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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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19 juillet 2020 7 19 /07 /juillet /2020 10:54

Ceci est le quatrième film de Jean Vigo, c'est aussi son dernier... Quatre films, une misère, et encore, on sent les bouts de ficelle dans l'oeuvre de Vigo, fils d'Eugène Bonaventure de Vigo dit Miguel Almeyreda, anarchiste, homme politique et patron de presse suicidé dans sa cellule, probablement par les mêmes qui ont acquitté l'assassin de Jaurès. La politique n'est pas très loin de son oeuvre, sans jamais y être totalement: tout au plus constate-t-on un esprit frondeur, une représentation contrastée des classes sociales (A propos de Nice), une envie de taper joyeusement sur les élites (Zéro de conduite), un goût pour le populaire, la représentation des vrais gens qui travaillent, qui souffrent, qui vivent et se distraient (A propos de Nice, L'Atalante) et un trait commun à tous ses personnages: l'enfance (Zéro de Conduite), prolongée chez certains personnages (L'Atalante), voire débusquée derrière le bien-être bonhomme d'un nageur émérite qui s'amuse d'être comme un poisson dans l'eau (Taris). Tous ces films ont pour point commun d'être une représentation du corps, que ça passe par le déshabillage goguenard d'une belle dame assise sur la promenade des Anglais, de la vision au ralenti d'un corps saisi dans sa réalité et son impudeur à tournoyer sans cesse dans l'eau, dans la ronde, elle aussi ralentie, d'un groupe d'enfants qui célèbrent leur liberté absolue en faisant les fous dans leur dortoir, ou dans la vision osée et érotique de deux amants éloignés l'un de l'autre qui se palpent l'intimité avec conviction pour soulager leur mal-être, unis dans une étreinte désespérée par le montage...

Le cinéma de Vigo est l'un des plus directs, frontaux, et mal polis de toute la profession, parce qu'il y avait urgence, aussi: ayant passé sa jeunesse de sanatorium en institution médicale, baladé au gré de ses besoins médicaux et de ses rémissions, il savait lui-même qu'il n'en avait sans doute pas pour longtemps. il est dommage que L'Atalante soit son dernier film, parce que sa réussite indéniable, flagrante, reste probablement un brouillon de ce que le cinéaste aurait pu faire par la suite, voire de ce qu'il aurait pu faire si la Gaumont avait cru en lui sur ce film, et s'il avait été en état de le terminer.

Mais voilà, on devra, pour Vigo, se contenter de ces quatre films pour l'éternité, et du peu de choses qu'on puisse rassembler sur la personnalité timide et poétique de l'auteur...

Objet d'un accord, sous forme d'un contrat entre Gaumont et Vigo, L'atalante était l'entrée après l'épisode malheureux de Zéro de Conduite de Vigo dans la corporation du cinéma. Les trois personnages principaux en sont joués par des acteurs, dont Michel Simon et Dita Parlo, et le sujet est plutôt celui d'une bluette à l'eau de rose... Mais la présence de Jean Dasté, de Louis Lefèvre, tous deux sortis de Zéro de conduite, l'art du cinéaste pour tout détourner et pour laisser les acteurs s'approprier une scène (Voir Michel Simon, à ce sujet...) font que ce film sur les amours et les fâcheries d'un couple de mariniers dont le mariage est soumis à la rude épreuve de vivre sur une péniche, et qui sont veillés par un vieux marin pittoresque et vaguement sage, devient au final un poème tendre sur l'amour, la vie, le passage du temps, et les vrais liens entre les êtres.

On y voit des images poétiques (Dita Parlo, en robe de mariée, sur une péniche en mouvement; Jean Dasté nageant, avec Dita Parlo en surimpression au ralenti), burlesques (Michel Simon détaillant son bric-à-brac infernal et fumant avec le nombril), poignantes (Dasté se plongeant la tête dans l'eau pour"voir sa femme"), et érotiques (L'intimité entre Dasté et Parlo, leur bonheur tout cotonneux après la nuit de noces, etc...). C'est aussi le film dans lequel on a envie de se lever et d'applaudir lorsque Michel Simon entre dans une boutique, soulève sans un mot l'héroïne et sort pour la ramener à la péniche... Michel Simon qui s'est beaucoup vanté de traverser le film en roue libre, improvisant comme bon lui semblait... On ne prête qu'aux riches, certes, mais il me semble que si Simon avait vraiment fait tout ce qu'il voulait le résultat aurait été bien différent. La présence de l'acteur est d'une part une certaine forme de compromis, Vigo ayant à cœur de réaliser ses films «en famille», avec sa bande (et Lefèvre et Dasté en font définitivement partie), mais le résultat final est plus proche d'une improvisation guidée, supervisée. En clair, le Père Jules sert en permanence le film de Vigo et se conforme à la vision du réalisateur. Il est intéressant de constater que c'est ce drôle de bonhomme totalement anarchiste qui va, d'ailleurs, rétablir l'ordre sur la péniche!

L'Atalante aurait du être le premier long métrage de Vigo et non son dernier film... Il porte en lui les stigmates d'une fin de carrière marquée par un double fardeau: la tuberculose, un temps enrayée, est revenue de plus belle et menace cette fois le jeune réalisateur, qui ne survivra pas au tournage, et ne pourra tourner tout ce qu'il a prévu. La compromission, obligatoire dans cet art collectif qu'est le cinéma, a poussé la Gaumont à mépriser le film qu'elle a reçu du novice, et a le triturer ensuite jusqu'à le dénaturer après la mort de Vigo. Le résultat, restitué grâce à des reconstitutions et restaurations successives et malaisées (on n'a aucune copie du montage voulu par Vigo et on sait qu'il n'a pas vu son film achevé, en ayant confié le montage à Louis Chavance au moment de son agonie) ne ressemble à aucun film connu et est sans aucun effort le chef d'oeuvre de son réalisateur, un film qui résiste à tout: à la censure, aux années, à la connerie, et enfin à l'interprétation, film pur dans lequel le sens vient du corps et de sa représentation, des émotions, et de l'image. Bref, du cinéma...

 

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Published by François Massarelli - dans Jean Vigo Criterion
16 juillet 2020 4 16 /07 /juillet /2020 13:14

La vie dans la Colona Roma, un quartier assez aisé de Mexico, à travers le quotidien d'une famille de sept personnes, d'origine Européenne: le père est médecin, et au début du film, on apprend qu'il est appelé à passer du temps au Quebec pour des recherches. C'est un mensonge. sinon, la mère, assistée par la grand-mère maternelle,gère la vie au foyer avec ses quatre enfants, et est aussi aidée de trois domestiques: un chauffeur, une cuisinière (Adela) et surtout Cleo, la petite nourrice/bonne à tout faire, d'origine Indigène (Yalitza Aparicio). C'est elle qui est le centre du point de vue, et nous assisterons à tout par son biais, la déchéance relative de la famille, une grossesse malencontreuse, et des troubles armés dans les rues de la ville...

Au moins trois couches de sens dans ce film très imposant: d'une part, Cuaron est parti directement de ses souvenirs et a teinté son film d'une forte dose autobiographique, même si le point de vue est détourné. Mais cette domestique Indigène, aimante, patiente et dévouée, est modelée sur la femme qui a mené le plus clair de l'éducation du metteur en scène... La chronique des jours et des nuits en est d'autant plus savoureuse, émouvante et parfois poignante. Ensuite, cette famille finit par incarner toutes les familles Mexicaines à travers ce qui est une évocation d'une grande richesse, à la vie palpable, du début des années 70 au Mexique, à travers petits et grands événements: que ce soit la traversée d'une mare par un enfant botté, d'une bouteille de Coca qu'une personne attrape pour la vider, ou d'une soudaine irruption de miliciens dans un magasin, c'est toute la vie du Mexique de l'époque qui nous est contée. Et enfin, en montrant ces personnages qui évoluent entre rire et larmes dans le Mexique de 1971, Cuaron nous montre l'éternel contraste entre ceux qui n'ont rien et les gens aisés, un évident fil rouge de son film: par exemple, il va utiliser le fait que la mode est à l'espace (on est assez peu de temps après le triomphal alunissage, et la mode culturelle le suit de très près) et que les enfants jouent pour singer ce qu'ils voient à la télévision. Chez les riches, on verra donc un enfant déambuler dans les bois et traverser une petite mare, habillé d'une très élaborée panoplie de cosmonaute... Mais dans le bidonville, un paquet de lessive découpé aux bons endroits servira de costume pour un gamin, qui patauge dans les trous de la route.

Son sens du détail fonctionne une fois de plus en parfaite harmonie avec un sens de la composition, et une maîtrise rare dans l'art du plan long, qu'il s'agisse de plans-séquences (on se rappelle de l'extraordinaire premier plan de Gravity) ou de master shots particulièrement étudiés. Il se sert souvent aussi de ces atouts pour souligner les différences sociales et la richesse du contexte, mais n'hésite pas non plus, pour souligner de façon péremptoire et on ne peut plus claire la dégradation des liens familiaux des patrons de Cleo, à montrer en gros plans l'un des innombrables monticules fécaux laissés par un chien dans la propriété, régulièrement écrasés par une roue de la voiture. Du trivial au service de la thématique, car une large part du film est consacrée à opposer le sale au confortable, les riches et leur tour d'ivoire à la multitude... 

Et il y a le contexte, non seulement social mais aussi et surtout politique: mine de rien, ce n'est pas la première fois qu'on peut voir chez Cuaron que le Mexique est passé très près, trop près d'une dictature: dans Y tu Mama Tambien, nombreuses étaient les séquences dans lesquelles au détour d'un plan, la présence militaire, policière et répressive se faisait douloureusement sentir, même si ce n'était en aucun cas le sujet. Dans The children of men, Cuaron recréait des conditions proches du Mexique de sa jeunesse, ce qui servait efficacement la dystopie du scénario. Dans Roma, les militaires sont là, captés au hasard d'une parade (même s'il n'y a pas de hasard dans un film où absolument tout est là par la volonté de son metteur en scène), ou encore présents en témoins, du moins le croit-on, dans une gigantesque leçon d'arts martiaux à destination des jeunes des bidonvilles... avant que leur présence n'éclate au grand jour dans une scène de violence qui donne l'impression d'avoir été vécue plus que mise en scène, car Cuaron n'a pas son pareil pour donner l'illusion de la vérité au détour d'un plan, en demandant aussi souvent à ses acteurs d'être avant de jouer. Dans ces conditions, on ne peut qu'approuver le recours au noir et blanc, jamais factice, qui empêche en permanence la reconstitution de briller des feux de ses mille couleurs. Une façon d'éloigner le passé de notre présent, une condition indispensable à la démarche du souvenir... Tout comme le recours à une narration qui privilégie la domestique rend possible pour Cuaron l'exposé des blessures et drames de la vie de famille, rendue ici presque objective par le biais narratif.

Yalitza Aparicio lui lui permet d'aller au bout d'un projet difficile, car ce petit bout de bonne femme, Indienne qui est arrivée au cinéma par la grâce d'un casting hasardeux, qui n'a jamais joué de rôle au cinéma avant ce film, atteint une vérité extraordinaire, des premières minutes du film jusqu'à une singulière et figurative montée au ciel, qui clôt une expérience unique de cinéma; aisément, Roma est un nouveau film majeur d'un cinéaste qui semble décidément infaillible, à voir et à revoir en liberté...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfonso Cuaron Criterion
5 juillet 2020 7 05 /07 /juillet /2020 13:44

Dire de ce film qu'il est important est un euphémisme. Il bouscule tout sur son passage et a fait une belle carrière à l'étranger, où Sciamma a été fêtée comme il se doit pour ce bijou... Un bijou, je vais le dire ici et ne plus avoir besoin de le dire après, réalisé, écrit, produit, mis en image et interprété par des femmes. 

Marianne (Noémie Merlant) reçoit une offre alléchante: peindre le portrait d'une jeune femme qu'on s'apprête à marier, afin de permettre au futur époux d'avoir une idée de sa beauté et de pouvoir se prononcer sur le mariage. Comme Héloïse (Adèle Haenel) est belle, elle et sa mère (Valeria Golino) ne se font aucun doute sur l'issue de l'arrangement... Et c'est là que le bât blesse: Héloïse, toute droite sortie du couvent (elle était la deuxième fille de la famille jusqu'à ce que sa grande soeur ne décède) ne veut pas de ce mariage, et ne veut donc pas du portrait non plus, et l'a prouvé en refusant de poser pour le prédécesseur de Marianne, parti bredouille sans jamais l'avoir vue. Officiellement, on a engagé Marianne pour être sa dame de compagnie pour une semaine, à elle de mettre à profit tous ses moments de solitude pour peindre sa cible...

Dans une maison très isolée sur la Côte Sauvage, la vie va donc s'organiser entre trois femmes: Marianne, Héloïse et Sophie (Luàna Bajrami), une domestique. Alors que le portrait avance lentement, les deux jeunes femmes vont développer une très forte complicité, jusqu'au point où, ayant fini une version du portrait, Marianne déclare vouloir recommencer et obtient le soutien inattendu d'Héloïse...

D'abord, il y a un récit passionnant, qui transcende complètement le fait qu'il s'agisse pour l'essentiel d'une confrontation à deux personnages plus un témoin. D'ailleurs le rôle de Sophie, la petite domestique qui va elle aussi tisser durant cette dizaine de jours des liens très forts avec les deux autres, est essentiel à cette chronique de la féminité, par un événement important: elle annonce à Marianne qu'elle est enceinte, contre son gré, et les trois femmes vont s'impliquer dans l'avortement qui s'ensuivra. Ensuite, Céline Sciamma utilise le biais de la création artistique pour illustrer d'une façon brillante les glissements troublants de deux personnes vers l'amour avec un grand A, un amour auquel la référence récurrente à Orphée et Eurydice donne une dimension hautement mythologique... Et auquel le recours de deux femmes à l'art (peinture, mais aussi on le verra dans deux scènes clé, à la musique, et non des moindres!) donne aussi une dimension que je n'hésite pas une seule seconde à considérer comme sacrée!

Et justement, on affirme ici non seulement une conviction féministe forte (Marianne est peintre et sait qu'en tant que femme elle a un handicap, puisqu'on ne la laisse pas peindre l'anatomie masculine... mais officieusement: car on saura à la fin qu'elle a peint des tableaux académiques attribués à son père), mais aussi une solidarité et une forte revendication d'égalité entre la jeune femme de la bonne société et la peintre qui est employée par sa famille. Cette solidarité sera la clé d'une entente forte entre les deux femmes... Entente qui passera aussi par des détournements érotiques inattendus dans le film: car si Céline Sciamma ne représentera jamais les corps en plein amour, elle joue beaucoup avec les détails, et en tire des effets inédits que je vous laisse découvrir. Et elle sait installer un vrai suspense, avec un quart d'heure de film, environ, avant l'arrivée d'Héloïse. Quand elle arrive, on tardera à voir son visage et ce sera uniquement du point de vue de Marianne...

Esthétiquement le film est très fort, et la réalisatrice, avec la directrice de la photo Claire Mathon, a pris une décision importante: utiliser la Très Haute Définition pour rendre au plus près l'aspect des tableaux, et au passage obtenir une palette de couleurs qui est totalement en phase avec la peinture contemporaine de l'intrigue... Il y a, de toutes façons, de constants allers et retours entre le film et ses tableaux, peints par une jeune artiste qui a imprimé sa marque aux oeuvres peintes par le personnage de Marianne, Hélène Delmaire. 

Si j'avais une réserve à formuler, ce serait sur le ton parfois déclamatoire des dialogues, et un certain manque de naturel qui est propre aux films en costume... Ce qui largement compensé par la précision du jeu physique, la beauté du film, et le fait que dans ce Portrait de la jeune fille en feu (un titre dont l'explication, vous le verrez, n'a rien de symbolique) le souffle romantique balaie tout sur son passage...

 

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Published by François Massarelli - dans Céline Sciamma Criterion
23 avril 2020 4 23 /04 /avril /2020 16:31

Show boat est non seulement une production majeure des années 30, une comédie musicale de grande classe, c'est aussi un film crucial pour son metteur en scène, l'infortuné James Whale qu'on assimile trop souvent au film d'horreur et d'épouvante dans la mesure où ses quatre films les plus connus font tous partie de cette catégorie... Ce sont pourtant les seuls du genre, dans une oeuvre diverse, où on trouve aussi bien des mélodrames (Waterloo bridge, version de 1931), un musical (Show boat, donc), des films d'aventures historiques (The man in the iron mask), une participation à l'une des versions du film de guerre Hell's angels de Howard Hughes, ou une adaptation de Marcel Pignol (Port of seven seas)! Show boat est sans doute le plus connu des films non fantastiques de Whale, et à juste titre... C'était, il est vrai, une grande date pour la Universal.

Sur le Mississippi, nous assistons à la vie sur le steamboat Cotton Blossom, un show boat, c'est à dire un bateau comprenant un théâtre, qui fait la tournée des villes portuaires sur le fleuve. La famille qui compose la troupe est organisée autour du capitaine Andy Hawk (Charles Winninger) et de sa redoutable épouse Parthenia (Helen Westley): l'acteur principal, Steve Baker (Donald Cook) et son épouse, la prima donna Julie La Verne (Helen Morgan), mais aussi un couple de comiques, Frank Schultz (Sammy White) et Elly Chipley (Queenie Smith): tous chantent, dansent, et jouent la comédie. Magnolia (Irene Dunne), la fille d'Andy et Parthenia, aimerait bien aussi participer, mais sa mère, motivée par une morale Sudiste quasi-Victorienne, le refuse...

...Jusqu'au jour où Julie doit précipitamment quitter la compagnie, étant noire, ce que peu savaient. Elle part avec son mari afin d'éviter les ennuis à ses employeurs. Obligés de trouver un remplacement, les Hawks engagent donc un inconnu, l'aventurier Gaylord Ravenal, et lui donnent comme partenaire leur fille, qui est ravie non seulement de monter sur scène, mais aussi de donner la réplique à un homme qui lui plaît beaucoup...

Et ce n'est que le début: l'intrigue globale du film, comme celle du musical dont elle est partiellement une adaptation, est tirée à l'origine du roman d'Edna Ferber, qui se déroulait sur cinq décennies, et voyait beaucoup de protagonistes mourir... Pas le film de Whale pourtant, qui porte ses efforts ailleurs... Dès le départ, il a pour souci d'intégrer la musique dans la comédie, d'une manière qui soit différente des tendances des années 30, les revues inspirées de Ziegfeld, les films urbains élégants où la danse et le chant sont généralement l'affaire privée des protagonistes interprétés par Fred Astaire et Ginger Rogers,  ou les musicals Warner où le show est la promesse d'un final spectaculaire, coquin et exubérant à une oeuvre qui montre les artistes se démener sang et eau pour répéter pendant une heure de film... et pour intégrer la musique, rien de mieux que de montrer dès la première séquence le show boat arriver, à la grande satisfaction du public potentiel, qu'il soit noir ou blanc, jeune ou vieux, riche ou pauvre... On va même plus loin, c'est l'arrivée du bateau et de sa promesse de spectacle qui donne de la vie à la petite ville où se passe l'introduction.

Du début à la fin, Whale intègre donc la musique à la comédie et la comédie à la musique, laissant l'une envahir l'autre et vice versa. En pleine chanson, un personnage va même parler avant de reprendre le flot musical; les personnages entrent dans une pièce et se joignent à la musique au gré des affinités. Les caméras et les éclairages ne sont pas en reste, Whale ayant pris le parti de multiplier sans répit les angles de prise de vue, tout en utilisant avec réalisme les lieux de l'action: pas de champ qui s'élargisse sous la magie du spectacle comme dans les films de Busby Berkeley, le parti-pris de Whale est de se servir de décors à taille humaine. N'empêche, la mise en scène, le montage, sont d'une incroyable invention: quelle que soit notre affinité avec les styles musicaux représentés, on ne s'ennuie jamais.

Tout tourne autour du bateau dont les protagonistes ne sont pas que les acteurs et chanteurs; on fait aussi connaissance avec les employés, comme l'homme à tout faire Joe (Paul Robeson) ou la cuisinière Queenie (Hattie McDaniel). Ils ne feront jamais tapisserie, même s'ils disparaissent lorsque les protagonistes cessent de vivre en permanence dans le show boat. Mais leur présence va servir aussi à introduire les questions gênantes dans le film: c'est que le show boat, c'est une tradition Sudiste, et le Sud est omniprésent dans les deux premiers tiers du film, et pas qu'à travers le style musical choisi par Jerome Kern (Can't stop loving that man of mine, Old man river...): une scène où Helen Morgan interprète une vieille chanson noire (ce qui au passage est le début d'une information, puisqu'on apprendra plus tard qu'elle est métissée) sert de passage de témoin culturel, entre Queenie qui approuve la version interprétée par ses amis blancs, et Magnolia qui danse à la fin dans un style purement afro-Américain. Paul Robeson, qui faisait partie de la distribution de la production Ziegfeld à Broadway en 1927, interprète Old Man River, appuyé par des images aux forts relents expressionnistes, qui nous rappellent le bon goût de James Whale qui n'avait jamais oublié le cinéma muet Allemand et s'en est souvent inspiré. Show boat est souvent le théâtre d'un métissage culturel revendiqué, souligné, nécessaire... mais aussi de son corollaire, une récupération par les blancs de ces styles musicaux: Julie La Verne, personnage poignant d'actrice qui a cherché à dissimuler sa vraie identité et à cacher ses angoisses dans l'alcool (un autoportrait surprenant de Helen Morgan), va littéralement laisser la place sur la scène dans le dernier tiers du film à Magnolia Hawks, et laisser la petite blanche triompher avec son répertoire... C'est d'ailleurs dans ce même dernier tiers que les protagonistes noirs disparaissent tous.

Une fois de plus, c'est en contrebande, et au vu et au su de tout un chacun, dans une grosse production visant à être vue par toute la famille, que James Whale fait passer un message que d'aucuns pourront juger subversif. Une scène entière, magistrale, nous montre les membres de la troupe se liguer derrière le couple de Julie et Steve, accusés de miscégénation, cet absurde délit d'accouplement inter-racial inventé par les blancs du Sud pour emm... le monde entier. Un sujet qu'on n'attend pas dans un film Américain produit à Hollywood en 1936, et dont James Whale fait un grand moment de prise de conscience pour le public...

Whale sait aussi que le public a évolué depuis les débuts du parlant. Il s'adresse un peu aux audiences sophistiquées des grandes villes quand il prend le parti de montrer les pièces interprétées sur le Cotton Blossom comme étant d'abominables mélodrames fort mal joués... Il se régale (et nous avec!) d'une histoire atroce avec un méchant à moustache et rire diabolique... De la même manière on peut sentir une certaine ironie de sa part dans son traitement d'un numéro de Magnolia en black face. Mais il le fait, et c'est un tour de force, sans jamais se départir de son affection profonde pour les personnages qu'il met en scène... Et c'est sans doute la cerise sur le gâteau, d'un film majeur, époustouflant, et assez exténuant dans ses presque deux heures de spectacle. On raconte, pour finir, qu'il existerait une troisième version du film (celle de Whale étant la deuxième), produite par la MGM en 1951: n'en croyez rien: Show boat, c'est ce film Universal de 1936. Pas autre chose...

 

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Published by François Massarelli - dans James Whale Musical Criterion
6 février 2020 4 06 /02 /février /2020 10:12

...Et si la machinerie de guerre des Américains, durant la guerre froide, avait un problème, un de ces petits soucis techniques inattendus qui peuvent précipiter le chaos plus sûrement qu'un canon à Fort Sumter? Et cette fois, que ce soit bien clair: un pur incident technique, pas la volonté d'un homme interne au système et devenu fou par anticommunisme: car en dépit des ressemblances troublantes (Politique fiction même noir et blanc sec, même compagnie, même structure chorale), Fail safe n'est pas Dr Strangelove, ce n'est en aucun cas une farce.

Non que Strangelove soit à minimiser, bien entendu, mais la volonté de Kubrick était d'offrir un gigantesque défouloir, alors que ce film entend nous faire peur, en détaillant de façon clinique, aussi froide que possible, les étapes d'une apocalypse qui n'en est que plus terrifiante. Et ces étapes sonnent tellement justes, y compris plus de cinquante années plus tard (avec un Trump à la Maison Blanche, qu'on nous protège des soucis techniques!), qu'il atteint sans problèmes son but... Bref, les événements qui se succèdent ici, mais aussi leurs commentaires idéologiques, sont terrifiants.

Tout commence un jour normal, dans une atmosphère généralisée de Guerre Froide dans les milieux du commandement Américain. Une délégation, contenant un sénateur, est reçue par une base du Nebraska où sont supervisés les avions de la défense aérienne des Etats-Unis, et un événement inattendu se produit, alors qu'un technicien est en train de changer un fusible... Un avion inconnu est repéré, toute la défense se met en branle. mais quand il est éclairci qu'il ne s'agit pas d'une attaque Russe, un avion reste en route pour bombarder Moscou.

La façon dont la chose va être analysée est disséquée, vue du point de vue d'un certain nombre de protagonistes: la base initiale, mais aussi le Pentagone, où siègent en particulier le professeur Groeteschele (Walter Matthau), un spécialiste de la guerre froide au cynisme à toute épreuve, et le secrétaire de la défense, plus mesuré; les autres "lieux" importants sont l'avion en route pour Moscou (dont les membres d'équipage sont conditionnés à refuser tout contrordre, bien sûr), et bien sûr la Maison Blanche où le président (Henry Fonda) va surtout prendre l'initiative de mener des négociations avec le Premier Soviétique, dans une conversation téléphonique de longue haleine...

Si les hommes ici présents se divisent en fanatiques anti-communistes (dont Groeteschele représente sans doute la parfaite incarnation en scientifique mesuré et pragmatique), et humanistes (tel ce général qui se fait railler pour avoir tendance à adopter un profil de pacifiste, prônant toujours une ligne ouvertement douce), ce qui est frappant, c'est à quel point les hommes réagissent dans ce film: les uns ont le sentiment de perdre leur humanité en trempant malgré eux dans une horreur sans nom, les autres sont très rapides à assumer la situation: quand la décision est prise d'offrir "en échange" de Moscou le bombardement de New York, Groeteschele calcule le nombre de victimes à prévoir comme on rédige une liste de courses...

Avec son dispositif impressionnant, et qui trahit de façon évidente l'efficacité d'un metteur en scène venu de la télévision, Lumet obtient un réalisme troublant, basé sur très peu d'effets, et sur une tension phénoménale. La distribution a son rôle à jouer, bien sûr, et de fait les acteurs ont été admirablement choisis. Les deux les plus connus sont indiscutables, et le relatif anonymat des autres joue en la faveur du film. ...Après la vision duquel je conseille de se jeter sur n'importe quelle comédie musicale, pour faire passer.

 

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Published by François Massarelli - dans Science-fiction Sidney Lumet Criterion
2 janvier 2020 4 02 /01 /janvier /2020 10:59

La phrase qui sert de titre au film contient les mêmes ingrédients que les titres du film précédent de Tourneur et Lewton, Cat people, ainsi que du troisième, The leopard man, sorti un mois et demi après celui-ci (!): l'onirisme factice et indicatif du genre fantastique, dans son versant le moins noble d'un côté, et une description désarmante de fidélité d'un aspect réel du film d'autre part, car l'héroïne jouée par Frances Dee a effectivement "marché avec un zombie"!

L'infirmière Betsy Connell (Frances Dee) est engagée pour s'occuper d'une malade bien particulière, dans une petite localité des Caraïbes. Durant le voyage en bateau, elle rencontre son employeur, le séduisant Paul Holland (Tom Conway). Son épouse est depuis quelques années dans un état de catatonie permanent... Elle rencontre aussi, dans une propriété dont les domestiques, tous noirs, sont adeptes de nombreux aspects du vaudou, la mère de Paul, le Docteur Rand (Edith Barrett), qui tient un dispensaire local, et son fils d'un autre mariage, le demi-frère de Paul Wesley (James Ellison), qui va bien vite, malgré lui, lui révéler l'abominable secret de la famille: c'est en essayant de fuir Paul avec Wesley que Jessica Holland (Christine Gordon) a été frappée par la fièvre, suivie de sévères complications...

Résumer l'intrigue du film est d'une grande difficulté, car la narration, qui incombe à Betsy, et donc à la personne étrangère du logis où se déroule l'essentiel de l'action, est marquée par les émotions ressenties. C'est même assez poisseux, pour ne pas dire boueux: de ces boues qu'on trouve à des milliers de kilomètres, dans le Yorkshire, sur la lande... Car le script est fortement inspiré de Jane Eyre de Charlotte Brontë, en contrebande bien entendu. Et puis Tourneur, qui est ici très à son aise, a décidé de laisser les rites Vaudou, et cette atmosphère de sorcellerie au quotidien, dicter le rythme du film.

Bien plus qu'un film d'horreur ou d'épouvante, I walked with a zombie ressemble à un voyage initiatique inachevé, dans lequel le spectateur en saura toujours plus que les personnages, tout en ne disposant pas de toutes les clés. Inachevé, car pour reprendre les mots de la fin de Night of the demon, prononcés par le Dr Holden: "Sometimes it's better not to know", quelquefois il est préférable de ne pas savoir. Et c'est justement le credo de Tourneur, un homme qui prétendait être fasciné par l'occulte et les fantômes, mais qui n'avait pas son pareil pour le mettre en scène avec les artifices les plus simples. Un "croyant" selon ses propres termes qui ne dédaignait jamais de tricher avec le spectateur, d'où l'impression que son film ne voudra pas choisir entre le rationalisme occidental (représenté par la famille Rand-Holland) et l'attrait de l'onirisme et de la culture Vaudou.

Mais voilà: Tourneur s'est senti particulièrement proche de cet aspect du sujet, lui qui avait déjà évoqué le Vaudou dans son court métrage Tupapaoo... Il a donné à ses manifestations de sorcellerie des images sublimes, définitives (et parfois sacrément effrayantes), et a été plus loin encore: car I walked with a zombie, sans se livrer à la moindre exploitation gratuite (contrairement par exemple à Angel Heart d'Alan Parker), est une exploration honnête d'un des fondements du particularisme Vaudou, le fait que c'est un culte qui vient de l'inégalité de l'esclavage et de la nécessité de développer une culture parallèle pour survivre en tant que peuple, pour les esclaves arrivés là contre leur gré, et assujettis à leurs maîtres. Le film souligne fortement cet héritage de multiples façons, en laissant la part belle à une interprétation strictement surnaturelle, qui est opposée mais pas contredite par les interprétations des occidentaux: ce qu'on voit à l'oeuvre dans ce film, c'est donc la confrontation de deux mondes séparés par l'horreur de l'esclavage... 

Tout ceci permet à ce film étrange et formellement très beau, d'accéder à une position très particulière dans l'oeuvre de Jacques Tourneur, un cinéaste qui s'est toujours intéressé aux histoires d'exclusion et d'ostracisme, jusque dans les recoins les plus sombres de Stars in my crown, Out of the past ou Great day in the morning.

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Tourneur Criterion
21 décembre 2019 6 21 /12 /décembre /2019 16:39

1939, en Espagne: les Nationalistes de Franco ont quasiment gagné et les Républicains sont en pleine débandade. Un enfant, accompagné par son tuteur Républicain, arrive dans une petite institution Catholique au Sud du pays, tenue par des sympathisants de la cause perdue, le docteur Casares (Federico Luppi) et Carmen (Marisa Paredes). Carlos (Fernando Tielve), qui apprend à la dure qu'il est venu pour rester dans l'école (son tuteur part sans lui), est un garçon intelligent, qui va être confronté d'abord à la dureté des garçons de son âge, mais aussi à des événements surnaturels: il rencontre le fantôme de l'endroit, un garçon prénommé Santi, dont il va élucider le mystère de la disparition.

Il est aussi confronté à la fin d'un monde, pourtant situé à l'écart des villes et du tumulte de l'arrivée du fascisme. Une fin qui n'aura rien de surnaturel, et qui sera essentiellement l'oeuvre d'un homme, Jacinto (Eduardo Noriega), un ancien pensionnaire devenu concierge et qui garde une rancune particulière envers l'établissement, où il ne reste que parce qu'il sait que la directrice Carmen a de l'or (appartenant aux Républicains) caché quelque part... En attendant de le trouver, il se comporte en véritable cerbère à l'égard des enfants...

Del Toro a conçu ce film comme le premier volet d'un diptyque dont le deuxième volet est bien sûr Le Labyrinthe de Pan, qui lui aussi confronte l'enfance à une certaine forme de surnaturel, sur fonds de Guerre entre Nationalistes et Républicains. Le film est une somme d'obsessions pour le metteur en scène, qui a beaucoup mis de lui-même, tout en respectant la cohérence d'un récit essentiellement Espagnol. Cela n'a pas empêché le réalisateur Mexicain de saupoudrer de sa propre culture cette histoire magnifique: l'anecdote de Santi, le fantôme de l'eau, provient en effet d'une légende Mexicaine; un personnage de jeune garçon fasciné par le graphisme est une réinterprétation de la jeunesse du dessinateur Espagnol Carlos Gimenez, et bien sûr, Carlos est confronté comme Ofelia (Le Labyrinthe) et Elisa (The Shape of Water) d'un côté à une sorte de monstre surnaturel en la personne de ce fantôme vindicatif à la recherche d'une vengeance, de l'autre à un salaud, un bandit sans foi ni loi, qui n'affiche aucune prétention politique, mais dont le manque total de scrupules qu'il affiche nous fait dire qu'il est sans doute très proche du fascisme. De ces deux maux, le pire est bien sûr le deuxième...

Et del Toro accomplit avec ce troisième long métrage une oeuvre rigoureuse et absolument superbe visuellement, dans laquelle il transcrit à sa façon l'univers d'un Mario Bava réadapté pour l'Espagne, dans un décor dont il a choisi chaque centimètre carré, habitant son film de A à Z: choix des acteurs, pilotage du scénario recherche de tous les aspects esthétiques de son fantôme. Un film qui fait peur, mais plus encore par l'horreur palpable et réelle de la présence désormais acquise du fascisme et du Franquisme de l'Espagne de 1939, que par la présence incarnée du mal à travers un fantôme dangereux et jusqu'au-boutiste. D'ailleurs, comme une indication de la direction que va prendre le film, au beau milieu de l'école, une bombe qui s'est enfoncée dans la boue sans exploser, reste, comme un fantôme d'une autre sorte. Une bombe, oui, mais à retardement...

Car Santi fait peur, oui, mais lui, il ne fait pas exploser les enfants quand on le contrarie. Jacinto, si.

Del Toro trouve dans ses garçons qui s'entraident à l'orhelinat après s'être fait la guerre, de nouveaux Chiche-Capons (Les disparus de St-Agil, de Christian-Jacque) mais en moins bavards... Et à travers Casares et Carmen, les deux survivants paradoxaux d'une cause perdue, le metteur en scène nous offre l'image poignante de deux perdants sublimes, et c'est le reflet de toutes les interprétations fictives et littéraires de la Guerre d'Espagne, ce chaos qui aurait pu, ou du faire réagir les autres pays à l'époque...

 

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Published by François Massarelli - dans Guillermo del Toro Criterion
15 décembre 2019 7 15 /12 /décembre /2019 11:31

Un objet magique, un brave homme victime des circonstances, un riche égoïste capable des pires turpitudes afin de parvenir à ses fins, une petite fille innocente et peu loquace, un homme de main dangereux et sans aucun scrupule, et Ron Perlman... L'univers de Guillermo del Toro est déjà en place dans ce premier long métrage, un conte noir et ironique dans lequel le metteur en scène mélange adroitement conte de fées (Grimm plus que Perrault) et horreur, avec une grande pointe d'ironie...

Cronos, c'est une invention diabolique d'un alchimiste pour dominer le temps. Sauf que cet objet entraîne la perte de tous ceux qui le rencontrent sur son chemin. C'est ce qui arrive à Jesus Gris, un antiquaire d'un certain âge, qui découvre à la faveur d'un moment de jeu avec sa petite fille que dans une statue entreposée dans son magasin, un étrange objet attend qu'on le découvre. Mais une fois que cet objet (qui le rajeunit) aura pris possession de lui, c'est trop tard: il est pris au piège, et en plus un Américain, Angel de La Guardia, va tout faire pour s'approprier le système Cronos, avec l'aide de son neveu...

Alchimie, vampirisme, vie éternelle et possession... Ca fait beaucoup pour un seul film? Mais l'univers de del Toro, situé à l'écart des modes et des habitudes des genres qu'il aime tant, est suffisamment distinctif pour que la pilule passe. Et déjà ses héros, le grand-père Jesus et sa petite-fille Aurora, nous sont sympathiques, comme le seront plus tard les personnages principaux de The shape of water. Et le réalisateur s'amuse beaucoup à charger son décor et ses plans d'une multitude de signes qui sont autant d'invitations à suivre la piste: des références systématiques au temps, des statues en pagaille, non seulement chez l'antiquaire, mais aussi chez le bandit qui le poursuit, car celui-ci a passé sans doute des années à chercher le système Cronos, dans toutes les statues de tous les magasins d'antiquité de toute la terre... Cronos est un premier film, mais c'est un beau début, noir et précieux.

 

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Published by François Massarelli - dans Guillermo del Toro Criterion
7 décembre 2019 6 07 /12 /décembre /2019 18:55

Oscar du meilleur film en 1987, ce Dernier empereur a été tourné en Anglais, en Chine. Bertolucci a changé de façon évidente entre les prémisses du tournage (qui d'ailleurs était prévu pour un autre projet), et l'accomplissement parfois dans la douleur, parfois dans la félicité, d'un film qui allait lui faire reconsidérer sa vision politique des choses... Ce n'est pas rien.

Maintenant, il y a essentiellement trois identités de ce film: pour commencer, c'est une bien paradoxale biographie d'un homme qui n'avait pas de quoi se vanter: empereur à trois ans, obligé d'abdiquer avant sa puberté, et maintenu à sa place comme un fétu de paille ou forcé de quitter son palais-prison, puis forcé d'adopter l'idéologie de la Chine Rouge, Pu Yi est un éternel enfant, finalement incapable de se débrouiller tout seul, bref: élevé dans la certitude de sa divinité, il ne sait pas lacer ses propres chaussures. Et par lui, c'est la complexe histoire de la Chine, entre domination Mandchoue et tentation démocratique des Chinois, entre occupation Japonaise et guerres fratricides, entre victoire de Mao et Révolution culturelle, qui nous est contée à travers la vie d'un homme qui n'a pas tout compris et qui est resté toute sa vie un éternel enfant, privé de mère, de nourrice, puis d'enfance, ce qu'un leitmotiv de la première partie nous fait passer par l'obsession mammaire...

Ensuite, c'est bien sûr une prouesse à signaler: parti faire un film en Chine, Bertolucci a du essuyer des refus et des humiliations, avant de se retrancher sur l'histoire de Pu Yi. Mais après ces frustrations, il ne s'attendait sans doute pas que dans un geste de détente, on le laisserait tourner dans la magnifique Cité Interdite de Pékin... Une source de bonheur visuel constant dans le film, clairement. Et cette étonnante intrigue donne lieu à une série de flash-backs puisque toute l'histoire est revécue par Pu-Yi depuis sa prison, car il a été arrêté en tant que criminel de guerre, à la fin de la seconde guerre mondiale. Le metteur en scène tente parfois de trouver un souffle proche de celui de David Lean (c'était dans l'air du temps dans les années 80, voyez Spielberg et Pollack, voire Lean lui même, qui ont tous délivré des films épiques...), et donne à Peter O'Toole un rôle-clé, celui du professeur particulier de Pu-Yi... Enfin, Bertolucci vient à bout de son marxisme avec ce film, dégoûté de la partie de ping-pongé jouée par les autorités chinoises, partie dans laquelle il était, bien sûr, la balle.

Enfin, et c'est bien le problème de ce film, c'est un objet palpable, tangible, qu'on peut juger sur pièces. Il souffre d'un défaut récurrent, inévitable, même s'il est moins gênant que 1900, la fresque tournée par des acteurs qui parlaient quatre langues, et post-synchronisé à Cinecitta... Car je le redis ici, en ce qui concerne le son des films, l'Italie de 1987, est toujours hélas le pays de Mussolini, qui avait imposé le doublage pour contrer l'ingérence étrangère par le multi-linguisme! et Bertolucci, formé dans les studios Italiens, a fait comme d'habitude, c'est-à-dire imposé à ses acteurs de tourner en muet. Ils ont bien dit un texte (en Anglais), qui a ensuite été post-synchronisé pat un boucher charcutier, et c'est immonde... aucune synchronisation dans le film, et c'est encore pire dans la version longue. Le fait que Bertolucci lui-même ne soit pas un expert de l'Anglais n'arrange rien, quand on voit par exemple les efforts pénibles de Ryuichi Sakamoto pour balbutier la langue de Shakespeare.

Cela étant dit, ça n'enlève pas l'étrange majesté du portrait de ce fantoche magnifique, ni la philosophie étonnamment lucide du film, qui nous conte comment un homme finit par donner du sens à sa vie en s'inventant une responsabilité acquise à la dure (quand Pu-Yi découvre par le biais de la propagande Chinoise, les exactions japonaises dont l'empereur Mandchou s'est fait le complice involontaire, il va tenter d'en endosser la responsabilité par moralité), puis en trouvant une authentique occupation en tant que jardinier. Un homme qui a trouvé son sens, et qui finit par assumer... son individualité, tout en se réconciliant dans une ultime et sublime scène, avec son enfance perdue. Un homme privé de tout sens collectif, qui va trouver son bonheur contre le sens de l'histoire. C'en est bien fini du marxisme de l'auteur!

 

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Published by François Massarelli - dans Bernardo Bertolucci Criterion
3 novembre 2019 7 03 /11 /novembre /2019 20:08

Pour commencer, on pourrait prendre la plus légère des deux options, et dire que tout a commencé par un gâteau, un de ces gâteaux trop beaux pour être vrais, que Stephen Neale, un brave homme qui sort d'un sanatorium, a gagné lors d'un jeu organisé à une fête de village. Il s'était rendu là en attendant un train, et ça ne lui a rapporté que des ennuis.

Sauf qu'il y a une autre option, plus lourde et plus riche en analyses de toutes sortes... M. Neale sort en effet de deux années de repos, mais c'était aux frais de l'état, suite à un drame auquel il a participé bien malgré lui: marié à une femme atteinte d'une maladie grave, il n'a pas pu l'empêcher de se tuer, avec le poison qu'il avait lui-même stocké au cas où... C'est un coupable, déjà jugé, et déjà condamné... Par lui même. Il est autant un de ces hommes au destin tourmenté qu'affectionnait Fritz Lang, qu'un parfait candidat à la rédemption...

Et c'est la guerre, et en Grande-Bretagne, le blitz fait rage et avec lui, ses soudaines alertes, ses abris. Et ses espions, bien sûr: Neale, qui vient de se reposer deux années, ne sait pas qu'en se contentant de répondre à des questions que des gens un peu trop polis pour être honnêtes lui posaient, il allait mettre les pieds dans un panier de crabes qui trafiquent des secrets du haut-commandement pour les transmettre aux nazis. 

Comme dans tous les films de Lang, la mise en scène, menée tambour battant, et à hauteur de point de vue d'homme naïf, passe par des signes en tous genres et des étranges contrefaçons: un gâteau qui contient des microfilms, des vestes minées, une valise de livres qui est une bombe, des braves gens qui sont des nazis, un étrange et menaçant petit homme qui pourrait être aussi bien Dieu que le diable, une séance de spiritisme, un réfugié Autrichien et sa jolie soeur qui cachent sans doute des secrets inavouables , un aveugle qui voit, une voyante qui ment, et... J'en passe, tellement il y a de détails réjouissants, dans ce film qui représente à la fois une somme de motifs propres au metteur en scène, et une collection de scènes qui font largement penser à un film Anglais d' Hitchcock: bref, c'est un régal, propagande ou pas!

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Fritz Lang Criterion