Je ne vais pas, en dépit d'une forte envie, céder à la facilité qui consisterait en un jeu autour de l'expression "grand souffle", je vais me contenter d'écrire que ce film en manque, justement, cruellement. Et comme le "Grand souffle" en question est celui du patriotisme (cette maladie étrange qui consiste à croire que son pays vaut qu'on meure pour lui), si en vigueur en cette saison 1915-1916, on se doute que l'oeuvrette est un peu pale.
Madame Jeanne Duroc (Musidora) arrive en Provence et elle est secourue lors d'un problème, par un voyou (René Navarre) qui empêche ses collègues de lui faire du mal. Reconnaissante, elle promet à la mère du jeune homme de le faire revenir dans le droit chemin.
...et le droit chemin, c'est celui des tranchées! On assiste donc, dans un film que Ravel tourne dans de glorieux paysages qu'il peine à utiliser, à l'insistance d'une femme vertueuse pour que l'homme qu'elle aime aille se faire flinguer! Cruel destin, que celui d'un couple dans un mélo crétin. Reste le plaisir de voir Musidora en pré-Irma Vep, qui donne la réplique à René Navarre, post-Fantômas!
Mademoiselle Musi (Musidora) est une fervente lectrice des exploits des Vampires, d’après les célèbres films de Louis Feuillade mettant en scène Irma Vep interprétée par... Musidora. Une fois qu’on sera prêt à accepter ce postulat, on regardera d’un œil parfois distrait ce film de moyen métrage, dans lequel Louis Feuillade trouve un ton moins farcesque à la comédie, un peu à l’imitation des œuvres de Léonce Perret:
Lagourdette (Marcel Levesque) courtise Melle Musi, et en l’entendant vanter les exploits de sa bande de criminels favoris, il prend la décision qui s’impose: il va lui montrer que lui aussi peut commettre des crimes… Et pour faire semblant, il propose à ses domestiques de jouer les victimes innocentes, un stratagème qui se retournera contre lui. Car si la jeune femme est fantasque, elle n’est pas sotte pour autant…
Je parlais de Léonce Perret, c’était sans doute l’inspiration pour Feuillade. Mais en terme de comédie et de marivaudage, les deux metteurs en scène ne jouent pas dans la même catégorie. Feuillade était certes plus à l’aise dans les drames baroques, les séries policières et les films sentimentaux, sans oublier les drames patriotiques, passage obligé de l’époque...
Mais il est assez plaisant de voir Musidora en complicité avec Levesque, son ennemi juré dans Les Vampires, dans un film qui ressemble beaucoup à un produit dérivé sans doute sans grande importance.
Jacques Feyder a remué ciel et terre pour tourner ce film, et comme on dit toujours dans ces cas-là, il a bien failli ne pas se faire! Il lui a surtout fallu aller chercher dans le désert même les décors envoûtants de son film, lui qui sortait de la Gaumont, l'une des usines à rêves du cinéma Européen, peu enclines à tourner de l'authentique...
Le lieutenant Saint-Avit (Georges Melchior), retrouvé inconscient dans le Sahara, raconte à son ami le lieutenant Ferrières (René Lorsay) l'incroyable aventure qu'il a vécue: son expédition dans le désert aux côtés de son ami le capitaine Morhange (Jean Angelo) l'a mené jusqu'au Hoggar, où il s'est retrouvé prisonnier d'Antinea (Stacia Napierkowska), la mystérieuse reine héritière du royaume perdu de l'Atlantide, du moins ce qu'il en reste au milieu du désert. Saint-Avit, comme tous les hommes ou presque qui sont passés par là (un grand nombre de sarcophages en témoignent), tombe instantanément amoureux d'Antinéa, mais celle-ci lui préfère Morhange. celui-ci, qui a fait voeu de chasteté, lui oppose une indifférence ferme qui va provoquer la folie meurtrière de la reine... Pendant ce temps, pour tromper son ennui, Saint-Avit devient ami avec Tanit-Zerga (Marie-Louise Iribe), une esclave qu'Antinéa présente comme sa secrétaire particulière, et qui a un faible pour le lieutenant...
Le film, durant 171 minutes (dans sa version actuelle, restaurée et présentée en 2018 à Pordenone, mais on parle parfois d'une durée initiale de 190 minutes) est vaste et long, et n'a pas grand chose à voir avec le type d'aventures présentées dans les films Américains contemporains. Aux péripéties et au mouvement, Feyder oppose en effet un long prologue, gardant Antinéa pour la fin de la première moitié. Longue sera la route vers la reine, car à partir du moment où ils l'auront rencontrée, l'amitié des deux hommes ne sera plus qu'un souvenir. Certes, aucun des deux, à moins d'être dans un état second, ne reniera l'autre, mais ils seront séparés, de façon implacable, jusqu'au meurtre...
Antinéa, c'est un peu une métaphore de bien des choses: l'attrait vaguement romantique de l'orient, bien sûr, mais aussi les drogues, car à l'exception de Morhange, tous ceux qui y seront confrontés iront à la mort... Et il y a de nombreux paradis artificiels dans ce film situé en plein Sahara. Des produits qui ont peut-être (on n'en est pas tout à fait sûr) aussi pesé sur le destin personnel de Feyder, du reste, même s'il s'agit plus probablement d'alcool... Le cinéaste, en tout cas, fait semblant de se conformer aux canons du mélodrame colonial, en faisant de Morhange un roc inébranlable de religion qui reste impassible devant la chair constamment exposée d'Antinéa... Pourtant, il choisit ensuite de prolonger le film en montrant de quelle façon Saint-Avit, Français, soldat et noble, les trois qualités permanentes et essentielles du drame colonial, restera à jamais sous la domination... d'une femme dont on ne connaît pas vraiment l'origine. Et il y a Tanit-Zerga, la touchante esclave qui jouera un rôle essentiel et dont l'amour jamais dit ni révélé, éclate au grand jour dans la façon dont elle se dévoue à Saint-Avit. Marie-Louise Iribe est formidable dans le rôle...
Quoiqu'il en soit, l'ironie pointe sous l'épopée, et le fait est que si Feyder a souffert (et son équipe, j'imagine, aussi) d'avoir du tourner dans le désert, la beauté étrange du film contribue à l'impression cotonneuse d'envoûtement qui s'en dégage... Et Feyder a su tirer partir de son montage, d'un éclairage constamment inventif, et bien sûr d'un remarquable sens de la composition.
On est, de toute façon, dans son univers, avec cette fuite en avant, dans un environnement parfaitement défini: L'Atlantide est bien plus qu'un gros film à succès adapté d'un mauvais livre, il est avec ses défauts (Napierkowska étant sans doute le plus visible) et ses qualités, un jalon essentiel de la carrière du metteur en scène, qui jugera prudent en rentrant en France, de s'atteler avec Crainquebille à un film plus raisonnable...
Le sujet est mélodramatique à souhait et nous fait craindre le pire: une jeune femme de la bourgeoisie (Fannie Ward) tombe sous le charme d'un homme d'affaires Japonais (Sessue Hayakawa, devenu Birman dans les copies en circulation afin d'éviter de stigmatiser la forte communauté Japonaise de Californie), et lui demande de l'aide lorsqu'elle commet une bourde financière. Sortie d'affaire, elle veut lui rendre l'argent, mais il refuse, sous le prétexte qu'il estime l'avoir achetée. Pour le lui prouver, il la marque au fer rouge. Elle tente de le tuer, juste avant l'arrivée de son mari, qui endosse le crime. S'ensuivent des scènes de procès aux cours desquelles le mari tente d'empêcher la femme de révéler la vérité.
Le film commence par une courte séquence qui nous présente la star Hayakawa, star paradoxale puisqu'il est aussi le génie maléfique du film... Ici tout est dit ou presque: une source de lumière externe, venue de la droite, hors caméra, s'oppose à l'obscurité du plateau. A gauche, une source interne au plan permet de justifier l'éclairage du visage de l'homme. Celui-ci utilise un tampon pour marquer de son empreinte un objet. Tout est dit: le principal acteur est un mystérieux oriental, il est possessif, et a des méthodes radicales pour le revendiquer, et le film sera un manifeste du clair-obscur...
La première surprise, après, c'est le raffinement des décors et des costumes, à une époque ou le cinéma Américain, héritier du plus bas mélo théâtral, ne s'embarrasse jamais de ce genre de détails, et se contente d'utiliser des intérieurs et des toilettes "génériques": on tend ici à croire en l'environnement des personnages, et les scènes de cocktail mondain ajoutent à l'illusion, un peu à la façon des Russes de l'époque, très attachés à la véracité des apparences (On pense à Bauer, et je doute que DeMille en ait eu connaissance); le jeu des acteurs est plutôt sobre, tout en retenue, sauf au plus fort du drame, lorsque les circonstances l'exigent: le marquage est malgré tout filmé avec une certaine sobriété, la caméra se concentrant sur le visage déterminé de Hayakawa. On évite l'hystérie de la victime. Par ailleurs, le mari (Jack Dean) reste lui aussi sobre. On sent une direction d'acteurs avare en effets, de manière à laisser le champ libre au travail visuel.
Et c'est bien sûr dans ce travail de mise en images que l'on retrouve les plus grandes qualités du film, dans un montage parfait, se faisant oublier, mais toujours fluide, sans ces longs plans qui alourdiront les films parlant du maitre (The sign of the Cross ou Cleopatra en montrent de nombreux exemples); ici, l'utilisation fréquente d'inserts, savamment dosée, maintient l'intérêt au même titre que les gros plans des acteurs. Le tout permet une grande lisibilité (une remarque toutefois: sur la plupart des copies, un insert nous montre un journal daté de 1918: il s'agit de la ressortie de 1918, altérée par le changement de nationalité du protagoniste) La plus grande qualité du film, et de DeMille nous soufflerait Brownlow, c'est la science de l'éclairage. Au moment crucial, le metteur en scène et son équipe nous limitent volontairement le champ de vision, n'éclairant que partie du drame, filtrant l'action, en écho aux tromperies en jeu à l'écran: Fannie Ward, fuyant dans la pénombre vers le rendez-vous fatal, ne remarque pas le visage de son mari, qui nous a été partiellement révélé. Je parlais du décor, ici, il disparaît totalement. Ensuite, la lumière étrange du domicile du Birman enveloppe le drame qui s'y joue d'un voile sordide, dont on nous a d'ailleurs prévenu: pour la séduire (l'envoûter?), Hayakawa montre à Ward une statue de Bouddha, et l'éclaire différemment, la rendant tour à tour mystérieuse (derrière un écran de fumée) ou anodine, à l'instar de leur pacte, tour à tour amical (le prêt) ou sordide (le pacte sexuel); le tout ressemble furieusement à une réflexion cruelle sur la mise en scène dans les commerces humains.
Il est hélas inévitable, en 1915, et c'est le point le plus embarrassant du film, que le Birman soit le plus fourbe d'entre les protagonistes, mais les commentateurs qui s'indignent aujourd'hui du racisme du film vont peut-être un peu loin dans le "Politiquement correct". Un autre aspect mériterait sans doute d'être développé, concernant la forte misogynie du film; si le mari est un héros, la femme est assez clairement une idiote... Toutes ces considérations sont sans grande importance: DeMille était un showman, puisant dans le vivier des idées reçues afin d'alimenter ses histoires en images, et ce film est un grand show, proposant 59 minutes de divertissement digne d'inaugurer la grande série des drames/comédies matrimoniales qui allait suivre...
Les deux frères Jean et Jérôme de Ners vivent ensemble, soudés par la mort de leur père. Ils sont très dissemblables: Jérôme (Edmond Van Daële) est médecin, il est l'aîné et c'est un homme sérieux et ombrageux. Jean (Nino Costantini) est papillonnant, et... amoureux. Un jour, il disparaît: il est parti vivre avec Mary (Suzy Pierson), une vie de plaisirs à l'écart des responsabilités. Mais la jeune femme le quitte pour un autre, un danseur en vogue (René Ferté), alors Jean décide de disparaître pour de bon...
C'est une fois devenu indépendant que Epstein a tourné ce genre de films, dont ceci est probablement le pire: un scénario vide, un montage incohérent, et quelques épices d'avant-garde (surimpressions, notamment) pour masquer le vide abyssal du script de la soeur Marie Epstein: deux frères, évidemment nobles, dont l'un va (horreur!) tomber amoureux d'une femme, qui sera forcément inconséquente et volage... C'est un lot de clichés dont le cinéma n'avait déjà pas grand chose à faire en 1920, alors sept années plus tard...
Une explication s'impose, pour finir, sur le titre étrange de ce long métrage: c'est tout simplement en millimètres, le ratio de la pellicule Kodak pour une photo. Voilà tout: car dans ce film, une photo est importante, si vous survivez jusqu'à la dernière bobine de ce film vide et prétentieux.
M. et Mme Trévoux (René Navarre et Renée Carl) vivent heureux, ils ont un garçon, et les affaires de Monsieur sont prometteuses. Mais Madame a une attirance pour la chiromancie qui va lui jouer des tours: une dame inquiétante lui révèle que sa main trahit un avenir sombre, elle va "perdre un être cher". Elle a, forcément, des appréhensions quand son mari quitte Paris pour Cherbourg, afin de prendre le bateau pour New York... Et ces appréhensions seront vite confirmées, car le bateau va rencontrer un iceberg...
Deux préoccupations pour Feuillade ici: d'une part intégrer à sa série de films "la vie telle qu'elle est" un scénario sur la chiromancie, vaste entreprise d'exploitation des nigauds très en vogue à l'époque... Mais d'autre part, le réalisateur est à l'écoute de l'actualité, comme le Danois August Blom (réalisateur du film Atlantis la même année): il a été lui aussi frappé par l'anecdote du Titanic, et il introduit cette réalité-là dans son film; ce qui aura pour effet de pilonner un peu plus le charlatanisme des chiromanciennes, d'ailleurs, ce qui était l'intention première.
Comme souvent dans cette série, c'est dans les intérieurs que Feuillade révèle l'étendue de son talent, et on se souviendra longtemps de cette scène captée dans la pénombre, où seule apparaît la silhouette de Renée Carl, éternelle mère inquiète qui veille sur son enfant, et éclairée seulement d'une petite lampe...
Notons pour finir que le film est réduit à 24 minutes, il manque le dernier acte, celui dans lequel on confond les escrocs de la chiromancie. Dommage...
Kiki (Norma Talmadge) est une jeune parisienne qui end des journaux à deux pas d'un music-hall; elle y entend les répétitions des revues et rêve tout haut de s'y faire une place... Pas pour devenir une vedette, non: parce que ça la rendrait toute proche de M. Renal, le producteur (Ronald Colman). A la faveur d'une défection, elle va user de tous les stratagèmes y compris les plus malhonnêtes pour se faire engager, puis y parvenir... La revue va en souffrir, mais pas autant que Renal car une fois dans la place, Kiki n'est pas du genre qu'on déloge...
C'est une superbe comédie, qui bénéficie de tout le soin apporté habituellement aux films de Norma Talmadge. Et pourtant on ne l'attendait pas vraiment sur ce terrain, mais Clarence Brown est vraiment l'homme de la situation, sa mise en scène enlevée réussissant à nous mettre à 100 % aux côtés d'une indécrottable peste, une jeune femme dont la passion n'a d'égale que la débrouillardise. On en vient bien sûr assez rapidement à deviner qu'elle parviendra à ses fins coûte que coûte, mais les moyens qu'elle utilise sont quand même assez impressionnants: un chantage au suicide (qui ne débouchera sur aucune tendance excessive au pathos, c'est remarquable) et surtout une fausse crise de catalepsie qui fait que la star va jouer toute la dernière bobine, contrainte et forcée, en poupée totalement immobile...
Le scénario est solide, signé de Hanns Kräly arrivé de Berlin dans les valises d'Ernst Lubitsch; les décors sont impressionnants par le soin qui leur a été prodigué; outre les deux stars, on a des performances de premier choix de Marc McDermott, Gertrude (la rivale en amour de Kiki) et même George K. Arthur qu'on a jamais connu aussi bon, et qui interprète le domestique Adolphe, devenu l'ennemi juré de Kiki une fois celle-ci installée dans la maison de son patron... Et le film est en prime constamment enthousiasmant, grâce à sa structure qui culmine dans la plus jubilatoire des comédies physiques.
Dans une mine de diamants en Afrique, pas trop loin du Kalahari; le patron Hugh Rand (John Gilbert) reçoit la visite de quatre personnes importantes: l'un d'entre eux est l'un des actionnaires principaux, un Lord Anglais (Ernest Torrence). Pendant la visite, Rand courtise sa fille la très belle Lady Diana, (Mary Nolan) mais... ce sont en fait des imposteurs, des escrocs qui préparent un coup sans précédent: le vol d'un certain nombre de diamants de grande qualité. Durant leur fuite, ils prennent Rand en otage, afin qu'il les guide dans le désert... Mais qui manipule qui?
C'est un petit film d'aventures, qui pour la plupart des scènes a été tourné dans un environnement désertique en Californie. Le parti-pris de Nigh et de Gilbert a été d'imposer des conditions difficiles, aussi proches que possible de ce qui est supposé se passer à l'écran. Au vu du film il est absolument évident que ça n'a pas été de tout repos, surtout pour Torrence, dont le malaise physique (ses lèvres sèches par exemple) est plus que palpable... Mais le film ne se veut en aucun cas un compte-rendu réaliste, juste une romance provocante dans laquelle deux personnes qui s'aiment (Gilbert et Nolan) s'imposent un enfer pour se mériter!
Gilbert, dont c'était le dernier film muet, allait donc jusqu'au bout de sa punition, en faisant finalement ce qu'il souhaitait faire, et qui faisait tant horreur à Louis B. Mayer (le conflit entre les deux hommes est largement documenté sur la toile, je vous invite à chercher): des films à petit budget, qui échappent à la romance et aux fadaises, et qui préparent déjà ce que seront les films de l'époque pré-code. Mais si ce film était une punition dans l'esprit de Mayer, il semble qu'elle n'ait pas été trop dure pour l'acteur, qui s'amuse visiblement à promener son petit monde dans le désert...
Deux voyageurs arrivent à Alger, et en quittant le bateau, leurs regards se croisent... Claudie Duvernet est venue pour hériter, et Pierre Hoffer pour soutirer de l'argent à son oncle. Repartiront-ils de la colonie, ou vont-ils se trouver un destin local? Mais les cousins de Claudie, qui n'ont pas hérité, eux, vont tout faire pour faire main basse sur la fortune de la jeune femme...
On n'imagine pas, quand on connaît un peu l'histoire, marquée à gauche, du personnage, un Jean Renoir faire la retape pour l'Algérie Française! Et pourtant... En 1929, le cinéaste est bien mal en point, la plupart de ses projets personnels ont débouché sur des échecs commerciaux, et il n'a pas, loin de là, fait ses preuves. Et il n'a plus de toiles du père Auguste pour financer le moindre projet! Il a donc accepté une commande, celle de réaliser un petit film sentimental et d'aventures tourné en Algérie pour y insérer aussi clairement que possible des séquences qui pouvaient lui permettre de vanter les mérites de l'endroit, l'industrialisation bénéfique et bien évidemment, les bienfaits de la colonisation!
Dire que ça l'a désintéressé serait bien en dessous de la vérité, mais l'apprenti cinéaste, par ailleurs cinéphile engagé, se fait plaisir en se consacrant, plutôt qu'à l'intrigue, aux personnages qu'il va aider à se révéler avec une certaine attention sur les détails: on n'est pas un fan de Stroheim pour rien. Et il se réveille lorsqu'il doit diriger ses acteurs en plein règlement de comptes dans le désert. Sinon, pour retrouver le Renoir "historique", il faudra attendre le parlant...
Un tout petit garçon laissé seul par les circonstances dramatiques à Ellis Island, un capitaine bourru, une riche grand-mère qui a perdu toute trace de son petit-fils dont la mère est décédée tragiquement en route vers les Etats-Unis: mélangez, vous avez un film! C'est donc l'un des premiers "véhicules" pour le petit Jackie Coogan, dont l'interprétation avait fait sensation dans The kid, de qui-vous-savez.
Et c'est un mélodrame à peine relevé par un ton de gentille comédie familiale, dans lequel toute l'équipe fait bien attention à cocher toutes les cases nécessaires à l'identification de ce film avec l'image qu'a forgé Chaplin du jeune acteur: circonstances tragiques, présence d'un adulte affectueux mais pas trop démonstratif, quiproquos, présence menaçante des autorités, et pathos sous contrôle... C'est plaisant, même si on sent ici une volonté consciente de capitaliser sur le génie d'un autre: ce n'est pas Coogan junior que j'accuse, mais un autre acteur, John Coogan senior, qui est d'autorité crédité "superviseur" du film. Ce qui fait qu'il y a ici beaucoup de metteurs en scène...
Le principal artisan reste sans doute Victor Heerman, qui est crédité en premier, et fera une petite carrière de réalisateur dans les années 20; et sinon vous connaissez Albert Austin, qui était l'un des plus proches collaborateurs de Chaplin. Sa présence ici au poste de co-réalisateur vient peut-être d'un besoin de Jackie Coogan d'être à l'aise sur le plateau, avec une personne de confiance: Austin était l'un des assistants dévoués à Chaplin, et avait selon toute vraisemblance été souvent à la manoeuvre sur le premier long métrage de son patron, lorsque ce dernier était pour sa part derrière la caméra. Lui aussi fera une petite carrière, principalement dans la comédie, et souvent dans l'ombre de Chaplin; non seulement il a tourné un autre film avec Coogan, mais il a aussi été amené à réaliser un film avec le petit Dean Riesner, fils du réalisateur Chuck Riesner, lui-même assistant sur The pilgrim et la première version de The Gold Rush: son fils jouait le gamin qui en voulait aux deux frères Chaplin dans The Pilgrim...