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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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6 avril 2015 1 06 /04 /avril /2015 16:52

René Clair est encore un peu un amateur après ses quatre premiers films: Paris qui dort est un moyen métrage bricolé, Entr'acte un exercice de style vampirisé par l'esprit Dadaïste, et Le Voyage Imaginaire et Le fantôme du Moulin rouge, aussi sympathiques soient-ils, sont des fantaisies qui tirent un peu à la corde. La proie du vent, en revanche, est une commande de la compagnie Albatros au jeune cinéaste, basée sur un scénario qu'il a écrit, mais qui se doit de rester fidèle au roman d'origine, L'Aventure amoureuse de Pierre Vignal d'Armand Mercier. Charles Vanel, dans le rôle de l'aviateur perdu Pierre Vignal, s'y retrouve suite à une tempête dans un mystérieux château où une jeune femme prétend être séquestrée. Le héros décide de passer outre son attirance pour la châtelaine (Lillian Hall-Davis, qui tentait alors une carrière internationale) et d'aider l'infortunée prisonnière (Sandra Milowanoff)...

Un film de René Clair muet, c'est forcément intéressant, même si la fantaisie absurde si chère au cinéaste est absente de ce poème visuel. De toute façon, il laisse encore et toujours l'image et le mouvement primer sur le verbe, et si le scénario est très moyen, l'interprétation est extrêmement convaincante. Vanel prête tout son côté ombrageux au pilote qui ne sait pas vraiment à qui se fier, entre les deux femmes qui l'entourent. Et le spectateur, qui en sait juste un peu plus, grâce à un prologue trompeur, est bien obligé de céder à son point de vue: on sait que la prisonnière a été séquestrée lors d'une guerre, que son mari, Jean Murat) présent au château, a été libéré avant elle, mais que les codétenues lui ont dit que cette libération était louche. Quel jeu joue la châtelaine? Quel jeu jouent le mari, et le mystérieux docteur Massasky (Jim Gérald)?

On est en 1926, et Hitchcock n’a pas encore accompli son long parcours au pays du suspense et du point de vue, mais ce sont des éléments que le cinéma explore déjà et René Clair n’est pas en reste : dans ce film, il y a des effets de suspense, de fort belle tenue (sans parler d’une situation alambiquée qui rappelle un peu Notorious, à moins que ce ne soit que mon impression!), et un passage de l’autre côté du miroir qui s’effectue par le jeu du point de vue : Vanel comprend que quelque chose se trame entre la châtelaine qui l’attire, et le beau-frère de celle-ci qui garde ses interventions au château furtives. Clair fait passer les choses en utilisant en apparence le regard Vanel regardant une fenêtre illuminée, occupée par deux personnes dont il ne fait que deviner la présence; pourtant la séquence nous présente plus sûrement un rêve, dans lequel le personnage va trouver de quoi alimenter ses doutes, ainsi qu’une rocambolesque confrontation avec le beau-frère, armé. La scène est introduite et conclue par le même mouvement de caméra, mais inversé : on s’approche de la fenêtre, on en repart… L’utilisation du point de vue est ici magistrale.

Et puis Clair utilise à merveille la ressource de ses acteurs: Vanel va plus loin dans ce film que son personnage ombrageux habituel, il est un homme partagé entre le désir et une cause perdue; entre deux femmes donc, dont Clair s'amuse à brouiller l'impression qu'elles donnent au spectateur: si Lillian Hall-Davis joue la douce châtelaine et Sandra Milowanoff la soeur folle, cette dernière finit par nous convaincre tandis que l'autre installe une ambiguité... qui une fois de plus tient du point de vue de Pierre Vignal. Enfin, personnage essentiel mais toujours filmé de loin, Jim Gerald compose une silhouette rendue inquiétante de médecin louche, inquiétant parce qu'on ne va jamais vraiment le voir, et rendu plus étrange encore par le choix de s'être rasé la tête: à mille lieues de ses compositions de grosse brute dans les deux films suivants de René Clair...

Le jeu des acteurs et la gestion par René Clair de cette histoire constamment sur le fil entre rêve et réalité (D'ailleurs situé au-delà d'un long voyage, pour lequel l'aviateur Vanel a dû traverser les nuages...), font qu’on râle un peu quand on lit une critique contemporaine du film qui nous dit qu’une bonne part de ce film consiste essentiellement à montrer des gens bien habillés dans une vaste demeure richissime. Du coup, on applaudit à tout rompre lorsque tout à coup Vanel se décide et se précipite sur la châtelaine... dans le rêve. Mais il y a aussi, vers la fin, une jolie poursuite en voiture... Et enfin, on se réjouira surtout que cet exercice de style extrêmement soigné ait permis au cinéaste d’expérimenter en dehors de son cadre habituel (pour un type de film dramatique auquel il ne reviendra jamais) et ensuite de faire ce qu'il voulait dans ses deux films suivants: deux chefs d’oeuvre, tous deux tirés de classiques du théâtre populaire, Un chapeau de paille d’Italie (1927) et Les deux timides (1928).

 

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Published by François Massarelli - dans Muet René Clair Albatros 1926
4 avril 2015 6 04 /04 /avril /2015 10:50

Ray (Tom Hanks) a sans doute trop travaillé, et il a pris une semaine de repos avec l'intention bien claire de ne rien faire. Mais alors rien... Et comme James Stewart dans Rear Window, mais avec la mobilité en plus, il observe inévitablement ses voisins dans leur vie de tous les jours, ce qui désole son épouse Carol (Carrie Fisher). Mais dans ce qu'il voit, il y a surtout un problème: leurs nouveaux voisins, les Klopeck, que personne n'a jamais vu, qui un jour ont remplacé le couple de retraités qui vivaient avant dans leur vieille bâtisse toute vermoulue... Ils font des bruits étranges, ils ne se sont pas présentés ce qui est une faute de goût dans toute banlieue qui se respecte... Le mystère va s'épaissir avec la disparition soudaine d'un autre voisin, Walter, mais aussi avec la découverte d'un fémur par un chien, juste sous la palissade qui sépare la maison de Ray de celle des Klopeck. Ray, son copain Art (Rick Ducommun) et le vétéran du Vietnam Mark Rumsfeld (Bruce Dern) mènent l'enquête, avec de biens piètres résultats...

Dans la longue, tumultueuse et étonnante carrière de Dante, The 'Burbs se situe entre sa participation à Amazon women from the moon, le film à sketchs de John Landis (Intitulé Cheeseburger film sandwich dans notre pays, et ce titre franchouillard est probablement ce que le film a de meilleur) et le long métrage controversé et haï par lequel il a tout perdu, Gremlins 2: The new batch. On peut considérer que The 'Burbs est l'aboutissement de sa carrière de réalisateur, même si les avis sont lourdement partagés. Avec son pedigree étrange, un tiers parodie de film fantastique, un tiers de satire joyeuse et grinçante de l'esprit de la banlieue, et Joe Dante oblige, un tiers de méta-film sur le rapport compliqué entre les terribles choses à voir et celui qui les voit avec fascination et un peu de pop-corn: un cocktail trop compliqué pour les vieilles gloires de la critique que sont les Roger Ebert et autres distributeurs impénitents de bons points, de notes et d'étoiles. Pourtant j'émets une hypothèse: The 'Burbs est son meilleur film, celui dans lequel justement il ne se force pas à choisir entre le fantastique et sa parodie, tout en se livrant à ce qu'il fait de mieux, la critique de nos médiocrités vues par le biais de la fascination envers nos médias. Tom Hanks et ses copains dans ce film sont des minables, des losers, et des beaufs de premier choix. Et comme le fait remarquer l'un d'entre eux, après avoir passé un film entier à chercher la petite bête pour expliquer par les plus alarmantes et les plus désastreuses hypothèses le comportement quelque peu étrange de leurs voisins les Klopeck, les êtres maléfiques, ce sont sans doute eux, ces Américains moyens qui s'arrogent le droit d'aller espionner chez leurs voisins parce que leur médiocrité ne ressemble pas à la leur...

Et la comédie avance à coup de parodies réjouissantes, enchainées sans temps morts (Ah, la parodie de western à la Leone, avec gros plans des yeux d'un caniche!) et d'allusions au péché mignon de Dante, l'insertion de séquences dans lesquelles des enfants regardent la télévision, ou encore les extraits des films que regardent les protagonistes. Dante s'est fait plaisir, avec ici des extraits magnifiquement insérés de Texas Chainsaw massacre, de The exorcist et d'un autre film particulièrement bien choisi; et il y a Ricky (Corey Feldman), un ado qui prend toute cette affaire en spectateur, et pour les dernières 45 minutes du film, s'installe sur sa terrasse avec tous ses copains et des pizzas, pour assister à l'étrange film qui se déroule sous leurs yeux... Joe Dante a réussi à transformer la banlieue Américaine en un film trépidant, qui s'en plaindrait? Les critiques, aparemment.

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Published by François Massarelli - dans Joe Dante Comédie
22 mars 2015 7 22 /03 /mars /2015 18:25
Sweeney Todd (Tim Burton, 2007)

Sweeney Todd est, une nouvelle fois après Corpse Bride, une fantaisie musicale de Tim Burton, adaptée d'un musical à succès (De Stephen Sondheim, en 1979), et qui permet à Burton une plongée dans l'Angleterre Victorienne, et un retour après Sleepy Hollow à l'horreur façon Hammer. Tout ici sonne comme un aveu d'amour au cinéma Anglais, depuis le choix des acteurs, tous Britanniques sauf Johnny Depp, jusqu'à la description d'un Londres suant, suintant et sordide, dont la boutique de tourtes révulsantes de Mrs Lovett (Helena Bonham Carter devient le symbole de tout ce que cette ville a de délicieusement malsain...

Le mystérieux Sweeney Todd (Johnny Depp), au visage si triste, sombre et menaçant, arrive en compagnie d'un jeune marin à Londres, une ville qu'il a quitté il y a longtemps. Il y vient, on l'apprendra vite, pour une vengeance, car il y a perdu sa femme et sa fille: parce qu'il convoitait son épouse Lucy (Laura Michelle Kelly), l'influent juge Turpin (Alan Rickman) n'a eu qu'un mot à dire pour faire arrêter l'innocent barbier Benjamin Barker, et tenter de lui ravir sa femme. mais celle-ci, harcelée par la cour malsaine et victime d'un viol orchestré par Turpin, n'a eu d'autre ressource que de prendre du poison. C'est ce qu'apprend Todd alias Barker à son arrivée, de la bouche de la gouailleuse Mrs Lovett, qui l'a reconnu. Elle propose à Todd de s'installer dans son ancienne boutique, située juste au dessus de son restaurant, et les circonstances vont mener Todd, au rasoir leste, et Lovett, qui peine à trouver de la viande de qualité, à s'associer en attendant que le barbier ne réussisse à se venger du juge, et récupérer sa fille Johanna (Jayne Wisener). de son côté, le marin Anthony (Jamie Campbell Bower) a croisé Johanna désormais sous la tutelle de Turpin, est les deux sont tombés amoureux...

Quelques morts violentes plus tard, on peut constater que cette fois, Tim Burton semble ne pas avoir pris de gants: si on peut penser à Edward Scissorhands lorsqu'on voit Depp, un rasoir dans chaque main, on doit aussi reconnaitre qu'on est bien loin de l'innocence des personnages habituellement campés par l'acteur, et aussi des personnages de premier plan qui peuplent généralement l'univers du metteur en scène. Et le Londres sombre légèrement mais surement teinté de rouge sang est un univers qui ne pardonne pas, et dans lequel les gentils marginaux ont laissé place à des monstres, que ce soit Todd-Barker et ses rasoirs, Mrs Lovett qui voyant arriver dans sa boutique l'homme qu'elle a tant convoité quinze ans auparavant ne laisse pas passer l'occasion de se l'approprier, ou encore ne s'embarrasse pas de scrupules au moment de transformer voisins et passants en nourriture qu'elle sert ensuite avec entrain... Turpin, aidé de son âme damnée le policier Beadle (Timothy Spall, encore plus répugnant qu'à l'habitude), n'est pas en reste!

...Pourtant, on ne peut s'empêcher de sentir l'exercice vite fait bien fait, une sorte de fin de mutation de Burton en habile faiseur, en illutrateur de concepts qui lui sont, finalement, étrangers: Sweeney Todd, avec l'alégeance de Danny Elfman à Stephen Sondheim, c'est l'oeuvre musicale, transposée au cinéma, avec métier, avec talent, même, de la part de tous les protagonistes. C'est un bon, voire un très bon film... Mais Burton n'a pas grand chose à y gagner ni à y démontrer. On l'a vu depuis avec un navet cosmique (Alice) et un film d'auto-parodie (Dark Shadows), la métamorphose de l'auteur s'est finalement achevée...

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Published by François Massarelli - dans Tim Burton
16 mars 2015 1 16 /03 /mars /2015 07:31

La Floride, dans les années 1970; Finn Bell, un garçon d'une dizaine d'années, fait la rencontre la plus inattendue de toute sa vie: il marche dans un lagon à la recherche de poissons qu'il va ensuite dessiner, lorsqu'il se fait agresser par un homme dissimulé sous l'eau. C'est un évadé, il lui intime l'ordre de l'aider et de lui ramener de la nourriture. Finn s'exécute, et aide l'homme à quitter les lieux et rejoindre le Mexique, mais il sera vite repris. Le jeune homme retourne à sa triste vie, auprès de sa soeur Maggie et du compagnon de celle-ci, Joe, un brave homme qui pèche et survit de petits boulots dans la fragile communauté locale. Finn est "convoqué" par l'excentrique et richissime Nora Dinsmoor pour tenir compagnie à sa petite nièce Estella, et Finn obéit, tombant vite sous le charme vénéneux de la jeune fille, qui déjà bien délurée. Ils vont passer des années à se fréquenter sous le patronnage de la vieille dame, et essentiellement danser pour elle au son de Besame Mucho. Il est de notoriété publique que Nora Dinsmoor s'est retirée du monde lorsque son fiancé l'a quittée juste avant le mariage, et il semblerait que cet évènement ait laissé quelques traces. Le temps passe, et Finn, devenu un jeune adulte, est de plus en plus amoureux d'Estella. Un jour, pourtant, celle-ci part à New York, et le jeune homme cesse immédiatement ses visites chez la vieille dame, pendant sept ans. Au bout de cette période pourtant, Finn qui a plus ou moins cessé de peindre, reçoit une étrange invitation pour se rendre à New York, ou on l'invite à exposer son art... Il soupçonne que Nora Dinsmoor est celle qui a payé l'avocat qui l'a contacté et fourni les moyens nécessaires à son déplacement. Il se rend donc à new York...

La structure en feuilleton riche en péripéties, la thématique d'un jeune homme qui devient le jouet des revanches et desseins plus ou moins noirs des autres d'une part, et de son propre destin farceur de l'autre, tout ça vient bien sûr du Great Expectations de Dickens, mais c'est transposé en Floride, dans les années 80 et 90... Cuaron, qui avec son deuxième film (Little Princess) avait réalisé un conte de fées modernes, semble s'amuser ici à donner une sorte de vérité aux délirantes aventures de Finn. Le rôle principal a été confié à Ethan Hawke, qui s'en sort assez bien tant qu'il ne devient pas trop le moteur de l'action, en revanche il peine à nous faire accepter son passage à l'âge adulte, tant y compris à 26 ans, Hawke ne parvient pas à en faire plus de 18! Face à lui, Gwyneth Paltrow joue avec retenue le rôle de la garce lasse qui se joue de Finn parce que sa tante lui a confié la mission de venger le traitement qu'elle a subi des hommes, et C'est Robert De Niro, forcément fantastique dans un tel rôle, qui a la charge d'incarner le condamné évadé qui va déclencher l'appel du large chez le jeune Finn... Si on ajoute à ce casting rien moins que Anne Bancroft (Dinsmoor), Chris Cooper (Joe) et Hank Azaria (Walter, le fiancé d'Estella à New York), on voit que Cuaron et la Fox ont mis toutes leurs chances du bon côté...

Le cinéaste tisse sa toile à sa guise, à l'écart de Dickens, finalement: il sait nous montrer comme souvent, la trace vivace du passé et en partie de l'enfance dans le passage à l'âge adulte, la part d'un être humain qui ne bougera pas et qui retournera toujours sur ses pas. Il est aussi dans son élément en nous montrant à travers un plan-séquence magistral, l'historique d'un moment-clé de l'histoire de Finn et Estella: comment ils vont, le soir de l'inauguration de son exposition, partir pour, enfin, concrétiser leurs liens, pour un moment d'oubli qui se terminera en quenouille...

Pourtant, on a aussi le sentiment devant ce film que la compagnie avait en tête de faire à Dickens ce que Baz Luhrmann avait fait à Shakespeare avec son abominable Romeo and Juliet! Et subsiste, devant ce film souvent totalement délirant, une nette impression d'assister à un conflit entre une production qui va dans un sens (Adapter Dickens à la sauce 90s en essayant de faire en sorte que les héros de Dickens fonctionnent exactement comme des gens des années 90) et un auteur qui va dans un autre (Explorer avec une mise en scène faite d'un sens aigu du détail et un don pour explorer et exploiter la sensualité, tout en donnant un arrière-plan onirique inattendu au film). Si les traces 90s du film perdurent, on est surpris par l'étrange beauté vénéneuse de conte initiatique cruel dans lequel force reste à la vérité du rapprochement des corps...

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Published by François Massarelli - dans Alfonso Cuaron
2 mars 2015 1 02 /03 /mars /2015 07:15

Choisir un sentier imprévu, et le plus souvent le faire seul, parce que l'on refuse ce qui était "écrit", voilà le parcours de nombreux héros et protagonistes des films de Peter Weir: transgresser la règle imposée par les éducatrices du pensionnat et disparaitre dans un au-delà d'essence aborigène (Picnic at hanging Rock), défier les parents et s'engager pour combattre (Gallipoli), éviter les pièges d'une bande de malfrats et se réfugier chez les Amish (Witness), abandonner le monde et partir pour reconstruire une autre vie ailleurs (Mosquito Coast), enseigner à sa guise, à l'écart des canons de l'académie (Dead Poets Society), refuser le parcours tout tracé d'un script de show télévision dont on est le héros pour partir découvrir le monde (The Truman Show) ou s'évader d'un goulag (The way back), les occasions de vérifier cette thématique ne manquent pas chez le réalisateur Australien! En même temps, ceux qui choisissent ces chemins de traverse ont tendance à drainer des gens dans leur sillage! Le père de Mosquito Coast, par exemple, ne demande pas l'avis des gens de sa famille avant de les entraîner dans une aventure, et Truman est suivi à la télévision par presque toute l'humanité. Et pour prendre un autre exemple, le capitaine du bateau dans Master and Commander est lui aussi un meneur, même si sa motivation première est d'échapper aux conventions et à une vie morne et toute tracée... Dans cet univers circonscrit par les films de Weir, le personnage de Max Klein (Jeff Bridges) est lui aussi amené à prendre des chemins de traverse, mais il a un facteur déclencheur particulièrement spectaculaire: il est dans un avion au moment d'un sérieux problème, lorsque toutes les fonctions hydrauliques de l'appareil ne répondent plus, rendant un aterrissage en catastrophe quasi impossible. Il y aura des morts, dont son meilleur ami et collaborateur, mais Max fait partie des survivants; et même mieux que ça: il réalise qu'au moment de l'accident, il n'a pas peur, et décide de prendre les choses en main, en aidant d'autres passagers dont deux enfants, à sortir. Il n'attend pas, part, sans aller à l'hopital, et... improvise: notamment, il se rend à Bakersfield, ou il a passé sa jeunesse, et va visiter une ancienne amie, ou même expérimente: il mange des fraises... Or il est allergique aux fraises depuis toujours. Bref, Max, plutôt que de se rendre chez lui et de rassurer sa famille, s'échappe, ne retourne pas tout de suite au cocon rassurant de sa vie d'architecte, mais décide d'assumer sa condition de miraculé miraculeux: comme le Christ devant St Thomas, il porte une blessure au côté, mais pour le reste, il est quasi intact sans aucune trace de l'accident. Max, auparavant de nature inquiète et très anxieux à l'idée de voler, se croit désormais indestructible et lorsque le FBI le retrouve en compagnie d'une responsable de la compagnie aérienne, il prend la décision de rentrer chez lui en avion...

Le retour à San Francisco est très médiatique, la télévision et la presse écrite ne manquent pas de souligner la bravoure des actes héroïques de celui qu'on appelle désormais le "bon samaritain". L'enfant qu'il a sauvé le réclame, et la famille (son épouse Laura, interprétée par Isabella Rossellini, et son fils Jonah, par Spencer Vrooman) voit surgir un homme profondément changé, avec lequel ils vont avoir le plus grand mal à communiquer. Par ailleurs, l'accident a provoqué l'intervention de deux professionnels qui vont essayer d'y voir clair, et d'aider Max et les siens, sans grands résultats: un psychologue, le Dr Perlman (John Turturro), et un avocat extrêmement tortueux, Brillstein (Tom Hulce). Mais eux non plus ne vont pas réussir à atteindre Max. Certaines entrevues entre l'avocat, Max et son épouse, et la veuve de son ami décédé dans le crash vont mal se passer, Max ayant tendance à ne prendre aucun gant vis-à-vis de son amie Nan lorsqu'elle essaye de trouver des compensations financières ou des réponses à son désarroi. La seule personne avec laquelle il va réussir à communiquer sera Carla (Rosie Perez), une jeune femme qui voyageait en compagnie de son fils de deux ans; celui-ci est mort, par sa faute estime-t-elle, et le Docteur Perlman a l'idée de les mettre en contact. Au début, Carla prête en dépit de son catholilcisme à se suicider, reste sur ses gardes, mais elle entre en communication avec Max, auprès duquel elle se sent bien, et de son côté Max persuadé d'être invincible va tout faire pour la "sauver"...

Le film commence après le crash, par une scène inattendue: des gens, certains sont blessés, ont des vêtements en lambeaux, avancent péniblement dans un champ de maïs. On sent qu'il y a eu un accident, mais la première impression est celle d'une situation de détresse. Mais au milieu de tout, Max, un garçon au bout de son bras et un bébé dans l'autre, avance surement, comme menant les autres rescapés. C'est au bout de quelques minutes que Weir prend de la hauteur et commence à nous montrer la vérité de la situation: un plan en hélicoptère nous donne à la fin de la séquence une vision de l'étendue des dégâts. Le choix de ne nous montrer le crash que comme un flashback, et d'entrer dans le film alors que Max est "passé de l'autre côté", en quelque sorte, va nous aliéner le personnage, et à aucun moment Jeff Bridges ne joue son architecte comme un homme qu'on puisse aimer, ni nous ni les autres protagonistes: direct, ne prenant jamais de gants, le personnage ne semble vivre que pour lui-même, et s'il essaie de convaincre les autres, c'est semble-t-il plus pour sa satisfaction personnelle. Son mariage va sérieusement pâtir de sa nouvelle situation, et son rapprochement avec Carla sera un motif de discorde avec Laura. Mais Max, miraculé auquel l'accident revient de temps à autre, sous forme de rêve ou de souvenir, ne vit plus pour les autres. Comme souvent dans ses films, Weir joue sur l'équivoque, entremêlant les images du crash et celles de l'après, comme pour mieux nous troubler, voire nous amener à douter que Max ait survécu; le fil rouge des fraises, par exemple, fonctionne de façon illogique sur l'ensemble du film, et permet de partir dans plusieurs interprétations, aucune ne pouvant être cohérente par rapport au reste du film; de fait on a le sentiment qu'une grande part de ce qu'expérimente Max est dans sa tête, à commencer par son séjour à Bakersfield. Mais Fearless n'est pas qu'une mise en image du comportement erratique et post-traumatique d'un miraculé, il est aussi une parabole sur l'envie de fuir, et d'une certaine manière sur la tentation de la religion. Max, dans d'autres films, aurait pu devenir le point de départ d'une dérive sectaire, entraînant les autres après lui! Le paradoxe est que si Max se croit vraiment invincible et protecteur des autres, il n'a aucune affection pour eux... Du moins jusqu'à un certain point: il va à un moment provoquer un accident pour prouver quelque chose à Carla, venant en aide de façon sérieuse à la jeune femme, mais se prouvant du même coup qu'il n'est pas indestructible.

Entièrement tourné dans la tension du décalage entre d'une part un homme revenu de tout et dont le rush d'adrénaline ressenti lors de son expérience la plus traumatique semble se prolonger au-delà du raisonnable, et d'autre part une société qui cherche des réponses rapides, satisfaisantes et rassurantes, Fearless intrigue, passionne, sans donner de réponse satisfaisante aux spectateur en quête de solution facile: il donne du même coup une occasion d'expérimenter une situation de crise, et de suivre le comportement d'un homme qui ne peut trouver de vie à sa mesure parce qu'il est persuadé d'avoir atteint une sorte d'essence divine. Il est, de son propre aveu, passé de l'autre côté, a vécu sa mort dans une sérénité telle qu'elle l'a oublié, c'est du moins ce qu'il expliquera à Carla. Et contre vents et marées, contre lui-même aussi, il va sauver des gens, jusqu'à ce qu'il réalise qu'il n'est qu'un homme comme un autre, et qu'il tente de persuader Carla de rester avec lui... Et là, la chute sera plus dure. Weir ne donnera donc aucune suite, aucune résolution aux divagations divines de Max, mais nous laisse un indice final ironique et mystérieux, en forme de... fraise. Un indice dont chacun peut se saisir à sa guise, bien sur, avec le libre arbitre du spectateur qui est, une fois de plus, renforcé par ce beau film méconnu.

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Published by François Massarelli - dans Peter Weir
1 mars 2015 7 01 /03 /mars /2015 18:38
What did you do in the war daddy? (Blake Edwards, 1966)

Quelques années avant que l'arrivée spectaculaire du cinéma de guerre contestataire n'accompagne de façon explosive la grande vague de protestation de la période, il y a eu un certain nombre de comédies guerrières qui ont un peu anticipé de ce mauvais esprit surtout lié à la guerre du Vietnam et la fracture de l'opinion qu'elle a occasionné dans le monde entier et en particulier aux Etats-Unis. Pourtant, dans ce film comme dans le superbe The Americanization of Emily d'Arthur Hiller, on ne trouve pas cette actualité brulante. Le propos de ce film est surtout de se moquer, de commencer sans doute après les grandes épopées un peu ronronnantes (Le jour le plus long est sorti trois ans auparavant), de commencer à élargir l'image de la guerre en y ajoutant le grain de sel de la comédie. Le titre serait parait-il venu à Blake Edwards lorsque sa fille lui aurait posé cette exacte question, et on peut très bien imaginer l'embarras de n'importe lequel des protagonistes du film si d'aventure on lui demandait de justifier de son activité durant les conflits, compte tenu des situations dans lesquelles se trouvent ici les soldats Américains, les Italiens, et bien sur les S.S.

Le film commence par une séquence de pré-générique qui montre le débarquement et les combats, rapidement esquissés, des Américains en Sicile. Un gradé confie ensuite une mission au capitaine Cash (Dick Shawn), un homme rigide et qui fait tout selon les règlmes: aller mettre un peu d'ordre dans une compagnie un peu déboussolée, mais faite d'hommes de grande valeur. Il arrive en fait dans un groupe totalement démobilisé, qui le regarde avec curiosité plus que déférence, et avec eux cherche à prendre le village de Valerno. Une fois arrivé dans la petite bourgade, le bataillon Italien retranché leur explique qu'ils sont tout disposés à se rendre à condition qu'on les laisse organiser une fête du vin. Sous la pression de ses hommes contestataires, et des manoeuvres habiles du lieutenant Christian (James Coburn), Cash accepte, sans savoir que cette décision va précipiter l'armée Américaine, les Italiens et lui-même dans le chaos...

La bonne vieille méthode de l'accumulation folklorique, qui a tant réussi dans les scènes finales, pourtant jamais prévues par le script, de The pink Panther, avait donné dans le long mais glorieux film The great race, à un festival comique de haute volée. Ici, on voit à l'oeuvre les petites manies de Blake Edwards, qui s'ingénie à additionner dans son village Sicilien les situations improbables, depuis la fraternisation entre les Américains et les Italiens durant laquelle tout le monde échange ses uniformes, jusqu'à la disparition dans des souterrains d'un colonel déboussolé qui finit par devenir fou, en passant par l'arrivée de nazis qui sont , bien sur, de parfaits crétins, et deux cambrioleurs de banques qui s'appliquant à faire leur métier sans se soucier du fait qu'il y ait une guerre autour d'eux. Donc le ton est résolument satirique, et s'il ne faut sans doute pas y chercher les traces tangibles d'une contestation de fonds, le film possède un merveilleux avantage: il est antimilitariste, ce qui selon moi est une forte preuve de gout. Il démontre avec verve que le propre de l'homme, c'est bien plus de se laisser aller tels les Italiens du film à l'indolence, la fête et la fraternisation qu'à la guerre: le conflit est traité par le ridicule lors de l'entrée des Américains, en parfait ordre de bataille, sur une place de village totalement vide: out le monde, soldats comme civils, est à un match de football...

Mais le problème, c'est que si Edwards s'y entend comme toujours pour confectionner avec minutie et gourmandise des situations burlesques à coups de mécaniques de précision huilées, il est aussi généralement mal à l'aise devant l'excès de verbe qui mène à un rythme supposé effrené dans une comédie qui tend à prouver qu'il n'est pas Billy Wilder, et il s'essouffle très vite. Il n'était pas Billy Wilder, et cet aspect bavard est ce qui rend parfois le film un peu irritant.

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Published by François Massarelli - dans Blake Edwards
25 février 2015 3 25 /02 /février /2015 17:09

A Las Vegas, Frannie et Hank s'aiment, et fêtent en cette soirée un anniversaire de leur couple. Ca commence par un échange maladroi de cadeaux qui font plus plaisir à celui qui offre qu'au destinataire, puis par une étreinte délicate, avant de dégénérer après le repas en une dispute de trop. Frannie va dormir chez sa copine, et le lendemain, les deux amants vont s'efforcer de tromper l'autre, dans un Las Vegas de rêve...

Dernier d'une série de cinq chefs d'oeuvre consécutifs, ce film unique est une expérimentation réussie de narration continue: Coppola souhaitait en toute simplicité créer une sorte de pendant cinématographique à la télévision en direct, et créer un film en temps réel. Ayant abandonné cette idée, bien sur, et après avoir caressé l'idée de tourner un film à la façon de Rope de Hitchcock, constitué d'une succession de plans-séquences enchaînés les uns aux autres pour créer l'illusion d'une unité temporelle, le réalisateur a fini par imaginer avec le chef-opérateur Vittorio Storaro et le décorateur Dean Tavoularis une combinaison entre des plans-séquences et des scènes dans lesquelles les personnages séparés les uns des autres pouvaient être filmés dans les mêmes plans, par le biais de lumières modulées selon les besoin, de décors qui apparaissaient ou disparaissaient, de voiles ou autres. Un dispositif compliqué, qui a nécessité la création à part entière d'un studio, dans lequel le film a été intégralement tourné.

Le mot studio a dans le monde du cinéma, on le sait, deux sens: d'un côté le lieu fermé et contrôlé dans lequel on tourne un film, de l'autre une structure de production dans laquelle tout est organisé en département, une entreprise dédiée à la création cinématographique, et qui fournit clés en mains des films tous faits aux distributeurs. C'est l'autre grand rêve de Coppola que ce film accomplit: depuis la création de la structure American Zoetrope, qui avait co-produit tous les films de Coppola, et accompagné le cinéaste aux Philippines pour son film le plus célèbre, qui avait également produit l'intrigant THX 1118 de Lucas, Coppola se rêvait en nabab de cinéma... Zoetrope studios, réellement créé en 1979, est donc tout entier dans ce film... Cette tentative chère et forcément vouée à l'échec, de recréer une structure à l'ancienne, va d'autant moins marcher que sa seule production One from the heart, échec commercial cuisant, sera finalement retiré des écrans au bout d'une semaine! C'est dommage, car derrière le cinéaste et son rêve d'un monde intégralement recréé, derrière les amants malchanceux incarnés avec génie par Teri Garr et Frederick Forrest (Deux acteurs sous contrat, pas des stars de premier plan, mais des acteurs formidables dont Coppola voulait fièrement montrer le talent) et derrière cette extravagance musicale (Les scènes sont constamment ponctuées de chansons interprétées par Tom Waits et Crystal Gayle), on trouve un film d'une chaleur et d'une tendresse rare, qui se résout, en dépit des modes de l'époque, plutôt dans la comédie parfois inattendue que dans le drame, et on retrouve aussi la grandeur visuelle des grands anciens auxquels Coppola rend hommage: Welles, mais aussi Michael Powell, qui était à l'époque, très souvent présent sur le tournage de ce film!

Et au final, cette simple mais merveilleuse histoire dans laquelle la caméra unit la solitude de deux personnes qui se séparent sur un coup de tête nous émeut plus que de raison: l'éloignement des deux personnes, mues par la rancoeur, est contredit par le rapprochement de leurs deux parcours, au sein des mêmes plans. Un dispositif cinématographique compliqué pour raconter une histoire simple, c'est comme Sunrise... Ca a coûté cher, c'est luxueux, mais c'est aussi parfaitement exceptionnel, à tous les sens du terme: des comme ça, il n'y en a pas deux. Et plus on y revient, meilleur c'est.

One from the heart (Francis Ford Coppola, 1982)
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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola
19 février 2015 4 19 /02 /février /2015 17:36

Le prince Roundgito-Singh (Ivan Mosjoukine) fuit dans de périlleuses circonstances son Tibet natal, dans lequel il était pour le peuple une consolation, tant le tyran qui les gouvernait était craint et vil. Pervenu au terme d'un long voyage en Europe, il interrompt le tournage d'un film, et devant son exotisme, l'actrice principale Lady Anna (Natalie Lyssenko) intriguée, l'invite à se joindre à la production. Lady Anna, justement, qui vit une union fort compliquée avec son producteur de compagnon, jaloux et teigneux, est fort intrigante pour une actrice Française: elle parle le langage maternel du Prince. Quel secret cache-t-elle donc? Et que cherchent exactement les mystérieux individus qui parcourent la ville à la recherche du prince?

Ce film de prestige rocambolesque est l'une des premières productions de la firme Albatros lorsqu'elles se tournèrent vers des jeunes et moins jeunes réalisateurs établis. Et Epstein voyait d'un oeil gourmand les possibilités de mélanger son style audacieux et avant-gardiste avec le "style Mosjoukine". Celui-ci, de fait la plus grande vedette de l'Albatros si ce n'est du cinéma Français, n'allait plus mettre lui-même en scène ses productions (Au vu du Brasier Ardent, on ne peut que le regretter), mais continuait à fournir des scénarios. Un film avec Mosjoukine en provenance des studios Albatros, sur un scénario de la star, forcément ça impose le respect...

Pourtant cette histoire sans queue ni tête (Qualifiée d'idiote par Abel Gance lui-même, et l'auteur de l'immortel nanar La fin du monde était un connaisseur pourtant) sonne comme une métaphore vide de sens de la vie de Mosjoukine l'exilé à Paris. Au moins, Epstein profite des largesses de l'Albatros pour se lancer dans des extravagances stylistiques mâtinées d'une solide dose d'avant-garde... Mais après l'éclat flamboyant et l'humour dévastateur du Brasier Ardent, on reste perplexe devant les possibilités gâchées et le manque d'humour (Les ouvertures vers le baroque ne manquent pourtant pas, loin de là) fait décidément beaucoup pour le côté poids lourd de cette production, menée sans doute par un Mosjoukine fort imbu de lui-même (Mais ce n'est pas nouveau), mais qu'un réalisateur un peu plus aguerri et volontaire aurait certainement su canaliser: voir, à ce sujet, de quelle belle façon L'Herbier l'année suivante sut mélanger son univers et celui de Mosjoukine dans le superbe Feu Mathias Pascal.

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Published by François Massarelli - dans Muet Ivan Mosjoukine Albatros 1924 Jean Epstein *
18 février 2015 3 18 /02 /février /2015 17:43

Ce film présente les mésaventures fort drôlatiques, étonnantes et pleine de rebondissements du chevalier Giacomo Casanova de Seingalt, dont on se demanderait volontiers où il acquit son titre sinon dans les boudoirs, chambres, lits et sofas les plus aristocratiques, tant la polissonnerie lui tient au corps. Nous suivons le chevalier de Venise à St-Petersbourg, puis de retour à Venise, fuyant en permanence les hommes de bien et les hommes de loi dont il a généralement lutiné les épouses à moins qu'elles soient encore en train d'attendre leur tour légitime. La République de Venise s'acharne sur lui, et il va tour à tour s'improviser magicien pour y échapper, se faire passer pour précepteur auprès, s'il vous plait, de la Grande Catherine de Russie, sauver des orphelines en danger, se faire arrêter, condamner à mort, et s'évader, non sans continuellement s'arrêter en route pour contempler quelque minois de passage...

Ivan Mosjoukine a constamment fui lui aussi, la Russie communiste d'abord, puis la compagnie Albatros dont il était la vedette principale pour conquérir son indépendance artistique et financière, mais ce n'est pas tout: si on ne va parler de l'affaire Romain Gary ici, a aussi du séduire bon nombre de femmes!

Mais l'identification n'est pourtant pas totale entre le maitre d'oeuvre-acteur-scénariste Mosjoukine et le picaresque chevalier. Mosjoukine se sert de la figure légendaire pour installer son image de Douglas Fairbanks à la Franco-russe, bondissant et triomphant de l'adversité sans jamais s'arrêter. Et le film est une fête visuelle permanente, à la rigueur cinématographique d'autant plus étonnante que le scénario joue volontiers la carte parodique. La mise en scène, donc, due au complice Alexandre Volkoff, quasiment venu en France dans les bagages de la star, et qui va constamment donner de l'ampleur, dans un luxe impressionnant, à la reconstitution extravagante du passé; et Mosjoukine (qui était aussi metteur en scène, et l'avait prouvé en France avec deux splendides films, L'enfant du carnaval et La brasier ardent) n'est pas e reste, décidant lui aussi de participer à la fête qui consiste à ce que chaque plan, sans exception, ait quelque chose qui le rende spécial. Et quand Mosjoukine est dans le champ... il se débrouille toujours pour que ce soit lui qui soit spécial. Il me fait penser non seulement à Fairbanks, mais aussi et surtout (particulièrement dans ce film) à Chaplin, comme dans une scène où il se fait arrêter. Les deux gardes qui doivent l'escorter en prison tournent les talons mais pas lui. Quand ce petit monde avance, il va dans le sens opposé à ses gardiens, le genre de méprise typique de Chaplin... Qu'il va ensuite compléter en les rejoignant d'une façon inimitable, et on ne voit finalement que lui!

La distribution est bien sûr dominée par Mosjoukine, mais il sait s'entourer: on trouve dans le rôle de Catherine la grande Suzanne Bianchetti, préposée aux rôles de reines et d'impératrice. On en peut pas passer sous silence la superbe composition totalement siphonnée de Rudolph Klein-Rogge qui joue son mari, le Tsar Pierre III de Russie, une composition burlesque assez inattendue pour les habitués de ses rôles chez Fritz Lang: oui, il était aussi bien l'ingénieur fou Rotwang dans Metropolis que le Dr Mabuse du film du même nom... Volkoff, complice fréquent de Mosjoukine qu'il a accompagné depuis la Russie jusque à l'Albatros, et l'a ensuite suivi dans sa quête d'indépendance, joue à fond la carte de la grande classe, dans une superproduction dispendieuse dont le luxe est impressionnant, mais sert la carte de l'ode à la joie de vivre, incarnée à travers Mosjoukine par le jouisseur Casanova.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Ivan Mosjoukine 1927 **
17 février 2015 2 17 /02 /février /2015 15:49

Dans le Paris des années 30, Victoria Grant (Julie Andrews) est une artiste lessivée: c'est la crise, et personne n'a d'utilité pour une coloratura qui chante au premier degré des chansons populaires ou du jazz light. Son audition pour "Chez lui", une boîte de nuit un peu particulière (On y cultive le mélange des genres, en quelque sorte) n'a rien donné, et elle est au bout du rouleau, n'ayant pas pu manger ni payer son loyer depuis un certain temps. Elle fait la connaissance d'un autre outsider, le chanteur Toddy (Robert preston) qui vient de se faire virer du même club, et celui-ci a une idée inédite: puisque ni Toddy, chanteur gay qui s'est fait virer de partout, ni Victoria, chanteuse straight qui ne convainc plus personne, ne parviennent à percer, ils vont inventer un bobard: Victoria sera désormais Victor, conte Grazinsky, un artiste Polonais homosexuel exilé, qui a fui l'intolérance pour les night-clubs plus accueillants de la capitale Française. Sa spécialité? Incarner une chanteuse, une vraie... Et contre l'attente de Victoria très mal à l'aise devant l'idée de son ami, l'idée s'avèrera triomphale. Victor / Victoria devient la coqueluche de Paris.

Victor Victoria, remake d'un film Allemand de 1933, Viktor und Viktoria réalisé par Reinhold Schünzel, est, après une décennie loin des films en costumes, la revanche de deux artistes... Blake Edwards et Julie Andrews ont même plus d'une revanche à prendre, en effet; d'une part, le metteur en scène a accumulé jusqu'au milieu des années 70 les échecs commerciaux et les déconvenues face aux décideurs du cinéma Américain, ce qui l'a forcé à partir en exil vers l'Europe, et accessoirement à compter sur Peter Sellers jusqu'à la mort de celui-ci pour redorer son blason. Cette série noire est en particulier marquée par deux échecs: Wild rovers, western peu convaincant de 1971, mutilé par la MGM, et surtout Darling Lili (1970), grandiose production Paramount, située dans le milieu du spectacle d'un Paris de pacotille durant la première guerre mondiale. D'autre part, Julie Andrews, l'épouse de Blake Edwards, était l'interprète principale de ce dernier film. Les points communs entre Lili et Victor Victoria sont nombreux, en effet: Julie Andrews, bien sur, y interprète dans les deux cas une chanteuse, qui gravite autour du milieu du music-hall. dans les deux films, l'héroïne n'est pas ce qu'elle prétend être, et va se trouver à séduire une personne très inattendue. Dans Darling Lili, c'était l'officier Anglais interprété par Rock Hudson; ici, c'est King Marchand (James Garner), un promoteur de spectacles Américains lié au grand banditisme. Mais là où Lili était une vedette arrivée et célébrée, Victoria est passée à côté du succès,jusqu'à ce qu'elle participe à la mascarade. Mais Victor Victoria sera, heureusement un énorme succès: la revanche pour les deux artistes, vous disais-je, et peut-être même le couronnement de leurs deux carrières, un film dont il pouvaient tous deux être fiers, à juste titre.

Le film part finalement d'un simple acte de foi: il suffit probablement de se convaincre que le public peut confondre Victoria avec un homme, ce qui nous est à nous impossible d'une part parce que nous sommes au courant du pot-aux-roses depuis le début du film, et d'autre part parce que c'est Julie Andrews! Mais l'astuce, c'est bien sur de se dire que si on croit que les autres vont pouvoir le croire, alors le tour est joué. Et une scène magnifique nous permet d'avaler le tout: dans son numéro, Victoria interprète donc un homme qui joue à être une femme, qui doit donc passer pour une femme lors de sa première prestation. Peu couverte, sinon stratégiquement, Julie Andrews est surtout maquillée de façon experte. Lorsque la chanson est finie, elle enlève sa coiffe, qui révèle ses cheveux courts, et son expression devient alors une posture de défi, d'arrogance toute masculine. De quoi brouiller les pistes, d'autant que "Victor" est sensé être gay! Ce qui permet à Edwards de jouer sur tous les tableaux, de lancer en même temps un plaidoyer pour la tolérance face à la différence, incarnée avec brio par Robert Preston, et une réflexion amusée mais qui fait mouche sur la condition de la femme. Coincée dans son succès, Victoria tombe amoureuse, mais devra demander à son amant d'assumer de vivre avec une personne que tout le monde devra prendre pour un homme, car il lui faut travailler, et elle ne peut le faire que travestie et si tout le monde croit à sa condition. Lui de son côté, va passer par de nombreux stades: ému parce qu'il essaie de se persuader qu'il n'est pas amoureux d'un homme (Il lui faudra vérifier avant de se lancer), puis embarrassé par les exigences de celle qu'il aime, alors qu'il lui demande simplement de l'épouser et d'abandonner son travail, comme si c'était parfaitement naturel. Enfin, traîné dans une boite gay, il doit ensuite aller provoquer une bagarre crapuleuse dans un bar à matelots afin de retrouver sa masculinité... On le voit, le jeu sur le genre, la masculinité, l'homosexualité va assez loin. Les dialogues écrits par Edwards lui-même sont d'ailleurs à ce titre toujours savoureux.

Le complice Henry Mancini est toujours là, à la fois très présent (ce n'est pas un musical, mais un film situé entièrement dans le domaine du music-hall, il y a donc du travail), et relativement discret: pas de coup d'éclat, non, tous les projecteurs sont sur Julie Andrews (Et sur Preston qui chante par deux fois, ainsi que Lesley-Ann Warren, qui chante une chanson avec un atroce accent New-Yorkais lors d'une scène située à Chicago chez les gangsters). Et puis, il y a ce style qui renvoie à Breakfast at Tiffany's, ce mélange soigné à l'extrême de sophistication et de burlesque visuel, qu'on a retrouvé de film en film, avec The great race ou The party, et que le metteur en scène a plus ou moins abandonné en le déséquilibrant, forçant un peu trop sur la dose comique, sans trop soigner le reste. Ici, son académisme bien assumé, à travers le tournage effectué dans des conditions royales à Pinewood (Londres), joue pour lui en permettant un résultat de grande classe... Victor Victoria, ou la célébration du style Edwards dans toute sa splendeur! Et après deux films qui tendent à permettre au metteur en scène de régler ses comptes avec l'age (10) et avec les studios (S.O.B), on est plutôt dans une perspective artistique nettement plus positive. Quand je dis que Blake Edwards et Julie Andrews ont du en être fiers, je ne pense pas me tromper: en 1995, ils ont tous les deux porté sur les scènes de Broadway une adaptation théâtrale... Chant du cygne, sans doute, mais en attendant, quel film magnifique...

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Published by François Massarelli - dans Blake Edwards