Difficile après-guerre: Voici un trait commun de tant de films d'Akira Kurosawa, ses chroniques amères, bien sûr (Un merveilleux dimanche), ses drames (Le duel silencieux), ses films noirs (L'ange ivre, Chien enragé)... et ses deux plus cuisants échecs: L'idiot (1951) et Vivre dans la peur (1955)
L'Idiot, une adaptation de Dostoievski, rien de moins, vient après le triomphe de Rashomon, et Kurosawa se sentait pousser des ailes, d'où une version fleuve de cette histoire, adaptée à l'incertitude du Japon d'après-guerre; suivant les témoignages, le film dans sa version initiale aurait été le plus long de son auteur, certains allant jusqu'à risquer l'hypothèse d'une durée de 4h30.
Mais cette version très longue a totalement disparu, n'ayant jamais été distribuée, au profit d'un remontage ordonné par le studio, la compagnie Schochiku. Longue, difficile, tendue, cette adaptation du roman aurait du être le chef d'oeuvre de Kurosawa, selon lui.
Ce qui reste est flamboyant, mais rendu parfois difficile d'accès en raison des sautes dans la continuité. Cette histoire sied parfaitement au monde de Kurosawa, fasciné après la guerre par un Japon dont la mutation forcée se faisait au détriment des petites gens. La vision des passions humaines passées par le filtre d'un homme rendu incapable de jouer le jeu est troublante, grinçante et douloureuse. Masayuki Mori joue de façon presque neutre un être rendu monstrueux par son incompréhension des lois de la passion humaine, et Toshiro Mifune, en homme qui au contraire ne comprend que trop ses passions et ses douleurs, est comme à son habitude génial.
Le film est sans aucun doute une oeuvre majeure. ...Mais sa vision est toujours inconfortable... Une ombre plane sur ce film, celle de Greed de Eric Von Stroheim, et du mystère à jamais irrésolu de sa continuité...
Portrait d'une famille, ô combien, dysfonctionnelle: la mère, et on finira peut-être par la comprendre, quitte son mari après quarante années, le père ne comprend pas et considère ses deux filles avec la même fierté aveugle, Dawn dite Sweetie (Genevieve Lemon), la plus jeune, est bipolaire, et totalement hors de contrôle... Et il se pourrait bien que son père et elle aient eu des relations coupables. Au milieu de tout ça, la narratrice et point de vie principale, Kay (Karen Colston) semble être la plus saine, mais...
Kay a jeté son dévolu sur Louis (Tom Lycos) parce qu'une voyante lui a dit qu ce serait lui. Mais elle se refuse à lui, et dissimul beaucoup, beaucoup de choses. Pour commencer, elle ne parle pas de Sweetie, et quand celle-ci débarque, elle la présente comme 'une amie'. Ensuite, elle a une obsession, celle d'empêcher toute plante de pousser... Peu appréciée sur son lieu de travail, Kay essaie de vivre une vie tranquille à l'écart de tout: affection, famille, et sexualité...
Sweetie, elle, ne la refuse pas, au contraire. Elle a un comportement hypersexuel, dont se plaindra très vite sa soeur. Mais c'est pire que juste pittoresque... Entre une scène durant laquelle les ébats bruyants de Sweetie et de Bob (son "producteur", dit-elle) empêchent tout le monde de dormir, et une autre séquence qui la voit se jeter sans préambule ou presque sur Louis, sur une plage, on verra aussi une scène aperçue par inadvertance par Kay: Sweetie, qui lave son père et a des gestes plus qu'équivoques avec le savon...
L'une intériorise, aseptise, se réfugie dans le déni; l'autre en revanche affiche, extériorise, et se vautre dans un exhibitionnisme décadent, sans filtre, qui finit par lasser tout le monde... Les autres, désireux de visiter la mère de famille pour tirer les choses au clair, seront donc obligés de se débarrasser d'elle en mentant. Mais ils n'en seront pas quittes pour autant...
Car on le comprendra assez vite, Dawn est, j'en ai peur, l'âme même de cette famille... Son caractère, sa véritable identité... C'est ce qu'a compris la mère, et c'est sans doute la raison pour laquelle elle a décidé de prendre le large. Jane Campion qui a si souvent dépeint des relations mal fichues, incomplètes, dans lesquelles la sexualité n'était jamais saine, semble faire avec autant de férocité que de gravité, la synthèse de ce que ses courts métrages montraient, en toute liberté. C'est un film qui a scandalisé en sont temps par son ton et son absence totale de compromis, et il est encore aussi décapant, brut de décoffrage, qu'il était à sa sortie...
Le corbeaun'est (officiellement) que le deuxième long métrage de Clouzot, et pourtant quelle maîtrise! Tout est déjà en place, la mise en scène sûre et définitive, la méchanceté des dialogues (Co-signés avec le scénariste Louis Chavance, mais la patte de Clouzot est inimitable), la description d'un univers provincial cruel et rongé par l'amoralité, et un sens de la construction qui assujettit l'acteur, dans un cinéma Français dominé par la manie des monstres sacrés... ne nous y trompons pas, les acteurs sont tous excellents (y compris la fade Micheline Francey, utilisée précisément pour sa transparence) dans ce film. Le corbeau a aussi (surtout, dirons certains) nourri la polémique: venons-y tout de suite.
Le corbeau est donc une production Continental, comme 29 autres films de la période 1941-1944. parmi ceux-ci, des classiques (Au bonheur des dames, d'André Cayatte, La main du diable de Maurice Tourneur, ou encore L'assassinat du père Noël, de Christian-Jacque), et on y dénombre trois films auxquels Clouzot a contribué, d'abord comme scénariste: Le dernier des six (1941), de Georges Lacombe, premier film avec Fresnay en commissaire Wensceslas Vorobéïetchik. Puis, fort de son succès et de son autorité il s'est vu confier deux réalisations; le premier de ces deux films, L'assassin habite au 21 (1942), d'après un autre roman de Stanislas-André Steeman avec Fresnay à nouveau en Wensceslas Vorobéïetchik, puis, bien sûr, Le corbeau. Outre Clouzot, les trois fims ont un autre point commun, en la personne de Pierre Fresnay. Pierre Fresnay, homme de droite, dont la vieillesse a coïncidé avec un flirt ambigu et assez poussé avec l'extrême droite de Jean-Marie Le pen, pour la maison de disques duquel Fresnay a enregistré un certain nombre de textes sur disques, notamment les "poèmes de Fresnes" de Robert Brasillach. Pas anodin quand on considère l'histoire compliquée de ce film
Et justement, les 30 films Continental sont aujourd'hui célèbres pour avoir été au coeur de la tourmente purgatoire à la libération, lorsque des cinéastes, acteurs, scénaristes et techniciens ont été accusés de collaboration pour avoir travaillé à la Continental, firme dirigée par un Allemand placé là par Goebbels lui-même, Alfred Greven, dont l'ambition affichée était de créer une structure de création et de diffusion Franco-Française, avec des films de distraction, principalement comédies et policiers, dans lesquels les artistes Français trouveraient à s'exprimer, sans avoir trop de choses à dire.
Pourtant, l'intention de Goebbels était différente: il souhaitait asseoir la domination de l'Allemagne sur le public Français, en créant une société incontournable. On notera qu'il n'est en aucun cas question ici de propagande, et dans l'ensemble les films en étaient dépourvus. Mais il ne faut malgré tout pas oublier qu'Alfred Greven était un nazi encarté.
L'autre exemple de problème posé par la Continental, et le plus célèbre, c'est donc ce film: histoire policière basée sur une affaire de lettres anonymes, il a été accusé à la libération de montrer un visage honteux de la France, supposément voulu par les Allemands pour salir notre beau pays. Clouzot a été frappé d'indignité Nationale, emprisonné, et empêché ensuite de faire son métier jusqu'à 1947.
On le sait aujourd'hui, cette condamnation n'avait aucun sens, d'une part parce que Le Corbeau n'a aucune espèce de rapport avec la propagande Allemande, d'autre part parce que le film s'est avéré gênant pour l'occupant, révélant un pan de quotidien dont on ne parlait pas, ences temps ou dénoncer son voisin était encouragé par les nazis. Pour en finir avec cette histoire, quant à l'accusation de salir notre beau pays en montrant les Français comme d'incorrigibles salopards avides d'espionner, salir, exclure et calomnier leurs voisins, il faut bien reconnaître que les Français étaient, et sont encore comme ça. Oh! pas tous, bien sûr... Mais il y en a.
Un corbeau, c'est un dénonciateur anonyme tout autant qu'un anonymographe (Le terme est celui utilisé dans le film par le spécialiste), c'est donc assez ambigu: d'une part, le personnage dénonce maladivement, que ce soit vrai ou faux, et d'autre part il ou elle se pose en moraliste dans la mesure où tout ragot peut avoir un fond de vérité. De même qu'aux Etats-Unis, les historiens Morris et Goscinny ont bien montré qu'un chasseur de primes profitait d'un système légal, mais était méprisé par la population, tout en amenant à la justice des gens qui avaient effectivement commis des crimes, l'histoire du film montre bien que la population victime d'un anonymographe en profite pour se purger, en pestant contre le "corbeau", mais en suivant ses jugements. Le film raconte donc comment un corbeau sème la panique et la zizanie dans une petite sous-préfecture en s'acharnant en particulier sur le taciturne docteur Rémy Germain (Fresnay) accusé de pratiquer des avortements à la chaine. Les lettres se multiplient, provoquant d'une part le suicide d'un homme atteint d'un cancer du foie, et qui ne se savait pas condamné avant de recevoir une lettre, d'autre part la colère de la population qui se cherche un bouc émissaire, le trouvant à un moment en la personne d'une infirmière aigrie et vieille fille, mais la population (relayée par ses édiles) finit par se retourner contre la principale victime des lettres anonymes, le docteur Germain.
Pour commencer à faire le tour d'horizon du film, il convient sans doute de présenter ses personnages, l'un des forte de Clouzot étant dans le fait de construire des personnalités valides, rendant l'intrigue solide. On en dénombre au moins douze particulièrement définis, un grand nombre desquels ayant des secrets souvent inavouables:
Le docteur Germain (Pierre Fresnay): excellent médecin, le docteur Germain cache un secret lourd, et une identité inattendue, qui fait l'objet d'un petit suspense interne. L'homme a, effectivement, pratiqué des avortements, mais tous en des circonstances durant lesquelles la vie de la mère était en danger. Il est aussi accusé de fricoter avec Laura Vorzet, mais a une relation durant le film avec Denise.
Le docteur Vorzet (Pierre Larquey): spécialiste psychiatrique, le tranquille et sympathique docteur Vorzet est un patriarche, un connaisseur de la morale humaine, qui apporte un grand nombre d'informations utiles dans le film, ayant été nommé expert en anonymographie sur plusieurs affaires.
Laura Vorzet (Micheline Francey): mal mariée, Laura Vorzet cache sa frustration derrière son métier d'assistante sociale. Elle est amoureuse du docteur Germain, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes dans cette petite ville.
Marie Corbin (Helena Manson): la soeur de Laura. Ancienne petite amie du docteur Vorzet qui lui a préféré sa jeune seur, elle est une infirmière vêtue de noir, cassante et sèche. Le suspect principal durant le film, elle est brièvement incarcérée.
Denise Saillens (Ginette Leclerc): boiteuse, la sensuelle soeur du directeur de l'école est amoureuse de Rémy, et poursuit durant le film le médecin de ses assiduités. Elle a une vision intéressante, et est l'une des rares personnes, avec Vorzet, dont Germain écoute les avis et conseils.
Rolande Saillens (Liliane Maigné): La jeune soeur de Denise est une adolescente, qui travaille à la Poste, pique dans la caisse, écoute aux portes et louche clairement sur Germain. Il est fascinant d'imaginer quelle adulte en résultera!
Saillens (Noël Roquevert): le très droit Saillens a perdu un bras dans l'accident qui a rendu sa soeur boiteuse. Il a l'air sans histoire comme ça, mais on ne sait jamais.
Le docteur Delorme (Antoine Balpêtré): las et uniquement motivé dans son métier par les maladies rigolotes ("vous allez voir, c'est crevant!"), le très immoral directeur de l'hôpital juge vite, et s'embarrasse peu d'indulgence. Il a, lui aussi, des petites saletés sur la conscience.
Le docteur Bertrand (Louis Seigner): coincé, obsédé par la culpabilité potentielle du docteur Germain, qu'il hait. de toutes ses forces...
Bonnevie, l'économe de l'hôpital (Jean Brochard): Témoin de toutes ces turpitudes, une autre cible de l'auteur des lettres anonymes.
Le sous-préfet (Pierre Bertin): inévitable représentant de l'ordre, la cible de Clouzot pour dénoncer la médiocrité. Il apprend son déplacement par voie de presse.
La mère de François (Sylvie): La mère éplorée du malade qui se suicide, elle avoue à Germain être sur la piste du corbeau, responsable de la mort de son fils.
Tous ces gens sont présentés sans fioritures, en situation, et tous bénéficient de la verve dialoguiste de Clouzot.
Après un film policier impeccablement mis en scène, à la virtuosité ludique, dans lequel le moralisme a peu à voir avec la résolution enjouée d'une énigme classique, Clouzot s'attaquait à toute autre chose avec cette deuxième oeuvre, et on peut finalement comprendre à quel point le film pouvait être gênant, à l'heure de la réconciliation nationale, alors qu'il fallait prouver que sous l'enveloppe du Français occupé battait immanquablement le coeur de la Résistance, de voir ces gens occupés à se chercher des poux dans la tête, et prêts à se débarrasser de la personne qu'on accable, c'était trop. Mais justement, derrière le portrait de ces Français moyens qui parlent derrière le dos du Docteur Germain, qui disent à qui veut l'entendre que, n'est-ce-pas, "il n'y a pas de fumée sans feu", qui cherchent à se débarrasser d'un collaborateur encombrant à la grâce d'une lettre anonyme (Delorme), qui sauvent leur tête grâce à un autre lettre anonyme (Bonnevie), qui choisissent leur victime expiatoire en la personne de la vieille fille, et s'avèrent prêts à la lyncher (la scène est splendide, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'Helena Manson y est extraordinaire. Le plan de la silhouette noire, fuyant la persécution, dans une ville déserte, alors que la bande-son est saturée de cris et de bruits de foule, reste en mémoire longtemps après la vision), bref derrière tout ça, il est tentant de voir un portrait du Français sous l'occupation. Insidieusement, mais à coup sûr. Chez Clouzot, une fois la guerre finie, la peinture de la France profonde continuera, avec les grands films que l'on sait.
Une scène célèbre du film voit le docteur Vorzet, souvent utilisé pour faire passer de nombreux messages dans le film, utiliser sa sagesse pour expliquer à Germain le fond du problème: personne n'est ni bon, ni mauvais, ni blanc ni noir, et tout le monde est un peu des deux; il utilise à cette fin une lampe qu'il fait se balancer, la lumière changeant alors, éclairant tour à tour différents objets avant de les laisser dans l'obscurité. Clouzot reviendra souvent à cette idée, et terminera du reste sa carrière en étant fasciné par l'art cinétique, expérimentant sur la lumière avec ses eux derniers projets, l'inachevé L'enfer (1964), puis La prisonnière, en 1968. Si pour cette scène du Corbeau on peut voir la grande adéquation entre les acteurs, le texte, l'intrigue, la mise en scène, la montage et la photographie (Bref, tous les ingrédients d'un film), il ne faut peut-être y voir qu'une fausse piste, surtout lorsque Vorzet, joué avec génie par Larquey, lache une dernière pirouette en démontrant à Germain combien la vérité, ou plutôt la lumière est insaisissable: Germain se brule en essayant d'arrêter le balancement de la lampe. Un thème qui reviendra, le renvoi dos à dos des criminels et des policiers, mais aussi la relativité du crime étant, chez Clouzot comme chez Lang ou Hitchcock, des obsessions. Mais chez lui, c'est un cas le plus souvent désespéré: le film s'ouvre, cyniquement, sur une petite visite de la ville de St-Robin, visite qui commence... par le cimetière, dont la caméra s'échappe en passant par le portail: celui-ci grince abominablement: le point de vue est bien celui de la faucheuse, et le ton on ne peut plus sardonique. La fin, après effectivement le passage de la mort par la ville, voit une silhouette de dame, vêtue et voilée de noir, s'éloigner sous l'oeil impuissant du Dr Germain, l'homme qui a sans doute le plus appris, mais aussi, sans doute, beaucoup gagné dans ce beau, cet extraordinaire, cet indispensable film.
1936, près d'un petit village en Italie: un brave menuisier et son fils vivent en paix, et le garçon, Carlo rêve sous la bienveillance de son père, comme le font les enfants de son âge. En voyant les avions, au début, il n'a pas vu autre chose que sa fascination pour ces engins, et n'a pas vu surtout ce qui l'attendait: Carlo, en effet, va mourir dans le bombardement accidentel de l'église de son village: des avions partis distribuer la mort en Espagne, et qui en revenant probablement en Allemagne, se sont délestés en passant... Son père, Gepetto, sera inconsolable. Jusqu'au jour où, n'en pouvant plus de passer tout son temps libre, puis tout son temps tout court, à boire devant la tombe de Carlo, il va décider de construire une réplique en bois de son fils! Adroit de ses mains, mais saoul, il construit une marionnette, en effet, avec un pin que Carlo avait planté...
Quand Gepetto va se coucher, il ne sait pas qu'il a eu un témoin dans son délire: Sébastian, un criquet très philosophe qui avait cru bon d'élire domicile dans l'arbre creux... Du coup, pour lui, la marionnette était son domicile; sauf que... le petit domicile reçoit une étrange visite pendant la nuit, celle de l'esprit du bois, qui va animer la marionnette, baptisée Pinocchio... Au réveil Gepetto découvrira que la marionnette mal foutue qu'il a construite pendant sa cuite est désormais très animée, désordonnée, espiègle, et... énergique! Une marionnette qui ne pouvait pas plus mal tomber: engagée dans la guerre, l'Italie fasciste n'est pas un endroit très rassurant pour un petit garçon, à plus forte raison s'il sort de l'ordinaire...
Guillermo del Toro, qui portait ce projet depuis longtemps, souhaitait le faire en animation stop-motion, soit image par image... Cette technique qui consiste à filmer, une image après l'autre, des marionnettes qui sont faites de parties construites spécialement pour couvrir toutes les positions possibles, toutes les expressions possibles. Soit un travail de titan... C'est bien sûr à porter au crédit des deux co-réalisateurs del Toro et Gustafson, que de souligner qu'on a l'impression la plupart du temps que ce plan a été abandonné et que le film a en fait été tourné en images de synthèse, tellement le résultat est beau, fluide, et... infiniment supérieur à tout ce que vous pouvez imaginer en termes d'animation 3D malgré tout. D'une part parce que c'est graphiquement très original (ce qu'on ne peut plus guère dire de la plupart des films d'animation en 3D), et totalement dénué de toutes ces traditions, sales manies et raccourcis d'animation qui font que tous ces films se ressemblent. Ensuite, parce que si l'animation est d'une perfection rare (alors que le stop-motion porte en lui son imperfection, quand même, et la tradition a toujours été de ne pas le cacher complètement, voire de le souligner comme c'est le cas chez Aardman... Et rappelez-vous de King Kong!), la vie, le côté tangible de ce qui nous est montré, sont d'une véracité exceptionnelle. Bref, au bout de quelques minutes on n'a aucune peine à oublier l'artifice, et on s'immerge totalement dans le film...
Le fait qu'il y ait deux réalisateurs s'explique facilement: del Toro, depuis toujours, est un graphiste, un cinéphile aussi, très connaisseur de l'animation et du cinéma fantastique sous toutes ses formes... Mais il n'est pas du sérail de l'animation, et tout comme Tim Burton retournant à l'animation avec ses Noce funèbres, puis avec le long métrage Frankenweenie, avait du se faire accompagner, del Toro a donc fait appel à un animateur dont c'est, au passage, la première réalisation. On imagine que la division du travail s'est faite naturellement, et on ne doute pas un seul instant que la maîtrise globale du film soit à créditer à del Toro. Maintenant ce dernier n'est pas Walt Disney, soit un homme qui va créditer son seul nom au générique quand il n'a en réalité pas réalisé ni animé le film... Et il n'est pas non plus comme Burton sur The nightmare before Christmas (de Henry Selick) un producteur exécutif auquel tout le monde va attribuer la paternité du film alors qu'il n'en est rien... Non, ce film est du del Toro pur jus.
Probablement envisagée en hommage aux grands noms de l'animation (notamment le premier maître Starewitch dont l'influence est évidente, ne serait-ce qu'en raison du design particulièrement évocateur du criquet), le choix de l'animation réelle en volumes se justifie pleinement, d'une part parce qu'après tout il s'agit ici d'une histoire de marionnette et de marionnette animée, plus encore: d'une marionnette qui au fond d'elle-même, de par les circonstances, devient "un vrai petit garçon", leitmotiv des désirs de Pinocchio. D'autre part Guillermo del Toro voulait certainement se démarquer totalement de la production Disney de 1940, ainsi que de sa resucée contemporaine par Zemeckis, d'ailleurs sortie elle aussi ces jours-ci, les deux films étant en concurrence directe (sous les bannières ennemies de Netflix et Dinsey +). Donc on va le redire ici: non, ce film n'est pas l'actualisation par Disney du long métrage classique, et en passant mais quelle est cette sale manie de vouloir absolument oblitérer ses chefs d'oeuvre? passons... Le film de Guillermo del Toro est totalement original et s'il a décidé de retourner à la source, soit le roman de Collodi paru en 1881, il l'a aussi ancré dans la réalité de l'Italie fasciste, faisant de son film d'animation un cousin de L'échine du diable et du Labyrinthe de Pan, avec lesquels il partage d'ailleurs plus d'un aspect!
Car si le film retient la thématique propre à Pinocchio, qui à travers cette marionnette venue de nulle part et dont la vie se justifiait par la magie, se voulait une satire morale et sociale, tout en étant l'histoire d'un être décalé et n'ayant sa place nulle part, del Toro en fait aussi un drame du XXe siècle, ancré dans cette période noire de la montée puis du délire des extrêmes. Et si Pinocchio, Gepetto et compagnie vont bien affronter des dangers fantastiques, dont un gigantesque poisson au fond duquel il vont séjourner un temps, ce sont les monstres humains qui seront les plus redoutables, et leur univers envahissant, fait de bombes, de camp d'entrainement pour jeunes garçons innocents transformés en machines à tuer, de champs de mines, et de posters du Duce (qui est d'ailleurs présent dans le film, avec son front bas et son air de ne rien avoir inventé du tout faute de matière grise) est omniprésent dans le film. Mais au passage, les braves gens ne sont pas en reste: quand Carlo est encore vivant, et que Gepetto se rend au village pour travailler sur un crucifix à l'église, il est salué par la population, et accueilli à bras ouverts par le prêtre de la paroisse. Mais quand il a tout plaqué suite au décès de son fils, il est complètement lâché par la population, et le prêtre participe à la curée (si j'ose dire) d'autant que le vieux menuisier a laissé sa statue du Christ en plan. Mais le prêtre semble bien, dans ce film, être le premier à mettre sa soutane au service du fascisme. Un point que je ne vais pas développer tant il me semble se suffire à lui-même!
Et à l'univers fantastique du film (le poisson, le criquet qui parle, les lapins gardiens du purgatoire, ou encore les deux "esprits", jumelles antagonistes, tiens, comme dans Okja de Bong Joon-ho, et également interprétées par Tilda Swinton!), parfois hostile mais dans lequel Pinocchio, lui même une créature extraordinaire, évolue sans heurts, del Toro oppose une galerie de personnages dominée par le comte Volpe, un marionnettiste qui va se saisir de l'opportunité formidable qu'est Pinocchio, et surtout le Podestat, dignitaire fasciste du village, qui est son principal villain. Et il fait particulièrement penser à d'autres personnages, notamment Sergi Lopez dans Le Labyrinthe, et surtout Michael Shannon dans The Shape of water... Un être profondément maléfique, qui semble attiré par l'innocence des enfants pour mieux la subvertir... Bref, un sale humain, quoi, le genre à faire la guerre, faire faire la guerre, servir la dictature, la haine et le mensonge. Autant d'écueils qui trouvent tous un écho dans le parcours semé d'embuches d'un petit garçon...
La musique, parlons-en même brièvement, a été confiée à Alexandre Desplat, qui ne s'est pas contenté d'écrire une partition comme d'habitude impeccable et brillante: tradition de l'animation oblige, il y a quelques chansons, et elles sont superbes... Elles accompagnent l'intrigue, bien sûr, sont parfois justifiées intrinsèquement, et surprennent par leur délicatesse et leur finesse. Il faut dire qu'on est tellement habitués au rouleau compresseur des musiques de film de chez Disney...
D'une richesse visuelle et thématique telle qu'un article n'y suffira jamais, brassant des thèmes incroyablement nombreux et pertinents, le film se pose en oeuvre majeure d'un parcours cinématographique que le réalisateur a voulu éclectique et gourmand. C'est aussi un film merveilleux dans lequel on se plaira à retourner, parce que... qu'est-ce que c'est beau!
Dans un futur plus que proche, une corporation Américaine géante, Mirando, est le théâtre d'une lutte sans merci entre les deux héritières de l'empire. Ayant évincé sa jumelle (considérée comme une psychopathe, le mot n'est pas de moi), Lucy Mirando lance un programme délirant: ils vont générer des super-cochons qui vont être élevés un peu partout sur la planète, durant dix années, puis rapatriés afin de les revendre sous la forme de snacks... Okja 'est l'une de ces animaux et elle a grandi en paix dans une montagne en Corée auprès de la jeune Mija et de son grand-père. Mija (Ahn Seo-hyeon) a demandé à ce qu'Okja soit achetée à la Mirando Corp, mais ne sait pas qu'en réalité ils ont refusé l'argent. Quand ils viennent chercher l'animal, Mija voit rouge et prend une décision radicale: partir et récupérer sa compagne géante, à n'importe quel prix... Il lui faudra, aussi bien à Séoul qu'à New York, se battre contre la corporation, les deux jumelles (Tilda Swinton et Tilda Swinton), un zoologue complètement cinglé (Jake Gyllenhall), mais elle pourra compter sur le soutien parfois encombrant d'un groupe d'amis des animaux mené par un idéaliste un poil extrémiste (Paul Dano)...
C'est un conte, comme avant lui le magnifique La forme de l'eau de Guillermo del Toro. La principale différence, c'est que dans ce film l'horreur nait de la fable et de la comédie qui prend parfois (même souvent) tournure sans crier gare, comme dans tout film de Bong qui se respecte... L'histoire de Mija et Okja, les improbables copines, est extrêmement emballante, et passionnante même; elle promet du mouvement, des gags et des rebondissements, mais soyons clairs: ce n'est pas un film pour enfants... Les enjeu, ici, sont, en vrac, l'écologie, et l'extrémisme, la peinture d'un monde global qui ne tourne pas rond et dans lequel le capitalisme prime sur absolument tout, un portrait aussi en creux d'un monde surmédiatisé...
L'habitude de Bong, de dépeindre des groupes humains (les habitants de Barking dogs never bite, les familles dysfonctionnelles de The host et Parasite, les rebelles de Snowpiercer et les policiers de Memories of murder) est ici laissée de côté au profit d'une héroïne décidée, admirable et magnifiquement campé par un petit bout d'actrice qui nous rappelle l'aisance du metteur en scène avec ses acteurs, quel que soit leur âge (dans The host, c'était déjà très frappant)... Mais l'enjeu, pour Mija, c'est de choisir sur quelle planète elle a envie de vivre, et l'environnement qui est le sien, avec son grand-père cachottier, et son cochon géant, ressemble fort à un paradis terrestre. Voilà pour elle, et pour nous du même coup, le monde à préserver.
C'est donc bien d'un conte philosophique qu'il s'agit, mais un conte à la Chaplin, qui va au bout du drame, tout en préservant la comédie, qui exploite avec bonheur toutes les moindres parcelles de l'écran pour y placer un fourmillement de gags, comme le faisait Jacques Tati; c'est un film supérieur, premier choix, comme les snacks qui semblent si bons à la fin, en dépit de ce qu'ils ont coûté. Et tout ça pour sauver un cochon géant qui n'existe pas... Mais cet animal en images de synthèse, vous ne mettrez pas trente secondes avant de craquer pour elle...
Autour d'un strip-club de Toronto, nous faisons la connaissance d'un certain nombre de personnages: Francis (Bruce Greenwood) travaille pour le trésor, et semble tromper son ennui en se rendant au club Exotica, où il est obsédé par la jeune danseuse Christina (Mia Kirshner)... Un jour, il a un geste déplacé, et il est mis dehors sans ménagement; Christina, de son côté, à un lien étrange avec Eric (Elias Koteas), le DJ du club, qui la protège assez agressivement, et l'observe depuis les coulisses, surveillant en particulier ceux avec lesquels elle danse en privé... Thomas (Don McKellar), un zoologue qui trafique des oeufs d'oiseaux rares qu'il fait entrer en contrebande dans le pays, séduit des hommes en les invitant à l'opéra et au ballet. Mais un jour, il séduit un douanier qui lui confisque des oeufs qu'il était en train de faire incuber. Francis qui fait un audit de son magasin lui propose de l'aider si Thomas accepte d'entrer en contact avec Christina et de lui demander pourquoi elle a réagi de façon négative. Enfin, pour couronner le tout, Francis a une étrange relation avec une jeune fille (Sarah Polley) qui vient faire du baby-sitting chez lui, alors qu'il n'y a pas d'enfant...
Le film se pose en énigme, sans explication, en nous livrant de façon assez arbitraire le vécu des personnages en situation, dans une narration qui les met presque accidentellement en contact, parfois directement (Christina et Francis, bien sûr, dont on comprendra assez vite qu'ils se connaissent) et parfois avec une impressionnante dose de subtilité subliminale, par exemple à travers un motif: Francis parle à son beau-frère d'un oiseau, il va ensuite poser une question à Thomas sur l'espèce et on apercevra quelques minutes plus tard Eric, à son pupitre de DJ, un oiseau empaillé à son côté, réplique exacte de celui qu'on a vu. Un costume de collégienne, porté par Christina, s'avèrera aussi être l'une des clés de l'énigme contenue dans le film, et apparaît par bribes lors des passages chez Francis. Enfin, un flash-back unit Eric et Christina lors de leur rencontre, à une battue organisée pour retrouver... pour retrouver qui, ou quoi?
C'est intéressant de constater qu'au final le film évoque dans les grandes lignes de se concentrer sur ce qui est supposé être le nerf de la guerre dans le business du strip-tease: le sexe. Pas de sexe, ou plutôt plus de sexe pour Christina et Eric qui sont séparés, et la jeune femme semble même avoir refait sa vie avec la patronne (Arsinée Khanjian)... qui attend un bébé d'Eric, c'est effectivement compliqué! On craint une entourloupe, voire des tendances pédophiles, chez Francis, mais son problème est ailleurs: sa relation avec la jeune Tracey semble dénuée de toute équivoque, et son obsession pour la strip-teaseuse habillée en écolière est bien plus profonde qu'il n'y paraît... Enfin, Thomas tente des approches pour séduire des hommes, mais n'y réussit qu'une fois... et ce sera une mauvaise pioche! Ironiquement, le strip-club devient le reflet d'une société qui est passée par le sexe, mais n'a pas pu s'y attarder, et cherche une échappatoire dans le souvenir, la recréation, et des fantasmes vides... Un film en forme de passage dans des vies brisées qui semble ne prendre de sens que les unes en fonction des autres...
Vers 1860, une famille bourgeoise arrive sur les bords d'une rivière qui aurait pu être la Seine, pour passer, le titre est clair, "un dimanche à la campagne"... Au programme, manger chez le Père Poulain (Jean Renoir), faire de l'escarpolette, pêcher, se coucher dans l'herbe et attendre tranquillement que la journée passe... Mais si pour M. Dufour (Gabriello) et son commis Anatole (Paul Temps), le principal intérêt de la journée est la perspective de pêcher, pour Madame Dufour (Jane Marken) dont les sens sont très éveillés, es deux veaux messieurs qui lui proposent, à elle et à sa fille Henriette (Sylvia Bataille), un tour en barque, sont nettement plus séduisants... Madame Dufour se retrouve donc en yole avec Rodolphe (Jacques Brunius), et Henriette avec Henri (Georges Darnoux)... Nous les suivons, alors que le jeune homme se lance, clairement, dans la séduction de la jeune femme...
Le film est incomplet, non qu'il y manque quoi que ce soit qui ait été tourné: il a tout simplement été laissé inachevé par les circonstances: d'une part, Renoir qui ne souhaitait pas réaliser un film très long (il a toujours dit qu'il le considérait comme l'affaire de trois quarts d'heure tout au plus) avait prévu un plan de tournage assez court, et d'autre part les conditions météorologiques, avec une vague de pluies très insistantes au mois de juillet, ont considérablement ralenti le tournage, dont seuls les extérieurs ont pu être tournés. De plus, au mois d'août, Renoir entamait la réalisation des Bas-Fonds, avec Louis Jouvet et Jean Gabin... Les derniers plans tournés au mois d'août l'ont été sous la direction du premier assistant Jacques Becker, qui a toujours refusé d'en revendiquer la paternité, estimant les avoir tournés selon les instructions expresses de Renoir. Le film n'a été monté qu'en 1946, alors que le réalisateur était aux Etats-Unis, et on peut déceler comme une certaine impatience de la part du réalisateur dans le petit film de présentation qu'il avait tourné pour lé télévision française dans les années 60, à propos de ce film qui lui a probablement échappé, et dont il ne pouvait pas à 100% revendiquer la propriété...
Et pourtant c'est un film totalement Renoirien, l'un des ses joyaux. J'ai souvent été déçu (pour ne pas dire très agacé) par le metteur en scène, et la propension d'une certaine frange de la critique à en faire une sorte de dieu indiscutable du cinéma Français, mais ici, c'est toute la saveur de son cinéma qui se fait jour: ses influences impressionnistes, évidemment, quand on est le fils d'Auguste Renoir, ça devient inévitable, même si entre Nana (1926) et ce film, il y eut pas ou peu d'occasions de le rappeler... Le cadre très XIXe siècle, aussi, qui vient bien sûr de la nouvelle de Maupassant, mais qui réussissait si bien à l'auteur de French Cancan...
Le ton naturaliste, Maupassant oblige, est renforcé par le fait que Renoir, qui a ici utilisé des décors intégralement existants, qu'ils aient été arrangés ou construits (mais je penche pour la première solution), était un admirateur d'Erich Von Stroheim... Dans ce conte noir où la séduction mène à l'amour, l'amour au péché, le péché au regret et le regret au malheur, où Sylvia Bataille éblouit l'écran de sa beauté et Jane Marken de sa coquinerie (face à ce pauvre balourd de Gabriello), Renoir a beau convoquer des faunes (le jeu érotique de Brunius qui tente de séduire Madame Dufour!), on débouche sur la tragédie du mariage arrangé, sur l'enfer d'une femme qui n'a pas eu son mot à dire avant d'épouser...
Un con.
...Bref, si j'ose dire: en quarante minutes, et en dépit des manques de l'intrigue, résumés hâtivement par des intertitres de circonstances, Renoir a réussi un concentré de son cinéma, lyrique, baigné de nature (les images de pluie, du coup sans aucune tricherie, la beauté solaire du noir et blanc en bord de rivière), qui nous montre un instantané qui vire du salace aux larmes... Tout comme le film de Borzage The river, dont il manque le début, le milieu et la fin mais qui est étrangement parfait en l'état, Une partie de campagne est en dépit de son inachèvement un joyau de son auteur, quelles qu'en soient les éventuelles scories (le jeu du type qui joue le père Poulain est vraiment atroce, mais pourquoi Renoir engageait-il parfois cet acteur qui gâchait ses films?)... Cette belle histoire d'un couple qui cède au désir et engendre les regrets est toujours aussi actuelle.
A la prison de Sugamo, huit années après la fin de la guerre, des prisonniers Japonais sont tassés dans une cellule: ils sont considérés comme des "criminels de guerre deuxième et troisième catégorie", des sous-officiers et des simples soldats qui ont juste obéi aux ordres absurdes durant la guerre... Ils vivent, à l'écart d'une société qui les a oubliés.
Ce film est resté trois années durant sur les étagères, à attendre le moment idéal: la production ne voulait pas énerver les forces d'occupation Américaines, qui sont effectivement présentes. Kobayashi livre dans ce troisième long métrage son premier plaidoyer critique contre la guerre et le militarisme, et es cibles sont à la fois l'état-major impérial, et les occupants occidentaux. Et le réalisateur a la dent dure... Sa thèse est on ne peut plus claire: les prisonniers paient pour d'autres, qui eux se la coulent douce... Il utilise ses personnages de prisonniers avec des méthodes éprouvées: chaque individu a ses caractéristiques, et le groupe fonctionne en harmonie puisque ensemble, ils sont plus forts... Mais individuellement, ils vont tous permettre au film d'explorer diverses pistes: la corruption des puissants, et la misère de la classe ouvrière, symbolisée par me destin de cette famille dont la fille très pure deviendra une prostituée, la faute des anciens officiers, devenus patrons ou pontes de l'industrie... La charge est lourde, mais le film possède une certaine énergie du désespoir.
Et le style, pas encore aussi précis, profite ici d'une certaine tendance à la guérilla cinématographique: Kobayashi n'arrondit pas les angles et n'essaie pas de rendre son film plus poli ou moins abrupt. Donc ça pique un peu, la post-synchronisation est assez hasardeuse et l'interprétation des personnages non-Japonais est un peu bancale (surtout quand les Américains sont interprétés par des occidentaux qui manifestement ne parlent pas vraiment l'anglais), mais c'est une introduction idéale au cinéma en colère et généreux de Kobayashi.
La famille Kim (le père, la mère, la fille, une jeune adulte et le fils, un adolescent, vient dans un sous-sol miteux du pire quartier de la ville. Tous chômeurs, ils survivent en pliant des boîtes de pizza, et avec un minimum de débrouille, quand une opportunité se présente: un copain de Ki-woo, le fils, donne des cours d'Anglais à une jeune fille de la bourgeoisie, et comme il doit s'absenter, il lui confie son remplacement... Ki-woo, sous le pseudonyme de Kevin, vient avec un faux diplôme concocté par sa soeur grâce au système D sur internet (dont ils profitent grâce à la wi-fi de leurs voisins); puis il présente sa soeur comme une amie qui fait de l'art-thérapie quand Mme Park, son employeuse, désire donner des cours de dessin à son fils traumatisé. Le troisième membre de la famille à s'infiltrer sera le père, qui remplacera le chauffeur que la fille réussit à faire renvoyer, et enfin les trois Kim se débarrassent de la gouvernante quand ils découvrent son allergie aux pêches... La mère peut donc à son tour faire son entrée dans le personnel de maison. Mais quand on est un parasite, il y a une règle du jeu à bien comprendre: tout le monde a des parasites, y compris... les parasites eux-mêmes. A la faveur d'un départ de la famille Park pour faire du camping, les Kim vont faire une découverte effarante et qui va tout bouleverser dans leur plan un peu trop optimiste...
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce film n'est pas passé inaperçu, ayant été fêté et multi-fêté, au point de décocher non seulement la Palme d'Or en 2019, et le trophée du meilleur film étranger (c'est-à-dire non anglophone) à la cérémonie des Oscars, mais surtout, ce qui n'est pas banal, il obtenu par dessus le marché l'Oscar du meilleur film, une première pour un film Coréen... Ou non-anglophone.
C'est que cette comédie très méchante au vitriol premier choix frappe fort et juste, dans sa peinture d'un monde à deux vitesses où les parasites sont, au choix, les pauvres de la famille Kim, qui s'invitent frauduleusement, par des manipulations honteuses et se rendent indispensables par tricherie auprès des Park... Ou les riches de la famille Park, qui considèrent qu'à partir du moment où on les paie, les employés de maison sont taillables et corvéables à merci, et d'ailleurs, pour tout leur argent, de fait, les Park ne travaillent pas (à la maison en tout cas). Du coup, leur fils couvé à l'extrême fait des maladies de riche: il a un traumatisme, qui lui vient d'une nuit où il a vu un fantôme... Ce qui aura une explication, car en effet il a bien vu quelque chose!
Et ce monde à deux vitesses, c'est bien sûr le notre, dans un récit hilarant et à la verve particulièrement acérée, où une gouvernante ivre de pouvoir se retrouve à prodiguer des massages à son mari en imitant les actualités Nord-Coréenne tout en tenant une famille en joue, où M. Park, le richissime et par ailleurs totalement inutile propriétaire d'une villa tellement moderne qu'elle en devient ridicule, passe son temps à deviser sur l'odeur des gens et en particulier celle de son chauffeur: il dit à son épouse que M. Kim "sent le métro". Ce à quoi elle répond qu'elle n'a pas pris le métro depuis bien longtemps...
Donc dans ce jeu de massacre qui débouchera sur une étrange mais bien agréable mélancolie quand même (et franchement, il fallait le faire), il y a énormément de plaisir à prendre. On sait que Bong Joon-ho (The host,Memories of murder) excelle à se glisser dans la peau de metteur en scène de tous les genres, ici il combine la satire sociale grinçante, le film criminel et la fable, pour une réussite exceptionnelle, qui a bien mérité tous les prix qu'il a raflés. Pour une fois, je suis bien content de l'admettre!
Le jeune et entreprenant Johnny Case (Cary Grant) a rencontré durant ses vacances une jeune femme, et c'est le coup de foudre: ce qu'il ne sait en revanche pas, c'est que Julia Seton (Doris Nolan) fait partie d'une des familles les plus établies de la haute finance New Yorkaise: pour être accepté dans la famille, il faudra non seulement vaincre les réticences face à sa basse extraction, mais il lui faudra sans doute aussi compromettre ses idéaux en devenant un gendre parfait, impliqué dans les affaires familiales... Johnny peut compter sur Linda (Katharine Hepburn), la grande soeur de Julia qui se définit elle-même comme le vilain petit canard de la troupe, pour l'aider à voir clair dans une situation complexe.
C'est le troisième des quatre films ensemble tournés par Hepburn et Grant, et le deuxième des trois d'entre eux qui soit une réalisation de George Cukor. ce dernier n'est pas le premier adaptateur de la pièce de Philip Barry, mais sa version est sans aucun doute définitive... En confiant les rôles aux deux comédiens qui étaient si naturellement complémentaires, les étincelles étaient garanties, même si on surnommait encore Hepburn "box-office poison" à l'époque! Cary Grant est présent dès le départ, mais l'arrivée de sa partenaire est retardé jusqu'à une scène d'anthologie: Johnny découvre, guidé par Julia, l'immense demeure de sa future belle-famille, et dans une des rares pièces à visage humain, il embrasse celle qu'il pense pouvoir bientôt épouser, quand une porte s'ouvre sur leurs ébats: c'est Linda. A partir de là, le feu d'artifice peut commencer...
La maison, extravagante de par sa taille et son luxe (des ascenseurs partout, d'immenses salons et des chambres qui doivent être aussi grandes que Grand Central Station), est un lieu parfait pour parler des vicissitudes de la mobilité sociale, certes l'un des thèmes du film (Julia est absolument persuadée, et pourtant totalement d'accord, que Johnny l'épouse pour son argent), mais il permet aussi à Cukor de différencier les espaces de la plus belle des manières, en définissant notamment l'univers partagé de Linda et de son frère Ned, celui qui a fini par sombrer dans l'alcoolisme pour échapper à la pression paternelle: une chambre remplie des souvenirs de leur vie d'enfants, et qui est un merveilleux endroits pour les gens différents: Linda, Ned, Johnny (qui adore faire des acrobaties de cirque, à la... Cary Grant), et les copains de ce dernier, interprétés par les merveilleux Jean Dixon et Edward Everett Horton y sont comme des poissons dans l'eau. Le père Seton, sa fille Julia, et toute la famille de sangsues de la Haute et Bonne Société, beaucoup moins...
En respectant la progression de la pièce, Cukor permet à ses acteurs, en particulier à Katharine Hepburn, de se placer dans une évolution émotionnelle qui fait parfois quitter radicalement la sphère de la "screwball comedy", le film réussissant sans problème à enchainer brillamment les ruptures de ton. Que le film ait été un flop me dépasse, mais il a, à tout prendre, fait une belle carrière de classique. Amplement méritée.