Reprenant les formules qui avaient fait son succès aussi bien pour le Voyage dans la lune (1902) que pour Le voyage à travers l'impossible (1904): une destination improbable, un voyage loufoque, et des péripéties plus délirantes que tout ce qu'on pourrait imaginer... Sauf que cette fois il se laisse aller à réaliser, pour Pathé, un film nettement plus long: deux bobines. C'est ambitieux, et c'est la preuve que Méliès, au moins, est à l'écoute: le format des films, en Europe, s'allonge... L'Italie, le Danemark et la France réalisent des films de long métrage, déjà... Méliès, qui se refuse à quitter le studio, est tributaire de ses habitudes techniques: il a besoin de créer l'illusion dans le plan, et le montage ne lui sert qu'à deux fonctions; premièrement, il crée l'illusion en faisant disparaître, transformer, apparaître et exploser les hommes, les femmes et les objets dans le plan; deuxièmement, une coupe permet de passer à la suite..;
Ce qui explique que dès le départ, le film ne ressemble à rien de contemporain. C'est probablement ce qui l'a coulé, mais Méliès ne peut pas et ne veut pas faire du cinéma comme tout le monde, et désire continuer à faire du cinéma selon ses propres règles. Mais en allongeant, il prenait le risque de faire trop long, et c'est ce qui va être un sérieux problème pour ce film...
Certes, ça commence bien et même très bien avec un contexte qui se complexifie à loisir, avec pour une fois une sous-intrigue (pendant qu'une coalition internationale menée par l'ingénieur Maboul se rend en direction du Pôle Nord dans une machine volante, les Suffragettes désignent l'une des leurs et elle est interprétée par Fernande Albany, préposée à l'humour poids lourd, mais elle disparaîtra dans une scène d'une grande indélicatesse, et ce avant la fin de la première bobine)... Mais si Méliès arrive à garder son style tout en s'ouvrant au monde du cinéma, puisqu'il travaille pour Pathé, il est fatigué, et ses "vues merveilleuses" des cieux, avec ses pin-ups 1910 déguisées en étoiles, font long feu. On remarque ça et là quelques avancées, comme un plan (un seul) tourné "en extérieurs", en fait à l'extérieur du studio de Montreuil.
Il reste le combat contre le "géant des neiges" situé vers la fin: mais si esthétiquement il date le film pour le spectateur d'aujourd'hui, je crains qu'il n'ait aussi sérieusement daté le film à sa sortie, pour le spectateur nourri aux films de Capellani, Feuillade, et qui se pressait aux aventures de Nick Carter de Victorin Jasset... Et comme la plupart des séquences, lui aussi tire sérieusement en longueur.
Deux histoires, apparemment sans lie: d'un côté, un détective, patron d'une prestigieuse et ultra-moderne agence, reçoit la mission de démanteler un réseau de malfrats, sous la coupe du mystérieux chef, Terry. De l'autre, un faux couple (les deux amoureux le sont en effet, mais chacun d'entre eux avec un ou une autre) qui a gagné le prix de plus beau couple du Danemark, doit se rendre en croisière pour profiter de leur distinction... Ce qui va lier les deux? Lors d'une de ses missions, le détective se cache dans le kiosque à journaux roulant de Schenstrom et Madsen, soit Doublepatte et Patachon comme on les appelait alors. Frappé par sa ressemblance avec le plus grand, il les engage pour détourner l'attention des bandits qui surveillent son agence en permanence. Et pendant qu'ils tiennent la maison, pour ainsi dire, les deux compères sont contactés par les deux conjoints secrets du faux couple, afin de les accompagner dans leur périple: l'objectif est bien sûr de les empêcher de fauter! Pas de danger, semble-t-il, ils se détestent...
Entretemps, Madsen s'occupe en découvrant tout un tas de gadgets plus idiots les uns que les autres dans le bureau de l'agence, les deux amis reçoivent à l'agence la visite d'un étrange personnage, qu'ils réussissent à neutraliser, les deux fiancés secrets suivent le trajet du couple gagnant et tombent amoureux l'un de l'autre, une attachée de presse, chargée de couvrir le voyage des deux gagnants, tombe pour sa part sous l'étrange charme du petit Madsen, et ce dernier, pendant que ses clients font la route du Rhin, fait la route du vin, puisqu'il est fin saoul du début à la fin du film!
Sur un scénario de Valdemar Andersen, qui commençait lui aussi à diriger les deux acteurs fétiches de la Palladium, Lau Lauritzen s'amuse à compliquer les choses avec une certaine verve. Le film a deux solides atouts (en plus de l'excellente dynamique de ses deux vedettes, qui de toute façon n'est jamais mise en doute): d'une part le réalisateur évite les clichés qu'il a lui même établis, et qui ont fini par lasser: les jolies filles en duo, les intrigues sentimentales à la noix, et les attraits clichés du bord de mer, qui devait quand même être un peu frisquet, vu qu'on est au Danemark! Et d'autre part, le film situé pour une large part à Copenhague participe de la poésie urbaine si particulière et si ancrée dans la deuxième moitié des années 20...
Si tous les films consacrés au duo Madsen et Schenstrom ne sont pas de la même qualité, celui-ci, qui en prime accumule les loufoqueries avec un bel entrain, est une vraie réussite...
Une fois l’affaire Greed consommée, Stroheim qui avait commis ce film invendable restait sur les bras de la MGM. On peut imaginer plusieurs raisons pour lui confier un nouveau film comme celui qui lui fut attribué. La première raison, c’était peut-être de l’amadouer, de lui faire comprendre qu’il n’était pas indigne de la famille Metro-Goldwyn-Mayer, et qu’on l’estimait toujours, la preuve, on lui demandait de faire un gros film. Il n’avait à ce stade qu’un seul véritable échec commercial à son actif, et les dirigeants estimaient que le matériau, avec ses gros sabots Austro-Hongrois, lui convenait à merveille. Une deuxième raison réside dans le fait que les gens de la firme, qui prétendront apprendre à Buster Keaton comment on fait une comédie (En 1928) se sont efforcés de choisir pour Stroheim le véhicule qui leur semblait le plus proche de son cinéma, tout en recherchant une type de film qui ne fâche pas trop les familles: un ersatz, donc. La troisième, c’est que Mae Murray, grande vedette bientôt lessivée de la MGM, s’était entichée de l’opérette et voulait la faire par tous les moyens, et Thalberg imaginait qu’avec Stroheim face à elle, le réalisateur tempèrerait de son autorité les caprices de la star, et que l’actrice remettrait le démiurge en place. Mauvais calcul, doublement… mais passons.
Si c’était un geste de bonne volonté de la firme, cela ne serait pas pris comme tel par le metteur en scène, mais celui-ci allait s’acquitter malgré tout de la tache, dans un tournage émaillé de problèmes en tous genres, en particulier entre les deux principaux protagonistes déjà cités, mais aussi entre Stroheim et l’autre star, John Gilbert, ou encore entre Stroheim et Thalberg. Celui-ci a en effet licencié Stroheim une deuxième fois (rappelons que la première fois, c'était à la Universal), pour le remplacer par Monta Bell qui ne put tourner un mètre de pellicule suite à une grève des techniciens, et de John Gilbert en soutien à leur réalisateur...
Pour cette fois-ci, c’est Stroheim qui a fini le film, puis il a quitté la MGM, désormais cinéaste maudit pour l’éternité, avec un nouveau énorme succès à son actif… Bref, la routine.
Notre héros n’aimait pas ce film, qui lui avait été imposé. Je pense que si on lui avait imposé de faire le film de son choix, d'en écrire le scénario, de faire un remake de Greed avec le final cut spécifié sur son contrat, la tête de Thalberg en prime, il n’aurait pas aimé: Stroheim devait vouloir faire quelque chose à 100% pour le respecter: son art était à ce prix. De plus, on lui imposait de tourner avec des vedettes, et même une star. Il ne l’avait jamais fait et ne souhaitait pas le faire, c’était donc pour lui une nouvelle compromission inacceptable… Les historiens sont généralement critiques sur ce film, Sadoul en tête: s’il reconnaît que le film est meilleur que l’opérette, il l’accuse d’avoir été bâclé. Denis Marion le considère comme « le moins bon » des films de Stroheim. Qu’en est-il ?
Le scénario de l’adaptation par Stroheim a tout fait pour désopérettiser l’œuvre, en lui donnant de la substance mélodramatique. Du reste, souhaitant au départ interpréter le Prince Danilo de Monteblanco, Stroheim devait en faire moins un sympathique fripon qu’un Steuben ou un Karamzin auquel on offre une sorte de rédemption, mais Thalberg en décidera autrement : sachant qu’il lui serait difficile de licencier le metteur en scène et la star, dans un tournage qui s’annonçait orageux, il a imposé à Stroheim d’utiliser John Gilbert, le jeune premier qui n’en finit pas de monter, ce qui obligera l’auteur à réécrire le rôle, le scindant en deux: Danilo (Gilbert) est le sympathique neveu du roi, coureur mais foncièrement gentil, alors que Mirko (Roy D’Arcy) est l’ignoble prince héritier, coucheur, hypocrite, sadique et portant monocle. Mae Murray joue Sally O’Hara, la jeune danseuse devenue à son arrivée à Monteblanco la femme convoitée par les deux princes et le baron Sadoja (Tully Marshall), un vieil infirme libidineux, fétichiste du pied, dont les millions sont le principal soutien de la couronne. C’est à ce dernier que Sally O’Hara se marie lorsque une machination de la famille Royale empêche Danilo de convoler en justes noces avec elle, et la nuit de noce tourne au drame, lorsque Sadoja s’écroule, tué sur le coup par un arrêt du cœur au vu des petits petons fripons de sa jeune épousée. devenue la « veuve joyeuse », elle est l’objet de toutes les attentions, et quelqu’un doit l’épouser afin que les millions ne s’envolent pas pour l’étranger. La partie tourne à l’affrontement entre Mirko et Danilo…
Servi par les moyens de la MGM, Stroheim donne à son film une allure et un style particulièrement luxueux, et son sens du détail fait ici merveille, notamment dans les scènes d’ouverture, qui sont d’autant plus intéressantes qu’elles y ont été maintenues en intégralité: Stroheim savait exposer un film, et son art classique en ce sens est profondément délectable ici: les premières images nous montrent une sortie de messe à Monteblanco, le couple royal d’abord (George Fawcett et Josephine Crowell, absolument pas glamour !), puis le Baron sur ses béquilles. Ensuite, il nous emmène voir l’arrivée de l’armée, en manœuvres, dans une auberge typique en pleine montagne, où la voiture de Mirko s’arrête, puis Mirko en descend, pestant contre l’auberge qu’il déteste au premier coup d’œil, et s’insurgeant de voir des cochons s’ébrouer dans la fange. Il manque de marcher dans une flaque de boue, l’évite avec force manières, puis on passe à l’arrivée de Danilo, dans sa voiture en plein examen de cartes postales cochonnes, qui s’arrête, rit en voyant et l’auberge et les cochons, puis marche sans que cela le dérange vraiment dans la boue, en devisant gaiement avec ses lieutenants… La boue resservira, lorsque vers la fin lors d’un enterrement Mirko évite de marcher dans une flaque, mais un accident l’y précipitera malgré tout. Les "petits cailloux" chers au réalisateurs (des balises de sens disséminées dans l'histoire et qui en rafermissent la continuité), laissés sur place malgré la prise en main du montage final par la MGM, offrent une (petite) revanche à Stroheim, qui est ici, qu’il l’ait admis ou non, dans son élément. D'ailleurs, le résultat n’est pas du tout un film familial, dans lequel on couche, on ment, boit, trahit, brutalise et flingue sans vergogne; on y jure presque, lorsque le roi dit à Danilo: "Si tu crois que l'on se marie avec toutes les filles que l'on...". Ca n’a pas non plus grand-chose à voir avec Lubitsch, mais c’est un film souvent défoulant par son décalage et ses excès, tout comme pour sa mise en scène qui donne à voir de nouvelles tendances en matière de perversion : lorsque Danilo tente de séduire Sally dans une chambre privée, seul (Si ce n’est cet étrange couple de musiciens nus et aveuglés par des foulards qui restent sur le lit durant les (d)ébats), Mirko se trouve dans la même maison, avec une foule de gens qui s’adonnent à une superbe orgie stroheimienne: on y déverse du Champagne sur des dames, on y lance des oreillers crevés, on y tape sur des infirmes, etc… Le baron Sadoja, (Marshall est un nouveau venu qui n’a pas dit son dernier mot, on le reverra dans Queen Kelly) permet le recours au fétichisme, qui apparaît dans la scène du théâtre: chacun avec des jumelles, dans la même loge, Mirko regarde les seins de Sally, Danilo son visage et Sadoja ses pieds. Une scène vaudra à Stroheim la colère de Thalberg: voyant des pieds (Feet, mais on dit aussi footage) de pellicule imprimés avec des dizaines de pires de chaussures différentes, Thalberg demande une explication à Stroheim. Celui-ci lui explique que cette collection appartient au baron, qui a un "foot fetish". Mais Thalberg lui aurait rétorqué : « You have a footage fetish! » ; une anecdote qui montre bien la méfiance de Thalberg, qui surveillait le tournage de très près, mais aussi les rapports de défiance entre les deux hommes. La scène incriminée a disparu du montage final.
Le film, visuellement, est caractéristique de Stroheim: la création de Monteblanco en fait un pays purement imaginaire, mais dont les détails (Alphabet cyrillique, uniformes, etc…) en font un pays plausible même si il est caricatural. De plus, le réalisateur a pour la deuxième fois, après Greed, eu recours au Technicolor (La scène finale) mais les copies en circulation n’en disposent hélas pas. Encore une des obsessions de Stroheim, la couleur était toujours pour lui l’occasion de souligner l’exceptionnel, pas un motif réaliste: dans Greed, le seul moment en couleur naturelles était quasiment l’unique moment de félicité du film, et la couleur était utilisée (dans les montages de Stroheim, en tout cas) pour mettre les objets jaunes et dorés en valeur. On retrouve le Technicolor avec The Wedding march, dont les scènes en couleur ont été préservées. Ici, la scène du mariage a été rehaussée par ce moyen, mais les négatifs couleurs ont sans doute été décomposés…
Une version "fausse", la fin du film colorisée à la façon du technicolor deux bandes, circule sur internet. C'est très beau, mais c'est un faux... Voir la photo tout en bas de cet article.
Ni franchement génial, ni mauvais, parfaitement distrayant, il faut voir ce film, étrange rencontre d’un studio tout-puissant, d’un producteur souhaitant tout contrôler, et d’un réalisateur démiurge. Il faut supporter l’insupportable Mae Murray, il faut une grande dose de second degré pour apprécier Roy D’Arcy, mais John Gilbert est plaisant et Stroheim ne s’y est pas trompé, lui qui après avoir essayé d’asseoir son autorité sur le jeune acteur par des vexations et des humiliations diverses, s’est retrouvé sommé de s’expliquer par un Gilbert pas décontenancé. les deux hommes sont devenus amis, et quoi d’étonnant, quand on sait leur parcours à la MGM et la façon dont leur trajectoire s’est brisée?
Un jeune étudiant (Walter Slezak) arrivé à Turin va rencontrer dans son immeuble une jeune couturière (Carmen Boni), dont il tombe amoureux. Mais Elena (Elena Sangro) une cliente de la maison de couture située dans l'immeuble, l'a vu et l'ajouterait volontiers à son tableau de chasse...
C'est la deuxième version de cette adaptation par Genina d'une pièce de Nino Oxilia, et celle de 1918, qui l'avait consacré, a sans doute gardé une grande importance pour lui. A l'instar de Sandberg qui refait en 1926 son film Le clown de 1917, le metteur en scène Italien a donc décidé d'y revenir, en tenant compte d'un certain nombre d'évolutions...
D'une part, en 1927, le cinéma Italien ne peut plus rivaliser avec les autres cinématographies, notamment Française, Allemande et surtout Américaine, et la production de cette deuxième version est donc internationale, avec Walter Slezak, acteur Germanophone (déjà vu dans Michael, de Dreyer, et promis à un bel avenir) dans le rôle principal.
D'autre part, si le premier film était une comédie sentimentale nostalgique d'une grande douceur, notamment à travers la délicatesse du jeu de Maria Jacobini, celui-ci prend en compte l'existence d'une comédie "moderne" aux Etats-Unis: on verra donc, l'espace d'un instant, les étudiants en pleine action: pas en train d'étudier, non, mais de se livrer à l'athlétisme, comme dans les comédies estudiantines Américaines... Et là où Maria Jacobini remplaçait la sophistication par son bon coeur et son sourire, Carmen Boni est grimée en flapper de la fin des années 20: chapeau cloche, cheveux courts, costumes stricts et cravates... elle contraste bien sûr avec sa rivale qui elle est une pure gravure de mode 1926.
Et puis, on est en 1927, donc le fascisme est là. En lieu et place des vues aérées de Turin, dans le premier film, ce deuxième effort nous montre les corps athlétiques des hommes en plein effort, et se permet dans une scène de train un gag raciste bien de son époque. C'est le dernier film Italien muet de son auteur, qui s'apprêtait à s'installer pour un temps à Paris... Pour le meilleur.
Lors d'une petite fête à laquelle se retrouvent plusieurs amis, dans une propriété cossue sur les bords du lac de Côme, un adultère se termine mal: Savina (Italia Almirante), l'épouse du propriétaire des lieux Paolo (Vittorio Rossi Pianelli) a fauté avec un des invités, mais le mari, contrairement à nous, n'a pas vu que c'était un jeune avocat (Ettore Piergiovanni). Répudiant son épouse, il lui intime l'ordre de disparaître et prétend à son ami avocat qu'il l'a tuée. Il lui demande, sans réaliser qu'il s'adresse à son rival, de le défendre dans un procès retentissant, d'autant plus qu'il n'y a pas de cadavre... L'avocat s'exécute, et salissant toujours plus la mémoire de celle qu'il a séduite, en rajoute pour obtenir l'acquittement de son client. Pendant ce temps, Savina peine à rester à l'écart...
Ca commence comme un mélodrame délirant, mais la façon dont les intertitres, assez nombreux, nous présentent la situation, trahit déjà une profonde ironie. Et c'est à la décadence de cette bourgeoisie, qui acquitte un homme qui prétend avoir tué sa femme dans une affaire d'honneur, mais le condamnerait pour avoir inventé ce meurtre de toute pièce, que Genina s'attaque dans un jeu de massacre d'autant mieux orchestré qu'il se pare de toute la sophistication qu'il lui a été possible de produire...
La presse de l'époque a beaucoup eu de mal à s'y retrouver, et de fait, c'est, à travers le décalage entre l'action, les moyens mis en oeuvre, le jeu des acteurs et les notions liées au point de vue, un film qui se situe à la fois dans la lignée des oeuvres d'un Evgueni Bauer (dont je doute qu'il ait été distribué en Italie à cette époque, donc il s'agirait d'une coïncidence), des films Danois des années 10 (ceux-là ont été vus partout), et à l'opposé du cinéma lyrique des divas du muet, des films contre lesquels Genina et d'autres metteurs en scène semblaient réagir...
Mario (Lido Manetti) entame ses études: il souhaite étudier le droit et se rend à Turin; il y trouve une chambre idéale pour vivre, tenue par une dame dont la fille Dorina (Maria Jacobini) est plus que charmante: les deux jeunes deviennent amoureux, jusqu'au jour où une dame sophistiquée (Helena Makowska) commence à attirer l'oeil de Mario...
A l'origine de ce film, il y a une pièce écrite par Nino Oxilia et Sandro Camaso. Une première adaptation a été réalisée vers 1911, qui est perdue, mais Oxilia, devenu metteur en scène, comptait bien en réaliser un remake. Son départ pour le front, puis sa mort en 1917 l'en ont empêché. C'est donc le co-adaptateur Augusto Genina qui a été désigné réalisateur...
Et c'est une belle surprise. Le film se départit rarement de son ton indubitablement tourné vers la comédie, et utilise au maximum les décors de Turin, beaucoup de scènes ont d'ailleurs été tournées en pleine rue, mais aussi dans des cages d'escalier qui sonnent particulièrement véridiques! Le cinéma Italien a entamé sa grande mutation, et désormais l'heure n'est plus aux divas et aux femmes fatales: c'est la leçon de ce film, qui comme si souvent à l'époque du muet, oppose deux femmes, la mystérieuse Elena et la douce Dorina, cette dernière opposant à la fois son bon sens et sa joie de vivre à la froideur manipulatrice de sa rivale. Mais si cette dernière reste volontairement esquissée (elle en devient une ombre, une fatalité qui retournera vers le néant à la fin du film), on est ébahi du jeu tout en invention permanente de Maria Jacobini qui souvent porte le film à bout de bras. Du coup, c'est son point de vue qui prime...
Le titre est d'ailleurs à double sens: certes, le passage de Mario, qui achève ses études et devient un avocat promis à un bel avenir à la fin, est un peu le baroud d'honneur de sa jeunesse, mais on pense plus volontiers au sacrifice que Dorina fait, elle qui comprend qu'elle ne verra plus jamais l'homme qui a failli la trahir... Dans la joie ou l'amertume, Jacobini est solaire, nuancée, et son visage est un festival d'expressions, qui nous font regretter que si peu de ses films aient survécu.
La vie et la mort de l'extravagant Louis II (Wilhelm Dieterle), un roi qui cédait volontiers à ses impulsions, mais artistiques, financières et affectives... Ses combats contre les financiers de son petit royaume, son face à face avec une cour déterminée à lui mener la vie dure...
Le sujet passionnait Dieterle, qui se rêvait en souverain excentrique, romantique à souhait, erratique et isolé. Pas de surprise sans doute si on considère que l'un des films précédents majeurs du réalisateur, Geschlecht in Fesseln, était consacré à l'isolement affectif, là encore, d'un homme qui revenait de prison, où il était tombé amoureux d'un co-détenu... Mais là où son héros risquait effectivement la condamnation dans une législation qui en Allemagne ne lésinait pas sur l'oppression des gays, son nouveau héros est un paria face à l'histoire, et qui plus est elle est assez récente. Et ça joue de façon spectaculaire contre le film...
...Car en prenant à bras-le-corps cette intrigue, Dieterle la réalise pour le peuple Allemand, et attend de son public qu'il en sache suffisamment. Il a conçu son personnage de l'intérieur, et par bien des côtés Ludwig se comporte en metteur en scène, dans ses obsessions extravagantes, de construire des châteaux et des mausolées, pleurant Wagner un jour et sa mère le lendemain... Mais aujourd'hui, difficile d'entrer dans un film exigeant, dont l'essentiel est dans des non-dits extrêmement difficiles à décrypter... Ou tout simplement profondément ennuyeux. A moins que ce ne soit les deux hypothèses...
Schenstrom et Madsen ont trouvé un coin de paradis, une plage sur laquelle ils essayent de séduire des baigneuses... Ils se font une amie, Mona, dont ils sont tous deux amoureux. Mais ils sont rattrapés par le service mirlitaire! Sommés de rejoindre leur base, ils vont se retrouver en cantonnement dans une ferme qui est tenue... par la tante de Mona:le monde est petit...
Ca manquait, sans doute, à leur panoplie: ceux qu'on connaît ici sous le nom de Doublepatte et Patachon ont, en effet, été minotiers, artificiers, acteurs, politiciens, photographes, vagabonds, maîtres de danse, voire Quichotte et Panza, mais jamais soldats, à une époque où a tradition du comique troupier était encore vivace: la même année, Maurice Tourneur sortait Les gaietés de l'escadron d'après Courteline... Mais ce n'est pas le meilleur du film, pourtant.
Non, le meilleur ce sont les dix premières minutes, qui voient les deux héros rivaliser d'ingéniosité bizarre pour se faire une place sur le sable: cet univers reste celui auquel ils revenaient toujours, avec Lau Lauritzen qui reste de toute évidence le meilleur metteur en scène qui ait pu travailler avec eux, ou en tout cas celui qui les comprenait le mieux, leur laissait mener leurs personnages à leur guise, et ne cherchait pas à les diriger plus que nécessaire...
Ce film très moyen est le dernier muet du trio, un film muet tardif: seuls quelques pays, à l'est de l'Europe (l'URSS, la chine et le Japon notamment) pratiquaient encore l'art de la pantomime au cinéma. Et comme d'autres, Carl Schenstrom et Harald Madsen vont être à jamais assimilé à cette merveilleuse période du cinéma mondial. Y compris avec des films parfois médiocres, ce qui st clairement le cas de ce long métrage...
Don Quichotte de la Mancha a lu, beaucoup lu, et principalement des romans de chevalerie. A tel point que ça lui est carrément monté à la tête, et il est donc parti en quête d'aventures... le problème c'est qu'il est vieux, et , on l'aura compris, fou. Aidé, plus ou moins, de son écuyer Sancho Panza, il parcourt les routes à la recherche de rencontres guerrières. Et quand il ne trouve rien, eh bien! ...L'imagination débordante du vieil homme fait le reste... Mais bientôt, le légende se répand, et les deux hommes deviennent la cible des moqueries...
Carl Schenstrom et Harald Madsen, alias Fy og Bi au Danemark, étaient mieux connus sous le nom hallucinant (mais justifié) de Doublepatte et Patachon en France, ils étaient Pat und Patachon en Allemagne ou encore Long and Short dans les pays Anglophones. Leurs films souvent réalisés par Lau Lauritzen (Senior) sont encore aussi populaires en Scandinavie que le sont Laurel et Hardy aux Etats-Unis, pour situer.
Pourtant ce film très ambitieux est à part: clairement, il n'a pas été tourné au Danemark mais bien en Espagne, et très peu de concessions apparentes ont été faites aux deux personnages habituels de Schenstrom (Qui interprète un Quichotte très convaincant avec sa silhouette de géant filiforme) et Madsen (Qui prête à Sancho sa rondeur et sa petite taille). Et surtout pour ce dernier, le personnage de Sancho Panza est très éloigné des emplois habituels de clown lunaire lent et timide du comédien. Sancho est roublard, calculateur, dédié aux plaisirs... Juste, peut-on faire remarquer, il est quand même un peu naïf, surtout lorsqu'un canular pendable lui est joué, afin de lui faire croire qu'il est gouverneur d'une île.
Ce film, qu'on peut enfin voir entier (voir plus bas) est une fascinante entreprise: il s'agissait pour Lauritzen de faire une adaptation stricte de la tragi-comédie de Cervantès, avec deux comiques dans les rôles principaux; et en plus, comme c'est le seul film dans lequel on ne reconnaisse pas le maquillage traditionnel des deux comédiens Schenstrom et Madsen, c'était un risque commercial certain; mais l'idée de décalage entre un monde qui tourne dans un sens et deux hommes qui tournent dans l'autre (Surtout Quichotte, cette fois c'est Schenstrom qui est le plus à part !) est somme toute présente dans le film.
Reste quand même une interrogation: qu'est-ce qui a bien pu pousser dans cette direction Lauritzen, metteur en scène et producteur d'une série de films de comédie qui, s'ils n'ont sans doute pas révolutionné le médium, ont quand même provoqué un succès considérable pour lui et ses interprètes, l'excellente fortune de la Palladium, et même une réputation très enviable de poule aux oeufs d'or pour la scénariste et productrice Alice O'Fredericks? Le film est ambitieux, soigné même, l'intrigue du roman y est respectée, les personnages en sont bien définis, surtout bien sûr Quichotte et Panza, mais aussi les deux chevaliers ennemis d'une intrigue secondaire, deux beaux jeunes hommes comme il y en avait toujours pour "seconder" les héros joués par Schenstrom et Madsen, mais cette fois dans des personnages tangibles et riches... La photo de Julius Jaenzon, confrontée à l'aridité Espagnole, est d'une luminosité exceptionnelle, et les décors souvent printaniers nous rappellent que nous sommes entre les mains de maîtres Danois. Les deux acteurs principaux sont absolument géniaux mais ça on le savait déjà!
...Et pourtant le film est réussi mais sans plus. Lauritzen a soigné sa partition, bien utilisé les décors existants, et bichonné ses effets spéciaux: la scène mythique des moulins, par exemple, donne lieu dans cette version à une visualisation très baroque des « monstres » et géants aperçus par le vieux chevalier fou... Il manque à cette superproduction un peu austère la gentille folie douce habituelle des films du duo, et dans ce contexte le ton du film, de la romance picaresque jusqu'à l'inévitable tragédie, on débouche sur une version soignée d'un grand roman, qui se cantonne à une sagesse embarrassante. Fallait-il absolument, pour exister, que les deux clowns et leur metteur en scène prouvent une bonne fois pour toutes que oui, ils pouvaient aussi faire un film sérieux, ou un "grand sujet"?
Pendant des années, on ne pouvait voir de ce film que des extraits diffusés dans le cadre d'une série télévisée Allemande qui recyclait les longs métrages du duo; de ces dix bobines (soit 135 minutes à 20 images par seconde), il nous restait 48 minutes en tout, dénuées d'intertitres, et remontées afin de donner une idée du film plus qu'autre chose. Le remontage avait été fait afin de privilégier la comédie, mais le début était à peu près intact. La seconde intrigue, qui voit se développer une trahison chez d'authentiques chevaliers, qui vont ensuite être authentiquement aidés par Quichotte et Panza, ne mettait pas suffisamment les deux stars en valeur et avait été tout bonnement supprimée. Maintenant, le Danske Filminstitut a enfin rendu publique sa version restaurée (un tirage soigné, mais aux marques du temps bien visible) de la version intégrale, disponible pour l'heure sur Vimeo (mais pas pour longtemps), et bientôt sur le site Stumfilm du DFI, où il sera visible en permanence, comme la digne pièce de musée qu'il est enfin.
Film hallucinant, The blue bird est un conte, pour enfants, certes, mais le merveilleux est sans doute une affaire trop sérieuse pour la laisser à n’importe qui, alors Tourneur a tout fait pour éviter les pièges de ce genre de film: voir à ce sujet les tentatives contemporaines, comme la série des films autour du Magicien d’Oz, vers 1914/1915, ou encore le Alice de 1915, ces films qu’on peut consulter, sont tous tellement irritants à regarder dans leurs choix esthétiques, leur gaucherie et leur vulgarité (les gestes, plus frénétiques encore que chez Sennett) qu’on accueillera avec d’autant plus de satisfaction ce film au rythme délicat et aux images composées avec soin, qui conte la quête merveilleuse de l’oiseau bleu par deux enfants qui partagent un rêve baroque.
Alors, après, on aime ou pas, mais force est de constater que l’esthétique de ce film, forgée de film en film par Tourneur et augmentée de belles idées rendues possibles par l’irréalité de son sujet (Des silhouettes de gens en carton –pâte, des décors effectivement nus, dont on voit aussi bien le sol, que les murs, l’utilisation de surimpressions, etc) tient encore la route.
Néanmoins, cela restera une expérience unique, Tourneur revenant ensuite à plus de réalisme dans les films suivants. A ce propos, un nouveau clin d’œil adulte dans ce film: lorsqu’au début de leur rêve les enfants partent après une discussion avec les fées, animaux et ustensiles qui les accompagneront dans leur périple, les parents qui ont entendu un bruit se lèvent, font une tournée d’inspection, puis se recouchent rassurés: Tourneur nous montre alors les deux enfants que nous venons de voir partir, dans leur lit, profondément endormis.