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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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25 juin 2015 4 25 /06 /juin /2015 10:42

Cette superproduction construite par Curtiz autour de Lucy Doraine, qui allait le quitter, est assez connue. Elle a en effet été diffusée plusieurs fois sur plusieurs chaînes, et a remporté un assez joli succès international lors de sa sortie, tant et si bien que, aux cotés du démarquage des Dix commandements, L’Esclave Reine (1924), elle fait figure de classique du cinéma Curtizien pré-Warner. Oui, bon, mais honnêtement, on aimerait changer un peu les choses à ce niveau-là: c’est un film clairement ambitieux, qui poursuit certains caractères de la mise en scène de Curtiz, et qui démontre son potentiel de façon éclatante: les scènes aux centaines de figurants, la maîtrise en matière de scènes plus intimes, le découpage constamment dynamique (Les héros nous sont présentés en mouvement) et une certaine audace structurelle qui se manifeste par de tortueuses mises en abyme : un rêve occasionne un prêche qui provoque un rêve… afin de justifier le recours aux temps bibliques et la représentation d’orgies antiques… Une fois de plus, le film est réalisé dans l'ombre imposante de DeMille.

Mais voila un film qui souffre d’une surcharge pondérale: le script tourne autour de la rédemption, à Londres, d’une femme futile par laquelle un suicide est arrivé. Un prêtre (Michael Varkonyi) la prend en mains et tente de la faire sortir de l’ornière du péché, et de l’empêcher de séduire trois hommes par jour (...dont lui-même!)… Lourd, donc! Comme souvent avec Curtiz, il y a de bonnes choses à prendre dans ce film: son sens impeccable des cadres avec des scènes dramatiques éclairées en fond, les protagonistes jouant au premier plan, dans l’ombre… Les scènes de prison, vraiment sordides grâce au clair-obscur, et des plans de destruction qui ont une petite particularité: restant à distance lors de destruction des murs de Sodome, Curtiz et le chef-opérateur Gustav Ucicky captent non pas la chute des murs eux-mêmes, mais bien les fumées , poussières et débris qui se répandent : voila un avant-goût intéressant de l’œuvre à venir d’un homme qui préférera souvent filmer les ombres de ses acteurs que les acteurs eux-mêmes.

Dans ce drame typique des jeunes années 20, Lucy Doraine se pavane, est de toutes les scènes, doit assumer trois différents rôles de femme fatale, si on compte les séquences antiques et est, il faut le dire, franchement insupportable. Autour d’elle, on reconnaît Walter Slezak et Michael Varkonyi, qui partiront à Hollywood peu de temps après. Curtiz a bien fait son travail, mais le résultat est trop. Trop tout : trop ridicule, trop rempli : on sent la volonté de montrer sa puissance, en oubliant le spectateur au passage; les scènes bibliques, à la logistique impressionnante, sont spectaculaires, mais vides de substance. Les personnages sont tous difficiles à aimer, et même Stroheim leur aurait accordé une porte de sortie plus humaine. Ici, tout rachat doit être spectaculaire, biblique… Demillien? Je préfère le relatif intimisme des Chemins de la terreur, qui avait un visage nettement plus humain, même s’il avait beaucoup moins d’ambitions.

 

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz Muet 1922 *
17 juin 2015 3 17 /06 /juin /2015 11:41

Le samedi soir, pour une famille modeste aux Etats-Unis en 1921, c'est le soir du bain; on s'apprête à sortir, et on se fait beau, et on en profite pour faire les ablutions de la semaine, car il n'y a pas de petites économies... C'est donc de classes sociales qu'il sera question ici, dans un film qui est clairement une comédie, plus souriante en effet que The affairs of Anatol, que Male and female aussi, dont Saturday night prolonge la réflexion, mais en laissant le spectateur à ses propres conclusions. Rappelons d'abord que dans le film de 1919, une famille Anglaise aisée s'échouait sur une île déserte, et les bourgeois étaient désormais à la merci du bon vouloir de leur domestique qui lui savait se débrouiller et devenait ainsi l'homme le plus important, une inversion des rôles qui ne survivait évidemment pas au retour au bercail. Un constat amer? Pas tant que ça puisque le domestique pouvait trouver un nouveau départ en s'installant aux Etats-Unis, un territoire égalitaire entre tous... C'est donc aux Etats-Unis que se situe Saturday night, qui raconte l'échange entre une petite blanchisseuse (Edith Roberts) qui a rêvé de luxe toute sa jeunesse durant, et une riche héritière blasée (Leatrice Joy) qui a des notions romantiques, souhaitant trouver l'âme soeur, et de partir vivre dans le dénuement et la simplicité. Le film adopte dans son introduction le ton d'un conte de fées modernes, via des intertitres comme souvent envahissants: dans la vie moderne, il n'y a pas de fées, donc pour toute transformation d'une Cendrillon, il faut compter sur soi-même, ou sur le destin.

Soyons juste, il n'y a peut-être pas de bonne fée, mais certains épisodes de ce film renvoient quand même un peu à la magie: c'est parce que l'escalier de service est encombré d'une domestique qui prend toute la place que Shamrock la blanchisseuse tente de passer par la maison, et va déclencher une série d'événements qui vont la mener à se marier avec le fils (Conrad Nagel) de la richissime famille qui lui confie son linge. Et parmi les événements en question, c'est parce qu'ils se sont trouvés accidentés ensemble que le chauffeur Tom McGuire (Jack Mower) va s'enhardir et embrasser sa patronne Iris Van Suydam, alors qu'elle est évanouie: au réveil, comme par enchantement, elle est désormais amoureuse... Les deux couples vont se marier chacun dans leur coin, et tot le monde va avoir le plus grand mal à s'adapter. On peut aussi assimiler Elsie (Julia Faye), la soeur du riche Richard, à une mauvaise fée tant elle ne va pas prendre de gants pour mener la vie dure à sa belle-soeur venue du peuple... Le film va, au travers de gaffes, catastrophes et preuves flagrantes de l'impossibilité des deux femmes à s'adapter à leur nouveau milieu, tenter de prouver qu le mélange est impossible, et donc, la morale est assez ouvertement "Chacun chez soi". Dans un premier temps, on pourrait râler, et interpréter cette conclusion comme un renoncement des idéaux démocratiques rendus possibles dans le passage en Amérique, dans Male and female trois ans auparavant. Mais le point de vue ici, et la sympathie des auteurs, et par là-même du public, sont acquis à Shamrock et Tom, qui ont, finalement, la belle vie.

DeMille simplifie considérablement la mise en scène, qui reste néanmoins dynamique, et le metteur en scène, comme si souvent, s'essaie à des ruptures de ton assez inattendues, comme cette idée d'abord un peu saugrenue mais qui s'avérera payante, de passer une fois de plus par l'épreuve du feu, comme il l'a déjà fait pour Joan the woman, et comme il le refera dans The road to yesterday et dans The godless girl. Un incendie qui forcera chaque protagoniste à choisir son camp, à montrer qui est véritablement son âme soeur. Donc si Borzage ou Capra seront foncièrement l'un et l'autre plus à l'aise avec ce type de film dans leurs carrières respectives, on se réjouit de voir l'aristocrate DeMille s'en tirer si bien avec un film essentiellement dédié à célébrer son public populaire...

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille Muet 1922 *
29 mai 2015 5 29 /05 /mai /2015 17:51

Mais qu'est-ce qui lui a pris? Pourquoi, après quelques années passées au pinacle du cinéma muet Américain, Cecil B DeMille a-t-il commis ce film, qui va inaugurer de façon spectaculaire une nouvelle carrière dédiée au mauvais goût? On peut remarquer plusieurs choses dans le contexte de la carrière du cinéaste, tout comme dans le contexte du Hollywood de 1922, qui permettent d'expliquer rationnellement, sinon d'excuser la sortie de ce long métrage. Tout d'abord, on constate que DeMille, y compris dans ses films les plus importants, n'a jamais hésité à avoir recours au pire, comme en témoignent les scènes-paraboles de Don't change your husband et de Male and female, ou le sujet même, particulièrement "risqué" de The Cheat. Ensuite, on sait qu'à partir de 1922, les réalisateurs et producteurs doivent respecter un code de conduite qui va les obliger à contourner de façon inventive les interdits en les subvertissant: ainsi le recours au prétexte moralisateur deviendra-t-il le principal moyen pour DeMille de montrer les turpitudes humaines en établissant un parallèle entre les moeurs de 1920 et les vices de l'antiquité, un sujet qu'il affectionnait comme chacun sait, et une tendance qui fera des petits: The sign of the cross et Cleopatra notamment, chacun en son genre, seront un festival de détournement à des fins salaces. Manslaughter n'est pas en reste, Thomas Meighan se détournant les yeux à plusieurs reprises pour nous donner à voir des réinterprétations bibliques (Danses lascives, nudités furtives, orgies avinées...) terrifiantes de ridicule.

Le problème néanmoins n'est pas dans le mauvais goût, il est plutôt dans la présence désormais envahissante de ce qui aurait pu n'être un sous-texte moralisateur acceptable, comme celui qu'on retrouve dans les longs métrages de Lloyd ou Fairbanks, et qui en fait devient l'apparente raison d'être de ses films: c'est dans le but de montrer les moeurs dissolues de la haute société bourgeoise, et de la stigmatiser aveuglément, de façon manichéenne, que DeMille a fait ce film; qu'importe qu'il soit ou non sincère: le résultat lui donne tort; afin de raconter son histoire (Un procureur amoureux d'une jeune femme riche et pervertie doit la condamner et la réformer malgré elle, puis doit récolter les fruits amers de son sacrifice), DeMille a considérablement allégé sa patte, l'a appauvrie, jetant aux oubliettes le style élégant et subtil qui fut le sien, la profondeur de champ, la science du cadrage, le jeu fin et retenu des acteurs; avec Manslaughter, on est devant un cinéma muet qui se caricature lui-même...

Il y a bien quelques moments intéressants: la façon dont la prison va humaniser Leatrice Joy, par exemple, est l'occasion de beau moments, comme les démonstrations de solidarité entre les détenues. Mais DeMille y reviendra avec autrement plus d'efficacité dans The Godless Girl, par exemple... L'ironie sous-jacente de la situation sauve un peu l'intrigue, mais le fait pas intertitres interposés. Où est la science du détail de DeMille, so utilisation intelligente du montage? 

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Cecil B. DeMille 1922 *
31 décembre 2014 3 31 /12 /décembre /2014 17:42

Qui est Fritz Lang en 1922? On a tellement en tête l'image vaguement caricaturale d'un réalisateur tout-puissant, véritable autocrate respecté voire craint, qu'il convient de rappeler qu'il a lui aussi du débuter un jour ou l'autre. Or les films de ses débuts, ces quinze dernières années, ont été redécouverts (Sauf les deux premiers de 1919, Halblut et Der Herr der Liebling, deux films d'aventures sur lesquels on ne sait pas grand chose), et on constate que le metteur en scène au monocle a lui aussi fait ses classes comme tant d'autres. Il a donc réalisé un serial délirant, dont seuls deux épisodes se sont concrétisés en 1919, Die Spinnen. Il a ensuite sorti trois drames ou mélodrames entre 1919 et 1920 (Harakiri, Das wandernde Bild, puis Vier um die Frau), d'un intérêt très relatif, avant de sérieusement attirer l'attention sur lui en 1921 par un sixième film, l'ambitieux Der müde Tod. Ce dernier se situe plus ou moins dans la lignée des films dits "expressionnistes", alors à la mode. Un adjectif qui est souvent utilisé pour qualifier tout le cinéma Allemand muet, ce qui est une grosse bêtise; Dr Mabuse, der Spieler ne fait d'ailleurs pas exception à cette règle, alors que le film n'est en aucun cas expressionniste... En tout cas, ce film, réalisé par Lang d'après un scénario de sa désormais collaboratrice et épouse (Pour quelques années du moins, car à l'heure du grand choix des années 30, ils prendront tous deux des décisions différentes) Thea Von Harbou, mais c'est surtout une adaptation du roman Dr Mabuse, écrit par Norbert Jacques et paru en feuilleton dans la presse en 1921. Lang profite de cette extravagante saga d'aventures pour créer, selon ses propres termes une "image de l'époque": la première partie du film s'appelle en effet ainsi: "Ein Bild der Zeit"... Une époque, comme chacun sait, faite en Allemagne d'inflation, de troubles, d'incertitudes politiques, qui auront des répercussions bien plus tard...

Le film commence sur la vision d'un homme concentré à son bureau, devant une foule de perruques, et regardant diverses photos de ses déguisements. C'est le Dr Mabuse, interprété par Rudolf Klein-Rogge. il est secondé par un homme troublé, le valet Spoerri, dont on apprend de suite qu'il est cocaïnomane. Mabuse le menace de le virer, l'autre répond qu'en ce cas il se suiciderait. Le décor est planté, les personnages aussi: hors du commun, entiers, mais aussi pétris de défauts qui auront, probablement, leur peau au final... Ensuite, Lang nous montre la façon d'opérer de Mabuse, sans plus attendre, tout le premier acte étant consacré à une escroquerie gigantesque, menée de main de maître par Mabuse et son réseau d'hommes de main: pendant que leur patron se rend sous le déguisement d'un banquier à la bourse, les bandits subtilisent un traité commercial dont tout l'économie d'un pays dépend. Muni de précieuses informations (Etant responsable du vol, Mabuse sait quand la nouvelle de la perte du document, mais aussi sa redécouverte seront rendues publiques), il réalise un coup fumant en bourse. Au terme de cette impressionnante séquence, Mabuse aura changé trois fois de visage, aucun homme ne meurt, mais on sent que les dés sont pipés. Si un homme est capable de monter un tel coup, que font les autorités?

...Pour répondre à cette question, il faudra du temps. La première fois qu'on verra la loi, ce sera au bout de 45 minutes, lors d'une intervention du procureur Von Wenk (Bernhard Goetzke). Il est en habit, car on verra très vite que c'est un oiseau de nuit qui ne déteste pas s'encanailler. Idéal pour contrer Mabuse, lui aussi aime à se déguiser, mais on le verra bien vite, il a le plus souvent un temps de retard. Sur Mabuse, bien sur, mais aussi et surtout sur le public. car Lang a décidé de nous donner, sans jamais laisser s'installer le doute, tous les détails des crimes perpétrés par Mabuse. Il ne nous invite pas nommément à le suivre, mais on n'en est pas loin, et rudolf Klein-Rogge l'a joué comme si le docteur était le héros. cette ambiguïté est d'ailleurs soutenue par les propres commentaires de Lang à propos de son film, lui qui disait qu'aux Etats-Unis, une telle oeuvre était impossible, car "les Américains n'aiment pas les surhommes"... Une affirmation intéressante, à l'heure où triomphent les films de super-héros, mais qui nous révèle au moins qu'à travers le personnage du maléfique Dr Mabuse, le "portrait de l'époque" que souhaitaient faire Lang et Harbou est sans doute l'image d'un temps durant lequel tout devient possible. On a souvent dit à quel point le film était prophétique, et de fait, sans jamais nommer de façon politique le "surhomme" à l'oeuvre, Mabuse est en effet au-dessus du lot: psychanalyste, passionné par l'occulte, joueur et très calculateur, il maîtrise l'hypnose, qui lui sert à plier les réfractaires à sa volonté (Seul Wenk réussira à y échapper un temps), et réussit à tout planifier, se rendant tel un héros de Feuillade maître de tous les éléments du jeu. sa chute, contenue dans la deuxième partie (Menschen der Zeit) sera due à une femme: lui qui affirmait qu'il n'y a pas d'amour, mais que du désir, a fini par s'enticher de la comtesse Dusy Told (Gertrude Welcker), la seule femme qui lui ait résisté...

En attendant, le 'portrait d'une époque' auquel se réfère le titre, est fait d'une vision fascinante, assez réaliste bien que tournée pour l'essentiel en studio, d'une Allemagne qui essaie de résister à la révolution, dans laquelle la crise a laissé beaucoup de gens sur le carreau, ceux-ci étant fédérés ou manipulés par Mabuse selon les épisodes. Une Allemagne construite sur du fragile, dans laquelle les différences entre les riches et les pauvres sont telles que certains parmi les appuis de Mabuse pourraient sans trop forcer le trait être comparés à des révolutionnaires, sans parler de leur fanatisme: la danseuse Cara Corazza (Aud Egede-Nissen) est acquise à celui qu'elle aime pard-dessus-tout, jusqu'à obéir à un ordre de suicide, qui ne lui est donné que par un tiers... Georg (Hans Adalbert Von Schlettow) est lui aussi un jusqu'au-boutiste. Exécuteur des basses-oeuvres, c'est d'ailleurs lui qui signifiera à la Carozza que le temps du suicide est venu. Mais si Mabuse est un homme froid, qui a du mal à gérer la situation une fois que sa fascination pour une femme e trouble, il est aussi presque une sorte de Robin des Bois: ses victimes, objectivement dans le film, sont les puissants à travers le coup boursier, ou encore le jeune et richissime Edgar Hull (Paul Richter). A la fin du film, les bandits sont retranchés chez lui et assiégés par la police, des images de révolution qui font écho aux troubles menés par les Communistes en 1919-1920, et qui ajoutent encore à l'ambiguïté du film... Mais on n'a jamais dans le film le véritable point de vue des petits, à part peut-être dans une scène qui montre combien il est aisé pour Mabuse de se faire passer pour l'un d'eux, et de provoquer un mouvement de foule propice à l'assassinat. Voilà qui tempère sérieusement l'image d'un redresseur de torts...

Du reste, il convient de rappeler que Lang a chargé le portrait du Dr Mabuse, un homme qui fascinait Norbert Jacques, qui l'avait créé comme un Fantomas moderne, désireux notamment d'utiliser les objets contemporains les plus riches en rêverie, avions et dirigeables; Lang et Harbou ont fait redescendre le malfrat sur terre, lui donnant une assise plus facilement réaliste... Et on peut enfoncer le clou en rappelant que l'opposant principal à Mabuse, Wenk, est lui aussi un homme intelligent, prompt à se déguiser, et désireux de se mesurer à son ennemi sur les mêmes terrains, de jeu comme dans la lutte psychologique. Et d'ailleurs, ne tombent-ils pas tous deux amoureux de la même femme? Celle-ci finira par se refuser aux deux... En tout cas le procureur Wenk, personnage ambigu lui aussi, est fascinant. On sent bien qu'il est un cran au-dessous de sa Nemesis, mais on lui saura gré d'essayer de faire son boulot de fonctionnaire avec une certaine inventivité...

Mais ne voyons pas non plus trop de prédiction ou de sixième sens dans Dr Mabuse: comme tous les films de Lang en cette période, il ne faut peut-être pas oublier la dimension la plus chère au coeur de l'auteur: si il a permis à Klein-Rogge de composer un personnage de surhomme dans la première partie du film, il va aussi en montrer les limites, notamment son manque total d'humanité, et en faire lui aussi, au final, une sorte de Fantomas, un personnage de pure fiction, de rêve donc. Et le film, durant toutes ses quatre heures et trente minutes, de faire écho à cette impression: Lang était, probablement, le principal suiveur de Louis Feuillade, et c'est visible dès la première bobine de ce film. Et puis on est chez Lang, donc les signes sont partout, magnifiquement mis en scène, avec une maestria que Lang n'avait jamais démontrée auparavant. Il assume avec tranquillité une architecture impressionnante, surtout quand on pense à la durée du film; les acteurs sont dirigés de main de maître, le rythme ne faillit jamais, et le metteur en scène se paie même la fiole de l'expressionnisme dans une scène révélatrice entre Mabuse et le comte Told (Alfred Abel), l'une de ses prochaines victimes. Chaque acte commence avec un nouveau décor, et il nous mène en bateau dans une abondance de lieux différents sans jamais perdre le spectateur... Lang est devenu le grand metteur en scène qu'il est désormais dans l'inconscient collectif avec ce film, justement. Et les années 20 allaient finir de le consacrer, au-delà du succès parfois peu probant de certains de ses films (Metropolis en tête, chacun sait que le film a coûté plus qu'il n'a rapporté à la UFA), comme le chef de file de l'écran Allemand.

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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Muet 1922 **
12 juillet 2013 5 12 /07 /juillet /2013 19:13

A Paris, Jérôme Crainquebille (Maurice de Féraudy) est un vieux marchand de quatre saisons ; ses journées sont bien réglées : il se rend aux halles, fait le plein, puis avec sa carriole remplie de légumes, arpente les rues commerçantes. Ses principales clientes sont les boutiquières de son quartier. Un jour, alors qu’il attend en pleine rue, au milieu d’un attroupement, la monnaie d’une chausseuse qui l’a oublié, il murmure une phrase qui sera méprise par l’agent de police qui se trouve à côté de lui : le pandore a en effet entendu le vieil homme dire « Mort aux vaches ». Il l’arrête pour insulte à officier, et Crainquebille, ne comprenant pas tout à fait ce qui lui arrive, va donc faire de la prison, car la machine de la justice est un système avec lequel il aura bien du mal à prouver son innocence… Si la prison lui sera relativement douce, c’est le retour sur le pavé de Paris qui sera impitoyable…

Adapté d’une nouvelle d’Anatole France, Crainquebille peut sembler inattendu pour succéder à L’Atlantide ! Mais Feyder, s’il change d’environnement de façon assez spectaculaire, ne change pas sa méthode : il installe son intrigue dans les lieux même de l’action, et se plait à tourner dans les rues même de Paris, y trouvant matière à mêler vues documentaires et création, avec un bonheur constant. Il imagine une série de truquages pour faire passer le point de vue de son héros, se rendant compte de l'impossibilité pour lui de répliquer à la machinerie judiciaire. Et il repose sur des interprètes géniaux: le sexagénaire Maurice de Féraudy, grande figure du théâtre, et l'inattendu Jean Forest, le gamin des rues qui va "sauver" Crainquebille. Un classique, et non des moindres: Griffith le tenait pour l"un des plus beaux films jamais tournés. Pas moins...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1922 Jacques Feyder *
21 avril 2013 7 21 /04 /avril /2013 17:06

Seule une bobine subsiste de ce film, le 47e et le 11e de Ford pour la Fox. Entre Just Pals (1920) et Cameo Kirby (1923), ces quelques minutes sont les seules auxquelles on ait accès concernant cette période forcément mal connue de l'auteur de The Searchers... Une bobine sur 6, comment s'étonner qu'on n'y comprenne rien? pourtant ces 14 minutes sont un plaisir pour les yeux, offrant le climax plein de péripéties d'un mélodrame à l'ancienne, situé dans une Amérique rurale déjà présente au coeur du film Just pals. Les règlements de compte y sont bien présents, avec un homme handicapé qui se traine littéralement jusqu'à la maison de ses ennemis, une jeune femme évanouie qu'on transporte en urgence d'une maison à l'autre, et un jeune homme accusé par son propre père (Tully Marshall) d'être une fripouille... Il y a de fortes chances qu'on ne puisse jamais voir le reste! Mais l'impression qui domine, c'est que ce film est assez proche de ce qu'on pourrait attendre d'un film contemporain de King Vidor, la dimension sensuelle en moins (En dépit de la présence de la toujours charmante Bessie Love), ou d'un film de Henry King, sans la spiritualité: bien sur, tout le monde finit dans une église, mais c'est pour un double mariage qui permet à la comédie de reprendre ses droits.

Au final, un passage émouvant d'un film qu'on ne verra jamais, une découverte qui serait due à l'infatigable quête de Henri Langlois, qui aurait identifié le film rien qu'en jetant un coup d'oeil sur la pellicule et en y reconnaissant Tully Marshall. Une anecdote probablement à vérifier...

The Village Blacksmith (John Ford, 1922)
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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet 1922 Film perdu
26 janvier 2013 6 26 /01 /janvier /2013 15:48

Terre qui flambe est le onzième film de Murnau, situé entre deux autres films majeurs: Nosferatu, tourné au printemps 1921 mais sorti seulement quelques jours avant ce nouveau film, et Phantom qui occupera le metteur en scène durant l'automne de cette même année 1922. Le film est aussi le deuxième opus d'un ensemble de trois films dits "paysans", tant vantés par l'historienne Lotte Eisner qui y voyait le sommet de l'oeuvre de Murnau. Les deux autres (Marizza et Die Austreibung, "L'expulsion") étant perdus à l'exception de la première bobine de Marizza, il ne nous reste que celui-ci pour nous faire une idée. de prime abord, on peut assez facilement s'égarer en trouvant Nosferatu et ce film très dissemblables; cest au mieux une fausse piste, au pire une grosse bêtise... Ces deux films sont de toute évidence les créations du même homme, un Murnau enfin arrivé, après seulement quatre années de travail dans le cinéma, à un sommet de son art. Produit partiellement par l'incontournable Erich Pommer, le film bénéficie de trois noms de scénaristes au générique: Willy Haas, Arthur Rosen, et Thea Von Harbou. On y repère aussi Rochus Gliese, dont le talent de décorateur sera de nouveau mis à profit par Murnau dans Die Austreibung, Les finances du Grand-Duc, et bien sur Sunrise. C'est d'ailleurs l'un des aspects les plus remarquables de ce film qui sert, après Nosferatu et avant Tartuffe, Faust et Sunrise, à définir au mieux le rapport unique de Murnau avec l'espace filmique et les décors, son organisation du cadre et son utilisation inventive de la profondeur de champ...

 

Le vieux Rog (Werner Krauss), un paysan, va mourir; il a auprès de lui son fils Peter (Eugen Klöpfer), mais son autre fils Johannes (Wladimir Gajdarov), parti à la ville, se fait attendre. Il arrivera trop tard... Et restera à peine, ayant mieux à faire: il veut s'installer au plus près d'un potentat local, le voisin des Rog, le comte Rudenburg (Edward Von Winterstein). Celui-ci passe son temps à déserter son pigeonnier, au sommet de son chateau pour se livrer à une inspection minutieuse et fiévreuse d'une de ses terres, le "champ du Diable", qui le fascine sans que quiconque puisse le comprendre... L'ambitieux Johannes va vite devenir le secrétaire particulier du comte tour en courtisant sa fille Gerda (Lya de Putti). Mais il va vite apprendre que la raison de l'obsession du vieil homme pour le "champ du diable" est que le sous-sol en regorge de pétrole. Lorsqu'il assiste le comte pour modifier son testament, il apprend que le vieillard lègue l'ensemble de sa fortune à Gerda, à l'exception de son "champ du diable" et du chateau, qu'il laisse à sa deuxième épouse Helga (Stella Arbenina). Johannes entreprend donc immédiatement les travaux d'approche afin de séduire la comtesse...

 

Deux mondes ici se regardent sans vraiment s'affronter. Le chateau et la ferme des Rog sont deux univers qui sont séparés par leur appartenance à des classes différentes, mais on a envie d'ajouter que la façon dont les humains y sont traités est également un important facteur de différence. Les Rog, à l'exception de Johannes, sont respectueux, directs, et semblent-ils soudés. Les employés y mangent à la même table que les employeurs, et Peter Rog, le patron en titre, après le décès de son père, demande la main d'une bonne, la petite Maria (Grete Diercks). Mais celle-ci aime Johannes qui a méprisé son amour, et comme elle le dit, elle a accepté de souffrir pour lui. Au chateau, en revanche, les gens de maison sont relégués au sous-sol, et seule la comtesse fait un effort pour les approcher... pour le comte, pour sa fille, et bientôt pour Johannes Rog qui va évidemment habiter le chateau après le mariage de la comtesse, le chateau deviendra le symbole non seulement de sa réussite, mais surtout d'un tremplin vers de meilleures situations, puisqu'il entend ne pas s'arrêter en si bon chemin, visant à devenir avec son gisement de pétrole un interlocuteur privilégié du gouvernement...

 

C'est le sens d'un film dont la décoration est extrêmement variée, aidée en cela par un découpage qui passe de façon unique d'une pièce à l'autre, d'un lieu à l'autre: la ferme Rog, le chateau, le champ du Diable et sa chapelle maudite (De tout temps le lieu a eu la réputation d'être hanté par le diable depuis qu'une explosion bien compréhensible - le pétrole- a semble-t-il oté toute fertilité à son sol.), les bords désolés et enneigés d'une rivière gelée, mais aussi un riche salon dans lequel on a convié Johannes Rog pour lui faire miroiter un futur prestigieux... les extérieurs tranchent par leurs grands espaces avec les intérieurs, avec leurs plafonds apparents, qui définissent dans un premier temps la classe sociale, mais qui jouent aussi un rôle pour enrichir plus avant le contraste entre les différents protagonistes: on remarque ainsi très vite la structure verticale du chateau Rudenburg, mise en relief par l'utilisation d'escaliers dans toutes les scènes. La comtesse doit descendre pour passer du temps avec les domestiques, et elle est la seule à la faire. De son côté, le comte s'est aménagé une pièce au plus haut, qui deviendra bien sur le repère de Johannes après qu'il se soit approprié le mariage... C'est de ce pigeonnier que le jeune homme verra brûler le champ de pétrole à l'issue du drame. A l'inverse, la ferme des Rog est un lieu dans lequel le niveau de toutes les pièces est le même, en écho à l'humanisme plus simple de ces gens. Les scènes d'escalier abondent, comme je le disais, avec des dimensions sociales (Descendre un escalier pour visiter les invités, ou les gens de maison, au moins brièvement), mais aussi parfois des connotations morales: ainsi lorsque Gerda, qui croit encore pouvoir se marier avec Johannes, découvre celui-ci dans les bras de sa belle-mère, elle est en haut d'un escalier...

 

La grande lisibilité du film est d'autant plus étonnante que le metteur en scène a pris le parti de multiplier les lieux et les points de vue; ainsi, le bord d'une rivière dans laquelle Helga va se jeter afin de se suicider lorsqu'elle aura enfin compris que son amour a été dupé par l'ambitieux Johannes, est-il vu selon un autre angle lors de la tentation de Johannes lui-même de se jeter à l'eau... Les plans du "champ du diable" se suivent et ne se ressemblent pas, et Murnau multiplie les scènes situées dans des lieux différents au chateau, mettant en lumière la richesse du lieu, mais aussi le dédale de possibilités, tant du niveau des rapports humains, que de celui des ambitions de Johannes Rog.

 

Johannes Rog, prédateur et ambitieux, utilise les femmes, et n'est pas éloigné d'un Nosferatu qui va utiliser l'agent immobilier Knock pour trouver une maison, et accessoirement avoir accès à Hutter, et va utiliser celui-ci pour accéder à Wisborg, puis à la femme d'Hutter, Ellen. Ici, Rog utilise Gerda, puis Helga, afin de mettre la main sur la fortune Rudenburg. Ce faisant, il va s'aliéner sa famille entière... On notera au passage que la façon dont le "héros" utilise les sentiments des autres ou s'assoit dessus (Maria) nous rappelle le destin peu glorieux de tous les couples de Murnau jusqu'ici... Helga et Johnannes sont un exemple particulièrement frappant de ratage conjugal caractérisé.

 

Ce film majeur sur l'homme et son environnement atteint une sorte de happy end, pas vraiment si joyeux que ça, puisque une femme s'est suicidée, que les ambitions d'un homme ont été réduites à néant, finisssant de donner à ses retournements affectifs la couleur de trahisons sordides et inutiles. Comme plus tard Lubota dans Phantom, Johannes Rog est un homme qui tourne en rond. le fait qu'il ait décidé d'agir, on le voit, ne fera que précipiter sa chute. Comme le comte Orlok dit Nosferatu, le jeune homme aura confondu un lieu avec son destin, et les êtres humains avec des moyens de parvenir à ses fins, entrainant la mort sur son passage, et aura par son comportement marginal détruit tout ce qu'il souhaitait construire. Dans ce film situé en plein hiver, plutôt qu'un fatal rayon de lumière, c'est le feu qui va tout nettoyer.

 

Ce film admirable a longtemps été compté parmi les films perdus de Murnau, avant qu'une copie soit miraculeusement retrouvée. La restauration en a été effectuée dans les années 90, nous permettant de mettre la main sur une pièce essentielle du puzzle de l'oeuvre de Friedrich Whilhelm Murnau: un film ambitieux, immense, qui prolonge dans le monde réaliste du drame la réflexion engagée sur Nosferatu, ce qui n'est pas rien. Après de nombreux mélodrames plus ou moins intéressants, Murnau a je pense trouvé sa voie avec ces deux films, une voie qu'il ne quittera plus jusqu'à Tabu. On se rappelle par ailleurs une phrase de Henri Langlois: «Ce sera l'un des crimes du XXe siècle d'avoir laissé détruire La Terre qui flambe de Murnau», et on a envie de se réjouir qu'il ait eu tort... Sauf que bien sur d'autres oeuvres, elles, n'ont pas refait surface. Dont, d'ailleurs, Four devils (1928), détruit par un incendie alors que la seule copie existante était entreposée... à la Cinémathèque Française, sous la responsabilité de Langlois, une ironie un brin méchante... mais ce n'est pas le sujet: Terre qui flambe est l'un des plus beaux films de Murnau, et il est aujourd'hui très compliqué à voir. Il faut que ça change.

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1922
20 janvier 2013 7 20 /01 /janvier /2013 16:21

Le cinquième film de Dreyer est aussi le premier de ses deux films muets Allemands. Bien que Danois, le réalisateur ne se cantonnait à cette époque jamais à son pays, allant au gré des propositions de studio en studio, en totale liberté souvent. Mais ce film rare, perdu puis retrouvé et restauré est d'autant plus intéressant qu'il nous montre une facette bien connue, honteuse de l'histoire de la Russie, mais rarement montrée au cinéma; à plus forte raison à cette époque troublée qu'était les années 20: l'utilisation par les autorités de tous les clichés antisémites afin de désigner un bouc émissaire et éviter une révolte... Jusqu'au massacre s'il le faut. Les acteurs ont été recrutés par Dreyer de tous les côtés: acteurs de théâtre expatriés depuis Moscou avec la troupe Stanislavski, figurants amateurs issus pour beaucoup de l'émigration Juive (Dont certains ont d'ailleurs vécu les évènements dont il est question), mais aussi acteurs Allemands ou Danois (on reconnait le fidèle Johannes Meyer). Le film bénéficie d'un réalisme parfois sordide, et de tournage dans des endroits aussi authentiques que possible.

On fait la connaissance de la famille Juive Segal, en particulier de la fille Hanne-Liebe, dont l'arrivée à l'école Othodoxe est tolérée, mais elle sera exclue à cause de ragots colportés par un voisin sur elle et son ami Sascha. Elle décide, pour échapper à un mariage arrangé, de prendre le chemin de St Petersbourg pour y vivre chez son frère, qui a fait le choix de se convertir au Christianisme à la fin de ses études, mais c'est un choix qu'il regrette, ayant du en plus couper les ponts avec sa famille. Parallèlement, nous suivons aussi Sascha, dont les sympathies politiques vont le pousser à s'associer avec des anarchistes qui sont le jouet d'un agitateur, Rylowitsch, qui va trahir la cause pour travailler avec la police tsariste: c'est lui qui va dénoncer Sascha, mais aussi Hanne-Liebe, et qui va ensuite se rendre dans le ghetto et pousser les Russes à se venger sur les Juifs, alors que de leur coté les Segal pleurent leur mère récemment décédée...

On se perd un peu dans le début d'une intrigue qui multiplie les propositions, mais le film est vite passionnant, par le ton résolument réaliste d'abord, par la force de ses acteurs ensuite; comme toujours chez Dreyer il faut considérer l'action sur deux plans: le plan physique, strictement vécu de l'intrigue, et une dimension spirituelle et morale, explorée à travers les quelques passerelles entre les différentes communautés, mais aussi et surtout, hélas, à travers les manifestations explicites (Et violentes) d'intolérance à l'égard des Juifs. On y parle de sacrements, de prière, avec un arrière-plan documentaire qui a par exemple souvent fait reculer le cinéma Américain... Et les spécificités, les croyances (L'impureté du porc, par exemple) y sont utilisées sans pour autant qu'il y ait une quelconque ironie. Le mécanisme d'un pogrom y est détaillé de façon rare là encore, depuis une entrevue entre une espionne et le chef de la police, jusqu'à la concrétisation par le biais du bouche à oreille, et enfin la manifestation de haine, avec des images qui sont sans ambiguité. Pour résumer, on pourrait les comparer au déchaînement de violence représenté par le massacre de la St-Barthélémy, vu dans Intolerance (1916) de Griffith, mais en pire... Le film fait sans aucune équivoque, non le procès de l'église orthodoxe, mais celui de l'intolérance, de la haine et de la bêtise, la marque ici d'un authentique humaniste, intéressé par l'exploration de l'âme et de la morale humaine face à la religion, comme il l'avait déjà fait dans l'intrigant Pages arrachées du livre de Satan, et comme il allait le refaire dans son chef d'oeuvre de 1928, La passion de Jeanne d'Arc. Dreyer, qui allait toute sa vie faire preuve d'une grande tolérance religieuse, n'a pourtant jamais été aussi explicite que dans ce film, un précurseur particulièrement fascinant dont le titre Français est encore plus direct: Aimez-vous les uns les autres.

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Published by François Massarelli - dans Carl Theodor Dreyer Muet 1922 **
19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 18:01

Tourné après le succès de Nosferatu, Phantom est un pas de géant pour F. W. Murnau: un film très ambitieux, qui adapte pour une fois de façon officielle un succès contemporain, paru en feuilleton dans le Berliner Illustrierte Zeitung et écrit par Gerhart Hauptmann. Il conte l'obsession criminelle d'un homme, née d'une rencontre fortuite avec une femme, et qui va pratiquement le perdre... Le film fait partie des oeuvres tournées pour la Decla d'Erich Pommer, comme précédemment Schloss Vogelöd ou Der Brennende Acker, et qui vont mener le metteur en scène comme le producteur à travailler pour la UFA quelques années après. Ce qui est remarquable dans ce film, le plus long de son auteur, c'est la façon dont il ajoute à son arc (Mise en scène constamment inventive sur le plan visuel, gout pour les plans riches en action et en défis visuels, jeu intériorisé mis en valeur par le décor et la composition...) une nouvelle corde: un soudain intérêt pour le montage, qu'on ne lui connaissait que peu. Phantom est aussi une introduction du cinéma allemand à la psychanalyse, comme Caligari avant lui, et si ce n'est pas le plus emballant des aspects du film, c'est au moins notable. La liste des interprètes est impressionnante, puisqu'on trouve dans ce film, outre le premier rôle interprété par Alfred Abel, trois actrices de premier plan dans des rôles de femmes bien différentes les unes des autres: Lya de Putti, Lil Dagover et Aud-Egede Nissen. la photographie est assurée par le vétéran Danois Axel Graatkjaer et un illustre inconnu, Theophan Ouchakoff. Par contre le scénario est signé d'une sommité: rien moins que Thea Von Harbou, qui avait déja travaillé avec le metteur en scène sur Der Brennende Acker...

 

Lorenz Lubota (Alfred abel) est un clerc sans histoire, dont la mère malade a bien du mal à joindre les deux bouts. Elle a un autre fils, le jeune Hugo (Heinz Heinrich Von Twardowski), et une fille, Melanie (Aud-Egede Nissen); celle-ci, intéressée par une vie dissolue, désespère sa mère. Un jour que Lorenz se rend au travail, il a un accident, renversé par un véhicule à cheval. Une fois qu'elle a constaté que le jeune homme n'a rien, la conductrice (Lya de Putti) repart, mais Lorenz la poursuit: il vient de tomber amoureux, et n'aura de cesse de tout faire pour la revoir, et surtout accéder à son niveau: elle est riche, pas lui... Il va entamer une descente aux enfers, et en particulier négliger puis perdre son travail, puis l'estime et la confiance de sa famille, puis fréquenter une jeune femme (Dont il paie la mère...) qui s'avère être un portrait craché de Veronika, la femme de ses rêveries. Enfin, il va participer à des escroqueries organisées par un ami de sa soeur, pour soutirer de l'argent à sa tante...

 

L'intrigue de ce film est bien difficile à raconter, tant on passe d'une vie bien réglée à un tumulte souvent onirique: Lubota perd littéralement la tête d'amour, au point d'ailleurs de vivre des rêves éveillés. Sa rencontre avec Veronika sera "revécue" de trois façons, par des visions que le metteur en scène nous fait partager, en les variant: la première est une parodie de film à la Caligari, avec ville expressioniste; la deuxième est une cauchemardesque virée au noir, avec l'attelage de Veronika poursuivi par le pauvre Lubota. Enfin, un court plan nous montre le vrai Lubota dans les rues médiévales de sa ville, renversé par une carriole imaginaire qui passe en surimpression, de dos. A ces visions qui accompagnent la déterioration de son héros, Murnau ajoute une séquence floue et lente dans laquelle Lubota s'imagine se marier avec Veronika, ainsi que des effets visuels effectués non seulement par la caméra, mais aussi par le truchement des décors, dus à Hermann Warm: Lors d'une soirée en boite de nuit, Lubota et Mellitta (Le double de Veronika) son entourés de motifs circulaires; un cycliste tourne inlassablement au plafond, comme pour suggérer la folie de Lorenz; enfin, un tête à tête entre eux les voit soudain s'enfoncer dans le décor, comme pour accompagner la descente aux enfers. A tous ces plans de folie on peut se demander s'il ne conviendrait pas d'ajouter les séquences qui voient Lubota fricoter avec Melitta, qui ne croise jamais les autres protagonistes du film. Le sosie parfait (Physiquement, parce que sinon, c'est une autre paire de manches...) de la jeune femme riche de ses rêves, ne l'a-t-il pas inventée?

 

La névrose de Lubota est un oubli de soi, une fuite en avant plus que délirante, dans laquelle l'argent devient le nerf de la folie et de la débauche; principale source d'échange entre Lubota et Mellitta, les liasses toujours plus grandes que Lorenz donne à sa maîtresse ou la mère de celle-ci, nous rappellent que l'Allemagne est en pleine inflation. Mais la maladie de Lubota est aussi une crise d'inspiration chez un homme qui s'est cru poête, et ne parvient pas à fournir. Il finit par admettre, à une tante qui a cru brièvement en son talent, qu'il n'estime pas en avoir du tout, et ne parviendra jamais à quoi que ce soit. Cette remise en question peut bien sur être accompagnée d'une réflexion sur l'impuissance (Cette obsession de courir après une jeune femme, notamment, et les nombreux revirements de Lubota qui semble incapable d'assumer le moindre acte jusqu'au bout, depuis son travail jusqu'à sa poésie, en passant par la cour qu'il se promet de tenter auprès de Veronika...). Et en filigrane, à travers les trois (Ou quatre, voir plus haut) personnages de jeunes femmes du film, se glisse une variation sur la complexité des rapports hommes-femmes, qui prolonge celle de Terre qui flambe, dans lequel un homme s'abîmait dans l'ambition en utilisant l'amour qu'il inspirait chez les femmes... Mellitta la prostituée, Veronika la bourgeoise hautaine, Melanie la jeune femme éprise de plaisirs et de vie simple sont complétées par Marie (Lil Dagover), la petite amoureuse vertueuse qui attend en coulisse et repêche le héros pour un happy end de circonstance... Prolongé par un prologue, une structure qu'affectionnaient les Allemands, voir une fois de plus Caligari à ce sujet... Quatre portraits de femmes, pour une difficulté à assumer sa vie, son destin, voire sa virilité pour Lubota.

 

Le film est d'une grande beauté visuelle. une fois de plus on constate que s'il n'est pas son propre chef opérateur, Murnau sait instiller son style, son goût pour le cadre à l'intérieur du cadre (Un trait de style particulièrement remarquable depuis Nosferatu), sa façon d'utiliser les décors et les polonger ou les arranger de manière à obtenir le maximum d'effets. Mais comme je le disais plus haut, ici, il a recours à un montage notable sinon révolutionnaire. Le montage parallèle était en vigueur dans Nosferatu, qui traçait des liens entre Hutter et son épouse Ellen, puis Nosferatu et la jeune femme, et qui nous montrait l'arrivée du vampire en bateau comme une inéluctable destinée à accomplir par les protagonistes qui l'attendaient à Brême; ici, Murnau tisse entre Lubota et les contours de son obsession des liens qui nous sont rendus visibles par le montage, et le cinéaste coupe certaines séquences de plans extérieurs à l'action, toujours en rapport avec les rêveries ou l'amour impossible du jeune homme. Il souligne son montage en utilisant non pas des fondus enchainés, mais plutôt des flous ultra-criants, et va plus loin, dans une séquence entre Mellitta et Lubota, il montre la jeune femme de trois angles différents, sans pour autant répéter son action, comme si Murnau s'était plu à aller chercher dans les trois négatifs d'un tournage: Cette tendance de tourner à plusieurs caméras en même temps, liée à la nécessité d'avoir plusieurs négatifs afin d'alimenter les marchés domesiques, Européens et Américains en copies, n'était pourtant pas encore totalement en vigueur dans les films de Murnau à cette époque. C'est une simple hypothèse de ma part...

 

Le film est visuellement très engageant, réussi même. Les séuences d'effets visuels, qui seront pour certains repris dans le plus prestigieux Dernier des hommes (La séquence durant laquelle Lubota imagine la ville qui s'écroule sur lui, et cherche àla détruire), la richesse d'une histoire un brin cruelle et le jeu des actrices, toutes excellentes, ne doivent toutefois pas nous faire oublier que le choix d'Alfred Abel, trop vieux pour incarner Lubota, jeune homme fantasque, est pour tout dire embarrassante. Et le film, par ailleurs, dresse de la femme une image qui part un peu dans tous les sens, en ajoutant aux trois ou quatre portraits déja mentionnés celui de la mère éplorée et malade, et celui de la tante acâriatre et près de ses sous. Un peu misogyne, globalement, le film vaut quand même la peine par la somme de ses qualités et son incroyable extravagance...

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1922 **
10 avril 2012 2 10 /04 /avril /2012 17:23

Le documentaire a parfois bon dos... Comment pourtant qualifier autrement ce film unique en son genre? C'est le pari de Benjamin Christensen le cinéaste danois au nom ironiquement prédestiné: recréer visuellement les croyances et les anecdotes du moyen-age, mêler étroitement la superstition et la religion afin de montrer, "preuves" à l'appui, les avancées de l'être humain à l'aube du XXe siècle, mais également dresser un parallèle entre l'obscurantisme de l'époque médiévale et la période moderne, afin d'éduquer encore et toujours. Soyons juste, s'il n'était que cela, le film n'aurait aucun intérêt... Il est pourtant beaucoup plus. Tourné en quatre ans, dans un studio réquisitionné à Copenhague par un Christensen dont les financiers n'étaient autre que la Svensk Filmindustri, ce très étrange ouvrage prouve d'une part que le Danois, autrefois célébré pour ses deux premières oeuvres (L'X Mystérieux, en 1913 et La Nuit de la Vengeance en 1916, des fictions, sur un versant glorieusement et outrageusement mélodramatique, impeccablement mises en scène), n'est plus prophète en son Danemark natal, et doit aller chercher dans d'autres pays les possibilités de faire des films. Son but, s'il était officiellement de montrer l'avancée humaine à travers l'histoire des superstitions, était sans doute plus surement de casser du sucre sur la religion (Catholique, d'abord et avant tout) en affirmant la croyance dans le progrès.

Le film commence fort doctement, par des visions de gravures anciennes, qui expliquent principalement la conception du monde à l'antiquité, et au moyen-âge, et qui commencent à installer une fascinante et morbide atsmosphère fantastique. Si l'intérêt de cette première bobine fort austère reste limité, en raison de l'abondance de documentation un peu sèche, au moins Christensen prépare-t-il le terrain pour la suite: plutôt que de se reposer uniquement sur des documents, il va en effet convoquer des acteurs dans des décors superbes, recréer des scènes de sabbat, des fantasmes fous, des scènes fantastiques et burlesques, et d'autres cruelles, qui montrent la perversion des inquisiteurs. Il utilise sans se cacher les intertitres pour asséner des phrases assassines, et essayer des comparaisons. Mais ce qu'on retient, c'est le soin pictural apporté à créer une vision unique de la sorcellerie dans son versant le plus folklorique. Christensen, inspiré aussi bien par les gravures religieuses que d'autres sources moins sanctifiées, s'est permis aussi de revisiter Bosch, et a un talent sans pareil pour créer des décors de vieilles masures de sorcières. Il ne recule jamais devant le grotesque; il sait aussi dramatiser ses anecdotes par le biais du montage, de l'éclairage, a recours à un érotisme frontal; il est souvent question de sexe, de rapports sexuels, de liaisons contre nature, d'enfanter des rejetons du diable. On voit un accouchement burlesque, des sorcières embrassant le fondement d'un diable en rut, des démons occupés à agiter une baratte dans un geste qui ressemble à une recréation de masturbation... la nudité y abonde, liée aussi bien au sexe qu'à la torture. On comprend d'une part que le film n'ait pas été aidé pour être vu par tous les publics (On imagine le passage devant un bureau de censure dans le sud profond des Etats-Unis... mais cela n'a sans doute pas pu se faire!!), et qu'il ait été glorifié par les surréalistes.

Ce faux documentaire est un vrai essai, aussi, dont le principal argument (Sorcellerie, croyance, superstuition trouvent leur équivalent moderne dans l'hystérie) est fumeux, peu important. Disons qu'il permet à Christensen de retomber sur ses jambes, en promouvant en fin de film une vision de la femme moderne, certes soumise à des craintes (Pyromanie, kleptomanie), hantée par des désirs, mais dont un plan nous rappelle qu'elle peut aussi par exemple piloter un avion. Si la thèse ne vaut pas grand chose, au moins le film permet-il à Christensen de finir dignement son film, en proposant une version modernisée de ses fantasmes (Visitée la nuit par un homme, examinée par le médecin, douchée par une infirmière, elle se déshabille toujours autant, pourrait-on remarquer...). Mais une chose est sûre: si ce film aura une certaine descendance, comme par exemple le film Wege zu Kraft une Schönheit (http://allenjohn.over-blog.com/article-wege-zu-kraft-und-schonheit-whilhelm-prager-1925-75656841.html), il n'en reste pas moins l'une des premières fois qu'un réalisateur aura utilisé le je impérial pour un film, dans lequel il se met lui-même en scène en Satan. Hélas, ce réalisateur visionnaire n'allait jamais retrouver les circonstances de son chef d'oeuvre. Mais une vision de temps en temps s'impose: disons tous les six mois...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1922 Scandinavie Benjamin Christensen Criterion **