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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 15:35

Ce film avec Buck Jones est donc la première réalisation de Frank Borzage pour la Fox. La star a déja interprété un rôle similaire à ce Steve "Lazybones" Tuttle dans d'autres films, dont par exemple un beau long métrage de Ford qui était aussi son premier film Fox: Just pals, en 1920. Le style de ces films est typique de ces petites histoires rurales Américaines, dont Griffith ou Henry King (Tol'able David) ont été un temps les chantres. Borzage va s'approprier ce matériel et en faire un très grand film, qui redistribue les cartes du mélodrame avec talent et souvent avec génie; totalement dans son élément, le cinéaste nous fait partager son émotion, sans aucune retenue...

 

Dans une petite ville de la campagne, Steve Tuttle est tellement fainéant qu'on lui a attribué un surnom afin de ne jamais l'oublier. Sa maman, qui le soutient, se désespère, mais lui l'assume pleinement, ne trouvant rien à faire de plus grisant que de se prélasser au bord d'une rivière tumultueuse à taquiner le poisson d'une canne fort peu alerte. Il est amoureux d'Agnes, qui la cadette de sa famille; il va de soi que la maman d'Agnes désapprouverait totalement de voir sa fille flirter avec un tel bon à rien, mais ele est trop préoccupée de caser son autre fille avec un banquier plein d'avenir pour s'apercevoir de quoi que ce soit. Celle-ci, Ruth, a un problème: elle s'est mariée, en secret, par amour avec un marin, qui est décédé peu après, et elle a un enfant. Lorsqu'elle revient au pays, elle tente de se suicider. Steve la sauve, puis recueille son secret... et le bébé. le reste du village qui ne l'aimait pas beaucoup se déchaine alors contre lui... et contre le bébé, une fille, qui grandira bien seule...

 

Un scénario plein, donc, avec ses péripéties héritées du mélodrame le plus pur. Pourtant Borzage ne s'éloigne jamais de la comédie avec ce film, y compris lors de scènes dramatiques âpres et cruelles. Le stigmate social est la première cible du cinéaste, à travers ces voisins bien intentionnés qui ferment leur porte et leur coeur à la première occasion; bien sur, première visée, la maman de Ruth et Agnes, qui mène la méchanceté jusqu'à la folie; il ne peut nous échapper qu'elle a tout d'une sorcière de conte de fées, ce qui sied particulièrement à un film de Borzage. mais au-delà de la dénonciation, il me semble que Steve Tuttle est le premier grand héros Borzagien, auquel il donne une série de traits qui reviendront, de film en film: marginal, il est vu et revu à travers ses pieds, inactifs et emmêlés l'un dans l'autre lorsqu'il se prélasse. ce motif traverse le film et se substitue à Steve occasionnellement (une paire de chaussures neuves joue d'ailleurs un petit rôle humoristique à la fin du film). sa position préférée, allongé contre un arbre, le suit jusque dans ses rêves, jusqu'à la guerre... La marge pour Steve, c'est une choix assumé et sans grand drame, comme le Chico de Seventh Heaven qui travaille dans les égouts mais vit près des étoiles, le Tim de Lucky star qui est paralysé mais garde son envie de vivre, ou encore le Bill de A man's castle dont la clochardise devient un art de vivre... Leur position en marge leur confère une moralité et une capacité à donner lorsque cela a vraiment du sens, à d'autres: femmes ou enfants, Diane, Mary Tucker, Trina ou Kit...

 

Mais cet anti-héros va tout donner, et risquer sa vie pour une autre. Puis, il va recueillir la petite Kit, et l'élever avec sa mère, se mettant définitivement au ban de la société. Ironiquement, ces deux actions vont être passées sous silence, mais les gens vont le fêter pour un haut fait d'armes accompli par hasard, lorsqu'en pleine bataille il était resté planqué, devenant le seul soldat Américain à pouvoir sortir ses compagnons du pétrin. C'est que Steve a tout sacrifié, ne pouvant révéler le secret de Ruth à personne, pas à sa mère, pas même à la soeur de la jeune femme, pas même à Kit. Une scène très belle (Admirable Zasu Pitts, qui a semble-t-il utilisé la méthode Lillian Gish, et accentué sa maigreur cadavérique pour une scène d'agonie très effective: elle fait très peur) voit Ruth mourir dans les bras de Kit, qui ne comprend pas ce qui lui arrive, mais trouve une prière appropriée pour celle dont elle ne saura jamais qu'elle était sa mère...

 

La transformation de Steve est surprenante de discrétion dans ce film, par opposition à ce qui se passe dans d'autres films. Le plongeon dans l'eau assume sans trop de problèmes le statut d'une renaissance, d'autant qu'il va y devenir un héros, mais aux seuls yeux de Ruth et du public. Ensuite, il va garder le secret, bravant les yeux de tous, et laisser Agnes partir; à la fin, la fête pour le "héros" est bien ironique, qui le voit s'éloigner pour calmer ses pieds meurtris dans l'eau froide pendant que les jeunes gens dansent. Ce dernier passage, qui voit Steve revenir de la guerre, légèrement transformé (Des cheveux blancs), et tomber amoureux de celle qui l'a élevé. Celle-ci l'a déja supplanté avec un jeune homme (Qui lui ressemble subtilement): la vie de Steve est déjà à son crépuscule... il est passé à coté comme il aime tant à laisser la rivière suivre son cours quand il pêche. Il lui fallait être fêté par tout le village pour s'en apercevoir.

 

Beau film sur une exclusion, qui nous montre un anti-héros dans toute son humanité, sa complexité, presque malgré lui. Pour Borzage, le jugement a priori est une saleté, et ses personnages sont face à leurs seuls actes; Steve "Lazybones" Tuttle est un homme qui a fait le bien, mais il ne s'en vantera pas: bien qu'il ait tout perdu, à la fin (sauf sa maman, qui lui donne sa canne à pêche afin qu'il revienne à la case départ), bien que Kit soit partie avec un autre, et Agnes ait appris la vérité trop tard pour revenir en arrière, Steve donc  continue comme si de rien n'était, à la fin de ce film qui nous a conté 25 ans de sa vie. Borzage a lui aussi beaucoup accompli avec ce film; le village qu'il nous montre est souvent réduit à ses allées poussiéreuses, à ses arrières cours et à ses champs. peu d'intérieurs, et l'impression d'être resté en coulisse d'une petite localité ainsi stylisée. C'est un trait de ses films qui restera, là encore, autant la stylisation que cette tentation de montrer les coulisses d'un monde.... Ce sera la même chose avec la guerre, qui reste très schématique, et une fois n'est pas coutume, anecdotique: pas de gros bouleversement, contrairement à ce qui se passe dans tant d'autres films (Toujours les mêmes: Seventh Heaven, Lucky Star...). Mais la façon dont Borzage mêne comédie et mélodrame, dont il filme de façon frontale le suicide de Ruth, dont il laisse ses acteurs donner le meilleur de'eux-mêmes dans l'expression de l'émotion (Jane Novak, Agnes, découvrant la vérité à la fin, par exemple, dans une scène très cruell mais aussi très juste) n'ont aucune concurrence. Admirable.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage 1925 Muet *
23 avril 2011 6 23 /04 /avril /2011 16:17

En 1924 et 1925, la toute jeune MGM a beaucoup employé de jeunes et moins jeunes réalisateurs, parmi lesquels Josef Von Sternberg, William Wellman ou Frank Borzage, qui n'ont pas fait long feu au sein de la compagnie. Les méthodes de production de la compagnie, malgré leur Ars gratia artis si clairement affiché au frontispice de chaque film, n'étaient pas forcément des plus avantageuses pour les artistes, justement. C'est donc dans ces conditions que Frank Borzage, au sortir de deux petits contrats avec la Cosmopolitan de William randolph Hearst, puis la First National, a réalisé deux films mineurs. le premier, Daddy's gone a-hunting, que je n'ai pas vu, n'a pas bonne réputation, et le deuxième, The circle, adapté d'une pièce de Somerset Maugham, est meilleur, dans une certaine mesure.

 

La source théâtrale est évidente dans ce film qui se situe largement en intérieurs, et qui est surtout l'histoire d'une soirée: Lady Catherine a déserté son foyer avec le témoin de mariage de son mari, Hughie, et les années ont passé: le mari, Clive ne s'est pas remarié, mais a élevé son fils Arnold, qui est aujourd'hui marié. La situation risque de se reproduire, puisque l'pouse du fils a décidé d'inviter la mère et son compagnon afin de juger par l'effet des années si la désertion vaut la peine d'être tentée...

 

Les ruptures de ton, Borzage connait, on l'a vu avec Secrets (1924). Mais ona quand même souvent l'impression, et il semblerait que ce ne soit pas qu'une impression, que l'auteur de Humoresque n'ait pas spécialement été emballé par cette histoire, dont il faut bien dire que le meilleur est l'introduction, les quelques 6 minutes qui nous présentent la fuite de Lady Katherine: c'est, il est vrai, la jeune starlette Lucille Le Sueur, qui ne s'appelait pas encore Joan Crawford, qui interprète la jeune femme... L'aube d'un grand amour qui sacrifie tout le reste, forcément, ça a plus parlé à Borzage que le reste du scénario, divisé en 3 actes: d'une part, l'exposé de la situation présente par l'héroïne (Eleanor Boardman), et la présentation de chauqe personnage; lorsque on voit pour la première fois le mari interprété par Creighton Hale avec son monocle, on ne peut que lui donner raison d'avoir envie de foutre le camp, honnêtement. un deuxième acte voit l'arrivée de Lady Katherine et de Hughie, désormais aussi vieux que leur âge, et plus pittoresque que romantiques. Ils semblent diriger le film vers la grosse farce, et la conclusion qui semble devoir s'imposer est que l'amour ne viellit pas bien... Jusqu'au coup de théâtre: apercevant les deux vieux amants enlacés tendrement après une dispute, la jeune femme tente le tout pour le tout. Le dernier acte voit l'insupportable mari jouer son va-tout, et casser la figure à son rival. Tant pis.

 

Le film n'avait as grand chose pour intéresser l'auteur. celui-ci a fait son travail, dans une certaine mesure (On sait que bien des films de la MGM à l'époque passaient par plusieurs mains, donc il faut être prudent), mais il n'a pas donné la pleine mesure de ses moyens à la MGM: le film suivant de Borzage, Lazybones, inaugurait un contrat à la Fox, et on allait voir ce qu'on allait voir, oh oui. Et bien sur, Borzage reviendra en 1937 à la MGM, pour là encore faire autrement mieux que ce petit film sympathique, mais secondaire.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage 1925 Muet *
20 avril 2011 3 20 /04 /avril /2011 16:21

Le ticket de Borzage pour le grand Hollywood, un film de prestige dans lequel on a laissé les coudées franches à celui qui s'est jusqu'à présent surtout illustré par des westerns, Humoresque fait partie de ces si nombreux films qu'on a cru longtemps perdus, jusqu'en 1986 à en croire Kevin Brownlow qui s'est penché sur ce film dans la cadre de son étude sur la peinture des communautés Juives Américaines dans le cinéma muet (L'un des chapitres de son merveilleux livre Behind the mask of innocence). Retrouvé, et désormais bien connu, il est bien sur un film important dans la carrière de Borzage, mais n'est finalement que ça. Il souffre un peu de la comparaison, tant avec ce qui le précède que ce qui le suit...

 

Le film distribué par Paramount mais produit par la Cosmopolitan est du à la volonté de William Randolph Hearst de travailler avec Borzage, mais c'est le metteur en scène qui a sélectionné l'histoire, sur des critères qui lui sont chers: il lui fallait une histoire humaine, pas trop sophistiquée. Il a bénéficié de la collaboration de Frances Marion, mais il a lui-même mis la nouvelle dans les mains de la scénariste. Le film raconte donc le parcours d'un enfant du ghetto qui deviendra un violoniste de renom, mais qui parti pour la guerre reviendra abimé, blessé au plus profond de son âme, et surtout incapable de jouer. il faudra tout l'amour qui le lie à sa fiancée pour le voir reprendre confiance.

 

Le metteur en scène a réservé la première demi-heure à l'enfance de Leon Kantor, le héros. On y retrouve ses parents, ses nombreux frères et soeurs, dont Mannie, né en plein exil de ses parents et qui en a gardé des séquelles mentales profondes. Il y a aussi Gina, la petite voisine dont Leon est amoureux. Le Lower east Side est montré à travers de courtes vues documentaires effectives, et qui seraient selon Borzage lui-même des images volées... mais l'essentiel du film a été tourné en studio. Une grande part est dédiée au cliché de l'amour maternel et la rivalité comique entre les parents, le père qui a soif de réussite, et la mère qui souhaite que l'un de ses enfants puissent suivre une voie artistique... La deuxième partie voit Leon, qui a réussi, donner des concerts, et offrir des conditions de vie plus décentes à ses parents. la guerre le rattrape, sans qu'une longue préparation du public ait été faite: elle tombe sur le jeune homme un peu comme ça, sans crier gare. Borzage, qui l'occultera plus tard en la rendant abstraites (Voir Lucky star, ou encore A farewell to arms), prend délibérément le parti de n'en rien montrer. le résultat devient bien conventionnel, et assez franchement expéditif...

 

Ce film est donc un mélodrame assez classique, et même trop: on se réjouissait de trouver dans les petits westerns du metteur en scène des épices secrètes, mais la liberté de ces films a été laissée de coté sur ce tournage, probablement très important pour le metteur en scène, dont des acteurs (Selon l'article de Brownlow) ont dit qu'il était tendu sur le plateau, irritable. Ce n'est pourtant pas la réputation qu'il aura par la suite... On se réjouit bien sur de le voir s'essayer au miracle, puisqu'il fait reposer la charge émotionnelle de son film sur le retour de la guerre, avec un Leon défait qui n'a plus le coeur à jouer de la musique. Le retournement de situation est soudain, inattendu, et miraculeux... C'est un grand moment, qui sera bien sur largement dépassé par les fabuleuses scènes d'épiphanies dans de si nombreux films ultérieurs, mais il fallait bien commencer. Un autre grand moment aussi, lorsque Leon joue pour son quartier, Borzage choisit de nous faire ressentir la musqie par le montage de quelques visages émus de vrais gens du Lower east Side, et place sa caméra derrière le public, marée humaine en silhouette, alors qu'au fond du plan, on aperçoit les musiciens. c'est non seulement très juste, mais ça nous renvoie à Gance, qui ajoutera bien sur de la fougue à sa foule chantant la Marseillaise dans son Napoléon.

 

Un peu trop mal à l'aise donc avec ce film qu'il lui fallait réussir pour exister, et pour accéder à la cour des grands, Borzage a donc fait un long métrage qui aujourd'hui possède des beautés, mais aussi des moments de convention et une certaine platitude. La première demi-heure, avec sa vie dans les quartier pauvres, est la plus intéressante. C'est ce qui fera d'ailleurs peur à Hearst et Zukor, qui se feront tirer l'oreille pour accepter de sortir le film. Il aura un grand succès, et permettra sans aucun doute à Borzage, qui restera indépendant jusqu'en 1925, d'accéder à la MGM, puis à la Fox, avec les conséquences que l'on sait.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage Muet 1920 *
19 avril 2011 2 19 /04 /avril /2011 18:36

Cendrillon est au coeur de l'oeuvre de Borzage. en 1976, dans un numéro spécial de Positif, jacques Segond explorait cet aspect de la flmographie du metteur en scène, relevant dans ce qui était à l'époque le corpus des films connus (Essentiellement la période 1927-1941, de Seventh Heaven à The mortal storm) les traces du conte de fées sur les films. Essentiellement, Borzage tend à raconter des histoires dans lesquelles on change un être, de fond en comble, aussi bien visuellement (Habillement) que dans son for intérieur. mais on l'a vu avec Nugget Jim's partner, le metteur en scène aime à ajouter une conséquence de ce premier changement, qui est que l'être changé va à son tour agir positivement sur son environnement. Cette variante est justement la base de ce beau film...

Dans un prologue, on apprend qu'un homme, Kirby, a été obligé d'en tuer un autrepour légitime défense, alors qu'il devait se rendre chez lui pour assister sa femme dans son accouchement, et que les hommes auxquels il s'adressait ont non seulement refusé de lui donner un cheval, mais l'ont également menacé. une fois chez lui, et alors que son épouse est morte, rattrappé par la police montée, il était prèt à collaborer, mais un quiproquo a fait que le "mountie" a cru qu'il avait pris la fuite. c'est désormais un homme traqué, entre le sud du Canada et le nord des Etats-Unis. Puis l'histoire continue avec l'arrivée dans un petit ranch du Montana, ou travaille une jeune fille, Margy (Pauline Starke). Celle-ci ne demande qu'à s'enfuir, mais au moment ou elle essaie de fuir la maison des gens qui l'exploitent, elle tombe nez à nez avec Kirby. Tout les deux s'échappent ensemble, et finalement se séparent, Kirby conseillant à la jeune femme de trouver refuge chez les Mounties, et la jeune fille mentant pour permettre à Kirby de partir. Margy, recueillie par la police montée, devient bien vite la mascotte du fort, et plait de plus en plus au policier qui, obsédé par la traque de Kirby, n'a pas dit son dernier mot...

Avec ce film, l'un de ses premiers longs métrages (5 bobines), Borzage fait déjà des merveilles en explorant avec passion des thèmes qui ne le quitteront plus. Il fait siennes les règles du mélodrame, qu'il ne transcende pas trop encore, et joue avec brio avec des fils narratifs qui n'en demandaient pas tant en 1917:  le film commence carrément par une digression, qui plus est celle-ci n'a rien de didactique. En faisant reposer le film sur ce prologue dédié à la saga de Kirby, qui disparait d'une grande portion du film ensuite, Borzage prend des risques, mais le résultat est passionnant. On est toujours dans ce western âpre, réaliste, et cruel des films de 1915-1916 mais le film saura faire prévaloir les sentiments.

Cendrillon, c'est donc Pauline Starke, qui est exploitée par des gens peu scrupuleux, et qui décide de s'enfuir. Le vêtement joue un grand rôle dans cette histoire, puisque pour s'enfuir, Margy doit se déguiser en garçon, puis le "mountie" lui conseille de s'habiller en fille, dans la mesure ou il ne peut pas la ramener comme cela, et enfin elle achève sa transformation par les vêtements en deux temps, en devenant au fort une jeune fille "comme il faut", puis quatre ans plus tard une femme. Le vêtement et son corollaire, le déshabillage, qu'on retrouvera souvent associé à la promiscuité amoureuse ou sexuelle (A man's castle, ou la résistance de Chico dans Seventh Heaven, voire l'embarras de l'homme dans Lucky star, face à celle qu'il croyait n'être qu'une enfant, et qui est en réalité une femme), jouent aussi un rôle lorsque la jeune fille en salopette s'éloigne du mountie, qui détourne les yeux, et profite du moment pour aller dire à Kirby de prendre le large.

La transformation de Pauline Starke passe également par la maturité de son personnage. il est à porter au crédit du metteur en scène comme de l'actrice d'avoir évité une caractérisation par trop dynamique, à la Mae marsh, telle que Griffith imaginait une adolescente... Mais bien sur, Margy va changer tout et tous. Elle sauve Kirby, donne un idéal à son Mountie préféré, et apporte la joie de vivre dans le fort...

Contrairement à Humoresque, Strange Cargo ou Seventh heaven, pas de miracle encore dans ce film, sinon dans le singulier hasard des rencontres, ressort éminemment mélodramatique. Mais par contre, Borzage insiste beaucoup sur le code d'honneur, celui des gens de la police montée, qui attrappent toujours leur homme, ce qui est après tout leur travail: un homme comme Borzage est sensible à cette valeur. Mais c'est aussi le code d'honneur de Kirby, qui n'a tué que contraint et forcé, mais qui va se rendre, afin de laisser la justice se faire. et le code d'honneur est enfin lié à Margy, qui doit à Kirby d'avoir vraiment pu s'enfuir. Elle fait tout pour ne pas trahir le secret de son ami: celui-ci se rend chez son fils tous les ans pour son anniversaire, se mattant ainsi en danger d'être cueilli par la police. Lors de la confrontation entre Kirby et celui qui le pourchasse, Margy se doit d'être là, comme elle était présente lors de leur dernière confrontation, au moment ou Margy a été recueillie par la police montée. pas de miracles, mais des liens entre les êtres, jamais anodins. Et un lien plus visible que les autres, c'est cette tache de sang qui orne le visage de Margy après qu'elle ait pris Kirby blessé dans ses bras, alors qu'ils se disaient adieu: la trace d'un lien, entre deux personnes, des marginaux, qui sont en fuite.

Le rendez-vous de Kirby avec son fils est une autre touche qui aura des suites dans les films de Borzage, avec ce rendez-vous onirique dans Seventh Heaven, l'heure à laquelle Chico et Diane se retrouvent intérieurement... Bien sur, chez le Borzage de 1917, le lien entre les êtres d'une même famille ou d'un même couple, est déjà sacré, et la parole donnée, une loi absolue...

Utilsant magnifiquement des décors désolés dans lesquels on reconnait plus facilement la Californie que le Canada, Borzage montre avec passion une histoire une fois de plus considéré a priori comme un western de plus, mais qui décidément annonce plus d'un feu d'artifice. Un film qu'on aimerait voir dans une copie digne de ce nom.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage 1917 Muet Western Thomas Ince *
10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 11:50

On connait mal l'oeuvre de King Vidor antérieure à The big parade. Ce dernier étant un classique, un film à l'aube d'une impressionnante carrière, on peut comprendre cette prépondérance. mais des copies de certains films plus anciens ont heureusement été retrouvées. Parmi les films ainsi redécouverts, on peut citer Bud's recruit, The jack-knife man, Peg o'my heart, ou le mélodrame Wild oranges qui préfigure beaucoup d'autres Vidor, et non des moindres. Love never dies est donc un autre de ces films des années de formation du grand metteur en scène, très précisément son huitième long métrage. Il a été produit par thomas Ince, et les copies disponibles ne sont pas complètes; il y a en particulier vers la fin des sautes de continuité qui sont assez embarrassantes...

 

John est un ingénieur dont l'avenir est sans doute tout tracé, mais sa mère est une prostituée, ce qui l'empêche d'avancer. Un jour, il rencontre Tilly, lui cache la vérité et se marie avec elle. Quand le père de Tilly apprend la vérité, il enlève sa fille. john croit que celle-ci l'a quitté, s'enfuit et se fait passer pour mort. Mais l'envie de revenir en arrière est trop forte...

 

On le voit, c'est du mélodrame patenté, et les invraismeblances et les coups de théâtres simplistes se succèdent à un certain rythme. le film a de la valeur, pourtant, au-delà de ses scories et de ses raccourcis incroyables (John! Ca alors! tu n'es donc pas mort dans le déraillement du train?? Viens donc prendre le thé à la maison!), par la façon dont Vidor oppose déjà à la succession d'évènements ahurissants des notations justes sur la sensibilité des personnages, comme ce moment durant lequel le héros rentre chez lui et ne trouve pas son épouse. Le vide de la maison est rendu par l'insert d'un chaton qui miaule ostensiblement, puis John s'effondre sur le lit, cherche sous l'oreiller de son épouse. il y trouve ce qui est probablement la chemise de nuit de la jeune femme, et la serre contre son coeur, intrusion intéressante d'une véritable sensualité. Le final du film voit Vidor filmer une poursuite sur l'eau, dans les rapides, avec chute d'eau et sauvetage in extremis, au plus près des corps, et le déraillement nocturne du train est lui aussi un beau moment du film, meilleur que celui de The road to yesterday de DeMille, en 1925... Oui, cette comparaison est franchement déloyale...

 

Vidor, en matière de mélo, fera évidemment mieux, en particulier dans Wild Oranges dans lequel il réduira le nombre de personnages et se reposera sur la tension érotique, et le suspense des situations. ci, c'est encore une commande honnête, mais terriblement conventionnelle.

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Published by François Massarelli - dans Muet King Vidor 1921 *
1 mars 2011 2 01 /03 /mars /2011 12:56

Ce film de guerre prend beaucoup de place dans l’univers Griffithien,et n’oublions pas qu’il se situe après Birth of a nation, terminé en novembre 1914 et montré en février 1915, et Intolerance, dont le tournage avait déjà débuté en février 1915, et qui ne sera présenté au terme d’un tournage plusieurs fois pharaonique qu’en septembre 1916 : d’une durée de 12 bobines, réalisé sur une période de plus d’un an, en Angleterre, en France et aux Etats-Unis, au terme d’un périple qui vit Griffith, embarqué avec Bitzer et les sœurs Gish accepter une mission du gouvernement Britannique, Hearts of the world est bien le digne successeur des deux grands films précités, mais il va marquer un point d’arrêt dans l’expansion Griffithienne : les films qui suivront seront tous plus modestes, et pratiqueront même le recyclage avec une telle ardeur qu’on ne peut que se dire que ce nouveau film énorme n’a pu qu’aller trop loin, et a probablement poussé Griffith à se modérer.

C’est donc dans le cadre de la promotion d’Intolerance que Griffith a emmené sa troupe en Grande-Bretagne. Intolerance, on le sait, se clôt sur un plaidoyer anti-guerre, et le metteur en scène, tout comme sa principale star, est un Républicain conservateur, donc volontiers pacifiste en ces temps incertains. La question de l’intervention des Etats-Unis dans le conflit mondial est pourtant dans l’air, et le cinéma de cette époque nous le rappelle, par le biais de Cecil B. DeMille, dont les films Joan the woman (1916) et The little American (1917) se prononcent plus ou moins ouvertement pour une entrée des Etats-Unis dans le conflit. Mais l’Amérique, en ce début 1917, est encore réticente (L’opinion publique, du moins, qui ne pardonne pas à Wilson, réélu sur une plateforme non-interventionniste, mais qui tente d’entraîner les Etats-Unis dans le conflit suite à l’affaire du Lusitania). Griffith aussi, mais sollicité par le gouvernement Britannique pour réaliser un film sur le conflit, il ne peut qu’être touché par cette croyance du gouvernement d’un pays aussi avancé culturellement dans le medium relativement nouveau qu’est le cinéma, et flatté qu’on fasse appel à lui, dans une période ou il a bien besoin de ce type de marque de confiance. Et de plus, il n'a jamais été un ennemi de la contradiction... L’idée était de faire le film sur place, en France, mais c’était impossible, et peu d’images y seront tournées, ou utilisées. L’équipe profitera beaucoup plus de la Grande-Bretagne, notamment de la collaboration de l’armée, et des populations locales qui figureront dans le film. Néanmoins, au départ, Griffith n’a pas de scénario, comme d’habitude…. Une fois l’expédition Européenne achevée, Griffith s’empressera de retourner de nombreuses scènes à Hollywood et de continuer à étendre son film pour lui donner une véritable forme : si on osait, eu égard aux conditions rocambolesques du tournage, on parlerait de Guerilla filmmaking, mais ce serait peu en phase avec le résultat final. A Hollywood, Griffith a pu se retrancher sur son studio, faisant appel à ses techniciens, mettant en scène des batailles sur les lieux qui lui étaient familiers, retrouvant son équipe d’acteurs, les sœurs Gish, bien sur, mais aussi Bobby Harron, Kate Bruce, Josephine Crowell, George Siegmann ou encore Erich Von Stroheim. Aucun de ces cinq acteurs n’a fait partie du voyage en Europe.

Il est malaisé de différencier ce qui est tourné en Europe (En France ou en Grande-Bretagne) de ce qui est tourné à Hollywood, au-delà de la participation de certains acteurs. Certains plans présentent des habitations typiquement Anglaises, d’autres ont été tournées avec Noel Coward (Des extérieurs) ; se fier au scénario n’arrangerait rien : le « scénario » reste lié au film une fois fini, comme souvent avec Griffith. Le tour de force, c’est qu’une véritable unité se dégage de l’ensemble : l’histoire concerne un village Français, pris au début du film en 1912 : tout y tourne autour de l’amour, et en particulier autour de Bobby Harron, un jeune écrivain Américain qui vit avec son père, un peintre. Sa jeune voisine, également Américaine, l’aime depuis toujours, et comme c’est Lillian Gish il l’aime aussi. Mais une jeune femme, plus ou moins Bohémienne, interprétée par Dorothy Gish, l’aime aussi, à tel point qu’un jour elle lui vole un baiser en pleine rue, sous les yeux terrifiés de sa petite amie. Celle-ci va pourtant réussir à détourner son ami des affections louches de la jeune rivale, et les jeunes gens fêtent bientôt leurs fiançailles. De guerre lasse, la rivale accepte les avances d’un autre homme. Lorsque la guerre arrive, les deux hommes partent : l’Américain s’engage sans hésiter, afin de rendre hommage à son pays d’adoption. Tout ce prologue (Environ un tiers du film quand même) se déroule dans une France tranquille et sans histoire, mais on peut voir de temps en temps un espion (Siegmann), qui répond au nom délicieusement évocateur de Von Strohm, et qui aura bien sur une fois la guerre déclarée et la province ou se déroule le film occupée, un rôle important…

On est, bien sur, en terrain connu. L’extrême lisibilité de l’ensemble ne peut nous cacher qu’une fois de plus, c’est la même histoire qui se joue, avec ses familles, ses villages, sa joie de vivre en péril, et ses batailles tournées avec clarté et lisibilité afin de ne jamais perdre le public. Mais cette-fois, Griffith joue sur de l’actualité, et si le voyage Européen est resté balisé, et sous la protection des armées alliées, il a vu. Cette présence réaliste de la mort vient très vite dans le film, lorsque le village est attaqué puis partiellement détruit avant d’être occupé, et parmi les morts, la mère de l’héroïne (Josephine Crowell) fait partie des premières victimes. Au gré d’explosions brutales, on verra ainsi un personnage coupé en deux, littéralement. De même, le montage extrêmement nerveux du film implique le spectateur de plus en plus au fur et à mesure du déroulement du film, dont la deuxième partie est nettement meilleure que la première, et la troisième reste totalement irrésistible. Au-delà de ce réalisme factuel, il faut bien dire qu’on reste dans une France d’opérette, et dans une guerre esquissée. Mais dans le déroulement du film, cette situation d’urgence (sans parler de l’étrange élasticité du temps, qui nous donne l’impression de voir se dérouler trois ans en trois jours) nous implique finalement facilement, tant le bon vieux système Griffithien fonctionne à plein régime, les Teutons veulent violer Lillian Gish et les soldats Américains se livrent à un sauvetage de dernière minute.

Les réserves que j’ai formulées sur la première partie sont pourtant émises avec bienveillance : on pourrait être plus critique encore devant le film : d’une part, le simplisme de la situation et la France quasi médiévale qui nous est présentée ont de quoi nous faire sourire. D’autre part, le sentiment anti-Allemand qui domine le film est un peu facile : ces gens-là n’ont pas beaucoup d’humanité… Oui, bon, ils en ont toutefois plus, beaucoup plus que les noirs tels que Griffith les voyait . Du reste, il y a plus d’anti-germanisme, et il est d’autant plus brutal que celui-ci, dans The Four horsemen of the Apocalypse (1921) de Ingram. Les Allemands de Shoulder Arms(1918) de Chaplin sont sans doute plus caricaturaux, comédie oblige, mais ils sont surtout moins intelligents encore. La critique largement répandue d’un film odieusement xénophobe ne tient pas tant la route que ça. Une autre légende, compréhensible quand on voit le nom du méchant, veut que celui-ci soit joué par Stroheim, que ce soit lui qui se livre au sacro-saint quasi viol de Lillian Gish. Une confusion sans doute, avec Hearts of humanity de Allen holubar, sorti l’année suivante, et qui montre notre Stroheim qui jette le bébé d’une jeune mère par la fenêtre avant de s’occuper de son, cas avec un air parfaitement tranquille. Stroheim joue ici les figurants, apparaissant à plusieurs reprises (Je l’ai vu trois fois en tout et pour tout), mais son principal rôle était d’être consultant militaire.

 

Hearts of the world est un titre tellement Griffithien qu’il va nous permettre de revenir sur une des caractéristiques les plus typiques du metteur en scène : son goût pour l’hyperbole, l’emphase, la figure de rhétorique survitaminée. Les deux orphelines de la pièce ne deviennent-elles pas « les orphelines de la tempête » ? Le voyou d’Intolerance ne s’appelle-t il pas Le mousquetaire des rues? Les orphelines de la tempête, le mousquetaire des rues, la princesse bien-aimée, la petite chérie… c’est plus absolu, plus romantique, plus griffithien donc. Plus ridicule, oui, aussi, mais c’est comme ça. Alors, qui sont les Cœurs du monde ?

Dans ce film, donc, Griffith dépeint une France simplifiée, présentée par le filtre de deux familles, séparées par un mur. Aucune rivalité entre elles, d’autant qu’elles sont Américaines, du moins vaguement, et par le biais de sous-titres uniquement, ce qui trahit un possible ajustage de dernière minute pour cadrer à la nouvelle situation Américaine, désormais interventionniste et intervenante. Si la rivalité n’est pas le ressort dramatique, ici, c’est donc d’amour qu’il s’agit. Et entre Bobby Harron et Lillian Gish, tout va bien, si ce n’est la menace d’une rivale, et un mur dressé entre leurs deux maisons. Ce mur, par ailleurs franchissable, a deux cousines dans l’œuvre, plus précisément dans Intolerance. Lorsque Bobby Harron et Mae Marsh se querellent autour d’une porte qui symbolise l’hymen de la jeune fille : Harron veut entrer, elle ne le souhaite pas, ils vont en conclure qu’il vaut mieux se marier. De même, la jeune princesse dans l’épisode Babylonien dit elle le jour de ses noces par le biais d’un Intertitre, «demain ces portes vont s’ouvrir ». Le lendemain les portes vont en effet s’ouvrir, pour laisser entrer les armées de Cyrus… On est donc une fois de plus en plein symbolisme, avec la mobilisation générale prononcée le jour des fiançailles, et la bataille décisive qui se joue au jour initialement programmé pour le mariage. C’ets d’ailleurs en cherchant son amoureux à l’issue de cette bataille que Lillian Gish le trouve, étendu par terre, entre la vie et la mort : stoïquement, résignée, elle se couche à ses cotés, pour ce qui est de son point de vue une nit de noce. Plus tard, au plus fort des escarmouches de la fin du film, les deux amants se réfugieront derrière le même mur que celui du début, au terme d’un chassée croisé incessant qui les voit passer, toujours seuls, d’un coté et de l’autre d’une porte qui finit toujours par se fermer entre eux, obstacle incessant à leur amour, aidé par les agissements maléfiques des soldats Allemands. La guerre ? Une affaire de cœur, un obstacle au bonheur de deux amants, rien de plus. Voila comment on escamote la situation géopolitique compliquée qui en temps normal aboutit à un conflit… Par ailleurs, les «cœurs du monde», pourrait-on croire, ce sont les cœurs des gens du monde, qui se déchirent dans une guerre fratricide… eh bien non. A en croire le film, les cœurs du monde, les « forces de l’amour » pour reprendre la terminologie de Griffith, ce sont les forces du bien, et donc les alliés. Ou plutôt nos deux tourtereaux et leur entourage, tous pris en otage par les forces du mal : les boches!


Hautement distrayant, Hearts of the world vaut mieux que sa réputation. Il est mensonger certes, mais moins que Birth of a nation. Retrouvant une narration linéaire, après le génial mais chaotique Intolerance, Griffith choisit de porter sa narration à hauteur humaine. Si certains acteurs en font des tonnes, Harron et Lillian Gish sont bons, et Bobby Harron est même excellent du début à la fin du film. Lillian est moins convaincante, soumise au feu incessant de la direction d’acteur contradictoire de Griffith (Quand elle voit son amoureux embrasser sa rivale, la première réaction du personnage est de rire, avent de fondre en larmes... ça lasse.). Dorothy Gish en revanche est nulle. J’aime Dorothy, mais là ce n’est pas possible : elle parvient à être pire que Constance Talmadge dans Intolerance. La faute en incombe à Griffith qui n’a jamais compris qu’un femme jeune, insouciante, amoureuse ne doit pas nécessairement être agitée de soubresauts, de grimaces incompréhensibles et de mimiques illisibles : pour ma part, après le visionnage de 58 films du maître, je le dis haut et fort, Dorothy Gish hérite du titre de pire actrice dans un film de Griffith pour le rôle de la petite pertubatrice dans Hearts of the World

On parlait de contradiction, ce trait si typiquement Griffithein. Justement, le film a été mis en chantier en Europe par une équipe largement anti-belliciste au service de la propagande guerrière locale, et le tournage s’est terminé aux Etats-Unis, une fois que le pays s’est engagé dans le conflit à son tour. Les vedettes de Hollywood, Chaplin, Pickford et Fairbanks, vont encourager les Américains à s’unir sur le front, mais Griffith et sa troupe se contenteront de ce film. Le final, qui anticipe la victoire (le film a été présenté en mars 1918…), montre qu’une fois les Américains dans la course, l’issue favorable du conflit était inévitable. Un final quais prophétique, avec beaucoup de nationalisme triomphal en plus, qui clôt de façon pas inappropriée un film étonnant, qui voit Griffith faire pour une fois un film entièrement consacré à ce qu’on peut appeler de l’histoire contemporaine ; c’est déjà ce qu’il a fait dans le segment moderne d’Intolerance , mais ici, il se livre à une lecture à grande échelle, d’un conflit qui devait résonner dans l’esprit de chacun des membres de son public, d’où un succès inévitable : Griffith allait bientôt manquer d’une telle adhésion…

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Première guerre mondiale Muet 1918 Lillian Gish *
3 février 2011 4 03 /02 /février /2011 08:31

Le premier long métrage de Griffith, sorti en 1914, est une oeuvre hybride, qui se rattache autant à l’ensemble de courts métrages (il a été réalisé sous l’égide de la Biograph) qu’aux longs qui suivront. Il est cru, mineur, mais aussi fascinant par les quelques promesses qu’il contient, annonçant par certains côtés (la tentation de l’histoire, le film en costumes, la bible détournée, les ingrédients pour appâter le client) Intolerance

Judith (Blanche Sweet), de la ville assiégée de Béthulie, se sacrifie en séduisant Holopherne (Henry B. Walthall), le prince commandant l’armée menaçante qui prive sa ville de liberté. Elle cherche à le tuer, mais tombe amoureuse de lui et hésite désormais à faire ce pourquoi elle est venue. Parallèlement, on assiste aux efforts de Nathan (Bobby Harron) pour récupérer sa bien aimée (Mae Marsh), prisonnière des armées d’Holopherne.

 

Les deux histoires sont plus ou moins liées par l’exposition, mais on sent bien le désir d’expansion, qui a poussé Griffith à aller au-delà de l’anecdote de Judith: son but est clairement d’aller au-delà de ses deux bobines habituelles. Il a décidé de montrer à la Biograph de quel bois il se chauffe. Il est permis de se demander dans quelle mesure le réalisateur avait vraiment envie de raconter cette histoire… Avec des films comme Enoch Arden, The battle of Elderbush Gulch, il a été motivé sans doute par la possibilité d’extension contenue dans le scénario, et c’est précisément l’un des ingrédients qui l’ont motive dans cette histoire biblique, mais pas le seul… après tout, il y a aussi l’influence maintes fois proclamée par Griffith des films d’art français et des films Italiens, dont le décorum proche du péplum se sent dans ce film. Néanmoins, on est ici au-delà de l’anecdotique démonstration de force des bateleurs-cinématographes d’Italie, et du coté m’as-tu-vu des films Français. Même ampoulée et maladroite, l’histoire est malgré tout centrée sur un personnage et son dilemme, qui parle d’amour, mais aussi de désir.

 

A ce sujet, les efforts de Griffith pour aborder l’érotisme, le grand absent de ses courts métrages Biograph, sont touchants. On sait que les Italiens, les allemands, les Danois et même les Français ne se privaient pas, mais ici, il dépêche à plusieurs reprises des danseuses qui ne sont pas que lascives : elles sont aussi ridicules. Par contre, Blanche Sweet a plusieurs robes un peu suggestives, et nous fait comprendre que son attirance pour Holopherne n’est pas que spirituelle. Un autre point sur lequel il expérimente, c’est le domaine de la violence, et c’est là que se situe le plus intéressant effort de mise en scène : la décapitation d’Holopherne, traitée de main de maître; mais il me semble qu’il demande directement au spectateur ceci: vous croyez que je vais vous le montrer ? Il utilise pourtant une ellipse splendide, et a une autre idée, dans la même séquence : afin de se donner du courage, Judith se représente ses amis morts, tous par la faute de l’homme qu’elle aime. Elle va pouvoir accomplir son acte, et rentrer, la tête haute et le cœur brisé. C’est dire si le film prend de la hauteur. Néanmoins, le sujet parait forcé, clairement, Griffith, comme avec The battle of Elderbush Gulch, se cherche, et il est probable qu’il ne se trouvera qu’avec son Birth of a nation, chef d'oeuvre de sinistre mémoire. Hélas…

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet 1913 Lillian Gish *
25 janvier 2011 2 25 /01 /janvier /2011 10:32


Après The Wedding March et ses déboires, et alors même que la question de la deuxième partie soit réglée, Stroheim reçoit une nouvelle proposition, qui va un temps faire croire que le réalisateur n’est pas totalement lessivé. Gloria Swanson, désormais indépendante après sa gloire à la Paramount, vient de triompher dans un film qui avait tout pour faire scandale, Sadie Thompson : une intrigue de sexe et de sueur, un prêtre tenté par la chair, un couple d’acteurs anatomiquement configurés (Swanson et le réalisateur, Raoul Walsh), et un décor d’îles moites. Sous la bannière de la United Artists, Gloria est prête à relancer la machine, et qui mieux que Erich Von Stroheim pour enchérir plus avant sur le scandale. Vrai, lorsque la UA a publié ses sorties programmées pour l’automne-hiver 1928/29, The swamp y figure en troisième position, et il est bien spécifié que Stroheim en sera le réalisateur. Celui-ci est bien sur l’auteur, et si la présence d’une star comme Swanson est une compromission, c’est pour l’instant la seule: le script, épique, est approuvé.

The Swamp, rebaptisé Queen Kelly, concerne à nouveau un petit royaume d’opérette, dans lequel la reine folle s’apprête à convoler en justes noces avec son prince favori. Celui-ci, surnommé Wild Wolfram en raison de ses multiples conquêtes et fréquentations, se sent en vérité prisonnier de cet arrangement, et lorsqu’il rencontre la jeune et jolie pensionnaire d’un couvent voisin (Patricia Kelly), il en tombe illico amoureux. Découvrant l’affaire, la reine fait chasser la jeune fille, qui tente de se suicider, mais sans succès. La reine épouse le prince, et Patricia Kelly apprend en rentrant au couvent que la vieille tante qui paye ses études depuis son enfance est mourante et s’apprête à lui léguer son affaire (Un restaurant ou une maison de danse) dans une poisseuse et lointaine colonie. Kelly s’y rend, est obligé de faire un mariage avec Tully Marshall pour affaires, devient riche et respectée, et lorsque le prince Wolfram, veuf, devient le Roi, il l’appelle à ses cotés.
Les similitudes avec The merry widow sont tellement nombreuses que ça en devient embarrassant. Stroheim a toujours dit le mal qu’il pensait de ce dernier film, mais pourquoi en calquer l’intrigue à ce point? D’autant que les commentaires de Stroheim lui-même sur Queen Kelly, a priori et a posteriori, vont tous dans le même sens: Queen Kelly allait être son chef d’œuvre…

De toutes façons, le film ne se fera pas: commencé en fanfare en novembre 1928, à l’issue d’un casting qui fut long et laborieux, le tournage s’arrête au tiers, en janvier 1929. Swanson elle-même, d’abord subjuguée par son metteur en scène, puis interloquée par sa lenteur et son perfectionnisme excessif, puis horrifiée dira-t-elle par les véritables intentions de l’auteur (Ah bon, ce n’était donc pas une école de danse ?) verra rouge lorsque Stroheim demande à Tully Marshall de lui cracher du jus de tabac dans la main. Honnêtement, peut-on la blâmer?
Un petit retour en arrière s’impose: alors que la production de Sadie Thompson s’est déroulée de façon assez traditionnelle, Queen Kelly a été produit sous la houlette d’un nouveau venu, financier de Boston décidé à faire des affaires à Hollywood, Joseph Kennedy. Devenu l’amant de Gloria Swanson (Quelle famille), Kennedy va laisser l’actrice exercer son autorité morale sur le tournage. Swanson était-elle compétente en la matière? Etait-ce une bonne idée de se lancer si tard dans un film muet ? En tout cas, un grand nombre de choses semblent lui avoir échappé, et la situation dans laquelle elle s’était fourrée avec son financier n’a pas du arranger les choses. De son coté, Stroheim a fait ce qu’on attendait de lui : des tournages longs, harassants, pénibles, pour un résultat certes visuellement magnifique, mais que la censure ne pouvait que rejeter; la scène d’ouverture, avec la Reine qui se réveille, est du pur Stroheim: des plans d’objets nous renseignent sur la vie dissolue de cette reine qui a du champagne à son chevet, des cachets, le Décameron de Boccace et bien sur des statues érotiques partout, dans son palais, mais le coup de Grâce est asséné par Stroheim lorsqu’il nous montre Seena Owen, nue, déambulant d’un pas mal assuré (Elle se lève saoule) au milieu de gardes impassibles. L’actrice a fort peu goûté les journées de tournage dans le plus simple appareil…
Lassée de toutes ces extravagances, Swanson appelle Kennedy et lui ordonne de virer le réalisateur. Kennedy profitera de la débâcle pour jouer un tour de cochon financier à sa maîtresse, mais cela sort du sujet.
Une fois Stroheim viré, Swanson restera longtemps avec le film sur les bras, allant jusqu’à sortir le prologue (Jusqu’au suicide) en y apposant une fin postérieure au licenciement de Stroheim dans laquelle le prince (Walter Byron) se fait hara-kiri devant le corps de son aimée. On ne sait toujours pas qui l’a tournée: le nom de Edmund Goulding est souvent avancé. Cette version ne sera pas montrée aux Etats-Unis, et sortir brièvement en Europe et en Amérique du Sud. Les séquences du marais, avec le fameux mariage, ont été partiellement trouvées (Deux bobines, en fait), et montrent un parallèle intéressant avec le reste du film, mais on se demande, à les visionner, comment il a pu échapper si longtemps à Gloria Swanson qu’il s’agissait d’un bordel… Comme le fait remarquer Richard Koszarki, c’est le genre de lieu dans lequel devait travailler Sadie Thompson.

Outre la parenté douteuse avec The Merry Widow, Queen Kelly souffre sans aucun doute des circonstances dans lesquelles il avait été tourné, et à n’en pas douter, Stroheim fait du Stroheim. Le résultat est selon moi impossible à juger, et si la splendeur visuelle de certaines scènes est admirable, le film en son état se traîne, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il est essentiellement réduit à on prologue. Ni Swanson, ni Byron ne sont convaincants, même si Gloria reste toujours charmante. Elle est bien meilleure en jeune femme farouche qui découvre l’horreur de sa vraie situation à Poto-poto, mais il ne s’agissait peut-être pas d’une composition. Tully Marshall est fidèle à lui-même, et Seena Owen est plutôt convaincante en particulier dans la célèbre scène du fouet. L’obsession érotique est particulièrement mise en valeur par le recours aux statues et l’omniprésence des tableaux grivois dans le palais, et on déborde du réalisme soi-disant cher à Stroheim pour entrer de plain-pied dans un univers plus proche de celui de Sternberg. Et puis à quoi bon ? Le film n’est pas fini.

Reste à reprendre l’énigme: Stroheim se fichait-il du monde lorsqu’il disait que ce film serait son chef d’œuvre? Pour un menteur invétéré comme lui, pourquoi pas? Mais je crois, à la lumière de ce qui reste de son œuvre, que le metteur en scène se mettait, à chaque film, en position de tout recommencer, et chaque film à faire était le plus grand enjeu de sa carrière. Chaque film était le premier, les autres ne servant finalement que de brouillon. Chaque film prenait toute son attention, il ne voyait rien d’autre: la surveillance de plus en plus inquiète d’un Thalberg ; la situation d’un Goldwyn, qui passe d’une confortable indépendance au cadre plus rigide de la MGM; la déferlante du parlant… Tous ces évènements, Stroheim les a ignorés, préférant se concentrer sur ses films, et considérant chaque film comme le premier. A la fin des années 20, et autour de Queen Kelly, je suis persuadé que cet aveuglement finit par tourner à vide. Il lui était sans doute utile d’un certain point de vue, et cela lui a sûrement permis de survivre aux mutilations de ses films, mais cela l’a sans doute aussi constamment desservi: cet artiste exigeant a été l’artisan de sa propre chute, par son intransigeance et son incapacité à doser son génie: chaque film devant prouver l’étendue de son talent, il a tout brûlé. Le résultat est sans appel: après Queen Kelly, plus un seul nouveau film ne créditera son nom au poste de metteur en scène. Il y aura malgré tout des tentatives…

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1929 Gloria Swanson *
24 janvier 2011 1 24 /01 /janvier /2011 13:36

 

Voilà une fois de plus, de la part d'Erich Von Stroheim, un film peu banal, et qui défie toute caractérisation: à la fois pur produit de l'époque des studios, et oeuvre réalisée en tout indépendance par un réalisateur démiurge qui vivait ses dernières semaines de pouvoir sur une industrie qu'il avait contribué à élever, et qui ne savait plus quoi faire pour se débarrasser de lui, c'est un film compliqué en effet à comparer à tout ce qui se faisait en parallèle à la MGM ou la Paramount... Rappelons les épisodes précédents de la carrière du metteur en scène le plus turbulent du cinéma muet Américain: Erich Von Stroheim est entré en conflit, après quelques succès non négligeables, avec les administrateurs de la Universal, et a trouvé refuge chez des indépendants (Goldwyn) mais a du une fois de plus se battre contre des moulins à vent lors du rachat de ce petit studio par Metro. Après deux films pour la nouvellement constituée MGM, il a pris la poudre d'escampette, déterminé une fois de plus à réaliser comme il le souhaite un film selon son coeur... 

 

Une fois de plus, Stroheim est libre après La Veuve Joyeuse. C’est donc le moment pour lui de tenter à nouveau l’aventure de l’indépendance: il contacte en 1926 Pat Powers, un entrepreneur-producteur passionné d’animation, qui s’est lancé dans un partenariat avec Disney, et qui tente alors d’imposer une système de synchronisation sur disque (Steamboat Willie, de Disney et Ub Iwerks, c’est le procédé Photophone de Powers.) concurrent du Vitaphone de la WB. L’affaire dans laquelle se lance Stroheim ressemble tellement à ce qui s’est passé à la MGM avec Greed que le réalisateur aurait du se méfier de la suite des évènements, mais si Stroheim consultait régulièrement une voyante, il ne semblait pas être très réaliste quant à la tournure que prenaient les choses dans le Hollywood de la fin de la décennie.


L’accord avec Powers portait sur un film dont Stroheim entendait bien garder le final cut: The Wedding March revient 4 ans en arrière, avec des ingrédients et des figures mélodramatiques tirées de The Merry-go-round, à la différence près que cette fois Stroheim s’est imposé dans le rôle principal. Fidèle à son credo de privilégier un jeu naturaliste, il découvre une jeune aspirante artiste, Fay Wray, dont il décide de faire son actrice principale. Elle est issue du milieu du cinéma burlesque et a en particulier fait de courtes apparitions chez Hal Roach...


Bien lui en prendra : celle-ci est excellente, et s’entendra à merveille avec sa co-star et réalisateur: dans l’introduction filmée par Kevin Brownlow pour la présentation sur Channel 4, Fay Wray cache mal son émotion liée à ses souvenirs d’un tournage durant lequel Stroheim a constamment loué son professionalisme et ses capacités. De plus, l’entente entre les deux comédiens, leur complicité, est plus que palpable dans leurs scènes communes. Pour le reste, il se sert de sa stock-company: Dale Fuller et Cesare Gravina, Maude George, Zasu Pitts ou encore Matthew Betz (Aperçu en policier à la fin de Foolish Wives) vont être les interprètes du film.…on peut ajouter à cette liste le fort rondouillard Hughie Mack, déjà vu dans Greed.


L’intrigue du film, dédié par Stroheim «aux amoureux du monde entier», est proche de The Merry-go-round, disais-je, et pour commencer, le film se situe à Vienne en 1914, et confronte deux mondes qui ne devraient pas se rencontrer : le monde de l’aristocratie, incarné par la famille princière des Von Wildeliebe-Rauffenburg : le père (George Fawcett), la mère (Maude George) et leur fils Nickolas (Nicki Von Stroheim), et de l’autre coté, le monde du peuple, incarné par Mitzi (Fay Wray), une jeune femme qui joue de la harpe dans un restaurant, ses parents (Dale Fuller et Cesare Gravina), et Schani, le boucher (Matthew Betz), dont le père (Hughie Mack) voit d’un assez bon œil l’intention de Schani d’épouser Mitzi, voire plus. Mitzi et Nicki se rencontrent, s’aiment, consomment leur amour, mais les parents de Nicki, dans une situation financière désespérée, arrangent son mariage avec Cecelia Schweisser (Zasu Pitts), une plus toute jeune héritière dont le père désespère de jamais la marier: elle est boîteuse, et un peu fantasque, pour ne pas dire idiote.

Stroheim fait de tout cela un conte de fées pour adultes, rarement réaliste, souvent paroxystique, mais dont les 20 premières minutes posent bien le système de jeu de comparaison favorisé par Stroheim dans tous ses films : après quelques intertitres d’exposition, aux prétentions littéraires, puis des vues de Vienne, on assiste, le jour d’une importante procession à laquelle ils doivent participer, au lever de chacun des trois Wildeliebe-Rauffenburg : les parents sont réveillés, elle par une bonne, lui par un valet, mais ont en commun de dormir avec des protections en caoutchouc pour ne pas abimer la coiffure de madame et la moustache de monsieur. Sitôt levés, l’un et l’autre s’agressent volontiers, dans une routine manifestement quotidienne. Premier contraste: s’il est effectivement levé par son valet (Ou une ordonnance, l’homme est en uniforme, et le Prince est un soldat), Nicki reçoit tout de suite la visite d’une bonne, qui lui reproche la présence d’un bas de femme dans ses affaires. Ils se chamaillent… La complicité entre Nicki et la bonne ne fait aucun doute, mais contrairement à Karamzin et sa bonne, l’homme semble ici avoir une tendresse réelle pour la jeune femme. Le Stroheim nouveau est arrivé! Après cette scène, une courte confrontation entre Nicki et chacun de ses deux parents, séparément, permet d’établir assez efficacement, mais par le recours à un dialogue de titres, de nombreux points de l’intrigue: le coté papillon de nuit de Nicki qui demande de l’argent, le mépris dans lequel le père tient son fils, lui suggérant le suicide pour ses sortir des ennuis, puis avouant son manque d’argent; père et mère lui conseillent également de faire un mariage d’intérêt.

Avec la deuxième bobine, on passe à la procession proprement dite: celle-ci va aussi apporter son lot d’informations... On y rencontre Mitzi, Schani et leur familles, venus assister à la procession; le montage isole chacun des protagonistes, nous permettant de cerner la personnalité, le rôle de chacun dans l’intrigue à venir, mais aussi les positions respectives de chacun vis-à-vis de la possibilité d’une union entre Schani et Mitzi: la mère de Mitzi pousse dans la direction du rapprochement, son père est (mollement) contre, et le père de Schani a une confiance aveugle en son fils, qui lui-même considère la chose comme acquise; Mitzi, on le voit tout de suite, freine tant qu’elle peut, d’ailleurs, un jeune officier à cheval a capté son attention… Le dialogue muet entre Stroheim et Fay Wray commence ici, et c’est en gestes, regards (Mitzi regarde son bel officier des pieds à la tête, dans une inversion des rôles assez inattendue) que l’histoire d’amour entre ces deux là se scelle.

 

Comme d’habitude avec le réalisateur, le tournage sera un festival d’extravagances en tout genre, sauf que cette fois-ci cela sera sans heurt notable entre le metteur en scène et la production; l’anecdote est célèbre, on peut la rappeler: désireux d’obtenir des séquences d’orgie réalistes, Stroheim fait venir des dames de petite vertu, alimente le plateau en boissons de contrebande et organise une partie fine géante sous le regard des caméras, en prenant bien soin de respecter au mieux les bonnes mœurs lors du montage. Il obtiendra ainsi une séquence qui occupe une grande part d’une bobine, alternée avec une autre séquence décisive, lors de laquelle Nicki et Mitzi vont (Hors champ), faire l’amour. Le parallèle entre l’évidence du stupre dans le bordel et la délicatesse des larmes de Fay Wray à l’issue de cette rencontre charnelle est l’une des touches puissantes de ce film.


Au terme du tournage, le cinéaste monte une version de travail gargantuesque, alors que Powers entre en négociations avec la Paramount en vue d’un arrangement de distribution. A ce moment, Stroheim aurait du voir les nuages noirs s’amonceler dans le ciel…


En 1928, Paramount sort The Wedding March. Afin de sortir les quatre heures de film souhaitées par Stroheim, il sortira sous la forme d’un diptyque, en deux sorties différentes. La première moitié, dont le montage aurait été assuré par Stroheim ET Sternberg, totalise 114 minutes, et est présentée avec des disques Photophone synchronisés. En plus du son synchrone, Stroheim continue ses expérimentations avec Technicolor. Mais l’unique scène qui en bénéficie a une fonction principalement décorative, montrant la procession à la fin de la deuxième bobine, après la rencontre entre les deux amants. Elle permet au moins de relever symboliquement le coté sacré pour Nicki de sa rencontre avec Mitzi. On peut le lire comme cela, mais on peut aussi penser qu’il s’agit pour Stroheim de nourrir son obsession frustrée pour le décorum.

 

Ainsi, l’accord a finalement été trouvé, et cette première moitié est conforme aux volontés du metteur en scène, qui pendant la sortie s’attelle au montage de la deuxième partie… qui lui sera retirée des mains devant les résultats plus que mitigés du film. Sternberg aurait supervisé le montage de la seconde, que les commentateurs ont jugée expéditive et confuse, et qui a été lancée par Paramount comme un nouveau film, The Honeymoon, afin d’attirer les spectateurs qui n’auraient pas vu la première… Deux bobines au début du film résumaient les 14 de la première partie. Mais Stroheim, toujours intransigeant (On se met à sa place), a refusé que le film soit projeté aux Etats-Unis.


...La deuxième partie fait aujourd’hui partie des films perdus, même si une brève rumeur a indiqué qu'il en existerait des fragments en 16mm, ce dont on attend une confirmation.


On peut toujours se consoler en regardant la première partie; ce grand film, dont Stroheim a bien cru que cette fois-ci on le laisserait faire, avant que la deuxième partie tourne à la débâcle, nous permet au moins de voir le montage «à la Stroheim» sous un jour à peu près authentique ; «a peu près», dis-je, car des faits troublants relatés par Lotte Eisner au sujet de la redécouverte par Stroheim de son film dans les années 50 jettent le doute, non seulement sur la paternité du montage de The wedding March (la première partie du dyptique) mais aussi sur Stroheim lui-même et sa façon de gérer ses souvenirs. Néanmoins, ces 114 minutes portent sa marque, depuis l’exposition extrêmement fluide dans laquelle tout fait sens, depuis le réveil jusqu’au claquement des bottes du fils face à son père, depuis la vision de la grimaçante Dale Fuller qui reluque son gendre potentiel d’un œil salace jusqu’au regard direct et mutin de Fay Wray. Du coup, cette exposition se déroule durant 20 bonnes minutes, mais elle est fascinante. Pour le reste, le film ne faillit pas à la tradition, utilisant avec maestria le montage alterné, favorisant le fondu enchainé (Comme plus tard dans Queen Kelly) afin de lier les actions au sein d’une même séquence(ou peut-être afin d’empêcher le remontage ?) ; les séquences lyriques trouvent écho dans les séquences sordides, tout comme les personnages résonnent tous plus ou moins: Nicki arrivant dans l’univers de Mitzi remarque bien les cochons qui s’ébattent, le coté populaire du lieu, mais il se garde d’en dire quoi que ce soit, afin de ne pas froisser Mitzi. Schani, rejoignant Mitzi sous les pommiers afin de la tirer de sa rêverie, ne remarque pas les cochons, et son pas brutal les fait fuir. En deux séquences, deux caractères que tout oppose, si ce n’est que l’un et l’autre sont amoureux de la même femme. Un autre aspect qui éclate au grand jour dans ce montage, c’est le respect de Stroheim pour son spectateur: on sait que le metteur en scène a le goût du détail authentique, et aime à peupler ses décors de fourmillement d’objets, d’artefacts et d’inscriptions censés donner une apparence de vie aussi tangible et crédible que possible. En 1927/28, c’est une norme dans ce genre de film, d’ailleurs largement sous l’influence de Stroheim, mais aussi de Lubitsch ou des grands drames de prestige de la MGM. Mais ces derniers exemples (Flesh and the devil, par exemple) sont tous plus factices que le film de Stroheim, de par la volonté de ce dernier de ne rien traduire, de laisser le décor conter sa propre histoire: tout ce qu’on peut lire dans ce film en tant que publicités, enseignes, etc, est en Allemand, à l’exception d’un entrefilet de journal à la fin. Si j’insiste sur ce détail, ce n’est pas pour admettre que j’ai cru un seul instant qu’il avait été tourné à Vienne, mais c’est parce que le film apparait dans toute la splendeur éclatante, tel que l’a voulu Stroheim. Pour lui, ces détails sont importants, mais n’importe quel exécutif qui aurait mis le nez dans son film aurait certainement arrondi les angles. La cohérence de l’ensemble ne souffre finalement que des questions irrésolues, ces petits riens ou petits cailloux qui trouvaient à n’en pas douter un écho dans la deuxième partie…On peut dire qu’avec l’affaire The Wedding March, le divorce entre Stroheim et les producteurs est consommé; plus un seul film ne sortira sous son nom aux Etats-Unis désormais. Ce qui est plus grave, c’est que le public, désormais, ne lui est plus acquis. le glas de sa carrière approche donc…

Restauration et préservation
Le film est donc, on l’a dit et redit, incomplet. Mais aux yeux de Stroheim, il était quasiment inachevé; après tout, on lui a retiré le montage de la deuxième partie. On est habitué, forcément, à ces coups de gueule d’un Stroheim-artiste qui renie un film parce qu’il n’a pu le mener à bout : The merry-go-round, Greed, The Merry widow et Queen Kelly ont tous subi ce même traitement de sa part. Mais ici, c’est plus grave : lorsqu’à l’invitation d’Henri Langlois il va voir The wedding march, il va obtenir de la Cinémathèque Française la possibilité de reprendre le montage, afin de résoudre des problèmes aperçus lors du visionnage. Il refusera pourtant de revoir la deuxième partie, qui retournera dans les placards de la cinémathèque, où elle brulera en 1957. C’était l’unique copie. Si Stroheim l’avait reprise en mains… Lors de cette restauration effectuée par Stroheim avec la complicité de Renée Lichtig, le metteur en scène se plaindra souvent de détails apportés par Sternberg, se plaignant des plans d’animaux qui selon lui polluent la scène d’amour. Sternberg a-t-il vraiment été amené à travailler au montage de ce film? La question reste posée, on sait bien sûr qu’il a contribué au montage de la deuxième partie, mais la plupart des sources attribuent le montage de la première au seul Stroheim. De plus, ces fameux plans d'animaux restent assez dans sa manière... Quoi qu’il en soit, si on a des copies décentes de ce film aujourd’hui, c’est grâce à ce remontage : les versions préservées aux Etats-Unis ne gardent que 90% du film en 35 mm. Par contre, c’est à une copie Américaine qu’on doit la préservation du Technicolor : les séquences couleur n’étaient pas aussi faciles à conserver que les séquences en noir et blanc, et les copies Françaises en étaient privées. On l’aura compris, Kevin Brownlow et Patrick Stanbury se sont livrés à un travail titanesque de puzzle, ce qui ne se voit jamais. et donne sacrément envie d'être revu!

 

 

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1928 Technicolor *
8 janvier 2011 6 08 /01 /janvier /2011 11:04

Pour François Truffaut, le fait d'associer "cinéma" et "Grande-Bretagne" était impossible. le bonhomme mobilisait généralement toute sa mauvaise foi (et il en était franchement bien pourvu) pour dénigrer aussi souvent que possible le cinéma Britannique, à l'exception bien sûr des films d'Hitchcock...

 

Sans être nécessairement de la même importance que les films d'Alfred H., A cottage on Dartmoor est pourtant un bien bel essai, relativement typique de la fin du muet dans ses recherches (Montage "à la Russe", lumières, caméra très mobile...) et la dilatation du temps qui doit beaucoup au cinéma Allemand, puisque finalement au bout de 90 minutes, il y a eu relativement peu de scènes à voir, mais certaines sont gonflées pour épouser le point de vue du personnage principal et de sa souffrance. Le plus remarquable tient selon moi dans les efforts déployés aussi bien par le réalisateur que par les acteurs pour donner à voir des sentiments, des pensées, sans avoir recours à un arsenal de jeu académique, sans non plus tomber dans l'excès Veidtien: à ce titre, la participation de Hans Schlettow (Qui sous un nom plus aristocratique a participé à plusieurs Lang) est remarquable, puisqu'il incarne avec une certaine retenue le personnage principal, celui dont on apprendra assez vite qu'il est dangereux: il vient de s'évader, avec la seule motivation d'achever l'homme à la vie duquel il avait attenté, ainsi que de tuer la compagne de celui-ci, dont il croit qu'elle l'a trahi. Malgré le poids de toutes ces données, il parvient à rendre le personnage sympathique et humain. Norah Baring, qui tournera l'année suivante dans Murder de Hitchcock, est également remarquable, prenant en charge les ruptures de ton avec un visage mobile et très inhabituel: une scène, au début du film, la voit filmée dans une relative obscurité, recevant la lumière de coté. Lorsqu'elle entend un bruit, son visage s'immobilise, et on passe en une fraction de seconde d'une émotion à l'autre: l'éclairage a été choisi en fonction des deux expressions de l'actrice, et l'effet dramatique est saisissant. Norah Baring incarne l'objet du désir, sans jamais tomber dans le jeu de la femme fatale: c'est juste une brave fille de la classe ouvrière, cette classe que décidément le cinéma Anglais n'a jamais cessé de nous montrer à cette époque, chez Hitchcock, Elvey, ou chez Dupont. 

Le film tire également sa force d'une construction en flash-back des plus dynamiques: Lorsqu'il arrive à la maison ou se trouve la jeune femme et son enfant, seuls, celle-ci voit l'évadé, et un mouvement de caméra soudain sert de transition vers une scène qui s'est déroulée dans le passé, et qui va tout expliquer. Le doute sur ce qui va réellement se passer, aussi bien dans le flash-back que dans l'ensemble du film, sert de fil rouge et de fil conducteur à un suspense bien mené.


Petit plus, certainement très remarqué à l'époque, ou on appréciait les montage à la Eisenstein, Asquith se paie la fiole du cinéma parlant, en nous montrant une séance, au cours de laquelle Joe (Schlettow) épie les deux autres personnages à leur insu; Asquith nous montre le public conquis par l'orchestre qui accompagne la projection d'un Harold Lloyd, leur enthousiasme (Schlettow, lui, ne regarde que les deux autres, il ne regarde pas les films), et leur dispersion lorsque les musiciens s'arrêtent de jouer, pour boire de bières et attendre: on n'a plus besoin d'eux, le film est parlant: le public est divisé, plus personne ne réagit comme son voisin, une dame sourde ennuie sérieusement sa voisine en lui demandant constamment de lui expliquer le film, un amateur enthousiaste applaudit et se fait rabrouer, certains pleurent, d'autres rient... l'étape suivante dans cette direction, c'est bien sur la fameuse scène d'ouverture de City Lights... Et à propos de son, je n'en fais pas une habitude, mais la partition (exécutée au piano) est un modèle du genre dans ce film qui, s'il n'est pas forcément indispensable, est malgré tout une belle révélation, et il enfonce le clou: oui, il y a des choses à prendre chez les Anglais, y compris en matière de cinéma...

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Published by François Massarelli - dans Muet Anthony Asquith 1929 *