et a eu l'idée d'un très joli plan: en pleine mélancolie, Marian Duncan s'effondre sur un fauteuil et pleure. Par l'immense fenêtre à côté d'elle, on voit une neige insistante et surréelle (éclairée de l'extérieur de la maison) qui enfonce le clou de sa tristesse...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Sidney Franklin Constance Talmadge Comédie *