D'un côté, il y a le fait que ces films sans queue ni tête qui tournent autour de la cohabitation entre humains et personnages de cartoons, depuis Who framed Roger Rabbit, ne parviennent pas à renouveler l'apport essentiel du film de Zemeckis, qui reste la référence du genre, et ne devrait pas avoir à subir de concurrence.
Sans parler du fait que le plus souvent, l'intrigue n'est qu'un prétexte et ne vaut pas tripette, et qu'en plus on a le sentiment que les acteurs qui jouent das ces films ont été punis...
Alors je ne parlerai pas de l'intrigue, je me contenterai de dire qu'elle est un énième prétexte à virer Daffy Duck, à afficher sa tendance à être jaloux de Bugs Bunny, et sinon, qu'on y voir Steven Martin dans ce qui est sans doute son rôle le plus atroce. Même si cette fois, en revanche, c'est volontaire...
Mais c'est un film de Joe Dante, l'enfant terrible déchu, qui a accepté le défi, non seulement parce qu'il fait bien vivre, mais aussi parce qu'il lui permettait de rendre un hommage vibrant à Chuck Jones. Après tout, pourquoi pas? Mais qu'il est loin, le temps de Matinée, de The howling, ou de The Burbs.
A 1:29 dans ce cartoon tardif, le coyote est pris dans un engrenage de désastres particulièrement impressionnant: juché en haut d'un rocher que le décorateur Maurice Noble a rendu très risqué, il s'apprête à utiliser un arc... Mais se prend l'élastique en pleine poire, et par conséquent, tombe. Le gag aurait du s'arrêter là, mais en tombant, l'arc s'accroche sur un piton rocheux. L'effet d'élasticité propulse alors le coyote sur un autre piton rocheux auquel il tente de s'accrocher... Le premier roc casse, et l'élastique ramène alors le bout de rocher sur le coyote, l'écrasant. Là encore on aurait pu s'en contenter... mais pas Chuck Jones. Par enchaînement, le piton rocheux qui vient de subir un choc se casse à son tour, et le coyote, pris en sandwich entre deux fragments de roche, tombe donc. Le gag rebondit encore deux ou trois fois avant d'aboutir.
C'est le meilleur moment d'un film qui n'apporte rien, ni ne retranche rien, à la légende du coyote qui n'arrive pas à attraper son déjeuner. Si ce n'est le fait que désormais Michael Maltese est loin, et sinon, le style évolutif de Chuck Jones (en partenariat, désormais, avec son animateur numéro 1, Abe Levitow) est moins attractif que par le passé...
Dans ce douzième cartoon des aventures du coyote, Michael Maltese et Chuck Jones ont décidé de varier le début d'une manière inattendue: en lieu et place d'une exposition, l'ouverture se fait, avant même l'arrivée du titre, sur un gag en cours... Qui va comme d'habitude se terminer sur une défaite cuisante pour l'animal, cela va sans dire.
La suite est conforme à ce qui était attendu: des gags courts et longs, des plans élaborés à l'aide de matériel acheté chez Acme, et souvent spécialisé (un "élastique pour attraper les Roadrunners", par exemple!); des chutes qui se terminent par des nuages de poussière vus de très haut, en plongée, et des enchaînements savants d'ennuis compliqués...
Mais à cette période, Jones qui s'apprêtait en compagnie de son animateur Abe Levitow a changer considérablement sa manière (en rendant ses animaux plus touffus notamment, et ses humains plus anguleux), a permis à Maurice Noble, le décorateur des films, de rendre son désert de plus en plus abstrait, et l'artiste s'est fait plaisir avec les rochers en équilibre fragile, notamment...
Autre changement notable: alors que les dessins animés avaient toujours gardé une sorte de logique globale, fut-elle fragile, les auteurs s'évertuent à trouver pour varier les gags des choses de plus en plus farfelues: ici, les "graines de tornade". Pourquoi pas?
Sous un titre glorieusement paré d'un jeu de mots absolument lamentable, se cache ce film, le septième parmi les cartoons de Chuck Jones consacrés aux quêtes de nourriture d'un coyote dans le désert au prise avec la fatalité symbolisée par un oiseau de taille modeste, mais qui ferait certes un en-cas fort appréciable. Je ne vous apprendrai donc rien si je vous dis que cette fois-ci, eh bien... il ne l'attrapera pas.
Il me semble qu'il est temps de s'intéresser à la fameuse compagnie Acme: derrière ce nom hérité du Grec (et Akme en grec veut dire plus ou moins "premier choix", ce qui est bien sûr totalement ironique), se cache en fait une parodie éclairée d'un mode de consommation en vogue dans les années 50, née dans ces courts métrages spécifiquement. Le coyote, on le constate, a la plus totale confiance dans la compagnie, qui lui envoie régulièrement les équipements les plus improbables afin de mettre à exécution des plans qui foireront toujours; ici, l'animal se commande un livre inattendu, au titre hilarant: "Comment couvrir un géocoucou de goudron et de plumes".
Ca s'imposait, je pense...
Et ce film est, pour la première fois, la reconnaissance définitive de la part du coyote de sa vraie condition: lassé, à la fin, de se prendre des coups, il démissionne de sa fonction de personnage de cartoon.
Ceci est le cinquième film de la série des aventures désastreuses du coyote qui aurait tant voulu manger un roadrunner, alias le géocoucou (oiseau natif dans grandes zones désertiques du centre du continent Américain). Ca commence par un détail monstrueusement graphique, puisque lors de l'exposition usuelle (assortie de noms latins délicieusement idiots), le coyote (Eatibus anythingus) en question mange... une mouche, puis mâche sans grande conviction une boîte de conserve avant de se faire bousculer et aplatir par l'oiseau (Hot-Roddus supersonicus). Ces notations scientifiques en latin de cuisine, par ailleurs parfaitement inutiles à l'intrigue, font partie des plaisirs renouvelés de cette série de cartoons, et au passage... quelle intrigue?
Un autre plaisir renouvelé tient dans un des codes narratifs et graphiques, nés par accident de la répétition à l'identique ou presque des gags les plus idiots: les chutes du coyote, inhérente à la malchance chronique qui le poursuit, sont souvent assorties de plans en plongée (sans jeu de mots, cette fois-ci) du désert, dans lequel la chute très longue se termine par un nuage de poussière vu du ciel. Le plan est souvent présenté, souligné, et prend son temps... A tel point qu'on aurait l'impression que le film serait vide sans lui, comme il le serait d'ailleurs sans le Meep-meep de l'oiseau, ou sans les arrêts du images avec latin de cuisine du début.
...Et puis, tant que j'en suis à parler du latin de cuisine, on constate que dans ce film, Jones et Maltese ont convoqué, exceptionnellement une tierce personne, et je ne parle pas de l'infortuné diptère du début. Ca donne un gag qui permet aux auteurs de renchérir sur leur petit plaisir préféré: le clin d'oeil au spectateur, qui fait exploser le fameux quatrième mur...
Zipping along est le quatrième film de la série de dessins animés de Chuck Jones, mettant en scène un coyote aux prises avec la proie la plus difficile qui lui soit: un oiseau trop rapide pour lui. Le film, comme tous les courts métrages sur ce modèle, ne se distingue en rien, si ce n'est qu'il semble un peu plus que les autres construits sur les gags courts.
Une certaine tendance de chaque court métrage du coyote (dont je rappelle que le script de Michael Maltese consistait uniquement en une suite de gags, puisque aucun des cartoons n'avait d'intrigue) consistait à enquiller les gags en en variant la longueur, en s'autorisant toujours deux ou trois gags ultra-courts, et au moins un élaborés, avec déguisements, matériel ultra-sophistiqué (commandé à ACME, bien sûr), et mise en place digne d'un ingénieur, établie sur un plan détaillé qui nous est montré. Ici, le film repose surtout sur des gags vite faits bien faits, dont certains sont tellement purs qu'ils en deviennent sublimes: mon préféré, aussi rudimentaire soit-il, prouve qu'on n'a même pas besoin d'un antagoniste coriace quand on a la malchance du coyote:
Ce dernier a installé une planche sur un gros caillou, afin de créer un balancier. Le but est de se projeter en hauteur, pour attraper le roadrunner à flanc de colline. Il jette donc une énorme pierre en l'air, afin qu'elle tombe de l'autre côté de la planche et le propulse... Mais elle tombe en réalité de son coté et l'écrase. Temps: 10 secondes en comptant l'exposition du gag, qui nous montre l'oiseau assister à tous les préparatifs depuis sa position en hauteur...
Que dire de plus que ce que j'ai déjà établi à propos de Fast and furry-ous, le premier des cartoons de Chuck Jones consacré au coyote et à sa proie pour toujours insaisissable, l'oiseau "roadrunner" qui klaxonne de façon obsessionnelle? Car si on recherche le cartoon ultime, dédié au gag seul, dans la plus pure forme qui soit, ne cherchez pas plus loin, vous avez trouvé. Tout film reprenant ces personnages et cette situation ne sera qu'une variation, une collection de gags sur exactement le même thème, avec exactement le même développement, les mêmes résultats, et parfois les variations sont infinitésimales. Mais c'est sans doute dans cette fidélité absolue des films à leur formule qu'il faut y voir le génie.
Bon, on peur quand même être didactique: saviez-vous que Michael Maltese, le scénariste de ces films, n'a en fait jamais fourni la moindre intrigue; non, il se contentait d'amener des gags, et Chuck Jones faisait le reste... Sinon, le fameux "Beep Beep" qui donne son titre à ce cartoon (le deuxième) est sujet à débat: l'auteur incontesté du bruit, un technicien du studio qui avait l'habitude de passer entre les gens en hurlant un bruit de klaxon, a toujours clamé que ça devrait s'écrire "hmeep hmeep". Ca va, probablement, changer la façon dont on peut voir le monde.
On n'a plus à présenter ces aventures du Coyote (Doté, lui, d'un nom, contrairement à son comparse et antagoniste, l'oiseau "coureur de routes", auquel les Français, avides de simplification, ont donné un nom idiot, et dont ils ont cru devoir faire le héros, prouvant qu'ils n'ont, décidément, et selon l'expression consacrée, "rien compris au film"), qui fait preuve de cartoon en cartoon, de façon immuable, d'une ingéniosité toujours plus hallucinante, dans le but qu'il n'atteindra jamais: attraper cet oiseau de malheur...
Les films, tous réalisés jusqu'à son départ de WB par Chuck Jones, et scénarisés au début par son complice Michael Maltese, fonctionnent tous sur un canevas établi par celui-ci, le premier, et le seul à être sorti dans les années 40. En voici les principes:
On commence par présenter dans un arrêt sur images, en latin (de cuisine), les deux animaux: Coyote (Carnivorous Vulgaris) et Road-runner (Accelerati Indredibilis). Souvent reprises au début, ces pseudo-appellations scientifiques connaîtront des variantes...
Les deux animaux habitent dans les déserts du Sud-Ouest, et les décors de Maurice Noble, d'abord assez détaillés, vont être de plus en plus stylisés, jusqu'à devenir des lignes et des tâches de couleurs sans formes. Maurice Noble avait toute la confiance de Jones, qui l'a non seulement encouragé au début de leur collaboration à s'affranchir du réalisme, il lui a aussi souvent confié la co-direction de ses films.
Les deux protagonistes ne parlent pas. L'oiseau lâche un Beep beep de temps à autre, mais le coyote, s'il doit s'exprimer, utilise des pancartes. Ce qui arrive parfois à l'oiseau, comme ici, lorsque de façon totalement illogique, il porte une pancarte qui explique qu'il ne pouvait pas tomber dans un piège du coyote, car il ne sait pas lire... Il le refera d'ailleurs avec une variante dès le deuxième film du lot, en 1951.
Chaque gag possède sa dynamique propre, et sa durée aussi. S'il n'y a besoin que de six secondes, on n'en aura pas plus. Il n'y a que peu de suivi, et chaque gag se termine par un court fondu au noir, sans qu'on puisse être averti des conséquences des explosions, chutes, accidents et autres avanies subies par le coyote.
Celui-ci est finalement l'image même de l'humanité fiévreuse attendant des lendemains meilleurs. Les échecs répétés ne le décourageront pas, et il élabore parfois de façon impressionnante des plans délirants, dont les préparatifs sont souvent détaillés, avec des plans des colis reçus par la poste le plus souvent en provenance de la corporation ACME. Ici, un costume de superman, qui ne lui va pas, et va lui occasionner une chute inévitable.
A chaque fois que c'est possible, le film escamote les gags, laissés hors champ, car ils sont la conséquence logique de ce qui précède. Ce qui veut dire que le coyote n'a besoin que de lui-même pour échouer, et ça le spectateur l'attend...
La logique est illogique, ainsi en est-il de la fameuse route sur laquelle on ajoute un panneau peint qui la prolonge, pour cacher un virage par exemple. la fausse route peinte se transforme immédiatement pour l'oiseau en une vraie route...
La logique revient en boomerang, et si le coyote décide de suivre l'oiseau, il va se précipiter dans une toile peinte. Ou encore, il va subir les effets du monde physique: gravité, explosions, etc... C'est d'ailleurs une technique, appelée le "topping": chaque gag est drôle en soi, mais il arrive souvent qu'un gag occasionne un deuxième gag, sorte de cerise sur le gâteau, un "topper", soit un gag à mettre par-dessus un autre gag. Avec le temps, Maltese fournira de plus en plus de toppers, voire des toppers sur toppers...
Enfin, ne jamais oublier de rester neutre, à froid: un motif récurrent de ces films est la chute vertigineuse filmée en plongée depuis les hauteurs d'un canyon, qui se termine immanquablement par un simple nuage de poussière anonyme, qu'à tout prendre on peut interpréter comme un symbole ironique de notre condition à tous... L'image reviendra de film en film.
Enfin, ce film réjouissant établit une bonne fois pour toutes qu'un nombre conséquent de gags élaborés est nécessaire, mais pas trop: il y en a onze, ce qui fait pile poil les sept minutes requises du film.
Et sinon, l'impeccable timing du metteur en scène, son don pour la mise en valeur de la réaction (Ce que les Anglo-saxons qui se sont penchés sur la mécanique du gag appellent acting-reacting), et un graphisme à son apogée, avant que Jones ne se perde dans une course à l'abstraction qui va enlaidir son dessin, font le reste...
Sinon, pour finir sur une note didactique: le Roadrunner, en Français, est un géocoucou. Voilà qui est instructif.
Ce projet à part de Jean-Pierre Jeunet est un très court film d'animation, basé sur le poème de Jacques Prévert, Chanson des escargots qui vont à l'enterrement. Jeunet en a construit les marionnettes et écrit le sujet, qui est finalement très simple: des animaux (tous construits en matériaux de récupération) déclament chacun un vers du poème, et leur voix est systématiquement celle d'un acteur ou d'une actrice de la "galaxie" Jeunet (ils sont tous là, ou presque: Serge Merlin, Jean-Claude Dreyfus, Yolande Moreau, Audrey Tautou, Jean-Pierre Marielle...). le résultat est de la pure poésie.
Mais le film ne s'est pas fait simplement: Jeunet en est le principal inspirateur, et le concepteur de chaque plan, alors que Romain Segaud en a effectué l'animation, qui est en apparence simple, mais en réalité splendide. A l'heure de sa "muséification", alors que les nouveaux projets se sont raréfiés au point qu'il n'en a officiellement plus (on croise les doigts), Jeunet s'autorise une halte au vert pays de sa jeunesse d'animateur... sans rien céder de son propre univers.
A Pimento University, une belle Université qui est située dans un cadre bucolique, on assiste à la rivalité entre les valeureux frères Dover, Tom, Dick, et Larry, et l'infect Dan Backslide, qui se présente lui-même comme un lâche, une brute, un goujat et un voleur. La rivalité porte surtout sur le fait que les trois frères, comme l'affreux moustachu, tous convoitent la belle Dora Standpipe.
La liberté occasionnelle d'une équipe d'animation peut parfois produire des choses étonnantes. Jones en particulier a beaucoup expérimenté, avec la forme, le ton, la répétition... On lui doit des chefs d'oeuvre expérimentaux du dessin animé, aussi bien que des tentatives douteuses... Mais ce film tient de la première catégorie. Tout en étant particulièrement étrange, ainsi que sérieusement en avance sur son temps.
C'est pourtant dans les années 40 qu'aura lieu la grande mutation du dessin animé aux Etats-Unis, avec la création du studio UPA. Mais ce film dépasse tout ce qui allait être tenté des années plus tard, car Jones ne se contente pas de bouleverser le genre en trafiquant le dessin et le design fondamental de ses personnages, il impose aussi à la mise en scène une froideur inattendue (e qui chez certains provoque d'ailleurs une réaction de rejet - ce n'est manifestement pas mon cas!), et expérimente avec la narration, répétition, la suspension des personnages (le personnage féminin en particulier réussit à ne pas bouger du tout, comme une figurine qui serait bougée à la main par un enfant en train de jouer...
Le cadre est une allusion au style d'intrigue adolescente des romans du début du siècle, et une partie du dessin ici est sous une influence directe des premiers maîtres de la bande dessinée: on pense, devant la stylisation de Dora Standpipe, à Winsor McCay par exemple. Mais très vite, Jones pousse les situations liées aux clichés de ce type d'histoire vers des extrémités inattendues, en particulier avec ces trois personnages complémentaires mais peu harmonieux que sont les trois frères Dover...
A chaque fois qu'on parle d'eux, c'est toujours la même chose: on les nomme les uns après les autres, Tom, Dick, Larry... Et le locuteur prend particulièrement son temps. Pourtant le film repose aussi sur des effets de vitesse, qui sont liés à l'utilisation alternée de plans fixes, et de mouvements distordus: l'effet produit est qu'on l'impression que les personnages vont tellement vite que leur contour a bavé... Voir photos:
Bref, dans ce film, le metteur en scène touche-à-tout s'est fait plaisir, et a produit un film qui n'est sans doute pas facile à appréhender, mais dont la vision répétée est fascinante, et à voir le nombre d'allusions à ce film dans les dessins animés produits depuis, et la glorieuse descendance de ce film, par les "amateurs" (Détournements, clins d'oeil, déguisements, allusions aux gestes et aux attitudes personnages, etc), telle qu'elle est disponible sur internet, prouve une bonne fois pour toute que nous avons là un classique, dont nous allons prendre congé en disant au revoir: