Un couple de Parisiens, Marianne (Romy Schneider) et Jean-Paul (Alain Delon), se prélasse à St-Tropez au bord d'une piscine: ils ont emprunté la villa somptueuse d'un copain, et passent tout leur temps dans l'eau, ou autour. Mais un coup de téléphone leur annonce la venue d'un copain, Harry (Maurice Ronet), celui qui a réussi. Il débarque avec sa fille, une jeune femme nommée Penelope (Jane Birkin), qu'aucun des deux ne connaissaient, et les ennuis commencent: car Harry est un séducteur, et il a clairement un passé avec Marianne. Pour sa part, Jean-Paul est agacé par son ami, et intrigué par Penelope...
Si Harry va être le révélateur, on a vu, nous, déjà, qu'entre Marianne et Jean-Paul, c'était compliqué: on passe d'une quasi-étreinte passionnelle au bord de la piscine, avec Jean-Paul qui se dépêche de finir de déshabiller sa compagne, à une chamaillerie qui met un terme aux rapports... De câlin hâtif en bouderie, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. D'ailleurs, quand Marianne lui dit "devine qui vient de téléphoner", Jean-Paul lui répond par une question: "qu'est-ce que tu veux que ça me foute?"
On parle, mais on parle peu dans le film: c'était la mission imposée par Deray à Jean-Claude Carrière. A la place, on regarde et on se regarde, on s'observe, on s'épie... il s'installe très vite un jeu sensuel que le dialogue parcimonieux viendra parfois étayer ou expliciter, et puis parfois pas. Harry dévore Marianne du regard, Marianne a du mal à l'en dissuader, Jean-Paul convoite Penelope, et cette dernière, le personnage qui parle le moins, est en fait celle qui semble le plus sentir le vent tourner, et deviner que derrière cette aimable rencontre de vieux amis, il y a un drame qui se profile...
C'est un huis-clos humide, et il a le paradoxe de se jouer en plein air, par des personnages qui sont, apparemment, en totale liberté, mais choisissent de rester "cloîtrés" autour de la piscine, et celle-ci qui aurait du être le théâtre des passions, va devenir le lieu d'un crime. Deray a beaucoup exploité le fait qu'il n'y a que quatre personnages, si on excepte quelques scènes, et s'est manifestement amusé à sortir du cadre des films policiers plus classiques... Il dresse ici le portrait en creux d'une jet-set piégée dans l'ennui, les faux semblants, et l'échec de l'amour. Et derrière chaque personnage, il semble y avoir des secrets inavouables, du moins en 1969... Le film est connu pour l'érotisme de ces corps autour d'une piscine, mais passé une demi-heure, tout le monde se rhabille, comme pour essayer de cacher les éléphants nombreux qui se cachent dans la pièce...
Un homme du Sud (Nick Nolte), dont la vie est en pleine déconfiture, apprend a tentative de suicide de sa soeur jumelle... Ce n'est pas la première fois, et dans une famille meurtrie, ce n'est pas non plus le premier drame. Il doit se rendre à new York où elle vit, afin de rencontrer le Dr Lowenstein (Barbra Streisand), la psy de Savannah, car cette dernière fait un blocage sur tous ses souvenirs. Tom sera donc la mémoire de sa soeur, et va du même coup vivre deux expériences inattendues: d'une part, il va subir une thérapie imprévue, et d'autre part, il va tomber amoureux...
S'il fallait définir un genre pour ce film (drame sentimentale psychanalytique à révélations dosées?) ce serait une catastrophe, car personne n'aurait envie de le voir! Or c'est une merveille de délicatesse, avec quelques défauts, on ne demande pas la lune et c'est aussi le deuxième film d'une relative novice, après tout... Novice? Voire! Barbra Streisand, qui a produit et réalisé en plus d'interpréter, sait parfaitement ce qu'elle veux, donc si parfois l'impétuosité rocailleuse de Nolte nous énerve (un peu) c'est qu'il est comme ça. La réalisatrice a repris à son compte la méthode d'un Wyler, dont elle a admiré le talent quand ils ont tourné Funny girl ensembles, en la mâtinant de sa propre démarche: des séquences construites autour des personnages, des personnages construits autour des acteurs, et avec une préparation par des semaines intenses de répétition...
Et la réalisatrice, mine de rien, aborde des sujets qu'on n'attendait pas y compris de ces "thrillers psychanalytiques", qui sont souvent plus vides qu'autre chose. Ici, c'est par hasard qu'on découvrira les secrets de la famille Wingo, des secrets enfouis dans la vase des marécages de Caroline du Nord...
Le résultat est là, comme dans Yentl, qui il faut le reconnaître partait de bien plus loi, étant à la fois une comédie musicale ET reconstitution réaliste! On s'attache fortement à ces personnages, et on fermera les yeux sur l'avalanche occasionnelle de bons sentiments. Et le fait est que le film nous montre, sans crier gare, un parcours psychologique qui prend un tournant inattendu et qui passe par l'un des univers les plus absents de toute l'histoire du cinéma! la fragilité masculine... L'approche de la mise en scène nous laisse assez convenablement baba, bien plus que la détestable mode vestimentaire de l'époque...
L'intrigue? Il s'agit de la vie de Rembrandt van Rijn (Charles Laughton), à partir de la mort de son épouse, et la déchéance de plus en plus cruelle de l'artiste qui se refuse à peindre comme on le lui demande... Alexander Korda avait réussi trois années auparavant avec son Henry VIII un coup d'éclat spectaculaire, et entendait bien le refaire...
Mais le cinéma a changé en trois ans: l'évidente coquinerie du film précédent est ici escamotée au profit de l'histoire d'une chute, celle d'un artiste destiné à ne pas être reconnu de son vivant. Pour Laughton, c'est un défi personnel dont il se ire avec les honneurs, celui de montrer la vie d'un homme qui va physiquement changer de manière spectaculaire entre le début et la fin du film. Il est accompagné, pour un temps, par madame Laughton, Elsa Lanchester qui interprète la deuxième épouse du peintre: rien que pour elle, le film vaut le détour!
La peinture reste étonnamment à l'écart du film, à l'exception d'une anecdote autour de la commande de La Ronde de nuit, et de citations, notamment un autoportrait final... En lieu et place, Korda se plaît à recréer les ambiances d'Amsterdam au XVIIe siècle, et du même coup retrouve une part de ce qui fait la peinture du génie. Mais une fois de plus, devant un film de Korda, on se rend compte à quel point il se voulait, essentiellement, le passeur des émotions des autres... Le film ne cache rien, ici derrière l'évocation linéaire d'un génie pictural. Rien, si ce n'est bien sûr le talent pour la composition, une utilisation rigoureuse de l'espace et du décor, et une direction d'acteurs absolument impeccable. On s'en contentera...
Un inspecteur de police, Park Doo-man (Song Kang-ho) mène une enquête compliquée et qui ne mène à rien, autour des meurtres de plusieurs femmes, tous liés par les circonstances: toutes jeunes, violées et étranglées, et tuées durant une averse carabinée. Il est rejoint par un inspecteur de Séoul, Seo Tae-yoon (Kim Sang-kyeong), qui va sérieusement remettre en cause et bouleverser ses "méthodes"...
Les guillemets s'imposent: confrontés à un serial killer en pleine cambrousse, Park et ses collègues sont bien incapables de quoi que ce soit, si ce n'est harceler la population jusqu'à trouver un coupable... Torturer? Pourquoi pas! D'ailleurs ils sont tellement désespérés qu'ils sont prêts à tout, y compris à "inventer" un coupable en désignant à la justice un gamin avec des problèmes mentaux, proie facile et qu'ils manipulent afin de lui faire dire tout et n'importe quoi...
Le film est âpre, violent, tourné dans des couleurs trafiquées pour être toutes plus moches que les autres, avec une teinte générale entre le brun et le verdâtre... Sauf deux nuances: les crimes ont souvent lieu dans un champ de céréales dont la blondeur tranche avec le reste. Et les victimes (pas toutes) ont en commun de porter des vêtements rouges... On oscille entre des scènes à la limite du burlesque, avec les pieds nickelés du poste de police qui se comportent comme des gosses ou des voyous, et le professionnel de Séoul qui n'en peut plus de leur immaturité... Mais le rire s'étrangle très vite, car si les méthodes changent vers plus de logique et d'efficacité, les résultats, eux manquent à l'appel.
Au final, le film nous offre une vision de la façon dont le crime et le mal finissent par tout corrompre, avec la rigueur d'une mise en scène qui choisi de s'arrêter aux faits, saisissant dans l'urgence uniquement les comportements des inspecteurs. La caméra se met presque à les suivre y compris dans leurs égarements, comme pour en suivre la véracité... ca en est même dérangeant, mais c'est voulu: voilà une approche fascinante du film de serial killer, qui semble prendre le genre là où il était, pour le bouleverser totalement.
1744: une petite noble Autrichienne (Elizabeth Bergner) débarque à Moscou. Sa mission? devenir l'épouse de Pierre III (Douglas Fairbanks Jr), l'héritier fantasque du trône après sa tante Elizabeth (Flora Robson). En dépit des frasques du potentiel empereur, le mariage a bien lieu, mais il tourne à l'affrontement, puis à la farce... Avant que le conflit entre les deux époux ne décident la cour à conspirer pour tout faire afin que Catherine ne récupère le trône pour elle toute seule...
Comme tout le monde, j'ai pensé inévitablement à un autre film, sorti la même année, sur le même matériau historique: The scarlet empress, de Josef Von Sternberg, est pourtant très différent... Il s'agit dans cet autre film de montrer l'irrésistible ascension d'une jeune femme romanesque qui se rend tout à coup compte qu'elle est un personnage de roman et semble ne pas avoir trop de mal à accepter cette destinée. Dans le film, la cour est dépeinte comme un lieu assez barbare aux yeux de la d'abord très prude Catherine, et Pierre III est dépeint comme un malade mental, inapte à diriger un pays. Czinner et Bergner (qui n'avaient pas connaissance du film Américain qui se tournait en même temps) pour leur part ont choisi de prendre un autre chemin...
Ca commence dans la comédie, une comédie leste où le marivaudage repose sur du vent: Pierre ne veut pas coucher avec Catherine, et celle-ci s'invente des liaisons fictives afin de le rendre jaloux. C'est que Catherine, interprétée comme elle savait si bien le faire en post-adolescente décalée par Bergner, est amoureuse de son prince, qui ne le lui rend pas bien, mais alors pas bien du tout. Une fois le mariage consommé, le lien entre les deux va se briser, et l'amour laisser la place à la responsabilité pour la jeune femme qui aura freiné jusqu'au bout pour sauver la peau de son mari...
Le film est tributaire de ses trois interprètes principaux, bien sûr, et on retrouve la patte du producteur Korda qui venait de triompher avec son film The private life of Henry VIII. mais ce serait une erreur d'imaginer que ce nouveau film de la London Production n'est qu'un démarquage de leur précédent succès. Czinner et Bergner, habitués à leurs propres méthodes, ont vraiment apposé leur marque sur le film à commencer par cet étrange petit bout de femme, cette actrice qui une fois de plus nous montre un parcours à partir de l'enfance... Bergner a cette fois bien du mal à nous faire croire qu'elle est une adolescente, trahie par sa voix. Elle ne fait aucun effort pour cacher son accent Autrichien, qui après tout sert le film, et elle promène ses grands yeux de scène en scène, sous le regard affectueux de la grande Flora Robson, et avec un partenaire étonnant: Douglas Fairbanks Jr avait un talent fou, et rarement autant de chances de la prouver et de se faire plaisir en interprétant un personnage ambigu... Dont acte.
Voilà, ne nous amusons pas à chercher qui a fait le meilleur film, cela n'aurait aucun sens tant les deux films, qui commencent presque au même moment, et se terminent exactement au même endroit, sont dissemblables et racontent une histoire différente.
Fincher n'avait pas la main sur ce troisième film, comme du reste sur les deux précédents. mais il avait un atout en poche, un sérieux: le succès considérable de Seven, qui venait à lui seul de redéfinir le film de serial killer, et risquait pourtant de cantonner le jeune réalisateur à un genre. C'est à Polygram, alors à la fin de l'aventure, avant que la compagnie ne soit avalée par Universal, qu'on doit cette production ambitieuse, mais qui avait tous les risques de se transformer en un désastre, à cause d'une tendance très prononcée à l'exagération et au n'importe quoi. De fait, le film ne tient pas vraiment debout, mais joue à fond sur la paranoïa du personnage principal et du spectateur, et maintient en haleine. Sinon, à partir de la deuxième vision, apparaît un autre film, une construction certes fragile, mais qui s'avère fascinante, complétant les épopées claustrophobes de Fincher après Alien 3 et Seven... Le metteur en scène, qui n'avait sans doute pas encore le poids qu'il a maintenant, n'a pourtant pas pu imposer sa vision jusqu'au bout, et on se perd en conjectures sur la fin qu'il aurait sans doute souhaité pour cet étrange jeu.
Nicholas Van Orton, un financier d'une excellente famille de la côte venue faire fortune en Californie, se réveille le matin de ses 48 ans hanté par le souvenir de son père, un homme travailleur, conservateur, responsable, et qui s'est tué à cet âge précis. Entre autres tâches ce jour-là, il s'impose de voir son frère Conrad, la brebis galeuse de la famille, les deux frères ne se voyant pas souvent. Conrad lui offre pour son anniversaire une participation à un jeu, une activité mystérieuse, à laquelle Nicholas ne souhaite pas vraiment participer. Mais il va y être amené malgré tout, poussé par la curiosité, le hasard, et une certaine vanité aussi. Mais du moment ou il met le pied dans la compagnie CRS qui organise le 'jeu', plus rien ne marche: ses activités partent dans tous les sens, le danger est partout, et les rencontres inquiétantes ou absurdes se multiplient. Sans aucun recours, Nicholas se retrouve ballotté d'évènement en évènement, hésitant entre l'impression d'une mauvaise farce, ou plus grave encore, une escroquerie à très grande échelle, qui aura sa peau...
Nicholas Van Orton (Michael Douglas) est un insupportable homme en costume, dont il ne faut pas s'étonner qu'il vive seul. Tout lui est du, et seul le travail lui importe. Il est intéressant de constater qu'il vit à San Francisco, l'une des villes les plus ouvertes humainement et culturellement des Etats-Unis... Par contre, Conrad, "Connie" (Sean Penn) est adoré de tous, malgré ses échecs répétés en tous domaines; il a d'ailleurs fait plusieurs séjours en hôpital, et on devine qu'il a une histoire de flirts poussés avec les drogues. Deux facettes d'un même homme? Plutôt une paire de garçons nés dans une même famille, mais soumis à la loi ancestrale du bénéfice à l'ainé. Une des traces de l'héritage atroce d'un tyran, dont les quelques images parsemées dans le film nous montrent qu'il était sans doute encore pire que Nicholas, un rictus d'ennui mortel constamment à la bouche. De fait, Nicholas est en danger de devenir son père, c'est l'un des enseignements de cet étrange jeu qui se joue autour de lui: dès le départ, retrouvant en rentrant chez lui un pantin par terre, dans la position exacte du corps du patriarche après son suicide... Les allusions à son père, et à l'inéluctable ressemblance entre les deux hommes, sont nombreuses dans le 'jeu', jusqu'au symbolique acte final: se réveillant en un endroit inconnu (Au Mexique) dans un cercueil, Nicholas n'a d'autre choix que de vendre sa montre offerte par son père, dernier lien avec le passé. Un autre trait de ses aventures délirantes, c'est le danger croissant auquel est soumis Nicholas Van Orton: les premières épreuves qui lui sont imposées ressemblent surtout à un canular, mais lorsque celui-ci se transforme en aventure avec balles apparemment réelles, ou que le financier est laissé seul dans un taxi qui roule à tombeau ouvert vers la baie de San Francisco, le ton change... Enfin, il y a une dimension morale, mâtinée de drogues. Ce très raisonnable homme divorcé, sans enfants, n'a aucune vie sociale, et le voilà doté d'une chambre d'hôtel qu'il ne se souvient pas d'avoir prise, et dans laquelle les traces d'une orgie de sexe et de drogues, avec photos, pointent le doigt vers une vie dissolue dont il n'avait aucune idée jusqu'à présent... La drogue est une métaphore qu'on retrouve dans le 'jeu', lorsque Nicholas revient chez lui pour constater que sa maison a été vandalisée, avec des graffitis fluo un peu partout, sur l'air du White rabbit de Jefferson Airplane...
En parlant de l'Airplane, le film profite de San Francisco, une ville à laquelle Fincher reviendra d'ailleurs avec bonheur quelques années plus tard. La disposition particulière du relief sert à mettre l'accent sur la façon dont le film progresse: les routes de San Francisco soulignent le relief plutôt que de le contourner, ce qui explique que par endroits, il y ait ces bosses au sommet de certaines collines. Impossible de voir les voitures qui vont débouler d'une minute à l'autre... De même ici, c'est la négation du suspense et le triomphe de la surprise: on ne sait pas, pas plus que Nicholas, ce qui va lui arriver, ni même si c'est effectivement un jeu, ou une escroquerie, ou pire... Seule la tension demeure, une tension dont le malaise est justement amplifié par l'absence de repères. Certains ont décrété qu'il s'agissait d'un défaut du film, mais ce choix de plonger le protagoniste comme le spectateur dans la paranoïa la plus totale était celui des scénaristes dès le départ, et Fincher y a adhéré. Le reprocher au film, c'est comme de reprocher, disons, à Coppola d'avoir situé son adaptation de Hearts of darkness au Vietnam...
Pourtant, Fincher n'a pas gardé le final cut, et a du retourner une partie de son dénouement. Ce n'est pas clair, mais une chose est pourtant sure: il avait approuvé le choix inhérent au scénario, qui expliquait à la fin si le jeu était vraiment un jeu (une grosse farce à la "caméra cachée", mais élaborée à l'échelle d'une ville, avec la complicité de tous), ou une escroquerie à l'échelle d'une vie, dans laquelle Nicholas Van Orton était la "cible", "The mark", en Anglais, pour reprendre une terme du film. Mais il avait choisi de prendre pour la fin une voie inattendue, peu Hollywoodienne, qu'il estimait être plus en concordance avec le caractère particulier de l'homme aliéné qui était le sujet du film. ce n'est pas la fin qu'on peut voir ici, conclusion logique mais qui tend à exagérer le coté délirant du film, jamais totalement crédible, mais qui reste un cas intéressant de machination déstabilisante, pas éloignée de l'idée d'un Truman Show sous cocaïne. Les tribulations sadiques d'un pauvre financier de 48 ans, obligé de suivre une blonde fatale (Deborah Kara Unger) dans les poubelles d'une ruelle sordide ont toujours de la saveur, et même si le contrôle du film lui a échappé, il y a beaucoup de la philosophie noire de David Fincher à trouver dans ce film qui est d'une ironie mordante, même après plusieurs visions, en dépit ou à cause de son sens de la surprise élaborée...
On y trouvera une formidable exploration de l'âme perturbée d'un insupportable conservateur quasi-quinquagénaire, la radiographie d'un rêve Américain qui s'est perdu dans la course aux millions d'un système bancaire qui se mord la queue (Nicholas Van Orton est investisseur, et comme il le dit lui-même, il déplace des dollars d'un projet à l'autre, et ne s'intéresse qu'à ça, autant dire à rien), et enfin le portrait troublant d'une vie paranoïaque sous la coupe d'une sorte d'équipe de cinéma qui aurait oublié de vous donner le script de la superproduction dont vous êtes le héros: bienvenue dans le jeu...
Hong Kong, 1962; deux couples viennent s'installer dans la même maison, dans deux appartements voisins. Les uns et les autres sont souvent réunis, et M. Chow (Tony Leung Chiu-Wai) et Mme Chan (Maggie Cheung) sympathisent, en bon voisinage. Mais le rédacteur en chef et la secrétaire s'aperçoivent au bout de quelques temps que leurs conjoints respectifs (qu'on ne verra jamais, sinon en silhouette) les trompent l'un avec l'autre. Devant ce constat, il prennent la décision de tenter de comprendre comment et pourquoi c'est arrivé, jusque dans les moindres répliques ou gestes possibles...
...Mais le film est difficile à résumer, pour des raisons que je développerai plus bas. C'est une oeuvre hors-normes, à bien des points de vue: le film naît assez clairement d'un besoin, pour le Hong-Kongais d'adoption Wong Kar-Wai, de partager son émotion face à la disparition du monde de son enfance; originaire de Shanghai (comme les protagonistes du film, tous "réfugiés" chez Mme Suen pour les Chan ou M. Koo pour les Chow, qui parlent le dialecte de Shanghai quand ils sont entre eux, et qui vivent entre eux), le futur cinéaste a vécu précisément dans une pension de famille du genre de celles fréquentées par les deux principaux protagonistes. Ce qui l'a poussé à chercher l'endroit rêvé, croire le trouver à Hong Kong, tourner un film, puis aller à Bangkok pour tourner un autre film et y trouver un quartier tellement plus proche de ses souvenirs de Hong Kong, qu'il a pris la décision la plus radicale: recommencer et retourner le film de A jusqu'à Z. De son passage à Hong Kong, sans doute reste-t-il des plans... Mais on ne verra aucune différence à l'écran, et le cinéaste a privilégié une mise en scène et une composition rigoureuses et serrées. Pas de caméra en liberté dans des villes de l'an 2000 qui doivent faire semblant d'être Hong Kong dans les années 1960... Donc la priorité va aux plans fixes, et la précision de la mise en scène s'articule autour des acteurs, le plus souvent captés en intérieur, ou dans des ruelles sombres. ...Gorgées de pluie, cela va sans dire: les intempéries sont omniprésentes et vont jouer un rôle crucial dans la vie de M. Chow et Mme Chan... Et Wong Kar-Wai se joue des contraintes (tourner dans de petites pièces exigues, par exemple) en utilisant toutes les ressources à sa disposition, surtout cet admirable ami du metteur en scène, le miroir, et cette autre roue de secours fondamentale, l'escalier.
On suit donc la vie de deux personnes, saisis dans leur travail, et leur intimité, mais une intimité au vu de tous: M. Chow et Mme Chan vivent en effet, le plus souvent seuls car leurs conjoints voyagent (ensemble, bien entendu), dans de minuscules chambres; ils sont d'ailleurs tentés, une fois l'étonnante situation découverte, de se faire aussi discrets que possibles lorsqu'ils se retrouvent pour échanger sur l'aventure des deux autres. Ils ne sont pas amants, mais se comportent comme si... Puis ils deviennent, de plus en plus, intimes dans leur malheur. C'est une question de dosage, mais la grande interrogation du public est en réalité de savoir, devant leurs tentatives de "reconstituer" comme un crime, la stratégie de tromperie de leurs conjoints, jusqu'où elle a été, et quand elle a a changé. Et aussi, en quoi s'est-elle changée exactement? Un moment, Mme Chan rejoint M. Chow dans une chambre d'hôtel, et elle hésite... Mais finalement elle va s'y rendre, et... on l'en verra sortir, calme et résolue: le dialogue entre eux est très raisonnable: "je viendrai vous voir demain, je vous apporterai à manger", ou encore "j'espère que vous allez bien". Mais avant de partir elle lâche un énigmatique "J'espère que nous ne serons pas comme eux"...
M.Chow, rédacteur en chef d'un journal, a envie d'autre chose; ce désir de changer de vie se manifeste dans sa passion pour la fiction populaire. Il ambitionne d'écrire des romans d'arts martiaux et en parle assez rapidement (avant qu'ils ne s'ouvrent de leur "problème commun") à Mme Chan... Celle-ci l'encourage, et ils vont commencer à écrire ensemble, s'inspirant de leur environnement. Lui écrit, elle lui souffle les idées et s'intéresse à la progression de l'écriture... Mais ce qui aurait pu n'être qu'une anecdote charmante, ou couleur locale du film, joue un triple rôle structurel: d'une part cette sous-intrigue apparaît comme un substitut bien pratique de rapprochement pour deux personnes qui n'ont sans doute pas attendu d'avoir le même souci conjugal pour être attirés l'un par l'autre. Ensuite, elle met en valeur la complicité entre eux, dans une situation présentable, car on le voit dans le film, les convenances sont d'une importance capitale. Enfin elle souligne l'importance de la fiction dans leurs deux vies, marquées l'une et l'autre par des scripts: l'un supervise les articles de son journal; l'autre gère l'emploi du temps de son patron, qui lui confie aussi la gestion de sa propre aventure. Ainsi Mme Chan doit-elle fournir les cadeaux (que lui rapporte son mari) de M. Ho aussi bien pour son épouse légitime que pour sa maîtresse... Elle doit parfois aussi véhiculer ou inventer des excuses. Et ce talent pour l'affabulation, va permettre aux deux personnes de partager leur imagination des détails de l'adultère de Mme Chow et M. Chan, dans une scène d'abord énigmatique.
Mais cette importance de la fiction joue un autre rôle aussi, celui de brouiller les pistes d'une aventure qui ne dit jamais clairement son nom. Car à travers leur recréation de l'adultère des autres, le rapprochement entre Mme Chan et M. Chow est inévitable. La chambre d'hôtel louée par M. Chow est-elle juste un endroit où ils vont pouvoir écrire ensemble (on les voit le faire dans une scène), ou un endroit où ils vont pouvoir imaginer l'adultère? L'imaginer en le détaillant avec des mots ou en le recréant avec des gestes? L'imaginer, ou le vivre? Et si tout ceci n'était qu'un prétexte?
Le film met en exergue avec insistance, l'idée que ce monde sous nos yeux, est un monde disparu, que cette intrigue n'a laissé aucune trace, et que c'est en quelque sorte la marche du monde qui veut ça. C'est pour cela qu'il ressort de In the mood for love l'impression forte d'un kaléidoscope de scènes et de sensations, de possibilités enfin, liées à l'omniprésence dans le film des détails. Parfois un rapprochement entre M. Chow et Mme Chan sera vu par une caméra cachée sous un lit, qui cadre des chaussons abandonnés; parfois c'est un téléphone, qui sonne dans le vide, qui va tout à coup se trouver pris d'un sens plus fort que tout. Et la répétition de motifs est aussi d'une grande importance dans le film. L'un d'entre eux est sans doute le plus célèbre: la première fois, au bout de quelques minutes seulement, on voit Mme Chan évoluer au ralenti, une boîte entre les mains. Elle quitte sa chambre pour aller chercher des nouilles au marché en bas de la maison, et doit donc descendre un escalier. La deuxième fois, Mme Chan descend de nouveau, et en descendant l'escalier croise M. Chow. La troisième fois, celui-ci sera déjà là, l'attendant sans doute: une voisine fera remarquer à quelqu'un que Mme Chan s'habille avec beaucoup de goût pour descendre acheter des nouilles... Cette répétition d'une scène, et ses variations, la musique qui elle reste immuable, tout cela joue un rôle important dans l'énoncé du film. Car cette science du détail, la robe qui emplit l'écran, les bas, les chaussures, le boîte bleue... tous ces éléments visuels se gravent dans la mémoire des spectateurs, et enfoncent le clou: ce n'est pas tant d'histoires qu'on se rappelle, celles-ci finissent par devenir une fiction: c'est d'impressions... odeurs, sons, mais aussi et surtout détails: un vêtement, un lieu, une couleur, une sensation liée à la nourriture (on mange beaucoup dans le film, et on y parle souvent de ce qu'on mange)... L'ensemble du film est ainsi rythmé par les détails.
...Et par la musique: là aussi, la répétition joue un rôle dans l'implantation du souvenir. La musique choisie pour la séquence, qui ne sera pas entendue en entier, est Yumeji's theme, composée par le Japonais Shigeru Umebayashi pour un film de Seijun Suzuki, une valse d'une grande tristesse propulsée par des cordes en pizzicato, et dont la mélodie au violoncelle sera entendue un grand nombre de fois dans le film. Deux chansons de Nat King Cole aussi, aux atmosphères contrastées, chantées en espagnol, et qui fleurent bon les années 60: l'une d'entre elle, Quizas, quizas, quizas, écrite par Osvaldo Farres, répond d'ailleurs semble-t-il à la question: cela a-t-il eu lieu? Peut-être, peut-être, peut-être.
Tous ces scénarios additionnés nous amènent à une conclusion inévitable: si c'est difficile de résumer In the mood for love, c'est parce que, comme le dit le générique, avant et après, c'est une histoire qui n'a eu aucun témoin, pas même nous, et qu'il semble qu'il y en ait plusieurs versions. On le voit d'ailleurs, comme Wong Kar-Wai décidant de reprendre le tournage de son film à zéro, Maggie Cheung et Tony Leung tentent ensemble d'imaginer une séduction du mari et de l'épouse, et s'y reprennent à plusieurs fois. Des fois, on se dit qu'ils ont su rester à l'écart de la tentation, des fois il est inévitable que non. Des fois on se dit que leur rapprochement est un accident, des fois on pense que ça pourrait bien avoir été l'idée depuis le début... Et une fois, on les voit se dire adieu trois fois de suite: Mme Chan fond en larmes, et M. Chow lui dit: ce n'est pas grave, on répétait la scène...
A la fin, on ne sait sans doute pas totalement ce qu'on a vu, mais on sait qu'on a vu quelque chose: car des éléments objectifs surnagent: M. Chow est parti (seul) pour Singapour, où il travaille, Mme Chan a quitté la pension elle aussi. Elle l'a finalement rachetée... Et elle y vit seule avec son fils unique. M. Chow le sait parce qu'il est revenu un jour, et qu'il est passé devant sa porte: elle a choisi la chambre des Chow pour y vivre. Enfin, M. Chow, à Angkor en 1966 pour y effectuer un reportage sur la visite de De Gaulle au Cambodge, a été au plus profond d'un temple, et y a déposé un secret, à l'abri des regards. Puis, après, plus rien.
Le leader syndical Jimmy Hoffa a disparu mystérieusement le 30 juillet 1975, dans des circonstances qui ne seront jamais élucidées. Pourtant un homme, l'un de ses amis, a raconté avant de mourir dans un livre les circonstances de sa disparition, une hypothèse bien sûr, mais c'est cette histoire qui nous est contée ici.
Et pas que celle-ci d'ailleurs, car Frank Sheeran (Robert De Niro) a plus d'une anecdote à raconter sur sa vie de routier, puis de petite main du crime organisé, puis de bras droit d'un système syndical qui ressemble aussi à du crime organisé... Ces anecdotes, toutes plus croustillantes les unes que les autres, nous sont contées par Frank, retraité et placé dans un foyer (ici on dirait "un EHPAD"), manifestement mal en point. Il nous raconte qu'il "peignait" les murs des maisons, mais le plus souvent en rouge...
Son récit est organisé autour d'une journée particulière durant laquelle Frank, son épouse Irene (Stephanie Kurtzuba) , mais aussi leurs amis Russ (Joe Pesci) et Carrie Bufalino (Kathrine Narducci), ont roulé pour se rendre à un mariage. Mais le chemin est entrecoupé de flashbacks qui remontent jusqu'à 1949, et vont retracer la vie dans l'ombre des gens très louches, d'une sympathique mais dangereuse petite main de la mafia...
Sympathique, ô combien: c'est parce qu'il est un brave type et qu'il a le coeur sur la main que Frank va commencer à travailler pour les gangsters, à commencer par "Skinny Razor" (Bobby Carnavale) en volant les quartiers de viande premier choix pour son compte parce que le gangster a un faible pour le steak... Puis de fil en aiguille il va se rendre indispensable, à Razor mais aussi à Russel Bufalino, un gangster qui n'a jamais un mot plus haut que l'autre (et à ce titre, le Joe Pesci post-retraite est fascinant à voir par sa retenue!) y compris quand il fait exécuter quelqu'un, et Frank va donc se tailler une petite vie tranquille et à l'abri du besoin, en effectuant avec efficacité des boulots divers...
Mais le film nous montre bien que cette réussite apparente cache une blessure de plus en plus vive, les relations avec sa fille Peggy (Anna Paquin) étant plus que compliquées... Car je le disais plus haut, Frank est dangereux, et sa fille qui l'a vu à l'oeuvre, le sait.
La narration à la Goodfellas, qu'on retrouve aussi dans Casino et The wolf of Wall Street, fait ici merveille, sans jamais passer à d'autres narrateurs. C'est toujours Frank qui nous parle, comme on se confesse, comme on dépose aussi, comme le vrai Frank a du le faire pour le journaliste Charles Brandt quand ils ont ensemble écrit le livre I heard you paint houses, sorti en 2004, et qui était la confession testamentaire de Sheeran...
Nous passons donc dans un maelstrom d'informations, d'un vieil homme qui nous raconte sa vie à des conversations philosophiques, sur la politique, la cuisine Italienne, ou que sais-je encore, et parfois des conversations muettes, les hommes ici n'ayant pas leur pareil pour développer d'un seul regard tout un palabre... Surtout quand il s'agit de tuer quelqu'un. La narration est d'ailleurs émaillée de petits moments inattendus, quand on rencontre un personnage, un texte sur l'écran nous détaille les circonstances historiques de sa mort pendant que le récit continue, ce qui est d'une diabolique efficacité, à la fois pour rassurer les tenants de la morale qui s'émeuvent à chaque film de Scorsese d'une vision du crime qui serait par trop séduisante, mais aussi pour faire avancer la thèse du film, qui est qu'on paye tout, à un moment ou à un autre...
Et c'est cette obsession de la faute, telle que la ressent Frank, qui est la colonne vertébrale du film, plus que la pourtant réjouissante amitié permanente de ces gens qui font exécuter leurs hommes d'un claquement de doigts. La faute qu'il ressent très tôt, vis-à-vis de sa fille qui l'a vu rosser violemment un commerçant qui lui avait manqué de respect quand elle était petite... Puis la faute d'une trahison, consciente, ressentie et douloureuse, qui est le centre du film.
Dans Goodfellas et les deux autres films, la rédemption passait par le retour à la vie civile, après une période de magnificence forcément crapuleuse. Ici, Scorsese nous indique qu'il n'y aura pas d'échappatoire, et que le salut ne passe que par la mort. Le crime, c'est ici la démonstration, ne paie pas. Peut-être aussi que la différence s'explique par le fait que Frank, contrairement aux personnages des autres films, est un rouage, un osbcur, un sans-réel-grade...
...ce qui n'empêche évidemment pas le film d'être, sur ses 209 minutes, totalement réjouissant, passionnant et constamment drôle. Le retour de De Niro et Pesci dans l'univers de Scorsese, l'arrivée de Al Pacino (en Jimmy Hoffa, et si c'était possible, il réussit enfin à ne pas en faire trop!), la présence de Bobby Carnavale, de Stephen Graham (génial dans le rôle d'un sous-lieutenant du syndicalisme, disons, agressif) dans ce film sont autant de plaisirs... Je suis plus circonspect quant à l'option choisie par Scorsese, de "rajeunir" et parfois vieillir aussi, ses acteurs via un procédé numérique qu'il a choisi de pratiquer sans filet (sans les capteurs qui sont habituellement utilisés dans cette technique), car il en résulte une irrégularité qui se voit; mais le choix permet au moins aux acteurs d'interpréter à plus de 70 ans, des personnages sur l'essentiel de leur vie, et je le répète: de Niro, Pesci, Pacino, et j'en passe...
Donc le crime ne paie pas, mais il vous permet manifestement de passer du bon temps: je parle ici de Netflix, qui un jour ou l'autre nous privera des salles de cinéma.
David Byrne est bien sûr le célèbre (?) musicien Américain, chanteur, guitariste, auteur et compositeur qui pour une bonne partie de sa carrière a été associé au groupe les Talking heads, avec lesquels il a fait le grand saut dans le funk et la world music. Mais dans les années 80, ils ont aussi commencé à explorer, après l'apport extérieur essentiel de la musique Africaine, les racines intérieures et traditionnelles de la musique populaire Américaine... le folk, la country notamment.
Et ce film est à la fois une source et un prolongement pour le groupe: une source car c'est devenu pour Byrne cinéaste et Byrne compositeur une occasion de faire appel au groupe, et par là-même un nouvel album; et un prolongement parce que l'esprit particulier, le ton délibérément alien de ce film ont tout à voir avec ce qu'étaient les Talking heads depuis le début: des observateurs de l'ordinaire, mis en musique d'une façon souvent innovatrice...
Pour son unique long métrage, assisté de l'excellent chef-opérateur Ed Lachmann, Byrne incarne un visiteur extérieur d'une petite ville fictive du Texas, un état dont il nous retrace d'ailleurs l'histoire compliquée dans un montage hilarant. Il est habillé à la mode Texane, vue de loin, avec de très très larges Stetson, et il parcourt les routes plates et mornes du Texas qu'on voit défiler en transparence derrière sa belle voiture rouge décapotable. Et il s'intéresse aussi bien à des gens, qu'à des anecdotes, avec une constante: aucune conclusion, aucun jugement sur tous ces gens qui se préparent à fêter le 150e anniversaire de leur petite bourgade: l'informaticien à la pointe, le brave coeur solitaire qui cherche l'âme soeur, le couple de notables qui ne se parlent plus, la femme qui ment comme elle respire, le prédicateur paranoïaque, le prêtre vaudou, et la femme qui aura fait par pure paresse la plus longue sieste du monde, tous partagent d'être inspirés par ces titres de journaux parfois loufoques qu'on trouve parfois dans ces journaux à bas prix qu'on peut acheter partout... Et tous vont se retrouver autour d'un radio-crochet.
C'est très étonnant, dans la mesure où au delà des anecdotes concernant chacun des personnages identifiables, le film ne raconte finalement rien du tout! Mais il diffuse une étrange et très confortable douceur, une espèce de vision rassurante de l'humanité, car ici, Byrne ne cherche pas à accuser, montrer du doigt ou critiquer qui ou quoi que ce soit, juste s'amuser autour d'un folklore en se laissant vagabonder au gré des idiosyncrasies des uns et des autres. Pour revenir aux Talking heads, il souhaite regarder de plus près, sans les effaroucher, les "Little creatures" dont il parlait dans la chanson du même nom. Il s'est aussi entouré de toute une troupe, parmi lesquels on retrouvera des têtes connues: l'actrice Swoosie Kurtz, mais aussi Spalding Geay et surtout John Goodman, ou encore des musiciens, des vrais, établis (Paulinnho da Costa), des locaux (Esteban "Steve" Jordan y los Vampiros) et même d'illustres inconnus, invités à participer à l'étrange célébration...
Séduisant, mais condamné dès sa sortie: personne ne s'est déplacé pour aller voir le film...
Commençons si vous le voulez bien par une digression: The great escape ou La grande évasion comme on l'appelle ici, est un filmouth à mes yeux. Le filmouth, c'est un type de film quasi exclusif aux années 60, lorsque le cinéma, donc les salles, leurs exploitants, les studios qui fournissaient les films, et les auteurs eux-mêmes, se sont alliés autour d'un objectif: faire concurrence à la télévision, et le faire avec du spectacle. Des films qui ont le point commun d'être longs, très longs même (ce qui ne devrait gêner personne à l'heure du binge-watching, mais curieusement aujourd'hui dès qu'on parle d'un film, si on dit "il est long", tout de suite les gens baillent, ou pire: ils se font une opinion à la seule mention de l'adjectif), mais qui ne sont pas des peplums, ces derniers étant un genre à part: des films spectaculaires certes, qui ne peuvent pas être courts! Pas moyen de traiter Ben-Hur en 90 minutes, semble-t-il, ou de traiter du cas de Moïse en moins de deux heures... Les filmouths sont donc aussi bien des films de guerre (The longest day), comédies musicales (My fair lady), fresques légères (Those magnificent men in their flying machines), fresques moins légères (Doctor Zhivago), westerns (How the west was won) et même comédies (It's a mad, mad, mad world, The great race). Ils font un usage sans retenue du Technicolor, certains expérimentent (stéréo, notamment) et se présentent le plus souvent comme des spectacles prêts à l'emploi, avec ouverture, entr'acte et exit music, ce qu'on appelle la présentation "road show". Bref, il s'agit de rappeler qu'ils sont avant tout du spectacle...
Et c'est sans doute pour ça que The great escape, film d'évasion qui présente l'un des possibles envers du décor de The longest day, chronique patiente et aussi exhaustive que possible des tentatives d'évasion d'un groupe d'officiers Anglais et Américains prisonniers en Allemagne, est un fleuron du genre. Parce que tout y est méthodiquement dévoué à préparer et accomplir le spectacle: c'est le Puy du fou sans la fausse histoire et la propagande d'extrême-droite, si vous pouvez imaginer ça.
Je suppose que dans la genèse du film, The magnificent seven a beaucoup joué: après tout le principal apport de ce western, le seul point qui puisse être considéré comme un atout sur le film de Kurosawa, c'est dans les choix de casting. Là où Les sept samouraïs se consacrait surtout à la geste globale en se concentrant un peu plus clairement sur quatre des sept personnages principaux, Sturges choisissait de consacrer finalement le même effort à ses sept spécialistes, au risque d'apparaître un peu mécanique (et au risque de pousser l'un d'entre eux à tout faire pour se faire remarquer). The great escape sera donc un film envahi de personnages, et chacun des huit à dix Anglo-saxons les plus importants sont définis, chacun d'entre eux possède son arc narratif.
le camp est dirigé par un soldat, le colonel Von Luger, qui semble répugner à dire "Heil Hitler"... Les Allemands du film, c'est un point important, sont des Allemands, pas des nazis: on retrouve la même préoccupation que celle de The longest day, de décrire une histoire en évacuant au maximum les tensions particulières liées à la situation idéologique spécifique de la seconde guerre mondiale. La Gestapo et la SS sont donc bien présents dans le film, mais surtout comme des menaces, et notamment un destin qui pend au nez de l'officier Bartlett, qui prend sur lui de diriger les manoeuvres d'évasion dans le camp, et se voit signifier sans détour que la prochaine tentative d'évasion lui vaudra le peloton d'exécution. Mais pour l'essentiel, le film partage avec La grande illusion, et avec Stalag 17, l'impression de surface, qu'être prisonnier de guerre est d'abord une sorte de compétition sportive assortie d'une obligation de s'évader...
Et c'est là que le film bénéficie grandement de la présence à la barre de John Sturges... Le metteur en scène a réussi à éviter tous les écueils, en donnant à ce camp qu'on découvre avec l'arrivée de tous les prisonniers importants une lisibilité permanente. Et l'intrigue dose savamment les parcours des uns, permettant à chacun de se faire remarquer, sans pour autant voler la vedette à qui que ce soit, car... il y a Steve McQueen! C'est quand même lui qui a tout fait pour qu'on ne voie que lui dans The magnificent seven, et qui y est quasiment parvenu avec subtilité: un tour de force! En lui confiant le rôle de la forte tête qui passe le plus clair de son temps au trou, Sturges a résolu la quadrature du cercle...
Et tant qu'à faire, le metteur en scène a repris pour son nouveau film James Coburn et Charles Bronson, des acteurs chevronnés qui n'ont pas leur pareil pour composer des personnages à partir d'un rien. Une tendance qu'on retrouve dans le reste du casting, dominé par les acteurs Britanniques. James Donald, David McCallum et surtout Richard Attenborough sont ceux qu'on remarque le plus... Une fois que tous ces hommes se sont donné une mission, s'évader, que les rôles ont été distribués, chacun sa fonction, que le ton est donné, le film marche tout seul.
Jusqu'à l'évasion elle-même, modèle de précision et de suspense... Après avoir cantonné ses prisonniers et son public dans le camp, Sturges étend l'univers du film au gré des histoires de chaque évadé, détaillées devant nous, et c'est là que le film rejoint l'Histoire, et nous rappelle qu'il n'est pas la Grande vadrouille: car si s'évader est distrayant, ça oui, en face, on a la gâchette facile, et on verra que la plupart de ces évasions (qui sont généralement inspirées de parcours réels) sont vouées à l'échec. Mais que voulez-vous, un camp de prisonniers, disait Fresnay à Stroheim dans La Grande Illusion, c'est fait pour s'évader... James Donald, en officier supérieur Anglais, rétorque ici à on homologue Allemand que c'est même le devoir solennel de chaque officier de s'évader. Mais la dernière heure du film consacre justement le destin de ces hommes au-delà du folklore, et avec une incroyable économie de moyens, nous rappelle avec dignité que les enjeux de cette guerre contre la barbarie étaient sans doute bien plus importants que le geste sportif de s'évader. La petite histoire rejoint même à sa façon la grande, comme dans ce moment qui nous montre la rencontre d'un de ces évadés (James Coburn) avec la Résistance Française... Et c'est ce qui permet à ce filmouth qui aurait pu tourner à l'exercice boursouflé, qui accomplit l'exploit de drainer encore les foules quand il est montré à la télévision, d'atteindre une vraie réussite.