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24 août 2014 7 24 /08 /août /2014 17:58

Au beau milieu des années 20, un film Américain, qui plus est réalisé par DeMille, et qui présente les Bolcheviks sous un jour tolérant et raisonnable, tout en rappelant que les « russes blancs », les tsaristes avaient commis trop d’excès en matière d’infamie, justifiant ainsi la révolution Russe : c’est le Batelier de la Volga. Bien sur, d’une manière générale, le metteur en scène de ce mélodrame mouvementé tend à renvoyer les révolutionnaires et les amis de Nicolas II dos à dos, mais le film prend malgré tout le parti de montrer qu’un changement était nécessaire… Qu’on se rassure, la première intention de DeMille était de divertir, et cette fois il n’a pas failli.

Fédor, un batelier (William Boyd), jure de tout faire pour sortir son peuple de la ruine et de l’esclavage, et une fois la révolution venue, il envahit avec ses amis le château local afin de faire payer les nobles. Sommé par les siens de tuer une jeune aristocrate (Elinor Fair), il recule, étant tombé amoureux d’elle; il parvient à fuir en sa compagnie, et s’ensuivent maintes poursuites, d’un coté comme de l’autre, impliquant non seulement les deux héros mais aussi un jeune officier tsariste (Victor Varconi)et une paysanne (Julia Faye)vaguement amoureuse de Fédor, qui n’a de cesse, par jalousie de vouloir tuer la princesse. Autant d’ingrédients du mélodrame, qui sont pris aussi frontalement que possible; les péripéties sont enchaînées sans temps mort, et les choix de mise en scène sont d’une grande lisibilité : on est en plein cinéma populaire, sans génie, mais aussi sans prétention (Après l'insupportable et lourdingue The road to yesterday, ça s’imposait…). Le suspense propre au genre est très présent, malgré la faiblesse de certains acteurs (Varconi, importé d’Autriche, avait déjà été acteur chez Kertesz/Curtiz dans Sodome et Gommore et Le jeune Medard; on le retrouvera souvent chez DeMille.) et le rythme emporte l’adhésion. Certains efforts superflus débouchent sur des conséquences inattendues : DeMille a souhaité que les soldats tsaristes soient tous interprétés par des émigrés authentiques : on n’en demandait pas tant, surtout que l’ensemble du film est constamment invraisemblable. Mais le cinéaste a pu s’offrir une scène d’anthologie : la princesse, prise pour une paysanne, est dénudée par les soldats: on ne verra rien d’elle, seuls les visages des soldats, cadrés de plus en plus près, nous renseignent sur l’avancement de leur entreprise, qui est sans doute l'anecdote la plus proche du viol que se sera permise DeMille. Les visages, le montage, tout concourt à conférer à la séquence un suspense, ainsi qu’un inévitable sentiment fripon recherché par le vieux coquin qu’était ce bon Cecil… Ce déshabillage fait écho à une autre scène érotique, décidément l’un des forte de ce Puritain paradoxal: pour provoquer Fedor, la princesse Vera marque une croix sur son sein gauche afin de lui fournir une cible, ce qui va au contraire le décider à l’épargner.

En terme d’approximation, le film n’a rien à envier au Griffith de Orphans of the storm, mais le baroque permanent du film le rapprocherait plutôt du Rex Ingram de Scaramouche: les deux cinéastes partagent le même parti-pris pour la révolution, tout en se méfiant des foules révolutionnaires. Toutefois, celles de DeMille sont plus sympathiques, peuplées de ses vieux acteurs d’élection, notamment Julia Faye, qui doit son retour en grâce au renvoi de Jetta Goudal: Faye, après avoir joué des seconds rôles dans les comédies de 1917/1918, avait été rétrogradée en figurante et utilités diverses: ici, elle en fait des tonnes…

Bref, si on est loin des comédies de la grand époque, ce film d’aventures est très recommandable, et montre un juste milieu que DeMille n’a que rarement su atteindre en ces années 20 : de l’efficacité, quelques audaces, une certaine retenue, et surtout un refus de seprendre trop au sérieux, ce qui est trop souvent la grande maladie du cinéaste. Une dernière recommandation, toutefois : avant de voir ce film, il convient bien sur de laisser toutes ses connaissances historiques au vestiaire.

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille Muet 1926 *
23 août 2014 6 23 /08 /août /2014 17:02

A la fin des années 10, le chaos de la Révolution menace en Crimée. Ce qui ne fait pas vraiment les affaires du diplomate Français Alfred Ney, chargé par son gouvernement d'observer la siuation dans les pays proches de la Russie. Ca n'arrange pas non plus sa fille Jeanne, qui a rencontré à la faveur des événements un jeune Bolshevik, Andreas, dont elle est tombée amoureuse: elle ne se sent pas prête à quitter le pays et l'abandonner... Lors d'une confrontation entre le vieux politicien et des Révolutionnaires, Alfred est tué. Jeanne quitte le pays, et se réfugie chez son oncle Raymond, un détective qui habite à Paris, avec sa fille aveugle Gabrielle. Andreas ne tarde pas à se retrouver à paris où il a pour mission de participer à l'effort d'exportation de la Révolution, tandis qu'un aventurier contre-révolutionnaire, meurtrier et obsédé sexuel (!), Khalibiev, va lui aussi croiser la destinée de nos héros....

A une époque où il lui faut tout essayer, Pabst, auréolé du succès de La rue sans joie, s'essaye après un curieux exercice de style consacré à la psychanalyse (Les secrets d'une âme , 1926) à un film international... à tous points de vue: interprétation Franco-Allemande (Edith Jéhanne, l'excellent vedette du film, a été révélée par Raymond Bernard en 1924 dans Le Miracle des Loups, et est ici opposée au génial Fritz Rasp, l'inoubliable "homme maigre" de Metropolis), mais aussi le style, hérité à la fois des mélos Français, des films d'aventure Américains, et des films soviétiques dont il reprend l'urgence du montage dans quelques passages-clé, sans jamais forcer la dose. Il fait ses gammes, avec un certain plaisir, tant le film n'est pas à prendre trop au sérieux. A part dans l'hypothèse d'une tentative de la part de Pabst de détourner les regards des spectateurs des odieux Bolcheviks: ici, Andreas et ses copains (On reconnaît Sokoloff, u habitué des films du maître) n'ont rien des assassins au couteau entre les dents habituellement représentés dans le cinéma bourgeois. On retrouve toutefois souvent le petit monde inquiétant et nocturne de Pabst, sa peinture ambigue de la prostitution dont Khalibiev en est un consommateur régulier et la façon dont il fait intervenir la mort et le crime dans la vie quotidienne.

A ce titre, Fritz Rasp a un rôle de choix, séducteur cynique d'une jeune aveugle (Brigitte Helm) qui lui tient vertueusement la main tandis qu'il profite de son handicap pour tripoter sa cousine! Et une scène noire nous montre la jeune femme non-voyante qui trouve le cadavre encore chaud de son père, filmée au plus près des gestes de la jeune actrice.

Au final, dans ce film de transition, qui sera suivi lui aussi d'une oeuvre imparfaite (Crise) porte quand même en germe des aspects des films les plus noirs et les plus beaux (Die Büchse der Pandora - Loulou, puis Das tagebuch einer Verlorenen - Le journal d'une fille perdue) de Pabst, tout en apportant avec lui de beaux restes de la fête naturalise qu'était le sublime La rue sans joie. Et c'est un régal constant, aux péripéties qui se succèdent à cent à l'heure, et...

Fritz Rasp!!

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Published by François Massarelli - dans Georg Wilhelm Pabst Muet 1927 **
22 août 2014 5 22 /08 /août /2014 23:02

Finalement, le patriotisme est une maladie honteuse. Principalement de nos jours, en particulier lorsqu'il s'agit de protectionnisme, d'anti-immigration ou même de sport, un domaine dans lequel le pire chauvinisme sévit de plus en plus jusqu'à l'absurde. C'est la raison pour laquelle il est urgent afin de relativiser, de se replonger dans l'oeuvre fascinante de Frank Capra, un cinéaste de premier plan qui est aujourd'hui pratiquement oublié dans son pays, et qui a toujours, depuis le début des années 30 jusqu'à la fin de sa carrière, pris au pied de la lettre l'amour de son pays et de ses valeurs, sans jamais tomber dans les pièges du chauvinisme ou de l'ordure nationaliste. Et jamais mieux, ni de façon plus éclatante que dans Mr Smith Goes to Washington, un film auquel bien des commentateurs préfèrent le certes délectable Mr Deeds goes to town sorti quelques années plus tôt. Pas moi.

Il y a des liens forts entre les deux films pourtant: Deeds était un cran au-dessus de tout ce que Capra avait fait, et le script dû au cinéaste et à son complice d'alors Robert Riskin concernait un naïf, un Américain moyen interprété par Gary Cooper, qui se retrouvait avec des responsabilités qui tendaient à lui échapper, auxquelles il savait faire face avec bon sens... ce qui lui valait d'être mis au ban de la société. L'idée de ce nouveau film, tourné à la veille de la guerre, et à un moment ou Capra est tout-puissant (Il a deux Oscars du meilleur film à son actif, et s'apprête à quitter la Columbia, un studio de second rang qu'il a contribué à élever avec des films prestigieux), est assez similaire, et d'ailleurs le cinéaste (Avec la complicité de Sidney Buchman) s'apprêtait à en faire une suite, un Mr Deeds goes to Washington dans lequel le héros se voyait confier des responsabilités politiques plus ou moins honorifiques. L'impossibilité pour Gary Cooper de faire le film en aura décidé autrement... Et lorsque James Stewart, déjà au générique du film précédent de Capra, You can't take it with you, a répondu présent, le film a pris selon moi une autre dimension.

Un sénateur d'un état de l'ouest est décédé en plein mandat, de façon plus ou moins inattendue. Toute la machine politique autour de lui se met en branle: lui et l'autre sénateur de l'état, le très respecté Joseph Paine (Claude Rains), ainsi que le gouverneur (Guy Kibbee) appartiennent au même parti, dont un certain nombre d'indices nous permettent de penser qu'il s'agit du Parti Républicain. Dans un cas comme celui-ci, alors que peu de temps reste pour finir une législature, la solution pour finir le mandat ne passe pas par les urnes... Une simple nomination par le gouverneur suffit. Mais celui-ci est pris entre le parti qui souhaite nommer un homme d'appareil, et les citoyens qui souhaitent nommer un homme intègre mais falot. Les enfants du gouverneur lui suggèrent alors une solution inédite mais qui satisfait tout le monde: Jefferson Smith (James Stewart), un éternel boy scout, inconnu du grand public mais vénéré par tous les gosses de son état pour son travail auprès des enfants, qu'il accueille dans les bois de l'état pour qu'ils y apprennent la vie au grand air. Joseph Paine, les membres du parti et surtout Jim Taylor (Edward Arnold), l'homme qui tire les ficelles de l'état, approuvent la nomination en pensant qu'un tel naïf sera idéal à manipuler. Jefferson Smith, patriote et enthousiaste, arrive à Washington pour y prendre ses fonctions, et est dès le départ un agneau jeté aux loups. Jim Taylor tient le gouverneur, le sénateur Paine (Un ancien ami du père de Jeff Smith) et tout le parti dans ses mains, et il a des projets qui rapportent, qui doivent justement passer par le Sénat avant de lui permettre de s'enrichir. Apparemment, ce n'est pas un jeune idéaliste comme Smith qui peut le gêner. A moins que...

Ce qui va tout faire changer, comme dans tant d'autres films de Capra (Deeds et Meet John Doe en tête), c'est une femme: Clarissa Saunders, interprétée par jean Arthur, est la secrétaire du jeune sénateur, et elle a plus d'expérience que lui. Elle reconnait avoir depuis longtemps troqué son innocence contre de plus lucratives compromissions, et laisse faire la machinerie de Taylor; Dans un premier temps, elle participe plus ou moins à la curée avant de constater que la sincérité et le patriotisme de Smith sont réels, et finalement c'est lui qui a raison. Elle va le piloter et l'aider, dans sa lutte contre la machine politique qui ne manquera pas d'essayer de le broyer; ils vont, en couple, partir en guerre contre tout le Sénat. Et le film requiert, de fait la complète adhésion du spectateur... C'est là qu'intervient un facteur décisif à mon sens, et sans doute la supériorité de ce nouveau film sur Mr Deeds goes to town: si dans les deux films Jean Arthur sera la catalyseur de la renaissance du personnage principal, ici, James Stewart remplace Gary Cooper, et prète toute son énergie à un personnnage en or. Mais Capra sait également jouer de sa gaucherie, et a remarqué, comme le fera Hitchcock plus tard (Dans la deuxième version de The man who knew too much, précisément) qu'on peut jouer de la grande taille de cet acteur pour conduire à mieux connaitre son personnage, comme lorsque Jeff Smith s'installe à son banc au sénat pour la première fois et ne sait pas quoi faire de ses longues jambes et de ses longs bras... Et surtout, quand Stewart se lance dans un réquisitoire, aucun second degré n'est permis, et rien ne vient troubler la fête. Les scènes finales, dans lesquelles Capra adopte dans sa mise en scène une énergie comparable à celle de ses acteurs et transforme le sénat en une cour de justice dans laquelle Smith est jugé par tous ses semblables (A l'exception du vice-président et président du sénat, Harry Carey, qui lui témoigne plus d'une fois sa sympathie et qui semble bien réjoui de pouvoir rompre avec la monotonie coutumière du lieu). Parmi les autres protagonistes importants on trouve le sénateur Paine, auquel Rains apporte toute son ambiguïté, et dont tout le film réussit à nous montrer qu'il n'est pas tout à fait perdu pour les merveilleux idéaux de sa jeunesse: le sénateur est surnommé "Le chevalier blanc", en raison de ses combats passés, ce qui est loin de la réalité contemporaine, puisqu'au moment ou le film commence il est devenu aussi manoeuvrier, aussi corrompu que les autres. Mais l'arrivée de Smith va réveiller des souvenirs... Ce qui ne l'empêchera pas, le moment venu, de frapper fort pour discréditer Smith devenu très gênant, dans des joutes oratoires brillantes et mises en scène avec une verve fantastique. Enfin, Thomas Mitchell incarne la presse, à travers le personnage vaguement alcoolique d'un correspondant, qui campe dans le bureau de Clarissa, et est un peu amoureux d'elle. Il va, le moment venu, être un allié objectif, réveillé lui aussi par la fraîcheur de Jeff.

Le metteur en scène s'est taillé une réputation justifiée de réalisateur économe. On se souvient qu'il a réalisé 12 films en douze mois à son arrivée à la Columbia, un sudio qui ne brille pas par ses moyens. Mais depuis le succès de Lady for a day (1933), et les Oscars de It happened one night (1934), les budgets alloués à Capra et les films qu'il tourne ont pris de l'ampleur, au risque de devenir de véritables débâcles (Injustifiées, hélas, comme Lost Horizon en 1936 par exemple). Et il reconstruit un Washington très véridique, avec ses lieux-clés, que seul Jeff Smith semble voir: il faut avoir vu James Stewart se transformer en un gosse auquel on offre le train électrique de ses rêves, quand il aperçoit le Capitole... Le Sénat, ou l'essentiel de l'action se déroule, va être reconstitué de façon très réaliste, et Capra va utiliser une technique qu'il a fait sienne durant les années 30: demander aux acteurs de jouer la scène comme au théâtre, tout en multipliant les caméras, ce qui donne une authenticité et un rythme inédit à ses films. La technique de la télévision, en quelque sorte... Il n'oublie jamais d'où il vient, et Capra maintient le cap vers la comédie, faisant de James Stewart un héritier de Harold Lloyd, qui s'empêtre dans son chapeau quand une jolie fille lui parle. D'ailleurs, une scène entière de confrontation douloureuse avec la gent féminine est entièrement vue par le biais du chapeau de Smith dans ses mains, dont il ne sait pas quoi faire... Et le rythme particulier du film est imprimé dès le départ par des scènes d'exposition exemplaires: on prévient les personnes concernées de la mort d'un sénateur. très vite, un nom retient l'attention, celui de Taylor. En deux minutes, on a compris toute la situation: la mort d'un sénateur, la nécessité d'en nommer un autre, et la mainmise de Taylor sur l'état et ses politiciens... Capra alterne les plans très courts, le montage serré, et des petits plans-séquences dans lesquels les acteurs vont s'égayer et mieux habiter leur personnage, ce qui est évident quand on voit la façon dont Thomas Mitchell, acteur de théâtre, ou James Stewart, acteur instinctif, jouent ici des rôles qui sont parmi leurs meilleurs.

Ce qui est en jeu est bien sur l'honnêteté du jeu politique, la dénonciation de la corruption, et le questionnement des institutions d'un pays connu pour sa démocratie et sa liberté; une scène en montre les enjeux: un journaliste commente le combat de Jefferson Smith pour faire triompher la vérité contre la corruption, en soulignant la présence dans le carré diplomatique du sénat d'envoyés de deux dictatures, en rappelant que le combat par la parole libre auquel ils vont assister est une chose qu'ils ne peuvent connaitre chez eux... Ce que reproche Smith au sénat, et aux machines politiques que sont les deux partis représentés au Congrès, ainsi qu'aux lobbies de tout poil, qu'ils soient légitimes ou qu'ils soient mafieux, comme Taylor tel que Capra nous le présente dans le film, c'est d'avoir mis de côté les acquis démocratiques et les libertés fondamentales de la nation Américaine: les raisons de venir s'installer dans un pays ou on a les libertés que n'ont jamais connues nos ancêtres, dit-il. Capra appuie son personnage en le faisant visiter des monuments, tel le Memorial Lincoln et sa fameuse statue, ou Jefferson Smith est témoin d'une scène à la mise en scène empreinte d'émotion: un grand-père et son fils lisent la célèbre Gettysburg address, inscrite dans le marbre à côté de la statue (C'est le texte par lequel Lincoln réaffirme les principes sacrés de la fondation des Etats-Unis, en les montrant dans la perspective de l'abolition de l'esclavage et du retour des Etats confédérés, alors en sécession et en guerre contre l'Union, dans le giron des Etats-Unis). Véritable évangile de la nation Américaine, le texte déclenche chez Smith comme chez le vieil homme et l'enfant une profonde émotion, amplifiée lors de l'apparition d'une très vieil homme noir sur les lieux. Premier degré indispensable, bien sur, mais le rappel de ces principes, dont Jeff Smith saura bientôt qu'ils sont bafoués jour après jour par les représentants élus du peuple Américain, est nécessaire pour Capra qui sait, en 1939, ce que les dictatures représentent en Europe. Il n'y appelle pas à l'intervention, mais au raffermissement des valeurs. La nuance est importante...

La principale technique parlementaire utilisée par Capra et Stewart est parfaitement authentique, elle s'appelle le filibustering... Un sénateur peut gagner du temps en annonçant clairement qu'il ne laissera plus la parole à ses colègues. la technique est surtout utilisée pour retarder ou empêcher le vote d'un projet de loi, ici, le sénateur Smith en lutte contre la corruption du système incarné par ceux qui l'ont nommé entend faire entendre sa différence depuis le Sénat jusque dans son état. Cela passe par vingt-quatre heures durant lesquelles le jeune Sénateur est obligé de rester debout et de parler, sans jamais quitter l'enceinte de la salle. C'est, on le verra, un combat inégal, un seul homme ne pouvant rivaliser de la sorte avec une institution comme le Sénat. Mais la façon dont le film progresse, reposant tout entier sur ce qui reste un combat de titans, soutenu par les jeux d'une grande force et d'une grande sincérité de Rains, Carey (Principal pourvoyeur de comédie durant ces scènes largement dramatiques, le président du sénat ne boude absolument pas son plaisir!), H. B. Warner en chef de la majorité dont fait partie Smith, ou bien sur Stewart, totalement transporté par la situation, physiquement très impliqué. Mais ces scènes sont aussi accompagnées par une vue des gamins de l'état dont Jeff est originaire, qui tentent de l'aider en colportant sa parole, alors que Taylor avec sa puissante machine de persuasion empêche la presse de faire son travail, et à la fin s'attaque aux enfants eux-mêmes... Et c'est là sans doute que le film prend tout son sens.

On a beau jeu de dénoncer ce que ses détracteurs appellent de façon dédaigneuse Capra corn, ce mélange de volontarisme, de tradition populiste et conservatrice, attachée aux vieilles valeurs de l'Amérique, qui débouche sur le fait de prôner une politique de bon voisinage, libérale au sens européen du terme, et affichant un optimisme de tous les instants. Car ici, Capra nous dit clairement que tout ne va justement pas bien: ce qui arrive à Smith devient un symptôme d'une Amérique qui s'est reniée, dans laquelle les politiciens ne font pas ce qu'il sont supposé faire. La presse est muselée, le Sénat devient essentiellement une chambre d'enregistrement des décisions imposées aux politiciens par des patrons, industriels, banquiers, mafieux... Une peinture noire d'une démocratie malade, dont le cinéaste imaginera la suite en plus sombre encore dans Meet John Doe deux ans plus tard. Par ailleurs, on peut aussi imaginer que Taylor et sa dictature de fait, qui manipule une vie politique amenée à lui obéir au doigt et à l'oeil, est peut-être une sorte de caricature extrême d'un des meilleurs ennemis de Capra, le président Démocrate Franklin Delano Roosevelt. Que Capra (Et Smith, et Stewart, mais aussi d'autres héros du metteur en scène dont Deeds, George Bailey ou le candidat à la maison blanche incarné par Spencer Tracy dans State of the Union en 1948) soit Républicain ne fait aucun doute; mais il a en plus toujours clamé sa méfiance à l'égard d'un président dont il estimait qu'il accumulait les succès trop faciles, était démagogue, et l'a souvent comparé à un dictateur qui s'accrochait de façon honteuse à un fauteuil taillé pour d'autres... Des phrases prononcées ça et là dans le film dénoncent un gouvernement trop interventionniste, ce qui pour le Républicain attaché aux valeurs individuelles comme Capra, en cette époque ou les totalitarismes, de droite (Italie, Allemagne) comme communiste (La Russie, bien sur) font disparaître l'individu, était inacceptable. Mais Sidney Buchman, l'auteur du scénario, était lui plutôt à gauche, et celà a permis au film de se recentrer: Smith, homme qui vit hors du sérail politique, part au combat contre tout le système politique, Démocrates comme Républicains, d'ailleurs tous unis au Sénat pour le faire taire. Une façon pour Capra et Buchman de faire mouche, et la critique implicite de la méthode Roosevelt se fait plus subliminale encore, car le but politique essentiel du film est de rassembler, justement, pas seulement de pointer du doigt. Et ça se fait sous le vernis d'une comédie, donc tout ceci n'est pas à prendre au pied de la lettre... n'empêche, c'est l'un des films politiques les plus attachants qui soient, véritable manifeste d'un auteur au sommet de son art. Un film qui ne souffre aucun second degré, qui demande l'adhésion, mais qui assume pleinement son patriotisme, motivé non par le chauvinisme, mais sur des siècles de combat pour faire triompher la liberté, motivé par une certaine dose de bon sens à l'heure ou la peste menace en Europe. Avec un film qui certes renvoie dos à dos les deux camps politiques majeurs aux Etats-Unis, mais le fait tout en mettant en avant les valeurs qui ont présidé à la création du Pays, il y a de quoi être pro-Américain; ce qui n'empêche absolument pas le patriote Capra d'être clairement critique à l'égard d'une nation malade qui devrait donner l'exemple au lieu de suivre les nazis et les fascistes dans leurs égarements...

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra
22 août 2014 5 22 /08 /août /2014 09:21

John Sims (James Murray) rencontre et épouse Mary (Eleanor Boardman); ils effectuent leur lune de miel aux chutes du Niagara, prennent un tout petit appartement miteux à New York, ont des enfants, des grandes joies, de très grandes peines. John, persuadé depuis son plus jeune age qu'il doit aspirer à de grandes choses comme le professait son père, est en fait un insignifiant employé de bureau, avec un don pour la comédie et certaines disciplines artistiques, mais l'élévation sociale attendue ne viendra jamais.... Le véritable enjeu du film est ailleurs: rester vivant, rester ensemble coûte que coûte quelles que soient les frustrations, l'abattement, les trahisons, la lassitude, voire l'influence de l'entourage: ceux qui ont réussi en partant de la même situation de base (Le collègue, interprété par Bert Roach, est devenu le supérieur de John), ou ceux qui ont toujours dit que ces deux-là n'iraient nulle part (La propre famille de Mary es totalement persuadée que John est un minable)...

Le film le plus inattendu de toute l'histoire de la MGM? En tout cas, le but de Vidor était clair: il souhaitait réaliser un film qui donne à voir l'être humain sous son jour le plus honnête, sans triche Hollywoodienne. D'où des acteurs priés de mettre le maquillage de côté, et un jeu naturaliste pas très éloigné de celui des grands comédiens, en particulier Keaton, Lloyd ou les acteurs de l'écurie Roach. Mais là ou Lloyd évolue le plus souvent dans un milieu aisé, Californien (Voir à ce sujet le très injustement sous-estimé Hot Water de 1924), là ou Keaton est souvent cantonné à une misère en marge, John Sims est un contribuable moyen, employé de bureau, qui vit dans des conditions décentes mais absurdement spartiates. Et Vidor va souvent utiliser des transitions magiques, à l'ironie douce-amère, pour souligner la situation des jeunes époux: une séquence les quitte amoureux et fébriles, mangeant un pique-nique avec en toile de fond les chutes du Niagara, et la suivante commence par une vision de John, qui joue du ukulélé sur un fauteuil chez lui. Derrière lui, une porte s'ouvre: la salle de bain, ou trône la première cuvette de toilettes aperçue dans le cinéma Américain. Du Niagara à la chasse d'eau... On y reviendra d'ailleurs car une scène qui vise à établir la frustration grandissante de John et Mary à vivre dans leur appartement trop petit aura pour prétexte de départ John tentant sans aucun succès de réparer la chasse d'eau, justement...

Mais en plus du naturalisme évident et très accompli du film, ce qu'on retiendra c'est la quadrature du cercle que semble avoir résolu le metteur en scène: à l'heure ou les tenants d'un cinéma populaire et les fanatiques d'un cinéma avant-gardiste s'affrontent, Vidor les unit dans un seul et même film, qui lui permet de montrer l'étendue de son savoir-faire de raconteur d'histoire (Linéaire, chronologique, parfaitement cohérente, avec ses pleins, ses déliés, ses ruptures de ton, son pathos et sa comédie, la totale donc) tout en manipulant le médium cinématographique à sa guise. On a tous en tête les deux plans qui commencent et finissent le drame (Une fois passé le prologue trompeur qui nous annonce John Sims, né le 4 juillet 1900, comme un futur grand homme de la nation!) d'un mouvement inversé de caméra: celle-ci monte le long d'un immeuble, s'approche d'une fenêtre, et on coupe à l'intérieur de l'étage concerné, avec la caméra qui s'approche des employés de bureau, en isolant un et nous présentant John Sims devenu adulte. A la fin, on quitte les Sims qui ont choisi de se réconcilier en allant au music-hall avec leur fils, et la caméra en s'éloignant révèle une foule de spectateurs, dont nous ne distinguons plus ni John ni Mary.Tout le film est mis en scène main de maitre, par quelqu'un qui a toujours eu un talent pour la mise en image, un sens de la composition particulièrement aigu, mais sans jamais frimer outre mesure. D'ailleurs, Vidor fait un sort aux avant-gardistes de tout poil (C'est l'époque des films formels Allemands, comme le Berlin, symphonie d'une grande ville, de Ruttman, qui accumule 80 mn durant les plans de la ville dans un montage abstrait): il accumule les vues citadines, semblant s'amuser avec la surimpression et le fondu enchaîné, avant de nous montrer ce qui ressemble bien à un plan trafiqué de ville... qui est en fait un reflet authentique filmé dans la vitre d'une fenêtre ouverte. Avec ce plan, Vidor annonce avec moquerie qu'il abandonne soudain toute prétention intellectuelle affichée pour se concentrer sur un reflet de la réalité, tel qu'on ne le verra jamais dans ces films abstraits, ni il faut bien le dire dans les films de plus en plus formatés de la MGM à la fin du muet.

Eleanor Boardman et James Murray, l'infortuné acteur qui ne s'est jamais relevé de la soudaine notoriété que son rôle lui a donné, sont splendides: la justesse de leur performance, leur capacité à se montrer sinon médiocres, en tout cas terriblement ordinaires, tout en se faisant aimer du public, leur beauté inédite car obtenue sans artifices de maquillage, sont encore efficaces aujourd'hui. Le jeu influencé par le burlesque de situation est une idée d'autant plus brillante, que comme le montre très bien Show people, le film suivant de Vidor, il y avait dans le Hollywood de 1927 une démarcation très nette entre les acteurs et les comiques. Ici, pas de chichis, Vidor met tout le monde à plat et obtient de ses acteurs un jeu naturel, sans jamais forcer, et des scènes d'une force incroyable. Et le tout en montrant quand même le parcours de la vie à travers le chômage, le mensonge, et la mort des êtres chers. Le film réussit aussi sans aucune trace idéologique, à faire le portrait d'une société, et le portrait de deux personnes symboliques de cette société, sans aucun réquisitoire. Un constat vibrant mais jamais furieux dans lequel chacun y trouvera son compte... La foule du titre n'y est ni jugée (Même si certains intertitres tendent à pointer du doigt à plusieurs reprises, aucun méchant à l'horizon) ni exaltée. Juste posée là, dans un monde qui ressemble furieusement au nôtre.Tout ça contribue à faire de ce grand film un chef d'oeuvre unique du cinéma Américain.

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Published by François Massarelli - dans King Vidor Muet 1927 *
18 août 2014 1 18 /08 /août /2014 16:16

Ce film en deux bobines de Feuillade ne perd pas de tempsà installer une intrigue située dans le beau monde, mais très marquée par sa noirceur: un marquis (René Navarre) vient d'épouser une jeune femme de rêve (Suzanne Grandais), et ils viennent de passer une superbe lune de miel. Mais à la faveur de la reprise de ses affaires, il fait une découverte étonnante: à Paris pour affaires, il assiste à la projection d'un film comique, dans lequel il reconnait une passante, en compagnie d'un homme: Suzanne, sa femme, a repéré la caméra, et sort rapidement du champ en compagnie du mystérieux inconnu. Obsédé par la possibilité d'une infidélité de son épouse, le marquis rentre chez lui déterminé à trouver d'autres indices. Il tombe un jour sur une lettre d'un homme, Roger, qui invite sa femme à un rendez-vous secret. Il sabote son véhicule, avant d'apprendre la vérité... Trop tard?

En deux bobines, Feuillade explore plusieurs veines, avec un résultat qui reste excitant plus d'un siècle plus tard: il met le cinéma en abyme, mais pas comme le feront Perret (Le mystère des roches de Kador, la même année) ou Lang (Liliom, 1934), pour établir la vérité: Feuillade sait que le cinéma ment, mais le fait si bien qu'on le croit sur parole! le metteur en scène connait le pouvoir vénéneux du cinéma... Et le mal fait au marquis par ce court métrage d'Onésime, normalement inoffensif, va mettre en danger la vie de Suzanne. Tout en nous proposant une intrigue qui met en péril la belle Suzanne Grandais (Un peu comme Griffith le faisait à chaque film pour Mae Marsh ou Lillian Gish), Feuillade met en scène l'arrivée sombre de la jalousie chez un mari aimant, et nous le montre en particulier en un beau et lugubre plan panoramique, de René Navarre qui s'enfonce dans l'ombre de sa maison à la recherche d'indices qui corroboreront ses soupçons de trahison. Le premier film d'une longue série qui utiliseront la jalousie comme moteur, une route qui mène à Hitchcock, Clouzot et tant d'autres.

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Published by François Massarelli - dans Louis Feuillade Muet
15 août 2014 5 15 /08 /août /2014 16:57

Beatty est un franc-tireur... Je ne parle bien sur pas ici de son passe-temps favori, mais de sa carrière contrariée de cinéaste. Avec une poignée de films réalisés entre 1980 et aujourd"hui, il aurait du mal à concurrencer aussi bien Eastwood que Ron howard, pour s'en tenir aux prolifiques acteurs-réalisateurs... Et même le rare Robert redford semble plus présent... est-ce la malédiction d'avoir réalisé un film passionné (Reds) sur les socialistes Américains qui ont soutenu Lénine en 1917? Toujours est-il que certains projets ont eu du mal à aboutir, et c'est en contrebande que l'acteur engagé à tourné Bulworth, un brulôt sur la politique Américaine, en 1998. Il y incarne Jay Bulworth, un sénateur Démocrate de Calfornie qui est dépressif, au point de comploter son propre assassinat durant les élections. Seulement une fois les tueurs à ses trousses, Bulworth se lâche: maintenant qu'il n'a plus rien à perdre, il arrête la langue de bois, et au lieu de se livrer au virage néo-conservateur que la sagesse électorale lui indiquait, il vire à gauche toute, allant jusqu'à se livrer à des excentricités inattendues: il rappe, fréquente les boîtes de nuit afro-américaines, et s'attire de façon inédite la sympathie des laissés pour compte de l'état...

Le film est partagé, entre un statut de classique inattendu (Obama l'a parait-il cité dans une conversation privée comme un exemple à suivre pour faire rire ses interlocuteurs), de sympathique comédie qui se laisse aller à présenter un politicien déguisé en rappeur de carnaval, et un pensum un peu trop téléphoné. On aime bien Jay Bulworth, mais la crise est parfois laborieuse, sans parler de l'effet-mode, avec des dialogues qui apparaissent bien datés. Reste la caricature corrosive des systèmes électoraux, à peine déformée, et un exemple de film qui essaie d'incorporer toutes les scènes tournées dans un montga serré à l'extrême... Et un acteur-réalisateur qui cabotine sans retenue.

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Published by François Massarelli - dans Warren Beatty
14 août 2014 4 14 /08 /août /2014 16:41

Edmund Kean (1787 - 1833) est le plus grand acteur Anglais de son temps, un génie qui va révolutionner la façon d'interpréter Shakespeare, auquel il rend toute sa verve et tout son sel... C'est aussi, comme tant d'acteurs, un aventurier, un homme qui laisse la passion et l'impulsion le guider. Malheureux en amour, heureux en débauche et riches en dettes... Bref, un rôle sur mesure pour Ivan Mosjoukine, co-scénariste de ce film qui reste l'un de ses classiques, et l'un de ses grands films interprétés pour les studios Albatros avant de tenter la grande aventure d'un cinéma plus grand public avec Michel Strogoff en 1926. Kean est d'ailleurs l'avant-dernière collaboration de Mosjoukine avec les studios de Ermolieff et Kamenka... et c'est une production d'une incroyable richesse, tant par ses décors que par la qualité de l'interprétation, et bien sur l'invention filmique!

La première apparition de Mosjoukine en acteur (Interprétant Romeo) est longuement préparée, elle se confond bien sur avec le véritable commencement du film. Et la confrontation entre Kean, son public, et Shakespeare occupe bien une dizaine de minutes, riches en enseignements. Mosjoukine est d'abord une ombre géante qui se détache des coulisses, avant de manger toute la scène... Bien sûr, contrairement à la légende qu'était Kean, l'acteur de cinéma semble adopter un jeu assez conventionnel pour son Shakespeare, mais le film n'est absolument pas un documentaire, et Volkoff s'intéresse finalement plus à l'effet que fait Kean sur le public (Aussi bien la noblesse et la bourgeoisie que les "Enfants du paradis"!). Et tout au long de ces 141 minutes de cinéma flamboyant, Mosjoukine ne se contient pas vraiment... il faut dire que ce rôle est taillé sur mesure pour la star excentrique du cinéma Franco-Russe, qui lui aussi tendant à faire se confondre, comme Kean dans les scènes où on le voit interpréter Romeo et Juliette, puis Hamlet, le théâtre et sa vie, et séduisait comme d'autres respirent. Et Kean, dans sa vie, prolonge son métier en se déguisant sans cesse pour échapper à ses créanciers. En marin... ou en tigre!

Le film reconstruit à merveille le Londres du XIXe siècle tel que Dumas l'a imaginé dans sa pièce, et Volkoff et Mosjoukine se sont plus à accumuler les scènes de bravoure, toute construites sur une véritable unité dramatique. la plus connue, la plus discutée aussi, est bien sur sensée montrer les excès de la vie de débauche de Kean, qui danse et boit jusqu'au bout de la nuit dans un pub. La scène est électrique, communicative, et recycle merveilleusement le montage rapide tel que Gance l'a utilisé dans La roue. Mais chaque scène possède sa propre identité, dans un grand film qui n'hésite jamais à passer d'un genre à l'autre, d'un seul souffle. C'est encore une fois la marque de fabrique de Mosjoukine, mais avouons que le style de Volkoff a une classe folle...

Ce film qui fut un énorme succès, qui mêle de façon fascinante l'art avec la vie et la mort des artistes, on peut spéculer sur le fait que Carné l'ait vu... En tout cas il est impossible de ne pas y penser. Quant à l'acteur Mosjoukine, qui a manifestement pris énormément de plaisir à interpréter cette auto-caricature d'une rare finesse, il ne pouvait sans doute pas deviner que jouer la mort de Kean, qui s'accroche à Shakespeare (Son seul vrai ami, le souffleur Salomon interprété par Nicolas Koline, lui lit des extraits avant que l'acteur, en transe, le remplace au pied levé) jusqu'à son dernier souffle, serait prémonitoire de sa propre mort dans la misère.

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Published by François Massarelli - dans Muet Ivan Mosjoukine Albatros 1924 *
14 août 2014 4 14 /08 /août /2014 11:04

Il y a un je-ne-sais quoi d'intrigant, de foncièrement excentrique à tous les films de Niccol, y compris à son très conventionnel réquisitoire-coup de poing Lord of war. Mais ce sont bien sur ses films de science-Fiction qui retiennent l'attention (Et j'y inclus un film dont il a écrit le scénario, le magsitral The Truman Show, de Peter Weir). Forcément, un film comme Gattaca ne peut que se prêter avantageusement à toute analyse des spécificités de cet auteur, tellement fasciné par les possibilités (Surtout négatives) de la science et de la technologie actuelle qu'il aime à imaginer des mondes dans lesquels nos possibilités théoriques deviennent des réalités par lesquelles la civilisation est régie. SimOne et son producteur lessivé qui se saisit des possibilités infinies occasionnées par la création d'une actrice virtuelle, ou In time et ses êtres humains qui ont remplacé l'argent par le temps qui leur reste sur terre, augmentable ou réductible, ces deux films ne sont pas autre chose que des variantes sur le type de monde offert dans Gattaca...

Jerome Morrow est un imposteur. De son vrai nom Vincent Anton Freeman (Ethan Hawke), il est un être conçu sans triche, imparfait (Le terme est "in-valide") et destiné à rester un subalterne dans une société décidément élitiste dont les élites sont conçues dans la sécurité grâce aux grands moyens dont dispose la génétique... Mais Vincent a décidé de tout mettre de son côté pour accomplir son rêve: entrer à Gattaca, centre spatial de pointe qui n'emploie que des êtres parfaits, des "valides", puis devenir un membre d'une expédition spatiale. Pour parvenir à ses fins et tromper la vigilance d'une société dont l'obsession est de contrôler en permanence les traces d'ADN que tout un chacun laisse derrière soi, il va s'attacher les services de Jerome Morrow (Jude Law), le vrai, un athlète qui a eu un accident et dont la vie est ruinée, mais dont l'ADN est de toute beauté. Reposant sur le sang, l'urine, les cheveux, la peau de Morrow, le héros trouve des stratagèmes pour tromper encore et encore sa hiérarchie, mais aussi ses pareils, dont la très jolie Irene (Uma Thurman); jusqu'à ce qu'un crime soit commis, et que le seul indice probant soit un cil, celui d'un 'in-valide' disparu, un certain Vincent Freeman...

La création fascinée d'une société valide dans ses moindres détails, c'est l'apanage de grands films de Kubrick ou Scott, bien sur. Il fallait un certain culot à Niccol pour s'attaquer à un film comme celui-ci, et heureusement qu'il n'est pas Michael bay, dont le film The island reste probablement l'un des plus hilarants films d'humour potache involontaire de toute l'histoire de l'humanité. Niccol a laissé à Vincent narrateur le soin de faire les présentations, et le film commence de façon dynamique, tout y est en place et le stratagème (Certes ô combien tiré par les cheveux, si j'ose dire vu les circonstances, mais on veut bien y croire le temps d'un film, c'est la magie de l'art) fonctionne à plein. On se doute qu'un grain de sable va précipiter les choses dans le mauvais sens, mais peu importe: la peinture subtile d'une société tellement enferrée dans ses certitudes élitistes qu'un homme jugé imparfait n'a aucune chance est l'essentiel du film, dans lequel Niccol adopte avec efficacité le ton d'un film de science-fiction léger, au suspense bien assumé. La dénonciation des excès vers lesquels la science ne peut que nous entrainer est saine, et proche des réalités du possible. Et le message du film est aussi tourné vers les êtres imparfaits, dont le très ambitieux Vincent est un héros très ambigu, et l'athlète qui a tout perdu un symbole. La direction d'acteurs repose sur la nuance et une sobriété de tous les instants, car comme le fait remarquer Irene à Vincent, ici si on est enthousiaste on se fait remarquer... Mais Niccol, lui, a su justement s'investir avec enthousiasme derrière son film, qu'il saupoudre en permanence de poésie cinématographique bienvenue, et si les ficelles du scénario tendent à se voir sur la fin (Réapparition inattendue - et inévitable - d'un frère perdu), on l'accepte de bonne grâce, parce que le film en vaut sacrément la peine. Déplorons juste légèrement que Niccol ne soit pas allé plus loin dans la fable, mais après tout c'est exactement ce que Weir fera avec The Truman Show, et Niccol lui emboîtera le pas avec humour dans SimOne.

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Published by François Massarelli - dans Andrew Niccol Science-fiction
11 août 2014 1 11 /08 /août /2014 16:32

Will Graham (William Petersen), un ancien agent du F.B.I. est appelé à reprendre du service: il a en effet rendu de fiers services dans le passé, en explorant les possibilités d'une nouvelle approche, qu'on n'appelle pas encore le profiling. La raison pour laquelle il est retiré des affaires est pourtant liée à ce passé professionnel: il a fini par faire un séjour psychiatrique à force de se mettre à la place des tueurs qu'il a contribué à arrêter ou éliminer. Au grand dam de son épouse (Kim Greist), il accepte néanmoins, en particulier pour rendre service à son ami Jack Crawford (Dennis Farina). L'enquête à laquelle il participe consiste à faire toute la lumière sur deux crimes sans précédent, mais tous deux perpétrés par le même tueur: il a massacré deux familles... Parallèlement à la progressive et douloureuse reprise de ses activités par Will Graham, nous faisons également la rencontre du tueur, Francis Dollarhyde (Tom Noonan), dans ses maladroites mais touchantes tentatives de séduction d'une collègue aveugle, Reba (Joan Allen)...

Bien des héros de Michael Mann sont tout entiers accaparés, jusqu'à l'aliénation, par leur travail: c'est notamment le cas des deux protagonistes (L'un est tueur, l'autre chauffeur de taxi!) de Collateral. Mais Will Graham est un cas d'espèce: il est amené à reprendre son travail après une quasi-retraite, et contrairement aux héros visillissants de Clint Easwood, cet arrêt des activités était totalement volontaire, et avec le soutien de son épouse. Graham sait qu'il a tout à perdre à reprendre ce métier qu'il a quasiment inventé... Ce qui apporte un intérêt fascinant à ce film qui est à ma connaissance le premier à aborder un tel domaine. Et comme Michael Mann partage avec Hawks une curiosité gourmande pour les hommes au travail, les séquences qui le voient repartir au charbon, lentement, méthodiquement, en entrant presqu'en transe, sont hallucinantes. Le film devient une descente aux enfers, pour un homme qui doit non seulement comprendre les désirs les plus inavouables du tueur, il doit aussi les ressentir, et se faire aider par un psychopathe qui ne boude absolument pas son plaisir...

Le film est la première adaptation d'un roman de Thomas Harris, Red dragon, 5 années avant The silence of the lambs. On y aperçoit aussi, bien sur, Hannibal le cannibale (Ici appelé Lecktor, interprété par Brian Cox), qui apporte son soutien si particulier à Graham, mais le film ne lui accorde pas autant d'importance qu'au héros, contrairement au film de Jonathan Demme. Et Mann a souhaité s'intéresser essentiellement à l'effet de l'enquête sur Graham, là ou Silence of the lambs déroule une enquête perçue presque selon une optique documentaire. La tension de Manhunter découle de la douleur de l'entrée progressive en contact de Graham avec le tueur, dont il va, à un moment ou à un autre, devoir avoir la peau afin de faire son deuil de leur rapprochement... Et dans sa version intégrale (3 mn cruciales qui nous montrent à quel point Graham est allé loin dans son approche, probablement trop loin d'ailleurs), on mesure les façons dont deux hommes que tout devraient opposer sont en fait si proches. Un thème qui reviendra de façon dramatique dans Heat, Insider, Collateral, Public enemies, et même, par certains côtés dans The last of the Mohicans...

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Published by François Massarelli - dans Michael Mann
11 août 2014 1 11 /08 /août /2014 10:11

L'histoire, très fidèle à James Fenimore Cooper, de Cora (Barbara Bedford) et Alice Munro (Lillian Hall), deux jeunes femmes qui sont venues dans les colonies Américaines pour rejoindre leur père, un officier Anglais (James Gordon) aux prises avec les Français et des troupes d'Indiens ingérables. Elles vont croiser la piste de Chingachgook (Theodore Lorch), pisteur Mohican, et de son fils Uncas (Alan Roscoe), dont Cora va bien vite tomber amoureuse. Mais un autre homme a décidé de s'approprier la jeune femme, Magua, le scout Huron (Wallace Beery). Celui-ci joue un double jeu, mais tend surtout à travailler pour lui-même bien plus que pour les Français...

Tourneur n'est plus du tout un exilé Français quand ce film se met en chantier. Il est l'un des grands metteurs en scène du cinéma Américain, comme DeMille ou Griffith. Il a imposé son sens esthétique hors du commun, certes lié à ses années de formation dans le cinéma Français, mais exacerbé par sa découverte des Etats-Unis. Depuis quelques temps, il s'est relocalisé de Fort Lee, new Jersey, vers la Californie, comme l'essentiel de la production Américaine. Et il s'attelle à une prodution d'envergure dont il veut faire un grand film... Mais il tombe malade, soit juste avant le début du tournage, soit pendant... Les compte-rendus divergent, et le lpus loquace sur le sujet, Clarence Brown, tend à se mettre en avant, et pour cause: remplaçant au pied levé son mentor, il est co-crédité à la mise en scène...

Mais quelque soit le metteur en scène, ce film est splendide, tant par son esthétique fabuleuse: ces gens, que ce soit Brown ou Tourneur, savent composer une image, utiliser la lumière, la profondeur de champ... Et le timing est parfait: le rythme de cette course désespérée contre l'horreur et la mort rend le film poignant, en particulier dans les scènes de violence qui sont encore aujourd'hui surprenantes par leur crudité. Et puis le film s'attache à peindre l'amour d'une femme pour un homme, en des termes étonnants: non seulement Cora aime Uncas, qui est un Indien, mais elle a une façon de le regarder dans les instants cruciaux qui ne laisse rien à un romantisme béat ou infantile; c'est du désir et une curiosité avisée qu'on lit dans ses yeux. Le film est d'ailleurs tout entier ou presque de son point de vue. De plus, Cora Munro, contrairement à certains personnages masculins, est courageuse, et prète à se sacrifier. Barbara Bedford est exceptionnelle, comme du reste toute la troupe d'acteurs qui se distinguent par leur jeu naturel et profond. Même Wallace Beery, qui interprète Magua, se retient!

The last of the Mohicans, en raison de l'importance de Tourneur, et sans doute parce que le metteur en scène l'avait beaucoup préparé, est passé à la postérité sous le patronage du réalisateur Français, mais si on suit Clarence Brown, qui affirme en avoir réalisé l'essentiel, alors c'est l'un des plus beaux premiers films qui soient...

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Published by François Massarelli - dans Muet Maurice Tourneur 1920 Clarence Brown *